Petite devinette : Ils sont des millions de milliards tout autour de nous et il y en a des millions de sortes différentes, mais on n’est pas foutu de les voir alors que c’est grâce à eux si on est là. Qui sont-ils ?
Bien évidemment, ce sont les microorganismes!
En ces temps où on parle de virus, de maladie et de pandémie, il fait bon de rappeler que tous les « microbes » (si tant est que les virus en soient) ne sont pas des pathogènes. D’ailleurs, une très faible partie des microorganismes sont pathogènes pour l’homme, pour les animaux ou pour les plantes. Le problème, c’est que dès que l’un d’entre eux fait une bêtise, on en entend parler à tout va, et on stigmatise toute la communauté. En réalité, la très grande majorité des microorganismes joue un rôle crucial et bénéfique pour les écosystèmes et pour l’être humain.
Pour vous expliquer cela, je vais m’intéresser à ce qui se passe sous nos pieds. Non, pas à vos chaussettes… mais dans la « terre » comme on l’appelle communément. En sciences, le terme de rigueur c’est « sol ». Le sol est généralement perçu comme un « truc » (on ne sait pas trop bien ce que c’est, pourtant Boris nous en parlait déjà là dans un contexte un peu particulier) sur lequel on marche, sur lequel on construit des bâtiments, dans lequel on enterre nos morts. C’est sale quand on s’amuse à jardiner et invisible quand on roule en voiture. Mais contrairement à l’idée qu’on s’en fait, le sol est une mine d’or, un trésor inestimable et avant tout un patrimoine universel.
Le sol (celui-là même qui est sous vos pieds, nul besoin de voyager) est la 3ème frontière biotique de notre planète. Tout comme les grands fonds océaniques et les canopées des forêts équatoriales, il renferme une biodiversité extraordinaire qui est malheureusement en grande partie inaccessible.
Après "Space. The last frontier", le prochain épisode sur les sols ?
Comme on le voit sur le graphe ci-dessous, ce sont les bactéries et les moisissures (aussi appelées champignons), donc les microbes, qui dominent cette diversité invisible. Pour vous rendre compte, un gramme de sol (une cuillère à soupe en gros) contient jusqu’à 10 milliards de bactéries et compte jusqu’à 1 million d’espèces de bactéries. Alors impressionnés ?!
Mais ce n’est pas tout. Toute cette diversité microbienne, en vivant sa petite vie, met en œuvre un grand nombre de fonctions qui se traduisent par des services écosystémiques. Ça veut tout simplement dire que les microorganismes travaillent pour nous. Sans eux, la surface de la terre serait couverte de cadavres d’animaux et de végétaux. Les microorganismes dégradent cette matière organique morte en éléments minéraux. Cette minéralisation participe au recyclage des éléments comme le carbone, l’azote, le phosphore et le soufre, qui sont les principaux constituants de la matière. Cette transformation de la matière organique en minéraux contribue à la fertilité du sol, nécessaire au développement, à la croissance et au maintien des plantes. Les microorganismes sont aussi impliqués dans la structuration physique du sol, sans quoi le sol ne pourrait être un support de construction ou de production agricole. Ajouté à cela, les microorganismes du sol jouent un rôle dans la protection sanitaire de l’être humain en participant à la dépollution de l’eau, de l’air et du sol d’une part et d’autre part en formant une barrière contre l’invasion de pathogènes. En effet la nature n’aime pas le vide, donc une diversité microbienne suffisante dans le sol empêchera les pathogènes opportunistes de se développer. Les microorganismes du sol nous rendent de nombreux autres services, et certains sont probablement encore inconnus et insoupçonnés. Mais ce qui est sûr c’est que nos modes de vie sont intimement liés à tous ces services dont on use (et abuse) gratuitement.
Si vous avez compris l’importance des microorganismes dans les sols, alors vous avez compris l’intérêt de les étudier et de savoir comment tout cela fonctionne. Mais étudier des microorganismes, invisibles à l’œil, et qu’on ne connaît pas, ça ne doit pas être évident vous me direz… Heureusement, depuis une vingtaine d’années, les recherches en écologie microbienne bénéficient des nouvelles technologies développées au départ pour les recherches médicales. Une petite dizaine d’années après le lancement du projet de séquençage du génome humain en 1988, on s’est mis à vouloir séquencer le génome du sol. Ou plus précisément le métagénome, qui est l’ensemble de tous les génomes des microorganismes vivants dans le sol. Vous l’aurez compris… on étudie les microorganismes du sol grâce à leur ADN. Plutôt fûté mais assez complexe techniquement parlant ! Le séquençage nous dit qui est là et en quelle quantité, dans la limite des capacités de détection. Maintenant qu’on arrive à toucher du bout du doigt cette immense diversité microbienne, les bases de données qui inventorient la diversité augmentent de façon exponentielle. Le plus gros problème auquel les chercheurs se confrontent aujourd’hui, c’est le temps nécessaire pour recueillir des informations sur chaque espèce, ses fonctions et son écologie. Je ne vous en dis pas plus aujourd’hui, mais promis je reviens très vite pour vous parler de ces petites merveilles de la nature.
Si vous pensez que cette phrase est mal orthographiée, c’est que vous ne connaissez pas encore l’histoire qui va suivre.
Il était une fois, un cil d’œil du nom d’Imbé, qui se voyait sur le déclin. De toute sa vie, il n’avait vu qu’un œil, et pourtant la vision n’était pas sa vocation. Il avait ouïe dire, grâce au bouche à oreille, que de minuscules cils peuplaient le conduit auditif et permettaient d’entendre. Imbé savait très bien qu’il faisait partie de la famille des poils, des soies … des phanères en somme. Mais il ne l’assumait pas tellement. Imbé, cil d’œil, voulait voir ce que c’était d’entendre.
La magie du Web permit à Imbé de rencontrer Louis, cil de l’oreille interne. Ils s’entendirent tout de suite très bien et décidèrent de se voir. Louis apporta un livre à Imbé et le remercia : « Sans toi et les autres cils d’yeux, on n’aurait jamais pu bien voir toutes les belles images de microscopie qui ont permis de comprendre d’où nous venons nous, les stéréocils. Bien qu’appelés « cils » nous n’avons pas grand chose en commun avec les cils primaires et les cils vibratiles. Lis donc cet article Imbé, cil d’œil ! »
Figure 1 : Stéréocils trouvés à la surface des cellules de la cochlée
observés en microscopie électronique à transmission (2µm de long).
Université du Queensland.
Ce fût un jour important pour Imbé qui, grâce à Louis, comprit que chaque structure d’un organisme, si petite soit-elle, résulte de millions d’années d’évolution au cours desquelles elle a su se rendre utile. Fort de son expérience, Imbé se laissa partir paisiblement et vint se planter dans ma cornée, déclenchant une crise de larmes. Fin.
Ah les cils ! Arme de séduction pour les uns, moyen de locomotion pour les autres. Bien que portant le même nom, nous parlons ici de deux structures bien différentes : à commencer par leur taille. Le cil que l’on voit est un poil poussant à l’extrémité des paupières et ayant pour premier intérêt de limiter l’entrée de corps étrangers dans les yeux. Ces cils qu’on nous convint de vouloir plus longs, plus étoffés, plus sombres, etc.
Si on s’intéresse aux cils en tant que structure cellulaire (mesurant 10µm soit 1000 fois plus petit que le cil des paupières) on apprend qu’il existe un groupe d’organismes appelé « ciliés » … mais si vous pensez qu’eux seuls portent des cils, vous vous fourrez le doigt dans l’œil. En effet ils arborent, à leur surface, des cils vibratiles à au moins un stade de leur cycle de développement. Ces cils-là ont pour premier avantage de permettre de créer des flux d’eau autour de la cellule et ainsi de se déplacer pour les formes nageuses ou de balayer les alentours afin d’apporter vers elle des proies et autres éléments nutritifs.
Cependant, ce petit organe cellulaire à l’utilité mécanique incontestable a fait son chemin au cours de l’évolution ! Elle est également trouvée chez des bébêtes grand-format, incluant Homo sapiens, où le cil, parfois appelé flagelle (selon sa taille et sa capacité de mouvement) remplit de nombreuses fonctions et définit même certains types cellulaires au rôle fondamental avec des conséquences importantes lorsque leur structure est altérée.
Oui, je parle bien du spermatozoïde.
Pour bien comprendre comment fonctionne le cil, un point technique s’impose. Le cil est supporté par un échafaudage interne formé de tubes. Un tube de tubes (les microtubules) pour dire vrai, appelé axonème.
Figure 2 : Les protéines de tubuline forment les microtubules qui forment l’axonème qui supporte le cil.
On y voit nettement plus clair lorsqu’on sait qu’il existe deux types de cils qui ont des rôles distincts. Le cilium primaire non motile est un capteur avant tout. On le trouve à la surface de la grande majorité de nos cellules, en un unique exemplaire par cellule. Les chercheurs spécialistes ont pour habitude de parler du cil primaire en tant qu’antenne cellulaire, et pour cause. L’axonème étant enrobé de la même membrane qui recouvre le reste de la cellule, il va également porter les mêmes protéines de surface : les récepteurs membranaires. Ainsi, le cil aura la capacité de sonder le milieu extérieur de la cellule où il détectera par exemple des molécules qui circulent.
De manière intéressante, ce sont surtout les variations physiques plus que chimiques qu’il pourra capter. De la même manière que le vent fera onduler les épis de blé dans les champs, le flux des liquides circulant sur les cellules fera plier les cils primaires. La détection et l’interprétation de ces flux sont des évènements majeurs dans de nombreux processus qui seront exposés plus bas. Il est pertinent de remarquer que la présence de ce type de cils est observée dans la plupart des types cellulaires de vertébrés. Et très récemment, une équipe canadienne a mis en évidence leur existence chez les éponges (ça avait par exemple été évoqué ici), montrant à cette occasion leur capacité à répondre très finement aux variations de flux d’eau.
Figure 3 : Un cil (c) en microscopie électronique en transmission avec
le corps basal ou basal body (bb) La plupart des corps basaux, ainsi que
d’autres structures proches : les centrioles, sont composées de 9
triplets de fibres de tubuline et ceci est vrai pour les unicellulaires
avec noyau comme pour l’être humain. Le cil lui-même est composé de 9
doublets qui s’étendent à partir des triplets. De plus, il y a 2 fibres
au centre de l’axonème (ax). Par R. Allen grossi 16,000X. Barre = 0.5µm.
Publié dans J. Protozool en 1967.
Le cil motile est champion du battement de cil. En effet, il bouge de manière active. Pour ce faire, des molécules présentes à la base du cil appelées dynéines vont consommer de l’énergie pour passer d’un doublet de microtubule à l’autre. Or, les microtubules étant maintenus ensemble, ils ne pourront pas coulisser, provoquant une traction sur l’axonème et une courbure du cil (voir éventuellement cette vidéo à 2:40). Ceci se faisant de manière régulière, le battement du cil observera un certain rythme qui sera généralement synchronisé avec les cils voisins. Dans le cas de cellules à flagelles multiples, cette synchronisation est d’autant plus importante qu’elle influence l’orientation du déplacement de la cellule qui les porte.
Parmi les cellules qui se déplacent grâce aux cils on peut citer la paramécie : un modèle bien connu des salles de classe. Le prof laisse de l’eau croupir quelques jours et rapporte ça :
Figure 4 : Photos en microscopie optique à contraste de phase de
discovermagazine.com, en microscopie à fluorescence de J. Beisson et F.
Ruiz (Génoscope) et coupe de cils à la surface de la paramécie observée
en microscopie électronique à transmission par l’équipe d’Anne-Marie
Tassin (CNRS de Gif-sur-Yvette).
Durant les millions d’années qui nous séparent de l’apparition de la première ébauche de cil, de l’eau a coulé sous les ponts, d’ailleurs il n’y avait pas encore de ponts que les ancêtres des paramécies pataugeaient déjà dans les cours d’eau aux côtés de nos ancêtres à nous.
Paramecium tetraurelia est un organisme unicellulaire qui mesure 300 µm de long environ. Sur la figure 4 ci-dessus les cils ont été marqués en vert fluo afin de les identifier. Les cils de la paramécie sont très organisés à sa surface. En effet, si on marque le corps basal du cil (voir bb pour « basal body » dans la figure 3 encore plus haut) on constate une impressionnante régularité dans la disposition des cils. En fait, les cils de P. tetraurelia lui permettent de se propulser comme une torpille à condition que ce ne soit pas des mi-cils… Effectivement, la moindre perturbation de cette organisation, même nanométrique, va avoir de l’impact sur le déplacement de la paramécie. De cette manière, de nombreuses mutations de l’organisation du squelette cellulaire ont été identifiées en analysant la nage de la paramécie.
Il y a également des végétaux qui vont et qui viennent, voyez chlamydomonas :
Cette algue de 10µm environ possède deux flagelles qui lui permettent de se déplacer. En termes de structure moléculaire, les flagelles peuvent réellement être considérés comme des cils motiles longs. De la même manière que pour la paramécie, les mutations affectant la structures des flagelles seront très facilement détectables en catégorisant les modes de déplacement, parfois laborieux.
Et chez les pluricellulaires alors, me direz-vous ?
Homo sapiens est un exemple parmi d’autres. Les cils motiles présents à la surface des cellules de la surface interne des poumons (formée de cellules de type « épithéliales ») ont été très étudiés car ils sont impliqués dans des maladies. En effet, celles-ci sont causées par un problème d’organisation des cils et sont par conséquent appelées ciliopathies (« myopathies » pour les pathologies musculaires, « ciliopathies » pour les pathologies ciliaires … vous suivez ?). Par exemple, la dyskinésie ciliaire primitive (« dys » pour le défaut et « kinésie » pour le mouvement. Vous suivez toujours ?) est une maladie causée par une altération génétique des molécules structurant le cil où c’est le système respiratoire qui souffre le plus de la micro-malformation. Vous suivez toujours ? Parce que le cil, lui, ne suit pas du tout, entraînant de lourdes conséquences. Son battement défectueux nuit à l’évacuation du mucus pulmonaire conduisant, comme pour la mucoviscidose, à de fréquentes infections respiratoires.
Figure 5 : On visualise le mucus non-évacué aux abords des cils à
l’intérieur des poumons d’une malade en microscopie électronique à
balayage par Estelle Escudier (Inserm U.933)
Figure 6 : Cils portant des récepteurs dans leur membrane qui pourront capter des molécules dans le flux extracellulaire.
Et je crois que c’est t…
Ah non, attendez ! J’étais à un cheveu d’oublier de mentionner le mignonissime Schmittea mediterranea : un animal qui mérite bien quelques lignes dans un article sur les cils. En effet, en plus d’être capable de se régénérer totalement à partir de n’importe lequel de ses fragments (regardez-ça, c’est à couper le souffle), ce ver plat ne nage pas, il glisse (voir aussi).
Il glisse grâce à des cils qui recouvrent toute sa surface inférieure. Vous vous en doutez, le moindre micromètre de décalage dans l’arrangement des cils va avoir de l’impact sur le déplacement de la bête. Et voici ce que ça devrait donner et ce que ça peut donner :
Déplacement normal « glisse »
Déplacement causé par une mutation du cil qui pourrait s’apparenter à celui d’une limace
Vidéos par Juliette Azimzadeh (Institut Jacques Monod)
En résumé, derrière un nom peuvent se cacher de nombreux concepts : le cil oculaire est un poil incomparable au cil auriculaire qui contient de fins filaments ou aux cils primaires et motiles qui contiennent des tubules. Cependant, quels que soient sa taille ou l’organisme qui le porte, l’important pour un cil c’est qu’il soit docile.
Références :
« Comment se forme un cil cellulaire ? » Bénédicte Salthun-Lassalle, PourLaScience.fr 2010
Evolutionary origins of sensation in metazoans: functional evidence for a new sensory organ in sponges. Danielle A Ludeman, Nathan Farrar, Ana Riesgo, Jordi Paps and Sally P Leys. BMC Evolutionary Biology 2014, 14:3 doi:10.1186/1471-2148-14-3
Tracing the origins of centrioles, cilia, and flagella. Zita Carvalho-Santos, Juliette Azimzadeh, José. B. Pereira-Leal, and Mónica Bettencourt-Dias. JCB vol. 194 no. 2 165-175 The Rockefeller University Press, doi: 10.1083/jcb.201011152
Le Cil : Succès évolutif d’une alliance sensori-motrice. Mme Christine PETIT, Collège de France, 2007.
Karen Uriot (suivez-la sur twitter ici : @karenn55) sera prochainement docteure en Biologie Cellulaire. Elle dit avoir deux guides dans la vie : le visionneur qui a inventé la Microscopie et le créationniste du Calembour.
Passionnée par toutes les Sciences, elle est ravie de pouvoir apporter sa petite contribution au web scientifique francophone.
Les vacances des scientifiques… à quoi ça peut bien ressembler ? Sophie
vous en a donné un aperçu en vous contant ses aventures en Camargue. De mon
côté, les vacances n’étaient pas au programme de l’été, mais ce n’est pas pour
autant que l’aventure n’était pas au rendez-vous !
Si vous vous fiez à notre page de présentation, depuis un peu plus de 10 mois je travaille sur les
tourbières, et plus particulièrement les tourbières du Jura. Cette année
l’hiver a été très froid et plutôt long. Encore plus en altitude. Les
tourbières du Jura sont restées sous la neige assez longtemps après la hausse
des températures au mois de mars. Il a fallu encore plus de temps pour que
l’activité reprenne dans cet écosystème qui s’était mis en veille tout l’hiver.
Quelle activité ? Celle des micro-organismes dont je vous ai très
brièvement parlé là. Et c’est à ces petits
amis qui ont pris leur temps pour se réveiller que je m’intéresse. C’est eux ma
raison de me lever tous les matins depuis quelques mois. Et c’est encore eux
qui ont accaparé mon attention tout cet été ! L’objectif de l’été est de
prélever des carottes de tourbe pour ensuite faire des analyses et un suivi des
communautés microbiennes en laboratoire afin de connaître l’effet du
réchauffement climatique sur les bactéries et sur la capacité de stockage du
carbone par les tourbières.
Le site expérimental sur lequel
on prélève est situé à Frasne dans une réserve naturelle régionale et
nationale. Plusieurs espèces protégées s’y développent comme la Drosera et l’Andromède.
Mais pour que les chercheurs
puissent faire avancer la science, un accord a été passé entre les responsables
de la réserve et un groupe de laboratoire de recherche de façon à ce que le
site soit classé Observatoire des Sciences de l’Univers, c’est-à-dire que les
scientifiques ont l’autorisation d’y mettre en place des expériences afin de
répondre à de grandes questions environnementales. Grâce à cet accord, en 2008,
le laboratoire Chrono-environnement a pu mettre en place le ponton et un plan
expérimental pour étudier l’effet du réchauffement climatique sur les
tourbières. Ce plan expérimental (comme on peut le voir sur le schéma
ci-dessous) est constitué de 12 placettes dont certaines sont mises sous serre
grâce à un système appelé Open-Top-Chamber et qui permet d’appliquer un
réchauffement moyen de 2 degrés, ce qui correspond à un réchauffement plausible
à moyen terme. Ce site expérimental est unique en France mais il a été
reproduit en Pologne et en Sibérie afin d’obtenir des données sur un gradient
latitudinal. Ainsi si mes expériences sont concluantes, il faudrait les
réitérer dans les 2 autres pays !
Schéma du site expérimental des tourbières de Frasne
Et voilà, c’est pour mes amis
(bactéries, champignons et autres compères) des tourbières que je me suis levée
à 5h le vendredi 28 juin dernier et que je suis partie en vadrouille sur les
sentiers perdus de la Franche-Comté, plus précisément du côté de la ville de
Frasne.
Accompagnée de deux stagiaires et d’une
ingénieure du labo (notre Mac Gyver à nous !), on décolle à la première
heure. Après presque 3h de route à passer de petites villes en villages, c’est
vers 9h du matin que nous arrivons aux abords de la tourbière du Forbonnet. Là,
il nous faut enfiler bottes et chaussures de marche, pantalon imperméable,
prévoir parapluie et crème solaire (on ne sait jamais à quel temps on aura droit,
même en plein été), emporter nos sacs remplis de flacons et pots en tout genre,
couteaux de taille conséquente, sachets isothermes, glacière, et nous armer de
toute notre motivation et de notre humour sans lequel une journée de
terrain ne serait pas une journée de terrain !
Panorama du site (quand il fait beau!!!)
C’est parti !
Presqu’à l’image d’Indiana Jones,
on brave quelques pontons glissants (la faute à la pluie de la veille), souches
et branches d’arbres traîtres et on se démène pendant un peu plus de 20 minutes
au beau milieu d’une forêt de pins en tentant de ne pas s’embourber dans la
tourbe ! C’est qu’elle a faim la tourbe. Dès qu’on relâche notre attention
ne serait-ce qu’une seconde, elle ne perd pas une occasion d’aspirer un pied,
voire plus (quand elle a de l’appétit, ça peut aller jusqu’à la cuisse !)…
De mon expérience, la sensation n’est absolument pas désagréable. On se
laisserait presque prendre à ce doux massage si seulement les membres en cours
d’aspiration ne commençaient pas à se refroidir très rapidement. La tourbe,
surtout après un hiver long et froid, est à une température moyenne de 10°C et
plus on s’enfonce, plus c’est froid. Donc, il ne faut pas s’endormir sur nos
lauriers…. euh sur nos pins !
A gauche, vous pouvez voir la forêt de pins dans laquelle on a du évoluer pour arriver au but et à droite, un petit aperçu de ce dans quoi il nous est arrivé de plonger nos pieds
Arrivés sur notre ponton
expérimental et sans plus attendre, on se répartit les tâches : qui
prélève, qui annote, qui prend les photos, et qui vérifie les capteurs. La
meilleure partie, c’est le prélèvement biensûr ! A chaque campagne, le
mode de prélèvement doit être adapté à ce qu’on veut étudier sur les
échantillons. Dans mon cas, j’ai besoin de carottes de 10*10*15 cm de profondeur
(photo plus bas). D’autres avant moi n’ont prélevé que des échantillons de
sphaignes (c’est la mousse qui pousse préférentiellement sur ces tourbières et
que l’on voit sur la photo de la carotte), ou encore que des échantillons sur
les 3 premiers centimètres de profondeur. Mes carottes vont servir à mettre en
place plusieurs expériences au laboratoire, et comme ce coup-ci je travaille
sur les bactéries, il faut que le prélèvement se fasse de façon la plus stérile
possible. C’est pour ça que les pots s’apprêtant à recevoir les carottes ont
été lavés à l’alcool, il en est de même pour les couteaux servant à trancher la
tourbe. Et entre chaque prélèvement, les couteaux sont aussi stérilisés à
l’alcool.
Pour prélever sur chacune des 12
placettes, je dois descendre du ponton et marcher à même la tourbe, qui ne perd
pas une seconde pour s’enfoncer en m’emporter avec elle. Deux solutions se
présentent à moi : soit je reste en permanence en mouvement, mais cela
rend complexe le découpage et le prélèvement des carottes, soit je me sers du
Peatsurf, autrement dit le surf des tourbières ! Je suis sûre que vous
vous demandez ce que c’est…. Je vous préviens, vous allez être déçu par la
simplicité de l’idée. Le peatsurf n’est rien de plus qu’un couvercle de
poubelle sur lequel on monte quand on a besoin de marcher sur la tourbière. Il
nous permet de mieux répartir notre poids au sol et donc de ne pas nous
enfoncer et de rester au sec (ou presque). Cette idée de notre Mac Gyver tient
du système D mais c’est suffisamment simple, judicieux et efficace pour être
validé par quiconque doit prélever sur les tourbières.
Une belle photo de mon peatsurf!
Pour chaque placette, il a fallu,
avant-tout, trouver une zone représentative de l’ensemble de la placette, puis
découper la carotte au couteau aux dimensions souhaitées (10*10 cm en surface)
sur une profondeur minimum de 15 cm. A partir de là, on abandonne les couteaux
et on passe en mode manuel. Il faut alors plonger les mains dans la tourbe
(avec des gants lavés à l’alcool pour rester dans des conditions les plus
stériles possibles) pour en sortir la carotte (photo ci dessous à gauche) d’à peu près 3 kilos saturée en
eau. Une fois la carotte prélevée, on en profite pour collecter
un échantillon d’eau au fond du trou (photo ci dessous à droite) laissé pour y analyser les bactéries
présentes.
Autant vous dire qu’entre la
position assez inconfortable, l’instabilité du peatsurf et la température
plutôt rafraichissante de la tourbe, on fait en sorte d’être efficace pour ne
pas avoir à y revenir 2 fois. En un peu moins de 3h, tous les prélèvements sont
faits et les échantillons stockés en glacière. Il ne reste plus qu’à rapporter
tout ça en laboratoire.
Là où c’est moins drôle, c’est
que les expériences prévues sur ses échantillons doivent se faire à Paris. Donc
après avoir remballé nos affaires, fait le chemin inverse au milieu de la forêt
de pins, des souches, de la tourbe et sur les pontons glissants, et repris la
voiture en direction de la gare la plus proche, j’enchaîne avec 3h de train
chargée de plus de 30 kilos de tourbe et une valise de matériel de laboratoire. Arrivée à 21h à Gare de Lyon, je
retrouve les traditionnels problèmes de métro qui retardent mon arrivée au
laboratoire où je dois stocker mes échantillons en chambre froide jusqu’au
lendemain. Mais après beaucoup de patience, à 23h mes échantillons sont enfin
au frais. Ils vont pouvoir passer 24h au calme, et moi je dois traverser Paris
pour rentrer chez moi, dormir quelques heures et me reposer une journée tout au
plus avant de revenir m’occuper de mes petits amis des tourbières.
Et donc, dimanche matin, 9h, au
laboratoire BIOEMCO, à Créteil, nous sommes 3 pour faire face à ces 30 kg de
tourbe et d’eau. Mes deux acolytes, un chercheur et une post-doctorante, se
sont aussi armés de leur humour et de leur réserve de café, car ils savent que
la journée va être longue. Et ce n’est pas peu dire…. Nous avons fini à 2h30 …
du matin, presque sans avoir fait de pause.
De droite à gauche: une
partie des échantillons est mise à sécher; ils
sont broyés; puis
on leur applique plusieurs méthodes de microbiologie pour mesurer la diversité
génétique, la diversité de métabolisme, l’activité et la respiration des
bactéries;et
enfin on récupère les échantillons en prévision d’autres analyses.
Comme tout chercheur en biologie
le sait, le vivant n’attend pas, il continue son cycle, son évolution quoi
qu’il se passe. C’est à nous de nous plier à ses contraintes et pas le
contraire. Mais ces fameuses contraintes, c’est cela qui nous forge de
merveilleux souvenirs. Et dire que de simples bactéries sont capables de déclencher
de monstrueux fous rires à n’en plus finir.
Pour tout vous avouez, les jours
suivants n’ont pas été de tout repos et loin d’être faciles. L’ensemble des
expériences que j’avais prévues a duré 1mois et demi en continu et il m’en
reste quelques bribes à finir jusque fin octobre. Mais je n’échangerai pour
rien au monde ces vacances d’écologue contre des vacances à Bora-Bora !