dimanche 10 février 2013

Plus imposant que Facebook et surtout incontournable, les réseaux écologiques!


Ça fait quelques temps que je n'ai pas publié d'articles sur le blog, et pour cause, depuis un peu plus de 3 mois, j'ai commencé une thèse dans un super laboratoire de la Franche-Comté (le comté, la cancoillote, le mont d'or et la saucisse sont devenus mon quotidien ;) ). Lorsque mes amis me demandent sur quoi je travaille, ils restent bloqués quelques secondes quand je leur énonce le titre de ma thèse.... Ils ne comprennent pas tout. Faisons un petit essai: "Modélisation du réseau trophique microbien des tourbières à Sphaignes".... Alors? Sur quels mots avez-vous coincés? A mon grand étonnement, ce n'est pas le mot "modélisation" qui pose problème le plus souvent, mais l'expression "réseau trophique". En fait, ça fait tellement longtemps que je fais de l'écologie qu'elle me parait pleine de sens et j'en ai vite oublié que ça n'était pas le cas pour tout le monde. 
Donc voilà une petite explication de ce que sont les réseaux trophiques, et les réseaux écologiques de façon générale.



Les relations entre l’ensemble des être vivants de la planète sont structurées au sein de réseaux écologiques.  Vous vous demandez ce qu’est un réseau écologique ? 
Un réseau, vous savez ce que c’est… Facebook, tweeter sont des réseaux sociaux, Viadeo, LinkedIn des réseaux socio-professionnels, votre club de foot, de rugby, de yoga ou de tennis constitue votre réseau sportif, et votre famille et vos amis appartiennent à votre réseau proche. Avec tous ces exemples, vous aurez compris qu’un réseau c’est une toile constituée d’éléments (dans mes exemples, les éléments sont des personnes) reliés entre eux.

Le réseau Facebook mondial par Paul Butler
Mais alors un réseau écologique c’est quoi ? 
Un réseau écologique repose sur les relations écologiques. Les relations écologiques sont toutes les interactions positives, négatives ou neutres qui existent entre les espèces d’une communauté au sein d’un environnement donné. Les interactions positives peuvent être par exemple des symbioses ou du mutualisme et les interactions négatives sont la plupart du temps de la prédation, du parasitisme et de la compétition. Ainsi trois types de réseaux font plus particulièrement l’objet de recherche : les réseaux mutualistes (1% des recherches), les réseaux parasites (4% des recherches) et les réseaux trophiques (94% des recherches).
Illustration proposée par Elisa Thébault, Alix Sauve et Collin Fontaine pour la Chaire Modélisation mathématique et Biodiversité
De très récents travaux mêlent les deux types d’interactions positive et négative que sont respectivement le mutualisme et la prédation. Elisa Thébault et Colin Fontaine ont initié des travaux dans ce domaine en montrant en 2010 que le type d’interaction avait un impact sur la stabilité de la communauté.  (Pour en savoir plus, le blog Naked Science nous fait un point sur l’article publié dans Science).

Mais comme je l’ai précédemment mentionné, la plupart des réseaux écologiques étudiés sont des réseaux trophiques. Mais pourquoi ? Un réseau trophique est ce que le commun des mortels appelle une chaine alimentaire. Sauf que la notion de chaine suppose un schéma linéaire : Une ressource (une plante ou de la matière morte) mangé par un consommateur primaire, lui-même chassé et mangé par un prédateur plus gros. C’est ce que pensaient aussi les scientifiques au début des recherches dans ce domaine avant de se rendre compte de la complexité des communautés biologiques.
Un réseau trophique constitue un schéma plus complexe où chaque élément du réseau peut manger, être mangé par, et être en compétition avec plusieurs autres éléments.
D’autre part les réseaux trophiques sont présents dans tous les types de milieux, dans tous les environnements possible et imaginable, à partir du moment où il y a de la vie. Ils concernent tous les organismes donc peuvent être observés à différentes échelles d’observation, de l’échelle microscopique à l’échelle macroscopique.


Représentation d'un réseau trophique marin (source: Ifremer)

En milieu marin, le réseau est constitué d’algues, de micro-organismes comme le phytoplancton et le zooplancton, d’invertébrés divers, de poissons au régime alimentaire varié ainsi que d’espèces de niveau trophique élevé, c’est-à-dire qu’ils sont les consommateurs terminaux. Ces derniers constituent une impasse pour les flux de matière à l’exception de leur prédation par l’homme. A leur mort, ils se décomposeront et se transformeront en particules pour être à nouveau en partie disponible à la consommation par d’autres organismes.  



Schéma d'un réseau trophique présent à la surface du sol
Le réseau trophique du sol est étudié à l’échelle des micro-organismes (les bactéries et les champignons) et de la méiofaune (la faune de l’ordre de 1 à 100 mm) mais inclue également certaines espèces de rongeurs ou de petits mammifères (comme la taupe !). La source initiale de matière dans ces écosystèmes est constituée des végétaux et leur débris qui forment la litière ainsi que l’humus, couche superficielle du sol constituée à la fois de débris végétaux, de matière organique (c’est-à-dire composée de carbone) morte et de particules minérales très fines.



Représentation schématique du réseau trophique au sein de la communauté des micro-organismes de la tourbière (Source: Karimi)
Dans les zones humides telles que les tourbières, on peut trouver des communautés particulières et donc des réseaux trophiques associant des organismes habituellement aquatiques comme du microphytoplancton, des cyanobactéries ou des rotifères (une sorte de microzooplancton assez mignon … mais pour en savoir un peu plus, je vous renvoie au blog de Nicobola) et des organismes terrestres comme les plantes vasculaires et les champignons. Ils mêlent des espèces de tous les groupes du vivant, les bactéries, les protozoaires, les métazoaires et les plantes. On peut voir que les relations trophiques sont très nombreuses et ne permettent pas d’établir un schéma linéaire.

Tous ces réseaux sont étudiés de différentes manières par les chercheurs. Ils sont observés sur le terrain, c’est ce qu’on appelle le travail in situ. Ce type d’approche permet d’avoir une idée des principales relations trophiques liant les organismes d’une communauté. Suite à des échantillonnages, ils sont étudiés en laboratoire ou ex situ. Ces expériences permettent de quantifier plus précisément les relations, par exemple par des mesures d’ingestion et de taux de prédation ou des techniques d’isotopie (qui utilisent une version radioactive de certaines molécules pour pouvoir les suivre et les doser), ou d’identifier des interactions trophiques difficiles à observer in situ en utilisant des méthodologies de pointe telles que la méta-génomique, c’est-à-dire le séquençage de l’ADN du contenu du tube digestif (on peut ainsi identifier toutes les espèces consommées par un organisme). Enfin la dernière approche consiste à modéliser les réseaux trophiques grâce à toutes les informations qui ont été accumulées à leur sujet. Ce type de travail permet d’avoir une idée des flux de matière entre les espèces, du taux de recyclage des molécules dans le réseau, du nombre de chemins différents qu’une molécule peut emprunter dès son entrée dans le réseau, de connaitre l’efficacité de transfert de molécule d’un consommateur à son prédateur et plein d’autres renseignements sur le fonctionnement de la communauté. D’autres informations obtenues à partir du travail de modélisation concernent la stabilité de l’écosystème (c’est-à-dire si une perturbation le modifiera facilement ou alors s’il sera résistant aux perturbations) ou la redondance au sein de la communauté (en d’autres termes, est-ce que certaines espèces exercent la même fonction ?). On peut aussi mettre en évidence certains organismes à fonctions particulières qui peuvent fortement dépendre ou fortement modifier les autres organismes du réseau trophique ; ces organismes peuvent être appelés des organismes ingénieurs dans certains cas et des bio-intégrateurs dans d’autres cas. Mais quelque soit le rôle de chaque organisme, sa participation à un réseau trophique fait de lui un élément structurant de la communauté et un rouage du fonctionnement de l’écosystème.

Vous aurez compris que pour connaître ces structures complexes que sont les réseaux trophiques, des méthodes presque aussi complexes sont utilisées, mais rien n’est trop bien pour comprendre ce qui se passe sur notre petite planète !

Tout comme les réseaux trophiques, les réseaux mutualistes ou parasites sont complexes à étudier et à comprendre. Les flux étudiés ne sont plus des molécules fournissant de l’énergie mais d’autres types (par exemple, le pollen dans le cas de réseaux mutualistes plante-pollinisateur). Tous ces types de réseaux sont indispensables au bon fonctionnement des écosystèmes et à tous les services qu’ils peuvent nous rendre.




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