lundi 11 mai 2015

Entourloupes naturalistes : les lapins, des rongeurs imposteurs



(Crédits)

C'est une vérité qui est encore largement ignorée par le grand public, malgré les efforts de quelques émissions animalières à ce sujet. Pas plus tard que la semaine dernière, alors que j'allais tranquillement acheter des bestioles aquatiques pour mes étudiants, je suis tombée devant ces magnifiques lapereaux, tout petits et tout curieux. Placés dans un enclos à ciel ouvert, ils pointaient leurs museaux vers les visiteurs, leurs yeux grands ouverts et leurs petites oreilles tombantes, dans une vile invitation à se faire caresser... Au dessus de l'enclos, un petit panneau priait les visiteurs de ne pas toucher les rongeurs. Une invitation cette fois aux initiés de braver le faux interdit ! Et pour cause : les lapins, tout comme leurs cousins lièvres, ne sont pas des rongeurs.

Je vois déjà venir les propriétaires de lapins, pattes de meubles à l'appui, pour me prouver que leurs petits démons sont pourtant bien des maîtres dans l'art de ronger. Avant de lever les boucliers, une petite chose que vous devez savoir. Le terme "rongeur" ne désigne pas une simple habitude alimentaire. Les rongeurs constituent un groupe (on parle d'un ordre) de mammifères liés par un ancêtre commun. Ainsi, la plupart des rongeurs rongent, mais ne pas ronger n'exclue pas un animal de l'ordre des rongeurs, et inversement ! C'est exactement la même chose que pour le groupe des carnivores : le panda géant fait partie des carnivores alors qu'il se nourrit exclusivement de bambous, tandis que bien des animaux (mammifères ou non par ailleurs) ont un régime alimentaire de type carnivore sans faire partie de cet ordre. Pour ne pas s’emmêler les pinceaux, les scientifiques nous laissent les noms vernaculaires, et utilisent plutôt des noms latins, comme « Carnivora ». Si la signification est la même, la désignation est en revanche beaucoup plus explicite ! Et puis ça permet d’avoir un nom valable à l’échelle internationale, ce qui est d’un avantage certain pour que les scientifiques du monde entier puissent se comprendre.


Des carnivores qui sont végétariens ou des mangeurs de fourmis qui ne font pas partie du groupe des insectivores (groupe contesté à l’heure actuelle) : attention à la distinction entre les caractéristiques d’un animal, tel que son régime alimentaire, et le groupe auquel son espèce appartient ! (Crédits : panda, fourmilier)


Revenons à nos lapins. Ces derniers appartiennent en fait au groupe des "lagomorphes", qui contient également les lièvres (lagomorphe signifie littéralement "de la forme d'un lièvre") et des créatures moins connues, si ce n'est sous leur forme jaune et électrique, les pikas. Force est tout de même de constater qu'un lapin et un cochon d'inde (qui lui est bien un rongeur), ça se ressemble fichtrement. Et pour cause, les deux groupes auxquels ils appartiennent sont étroitement liés. Les rongeurs et les lagomorphes sont les seuls représentants encore vivants du groupe des anagalides. Ces deux groupes sont donc plus proches entre eux qu'avec les autres animaux, d'où les confusions fréquentes. Sans compter que le nom de lagomorphe est un brin plus barbare à retenir que rongeur.


Bien que les créateurs des Pokémons aient démenti l’affirmation, certains fans aiment penser que le pika, ce drôle d’animal, aurait inspiré le célèbre ami jaune et électrique de Sasha (Crédits)


C'est du côté de leur denture que se trouve une particularité bien reconnaissable, qui distingue rongeurs et lagomorphes. Ces derniers cachent une deuxième paire d'incisives, directement derrière la première. Non pas comme nous avons nos molaires derrière nos incisives. Non, littéralement derrières : ils ont deux paires d'incisives sur deux rangées différentes. Voyez plutôt.


Sur ce crâne de lièvre, on voit très bien la présence de petites incisives derrières les plus grandes, sur la mâchoire supérieure (Crédits)

Les lagomorphes disposent d’une autre particularité, cette fois au niveau de leur intestin. Un cæcum (première partie du colon) particulièrement développé leur permet en effet une digestion très efficace de la cellulose, via l’action de bactéries. Ce cæcum est notamment l’endroit où sont produites ces crottes qu’ils ont l’habitude de ravaler… Un apport non négligeable de protéines bactériennes qui explique les tendances gustatives déroutantes des lapins ! Cette habitude alimentaire, la cæcotrophie, est à rapprocher de la rumination des vaches. Le chemin emprunté par les aliments pour être digérés de nouveau est juste un brin différent : alors que les ruminants régurgitent leur repas pour le mastiquer de nouveau, les lapins leur font refaire un tour à travers le circuit complet ! Bien que certains rongeurs soient également connus pour pratiquer la cæcotrophie, le processus digestif aurait évolué de manière indépendante. Pour les lagomorphes, cette caractéristique est gage d’une grande efficacité au vu de leur régime herbivore, contrairement aux rongeurs qui présentent des régimes plus variés.


Schéma de l’appareil digestif du lapin (Crédits). Le coecum (en rose sur les dessins du bas) est particulièrement bien développé chez les espèces à régime herbivore, où il est le siège d’une digestion bactérienne (Crédits).



Je vous épargne les photos. Vous voici maintenant parés pour briller en société, que ce soit devant l’animal de votre petite cousine, qui force la bête à monter sur vos genoux pendant que vous croisez les doigts pour qu’il ne soit pas pris d’une envie indécente… ou devant votre ragout de lapin, que vous aurez cuisiné en conservant la tête, pour bien faire voir à tout le monde ce que vous avez appris ! Pour ce qui est des intestins, en revanche, c’est au goût de chacun.



Sophie Labaude
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