jeudi 14 novembre 2013

De l’utilité de créer son propre zombie…

...Ou le monde fabuleux des parasites manipulateurs


Si la fête d’Halloween nous a amené sa ribambelle de monstres en tous genres, je vous propose aujourd’hui de rester dans le thème et parler des zombies. Attention, pas ces zombies snobs qui se pavanent dans des films grotesques comme «  Shaun of the Dead » ou « Warm bodies »… Ces humains complètement gaga et tout baveux se croient célèbres sous prétexte qu’ils apparaissent dans une poignée de longs métrages (quelques 350 selon Wikipédia, pas de quoi en faire toute une histoire…), alors qu’au fond, à part terroriser les foules, ils ne servent pas à grand chose. Un bon zombie est un zombie utile ! C’est un zombie prêt à tout pour servir son créateur, y compris se jeter littéralement dans la gueule du loup.


(Source)


Qui a besoin des zombies ?


En tant qu’être humain, il faut avouer qu’un zombie a une utilité relativement limitée. Des personnes pour faire le travail à notre place, on en a déjà. Nos gosses, nos employés, nos chiens s’ils sont bien dressés… Et puis la technologie fait des miracles, les ordinateurs et robots s’occupent de presque tout à l’heure actuelle, sans même qu’on s’en aperçoive. Mais il existe des créatures qui ont un besoin crucial d’un autre individu pour les maintenir en vie. Je ne suis pas en train de parler de Voldemort qui squatte le crâne de ce pauvre professeur Quirrell, mais finalement l’exemple se rapproche pas mal de la réalité. Si vous n’avez pas compris ma dernière phrase (mais vous vivez où ?!), brève explication. Voldemort (l’ennemi de Harry Potter, le mec qui vit sous un escalier), est un sorcier anéanti, incapable de se fabriquer un corps comme tout un chacun avec ce qu’il faut pour se déplacer, trouver de la nourriture, communiquer, etc. (bon, par la suite il reprendra du poil de la bête). Pour survivre, il habite littéralement le corps d’un hôte humain, et non seulement il puise en lui les ressources nécessaires pour survivre, mais en plus il le mène à la baguette (de sorcier !) pour lui faire faire ce qu’il veut (tenter de tuer des mômes par exemple). Hé bien finalement, c’est exactement ce que font nos créatures zombifiantes du jour : les parasites manipulateurs.

Les parasites sont des créatures qui vivent aux dépens d’autres êtres vivants (les hôtes). Les parasites les plus intéressants (et je ne dis pas ça parce qu’ils constituent le sujet de ma thèse), sont les parasites dit « hétéroxènes », c'est-à-dire qu’ils ont besoin de plusieurs hôtes successifs pour boucler leur cycle de vie (naitre, grandir, se reproduire). Par exemple, la très célèbre petite douve du foie Dicrocoelium dendriticum va vivre une partie de sa vie dans des escargots, puis va passer chez des fourmis via la bave du gastéropode, et finir son cycle dans des mammifères herbivores, comme des vaches ou des moutons.



Cycle de vie de la petite douve du foie (Source)


La photo de notre très sexy petite douve... (Source)


Quel est le rapport entre les parasites et les zombies ? Hé bien, prenons notre petite douve du foie, qui est minuscule et qui ne sait même pas marcher. Pauvre petit être sans défense, comment ferait-elle toute seule, perdue dans la nature immense et hostile, pour repérer son mouton, lui sauter dessus et forcer l’intrusion dans son organisme ? Mission impossible. La douve utilise une méthode bien plus subtile… La fourmi possède des pattes, elle. Et puis elle pourrait s’approcher des moutons en grimpant en haut des brins d’herbes… La douve, comme beaucoup de parasites, est devenue l’illustration même de la célèbre maxime « on n’est jamais mieux servi que par quelqu’un d’autre ». Et la pauvre fourmi, zombifiée, dirigée par son impitoyable tortionnaire, va bravement aller se faire dévorer par des moutons…


Les grandes stars


Les parasites qui « dictent » à leur hôte de se faire dévorer par le prochain hôte, on en trouve à foison dans la nature. L’exemple de la douve est très connu. Parmi les grandes célébrités, nous avons aussi Leucochloridium paradoxum. Ce ver plathelminthes, qui habite d’abord dans un escargot, doit finir son cycle dans un oiseau. Ces derniers, bien que prédateurs, ont malheureusement une préférence pour des chenilles. Qu’à cela ne tienne, le ver va induire une transformation des yeux de l’escargot en une réplique quasi parfaite de la nourriture favorite de l’oiseau ! Et pour plus d’efficacité, l’escargot attendra sagement bien en évidence en pleine lumière qu’un oiseau vienne lui picorer les yeux. Jetez un œil ici pour plus de détails et explications sur le lugubre calvaire du pauvre gastéropode.

(Source)

En continuant dans la lignée des grandes stars de la manipulation, vous avez peut être déjà croisé ces images de fourmis au derrière si rouge et si gonflé qu’il ressemble à s’y méprendre à une baie, très alléchante pour les oiseaux… La faute au nématode Myrmeconema neotropicum, qui, comme vous l’aurez deviné, finit également son cycle chez un oiseau.


L'abdomen de ces fourmis, noir à l'origine, se teinte de rouge et se détache 14 fois plus facilement du reste du corps quand l'animal est parasité (Sources ici et )



Plus de subtilité pour une perfide efficacité


Pour beaucoup de mes lecteurs, les exemples que je viens de citer ne sont pas une nouveauté. Scientifiques comme grand public apprécient la magie des lugubres transformations de ces zombies, digne de films de science fiction. Mais ces extravagances détournent l’attention des œuvres de la grande majorité des parasites manipulateurs, beaucoup plus subtiles dans leurs procédés. Sans compter qu’un hôte intermédiaire (le zombie) ne sert pas uniquement de véhicule vers l’hôte final : il a des ressources à exploiter.

Petit descriptif des caractéristiques et panel d’options à disposition des parasites, logés bien au chaud dans leur hôte. Voici, pour illustrer, une brochure publicitaire trouvée chez un concessionnaire d’hôtes intermédiaires à l’usage des parasites acanthocéphales et trématodes :


« Tenez-vous bien, on a ici le nec plus ultra. Au sein de votre zombie, moelleux et de tout confort, vous pourrez vous développer à votre rythme sans difficulté, puisant dans votre hôte toutes les ressources dont vous aurez besoin [1]. Les zombies de luxe sont pourvus d’options pour moduler la quantité et qualité de ressources disponibles [2-3]. Votre zombie vous baladera tranquillement au gré de ses mouvements, vers une destination que vous pourrez choisir vous-même [4], jusqu’à ce que vous soyez prêts à vous en séparer. Vous pouvez activer l’option « protection anti-prédateur » [5-6-7], qui vous assurera une plus grande sécurité durant votre développement, réduisant la probabilité que votre zombie (et vous avec) se fasse dévorer. Une fois au dernier stade de votre développement avant votre prochain hôte, vous pourrez activer l’option « se faire volontairement bouffer » pour atterrir sans le moindre effort directement à l’intérieur même de votre hôte suivant [8-9-10-11]. Je vous conseille de choisir, lors de l’activation de cette option, des paramètres adaptés à votre future hôte, histoire de ne pas se faire dévorer par la mauvaise espèce [4-12]. »


Des fourmis, contrôlées par des parasites, deviennent des véhicules de luxe tout-équipés (Source)


L’exemple des gammares et des acanthocéphales


Cette description est bien jolie mais on se demande toujours quels sont les traits concrètement modifiés chez les hôtes zombifiés. Pour illustrer ça, je vais prendre un des exemples préférés des chercheurs qui bossent sur la manipulation parasitaire, et qui accessoirement constitue le cœur de mon sujet de thèse : les gammares, parasités par des acanthocéphales.

Les gammares sont des petits crustacés très abondants dans nos rivières, avec de nombreuses espèces présentes en Europe. Ils constituent le repas de nombreux prédateurs : oiseaux, amphibiens, créatures vertébrées qui peuplent nos rivières (ouais, ce qu’on appelle vulgairement « poissons » quoi)… Et ils sont également l’hôte intermédiaire de nombreux parasites, dont plusieurs espèces du groupe des acanthocéphales. En général, les acanthocéphales ont pour hôte final un poisson ou un oiseau selon les espèces. Ils se reproduisent dans le tube digestif de ces hôtes, et pondent des œufs qui seront libérés dans le milieu avec les fèces de l’animal. Les gammares vont à leur insu consommer ces œufs, et permettre au parasite de se développer. Celui-ci passera par deux stades distincts. Seul le deuxième est viable pour être transmis à l’hôte final. L’intérêt pour le parasite est donc de grandir tranquillement dans le gammare jusqu’à atteindre ce deuxième stade, puis de laisser son hôte gammare se faire dévorer par un oiseau ou un poisson pour retrouver le lieu propice à la reproduction, et boucler le cycle.

Le parasite acanthocéphale (genre Polymorphus) est ici très clairement visible à travers la cuticule de ce gammare Gammarus lacustris (Source)

Cycle de vie d'un acanthocéphale ayant pour hôte final un poisson et pour hôte intermédiaire un gammare


Premier constat des chercheurs : les gammares qui abritent des parasites sont plus enclins à se faire dévorer par les prédateurs [10-9]. Des dizaines d’études se sont alors penchées sur le sujet : qu’est-ce qui change entre un gammare sain et un gammare parasité qui mènerait à cette différence de prédation ? Petit listing non exhaustif.

Tout d’abord, la couleur du gammare change, puisque les acanthocéphales, d’une couleur allant du jaune au rouge, sont visibles par transparence [13-14]. Mais plus que l’apparence, ce sont les changements de comportements qui intriguent. Les gammares, vivant d’ordinaire dans le fond des rivières et dans des endroits sombres et abrités, sont subitement attirés par la lumière [15-16], se mettent à nager en surface [17-18] et dédaignent les refuges [9-10]. Le tout en s’agitant bien plus qu’à l’ordinaire [16]. En somme, ils deviennent très faciles à repérer par les prédateurs. Et puis plutôt que d’aller se fondre dans la masse de leurs congénères pour passer incognito, ils se la jouent subitement solitaire [19-20]. La manipulation va pourtant bien plus loin que ça : non content d’être bien repérables, les gammares parasités vont développer une affinité avec… leur prédateur lui-même. Si leurs congénères sains (d’esprit…) vont rapidement se mettre à couvert quand ils détectent une odeur de prédateurs, nos gammares parasités vont y être irrémédiablement attirés… [8-9-10]

Pour pousser la subtilité encore plus loin, rappelez-vous que les parasites ont un intérêt à ce que leur hôte gammare se fasse dévorer seulement quand ils ont eux-mêmes atteint leur deuxième stade de développement. Hé bien tant qu’ils sont au premier stade, la manipulation va quand même s’observer mais… dans l’autre sens ! Pour faire simple, le parasite va modifier le comportement du gammare d’une manière menant à une réduction de ses chances qu’il se fasse croquer par un prédateur. Les gammares vont par exemple passer plus de temps à l’abri [6]. Et puis il y a aussi l’histoire du mauvais prédateur : c’est bien beau d’être repérable, mais si le gammare se fait manger par un poisson alors que le parasite doit se développer dans un oiseau, ça ne sert pas à grand-chose… Hé bien même à ce niveau-là le parasite semble avoir trouvé la parade. Par exemple, des variations temporelles peuvent être observées : les gammares seraient ainsi attirés vers la surface seulement la nuit, ou le jour, menant respectivement à une prédation par des animaux nocturnes ou diurnes [4]. Sans compter que les comportements modifiés sont différents selon l’hôte final visé, menant effectivement à une prédation plus importante par le « bon » hôte [10].


Au premier stade de leur développement, les acanthocéphales rendent leurs hôtes gammares plus résistants à la prédation (Source)


Adaptation ou effet secondaire ?


Par soucis de vulgarisation, j’ai présenté l’effet des parasites sur leurs hôtes de manière très déterministe et finaliste. Cependant, à l’heure actuelle et malgré des dizaines d’années d’études sur les parasites manipulateurs, la question se pose toujours (et peut être même plus encore) sur le caractère adaptatif de ces modifications [21]. Est-ce que les comportements des hôtes parasités ont vraiment évolué parce qu’ils apportaient un bénéfice au parasite ? Ou est-ce que ces modifications ne sont que des effets secondaires induits par l’infection, pas forcément bénéfique pour le parasite, ni même pour l’hôte ?

La question n’a pas de réponse précise à l’heure actuelle, mais il semble que les deux hypothèses soient valables selon le trait qu’on considère. Certaines études ont par exemple montré que le changement d’apparence de nos gammares n’avait pas d’effet sur ses chances d’être prédaté [14], de quoi tordre le cou à l’explication adaptative. De même, les comportements d’ordre global (modification de l’activité générale de nos animaux par exemple) pourraient n’être qu’une conséquence physiologique de l’infection, détectable quelque soit le parasite (y compris ceux qui ont un cycle de vie simple). En revanche, la spécificité de certaines modifications de comportement donne des points à l’explication adaptative. Par exemple, le comportement d’un gammare sera modifié différemment selon qu’il est parasité par une espèce qui veut terminer sa vie dans un oiseau, ou dans un poisson, et cette différence va effectivement mener à un risque de prédation plus grand, respectivement par des oiseaux ou des poissons [10]. De plus, la manipulation inversée au cours du premier stade du développement du parasite soutient également une évolution liée aux bénéfices pour le parasite à modifier le comportement de l’hôte. Toujours est-il que la question reste entièrement ouverte, les parasites affectant en général simultanément de nombreux traits de l’hôte, les deux explications pouvant être également simultanément tout à fait plausibles.


Faut-il craindre les parasites manipulateurs ?


En dépits de leurs pratiques qui peuvent paraître lugubres, les parasites manipulateurs sont connus pour jouer un rôle important dans les écosystèmes [22], du fait notamment de leur capacité à modifier les relations biotiques. Cependant, quand ces relations biotiques font intervenir l’homme, c’est une autre histoire.

La malaria, ou paludisme, est une maladie due à un parasite unicellulaire du genre Plasmodium, et qui causerait chez l’humain près d’un million de morts par an. Vous imaginez alors l’intérêt de comprendre tout le cycle de ce parasite, en termes d’applications préventives par exemple. Ce parasite est transmis à l’homme via le moustique. Et si ces derniers sont souvent largement blâmés pour être le vecteur de cette terrible maladie, ils n’y sont relativement pour rien. Et même pire : le parasite va pousser le moustique à nous contaminer… Des études ont ainsi montré que le parasite vampirise encore plus les moustiques, qui non seulement vont se mettre à piquer bien plus de gens, mais en plus vont être du genre collant, se nourrissant plus longtemps sur chaque victime [23]. Le parasite bénéficie donc à la fois d’un plus grand nombre d’hôtes potentiels, et aussi de plus de temps pour opérer le changement d’hôte… Ce caractère manipulateur du parasite est malheureusement encore trop ignoré dans les modèles épidémiologiques.


Le moustique, vecteur du parasite de la malaria, voit son comportement de nourrissage modifié sous l'emprise de ce parasite, augmentant sa probabilité de transmission (Source)


Deuxième exemple avec un autre protozoaire, le parasite Toxoplasma gondii, qui est responsable chez l’humain de la toxoplasmose. Le cycle classique de ce parasite comprend un hôte intermédiaire, souvent le rat, et un hôte final, le chat, au sein duquel il se reproduit. Comme vous l’aurez deviné, un rat infecté va présenter des modifications comportementales augmentant sa probabilité de se faire croquer par le matou du coin… [24] En d’autres termes, nos rongeurs infectés vont soudainement être attirés par leur ennemi mortel ! Si vous vous étonnez que votre chat d’ordinaire paresseux et incapable vous ramène une belle proie, prenez garde… Même si l’humain ne fait pas partie du cycle classique du parasite, il peut tout à fait être infecté. Si contrairement à une idée reçue, la transmission ne se fait pas par simple contact avec votre animal, une ingestion impromptue de fèces (vous vous touchez le visage après avoir changé la litière du chat…) est vite arrivée (si, si !). Et même si les humains sont une voie sans issue pour le parasite, les patients affectés présentent une personnalité et un niveau de QI altérés… [25] Quand aux parasites responsables de la malaria, ils auraient également un effet sur nous, rendant les humains plus alléchants pour les moustiques... [26] Considérant le nombre important de parasites en tous genres capables de nous infecter, on a de quoi se poser des questions… Sommes-nous en permanence sous l’emprise d’une maléfique manipulation ? Sommes-nous finalement déjà tous des zombies ?...


Des souris qui aiment les chats, ça existent. Elles ne sont pas forcément masos, mais probablement sous l'emprise d'un parasite tel que celui de la toxoplasmose qui les pousse à aller se faire dévorer (Source)



Bibliographie :

  • [1] Benesh, D. P. & Valtonen, E. T. 2007. Effects of Acanthocephalus lucii (Acanthocephala) on intermediate host survival and growth: implications for exploitation strategies. Journal of parasitology, 93, 735–741.
  • [2] Gaillard, M., Juillet, C., Cézilly, F. & Perrot-Minnot, M.-J. 2004. Carotenoids of two freshwater amphipod species (Gammarus pulex and G. roeseli) and their common acanthocephalan parasite Polymorphus minutus. Comparative biochemistry and physiology. Part B, Biochemistry & molecular biology, 139, 129–136.
  • [3] Minchella, D.J., Leathers, B.K., Brown, K.M. & McMair, J.N. 1985. Host and parasite counteradaptations: an example from a fresh-water snail. American Naturalist, 126, 843–854. 
  • [4] Lagrue, C., Kaldonski, N., Perrot-Minnot, M.J., Motreuil, S. & Bollache, L. 2007. Modification of hosts’ behavior by a parasite: field evidence for adaptive manipulation. Ecology, 88, 2839–2847. 
  • [5] Hammerschmidt, K., Koch, Milinski, K.M., Chubb, J.C. & Parker, G.A. 2009. When to go: optimization of host switching in parasites with complex life cycles. Evolution, 63, 1976–1986. 
  • [6] Dianne, L., Perrot-Minnot, M.-J., Bauer, A., Gaillard, M., Léger, E., Rigaud, T. & Elsa, L. 2011. Protection first then facilitation: a manipulative parasite modulates the vulnerability to predation of its intermediate host according to its own developmental stage. Evolution, 65, 2692–2698. 
  • [7] Médoc, V. & Beisel, J.-N. 2011. When trophically-transmitted parasites combine predation enhancement with predation suppression to optimize their transmission. Oikos, 120, 1452–1458. 
  • [8] Baldauf, S.A., Thünken, T., Frommen, J.G., Bakker, T.C.M., Heupzl, O. & Kullmann, H. 2007. Infection with an acanthocephalan manipulates an amphipod’s reaction to a fish predator’s odours. International Journal for Parasitology, 37, 61-65. 
  • [9] Perrot-Minnot, M.-J., Kaldonski, N. & Cézilly, F. 2007. Increased susceptibility to predation and altered anti-predator behaviour in an acanthocephalan-infected amphipod. International journal for parasitology, 37, 645–51. 
  • [10] Kaldonski, N., Perrot-Minnot, M.-J. & Cézilly, F. 2007. Differential influence of two acanthocephalan parasites on the antipredator behaviour of their common intermediate host. Animal Behaviour, 74, 1311–1317. 
  • [11] Carney, W.P. 1969. Behavioral and morphological changes in carpenter ants harboring dicrocoeliid metacercariae. The American Midland Naturalist Journal, 82, 605–611. 
  • [12] Webber, R.A., Rau, M.E. & Lewis, D.J. 1987. The effects of Plagiorchis noblei (Trematoda: Plagiorchiidae) metacercariae on the susceptibility of Aedes aegypti larvae to predation by guppies Poecilia reticulata and meadow voles (Microtus pennsylvanicus). Canadian Journal of Zoology, 65, 2346–2348. 
  • [13] Bakker, T. C. M., Mazzi, D., & Zala, S. 1997. Parasite-induced changes in behavior and color make Gammarus pulex more prone to fish predation. Ecology, 78, 1098–1104. 
  • [14] Kaldonski, N., Perrot-Minnot, M.-J., Dodet, R., Martinaud, G. & Cézilly, F. 2009. Carotenoid-based colour of acanthocephalan cystacanths plays no role in host manipulation. Proceedings. Biological sciences / The Royal Society, 276, 169–76. 
  • [15] Bauer, A., Trouvé, S., Grégoire, A., Bollache, L. & Cézilly, F. 2000. Differential influence of Pomphorhynchus laevis (Acanthocephala) on the behaviour of native and invader gammarid species. International journal for parasitology, 30, 1453–7. 
  • [16] Maynard, B.J., Wellnitz, T.A., Zanini, N., Wright, W.G., Dezfuli, B.S. 1998. Parasite-altered behaviour in a crustacean intermediate host: field and laboratory studies. Journal of Parasitology, 84, 11062-1106. 
  • [17] Haine, E. R., Boucansaud, K. & Rigaud, T. 2005 Conflict between parasites with different transmission strategies infecting an amphipod host. Proceedings of the Royal Society B, 272, 2505–2510. 
  • [18] Bauer, A., Haine, E.R., Perrot-Minnot, M.J. & Rigaud, T. 2005. The acanthocephalan parasite Polymorphus minutus alters the geotactic and clinging behaviours of two sympatric amphipod hosts: the native Gammarus pulex and the invasive Gammarus roeseli. Journal of Zoology, 267, 39–43. 
  • [19] Durieux, R., Rigaud, T., & Médoc, V. 2012. Parasite-induced suppression of aggregation under predation risk in a freshwater amphipod. Behavioural Processes, 91, 207–213. 
  • [20] Lewis, S. E., Hodel, A., Sturdy, T., Todd, R. & Weigl, C. 2012. Impact of acanthocephalan parasites on aggregation behavior of amphipods (Gammarus pseudolimnaeus). Behavioural processes, 91, 159–63. 
  • [21] Thomas, F., Adamo, S. & Moore, J. 2005. Parasitic manipulation: where are we and where should we go? Behavioural processes, 68, 185–99. 
  • [22] Lefèvre, T., Lebarbenchon, C., Gauthier-Clerc, M., Missé, D., Poulin, R. & Thomas, F. 2009. The ecological significance of manipulative parasites. Trends in ecology & evolution, 24, 41–48. 
  • [23] Koella, J.C., Sørensen, F.L. & Anderson, R.A. 1998. The malaria parasite, Plasmodium falciparum, increases the frequency of multiple feeding of its mosquito vector, Anopheles gambiae. Proceedings. Biological sciences / The Royal Society, 265, 763–8. 
  • [24] Berdoy, M., Webster, J. P. & Macdonald, D. W. 2000. Fatal attraction in rats infected with Toxoplasma gondii. Proceedings. Biological sciences / The Royal Society, 267, 1591–1594. 
  • [25] Flegr, J. & Hrdy, I. 1994 Influence of chronic toxoplasmosis on some human personality factors. Folia Parasitologica, 41, 122-126. 
  • [26] Lacroix, R., Mukabana, W.R., Gouagna, L.C. & Koella, J.C. 2005. Malaria infection increases attractiveness of humans to mosquitoes. PLoS Biology, 3, 1590–1593.


Note : la bibliographie, donnée à titre d'exemple, est très loin de l'exhaustivité, la littérature dans le domaine étant innombrable. 



Sophie Labaude

lundi 28 octobre 2013

Pomme de reinette et pomme d'api, Jack O'Lantern et feuilles d'automne.

C'est l'automne ! C'est la saison des pommes et des feuilles rouges et jaunes !
Fraîchement débarqué au Québec cette année, je suis bien obligé de reconnaître que l'automne au Canada n'a pas volé sa réputation et que les couleurs sont au rendez-vous. La preuve en image !

Petit aperçu des couleurs de l'automne au Québec

Mais c'est aussi le temps de la récolte de divers fruits : au Québec, on ramasse en famille ou entre amis des quantités considérables de pommes avant l'hiver, histoire d'avoir des fruits bien juteux à se mettre sous la dent lorsque la neige arrivera. En France, on célèbre septembre avec les vendanges et la récolte du raisin. Sans oublier l'arrivée de l'Halloween, fin octobre, à qui l'on doit les nombreuses citrouilles d'un bel orange dans les rues des pays à influence anglo-saxonne...

En haut à gauche, le ramassage des pommes (source) ; en bas à gauche, le raisin mûr des vendanges (source) ; à droite, une belle citrouille d'Halloween (source)

Mais pourquoi je parle de tout ça ? Quel rapport entre les feuilles rouges et les citrouilles, mis à part le fait que tout ça se retrouve à l'automne ? Eh bien, ce sont les couleurs ! Car oui, maintenant qu'on y pense, tous ces végétaux n'ont pas la traditionnelle couleur verte qu'on associe aux plantes. Alors, à quoi sont dues toutes ces couleurs ? Quels sont les mécanismes qui se cachent derrière cette débauche de teintes allant du rouge au jaune en passant par le orange ? Et surtout, quels sont les avantages évolutifs que ces couleurs confèrent aux plantes?
Commençons par nous pencher sur la question du changement de couleur des feuilles des arbres. D'abord, à quoi est due la couleur verte des feuilles au printemps et en été? Au pigment appelé chlorophylle. J'en ai déjà parlé dans cet article là qui date d'il y a un petit moment déjà.
Où se situe la chlorophylle dans les feuilles ? Déjà, il faut savoir qu'une feuille est un organe complexe, organisé en couches.

Coupe d'une feuille (source)

Ce qu'on peut voir sur le schéma précédent, c'est que la couche centrale de la feuille, appelée mésophylle, ou parenchyme,  est le lieu où se situent les cellules responsables de la photosynthèse. Les cellules sont organisées de la manière suivante.

Une cellule végétale, avec les chloroplastes en vert (source)

Dans la cellule, l'organite responsable de la photosynthèse est le chloroplaste (en vert sur la photo précédente). En général, il y en a plusieurs par cellule. Les chloroplastes contiennent des structures en mille-feuilles, appelées les thylakoïdes : ce sont des membranes superposées les unes sur les autres. C'est dans ces membranes que sont incluses les molécules de chlorophylle, qui vont permettre la photosynthèse.

Un chloroplaste, reconstitué en trois dimensions (source)


A présent, je vais (un peu) entrer dans les détails concernant la structure biochimique de la chlorophylle. D'abord il faut savoir qu'on trouve deux types de chlorophylles, les chlorophylles A et B (photo) qui ont une structure très proche l'une de l'autre (elles ne diffèrent que par quelques atomes, représentés par la lettre R sur la figure).

Les deux types de chlorophylle (source)

La chlorophylle, associée à d'autres molécules aux noms tous plus compliqués les uns que les autres dans un ensemble appelé le photosystème, va avoir le rôle de "capteur de photons" (les photons sont les ondes-particules constitutives de la lumière). L'énergie de ces photons sera ensuite utilisée par la plante pour produire au final des sucres et du dioxygène. Mais avant cela, la plante emmagasine l'énergie sous forme chimique, dans des molécules possédant un fort "pouvoir énergétique" - c'est à dire qu'elles libéreront beaucoup d'énergie lorsqu'elles seront utilisées ultérieurement.

Utilisation de l'énergie solaire par les photosystèmes (source)
Sur ce schéma, l'énergie provenant du photon est transférée aux photosystèmes I et II (où se trouvent des molécules de chlorophylle). L'énergie provenant du photon va "exciter" la chlorophylle, qui va perdre un électron, et cet électron va servir à emmagasiner de l'énergie dans les molécules stockeuses d'énergie, qui sont le NADPH et l'ATP. Au final, la chlorophylle récupère son électron perdu en utilisant une molécule d'eau. Toutes ces réactions sont appelées la "phase claire" de la photosynthèse, car elles se déroulent à la lumière. Les sucres seront synthétisés lors de la "phase sombre", constituée d'une série de réactions dont je ne vais pas parler ici.
Ah au fait, pourquoi les feuilles sont elles vertes en été ? Le vert est donné par la couleur de la chlorophylle. En effet, comme je l'ai dit plus haut, la chlorophylle va absorber l'énergie des photons... mais pas de tous les photons ! Elle est très sélective : seuls les photons "bleus" et "rouges" l'intéressent*. Les autres photons, ceux de "couleur verte", sont réfléchis par la chlorophylle... et donc par conséquent, nous voyons les feuilles des arbres vertes.

Spectre d'absorption des chlorophylles A et B (source)

La photo précédente montre le spectre d'absorption de la chlorophylle : les pics correspondent aux longueurs d'onde des photons qui sont les mieux utilisés par la chlorophylle. Vous remarquez que la courbe fait un "creux" au niveau des photons "verts" : c'est parce qu'ils ne sont pas absorbés par la chlorophylle !
Bon et maintenant, que se passe-t-il à l'automne ? Je n'ai toujours pas répondu à la question du changement de couleur!
Comme vous le savez certainement, à l'automne, il fait plus froid. Mais il y a encore assez de lumière solaire pour que les plantes continuent à réaliser la photosynthèse... le problème, c'est que lorsque la température diminue, l'efficacité de la chlorophylle diminue aussi, et la plante devient stressée car elle a trop d'énergie solaire qui lui arrive alors qu'elle ne peut pas l'utiliser ! Et là c'est le drame, elle fait une overdose d'énergie, si l'on peut dire : on observe un phénomène appelé photo-inhibition. Suite à ce trop-plein d'énergie, la photo-inhibition va conduire à la destruction des structures cellulaires, via toute une série de réactions que je ne vais pas expliquer ici. Entre autre, cela fait intervenir des radicaux libres, que l'on appelle aussi "Oxygène actif" (et les tâches s'évanouissent… pardon, c'est hors sujet) tels que l'eau oxygénée H2O2 et l'oxygène singulet (voir les pages wikipédia en anglais pour la photo-inhibition et en français pour les radicaux libres). Et ça, vous l'aurez deviné, ce n'est pas bon DU TOUT pour la plante, car la mise en place de la chlorophylle a un coût énergétique élevé. Or, c'est l'automne, bientôt l'hiver, la plante à autre chose "en tête" que de devoir reconstruire des structures abimées.
On observe que la chlorophylle est préservée lorsque les feuilles prennent un coloration rouge, grâce aux anthocyanes, qui sont aussi des pigments végétaux très communs (ce sont eux qui donnent leurs couleurs aux fleurs ou aux fruits).

Formule générale d'une molécule d'anthocyane. Les lettres R sont des groupements d'atomes qui varient selon les différentes molécules d'anthocyanes (source)
Mais attention ! les anthocyanes ne se situent pas dans le chloroplaste comme la chlorophylle, mais dans la vacuole de la cellule. Ce sont des composés solubles.
Et donc, ces petites molécules vont agir comme filtres pour protéger la fragile chlorophylle d'une trop forte intensité lumineuse. Et si les feuilles deviennent rouges, c'est parce que les anthocyanes absorbent tous les photons "verts" mais laissent passer les photons "rouges" et "bleus" qui sont utiles à la chlorophylle.

Spectres d'absorption des chlorophylles et d'un anthocyane (source)

Comme la chlorophylle n'absorbe pas strictement tous les photons qu'elle reçoit, la couleur que nous percevons est la couleur rouge des photons non absorbés. En revanche, les anthocyanes absorbent tous les photons "verts" pour protéger efficacement la chlorophylle.
Bon ! A présent, nous savons comment et pourquoi les feuilles sont rouges en automne.
Et les citrouilles alors ? D'où vient ce bel orange vif ? Est ce que ce sont des anthocyanes dilués qui sont responsables de la couleur ?
Eh bien pas du tout ! Là encore, d'autres pigments sont mis en cause : il s'agit des caroténoïdes, que l'on trouve beaucoup dans... les carottes, c'est bien, y en a qui suivent toujours dans le fond. Et ceux qui ont parcouru le blog de fond en comble me diront qu'on en trouve aussi chez les Flamants Roses. Ces pigments, quant à eux, ne se trouvent pas dans les vacuoles des cellules mais dans les chromoplastes, qui sont en quelque sorte des chloroplastes sans chlorophylle, et qui colorent les structures végétales (chromo signifie "couleur" en Grec) plutôt qu'à faire la photosynthèse. Et c'est pareil chez la plupart des fruits : pommes, oranges, citrons, etc. La variation de couleur entre le rouge et le jaune dépend du type de caroténoïde précis (il en existe de nombreux très semblables qui diffèrent seulement par un atome ou deux... ce qui suffit à changer leurs propriétés en terme de couleurs !). Dans le cas des fruits, ces couleurs servent à les rendre attractifs pour les animaux frugivores (et aussi pour Monsieur et Madame Tout-le-monde qui vont faire leurs courses au supermarché du coin), car n'oublions pas que les fruits sont les structures qui sont responsables de la dissémination des graines et donc, des futures plantes.

Variation de couleurs chez les citrouilles (source)

Voilà, maintenant, vous saurez pourquoi les feuilles sont rouges en été, et pourquoi les citrouilles sont oranges lors de l'Halloween !

* rappelons que la lumière blanche produite par le Soleil est constituée en réalité de différentes ondes électromagnétique visibles, qui possèdent différentes longueurs d'ondes, et qui additionnées les unes aux autres donnent la lumière blanche.

Bibliographie :

David W. Lee and Kevin S. Gould. Why Leaves Turn Red: Pigments called anthocyanins probably protect leaves from lightdamage by direct shielding and by scavenging free radicals. American Scientist, Vol. 90, No. 6 (NOVEMBER-DECEMBER 2002), pp. 524-531


Hock-Eng Khoo, K. Nagendra Prasad, Kin-Weng Kong, Yueming Jiang and Amin Ismail. Carotenoids and Their Isomers: Color Pigments in Fruits and Vegetables. Molecules 2011, 16, 1710-1738

jeudi 19 septembre 2013

Les vacances d’un zoologiste : les mâchoires de l’Arctique.

Battle et Sophie vous ont déjà parlé de leurs vacances en tant que scientifiques. Voici maintenant mon tour. Pour ceux qui me connaissent un peu, vous savez que ça va forcément parler de petites bêtes bizarres. Ceci dit c’est l’occasion de vous raconter comment on les trouve mais surtout, où on les trouve !

Parfois, en plaisantant, entre gens de notre laboratoire, nous nous faisons la remarque que notre recherche se rapproche de la cryptozoologie, l’étude des animaux légendaires. Notre  sujet d’étude est la méiofaune, les animaux microscopiques (j’en ai parlé dans cet article : Méiofaune). Pourquoi cela se rapproche t-il de la cryptozoologie ? Certains de ces animaux ne se trouvent qu’en très faible nombre dans des endroits parfois éloignés ou atypiques (abysses, grottes marines,  une plage perdue en Australie… Ou en France, bref). Pour un nombre considérable d’entre eux, leur morphologie est si étrange qu’on ne sait pas bien à quel groupe d’animaux déjà connus les assigner. Ils présentent des organes ou des structures qui n’existent nulle part ailleurs. L’un des animaux qui nous intéresse est le « Micrognathozoa » ou « Limnognathia ». On le trouve dans les mousses d’eau douce, jusque là rien d’impressionnant. Cependant sa présence a été rapportée à seulement deux endroits sur Terre : L’île Disko au Groenland (ou Qeqertarsuaq) et les îles Crozet, des îles sub-antarctiques.  Cet été nous sommes donc partis au Groenland chasser Limnognathia

Pour l’histoire, le Groenland appartient au royaume Danois. J’ai donc eu la chance de pouvoir aller voyager là bas en tant que thésard à l’université de Copenhague. Il y a, sur l’île Disko, une station scientifique appelée « Arktisk station », une annexe de l’université de Copenhague. C’est là que nous avons été hébergés et que nous avons installé notre laboratoire. Mais l’île Disko ne cache pas seulement Limnognathia mais aussi beaucoup d’autres animaux que l’on ne trouve que là bas (et nulle part ailleurs au Groenland). On y trouve aussi au littoral, en faible profondeur, un sable fin peu commun au Groenland. Reinhardt Kristensen, un des zoologistes qui a décrit les trois derniers phylums découverts (cf article méiofaune pour deux d'entre eux et mon autre blog pour le troisième) et qui a vécu plusieurs années au Groenland, nous a raconté cette légende Inuit : l’île Disko proviendrait originellement du sud du Groenland. Les pêcheurs de l’île auraient demandé à un personnage appelé « fille de la sorcière » de placer l’île plus au nord pour des raisons de commodité. Elle aurait demandé alors d’avoir la chevelure d’un nouveau né. La chevelure lui fut donc donnée et grâce à cela, elle harponna l’île, l’attacha à son kayak et en une nuit mena l’île jusqu’au nord. Certains détails de l’histoire m’ont échappé mais ce qu’il y a d’étonnant c’est que cette île possède en effet un climat partiellement sud groenlandais qui est du à un upwelling, ou remonté d’eaux chaudes profondes à la surface de la mer.

La station Arctique

Vous pouvez donc imaginer l’ambiance de la mission. Des étudiants excités à l’idée de traverser pour la première fois de leur vie le cercle polaire arctique, pour y trouver parmi les plus fascinants des animaux, et des professeurs tout aussi joyeux d’aller dans un endroit où ils ont fait parmi leurs plus importantes découvertes, pour le montrer à leurs étudiants plein de passion.

L’aventure commence enfin. Départ de Copenhague avec plus de 100kg de surpoids (plus plusieurs boites déjà envoyées à la station, les microscopes et autres équipements ça pèse). Après plusieurs heures d’avion et une première escale au Groenland, nous arrivons dans la ville d’Aasiaat où nous faisons la connaissance de nos premiers icebergs. Puis le lendemain nous naviguons entre les icebergs jusqu’à l’île Disko, durant ce voyage nous voyons nos premières baleines. Un des animaux les plus gros au monde… Pour notre part nous chassons un des plus petits. Une fois arrivés à la station scientifique, nous établissons le laboratoire. Pour l’instant tout a l’air propre (ce qui ne va pas durer), nous sommes prêts pour la récolte d’animaux en tous genres (et espèces !).


Malheureusement vous ne le voyez pas mais le labo donne sur les icebergs. Pas moyen de se plaindre.

Premier jour de travail, nous ne chômons pas. Un premier groupe part en bateau faire des échantillons. Quand à moi je reste avec deux de mes collègues (et amis), plongeurs, qui ont le grand courage d’aller faire de la plongée en tubas (avec des combinaisons bien sûr). N’étant pas plongeur moi-même, je reste pour les assister. Ils prélèvent plusieurs fois du sédiment et trient les organismes sur place grâce à un tamis. Cette méthode permet de récolter la « macrofaune » c’est à dire les organismes visibles à l’œil nu. Nous récoltons aussi des algues. En les « essorant » nous pouvons  y trouver pas mal de « méiofaune », ces animaux microscopiques.




Draguer demande parfois du courage. Nous rejoignons ensuite les autres dans le bateau. Cette fois ci nous prélevons de la vase grâce à une drague, un filet accroché à une armature qui racle le fond marin. Pas d’inquiétude ce n’est qu’une petite drague, pas de destruction massive des fonds marins (libre à vous de penser aux blagues que vous voulez, je n’ose pas faire les miennes). Alors que nous draguons (bonne ambiance dans l’équipe), subitement le bateau se met à basculer. Nous avons heurté un rocher. Les marins  relâchent immédiatement la tension puis remontent la drague, l’armature est totalement déformée. Impressionnés, nous discutons à propos de la force du choc. Nous avons eu de la chance que le câble ne lâche pas, cela peut facilement tuer quelqu’un (ce qui est arrivé, sans décès, quelques semaines auparavant).


Mise en place de la drague, n’essayez pas celle-ci dans les bars.


L’armature de la drague complètement déformée

La question qui se pose lorsqu’on étudie la méiofaune (ou des organismes de la vase) c’est comment récupérer les animaux, comment les séparer du sédiment ? Qu’allons-nous faire avec ces dizaines de kilos de vase ? On peut éventuellement  la passer au tamis mais soit la maille du tamis est trop petite et la vase le colmate (dans ce cas là on récupère trop de vase), soit il est trop gros et les plus petits organismes passent à travers. Une technique est de remuer les premiers centimètres de vase (dans l’eau à 4°C on essaye de ne pas faire ça trop longtemps avec nos mimines) pour mettre les organismes en suspension puis avec un petit filet à aquarium on filtre les premiers centimètres d’eau. Ainsi on récupère peu de vase et les organismes, qui flottent plus longtemps, sont récoltés. Ensuite direction le labo, loupe binoculaire, pipette ou pince pour récolter les organismes, livres d’identification, panoplie de produits chimiques (plus ou moins toxiques) pour préserver les organismes pour différents buts, et c’est partit pour le giga fun : « ohhhh regarde ce ver, il est joli », « Je comprends pas celui-ci colle avec aucune espèce décrite ici », « alors je vais t’expliquer comment identifier un Ophelidae » etc.

Puis vient le jour tant attendu, la chasse au Limnognathia ! Parmi les dizaines, si ce n’est centaines, de ruisseaux sur l’île, un seul est connu pour cacher notre proie. Nous prenons donc le bateau pendant 5 heures, un trajet calme et agréable entre les icebergs et les baleines. Nous arrivons finalement à notre point de récolte. Régulièrement nous entendons un son sourd, ce sont des icebergs se brisant au loin. Dur cependant de trouver celui qui se brise au milieu de cette abondance, ils couvrent en effet presque tout l’horizon. Nous accostons donc et remontons le ruisseau. Plus nous montons et plus ce dernier est discret. Au final il cours entre les mousses et ressemble seulement à un ensemble de petites mares. Dur de se dire qu’une des découvertes les plus importantes de la zoologie moderne s’y cache. Complètement survoltés nous n’arrêtons pas les blagues sur cet animal parmi les plus petits (invisible à l’œil nu) mais avec des mâchoires étonnement complexes :  « snif snif, je peux sentir le Limnognathia », « regardez, y’en a au moins deux dans cette marre », « ne buvez pas d’eau, vous risquez d’avoir des bouts de mâchoires entre les dents », « AAAAAH, un Limnognathia me tire vers le fond, aidez moiiiii ! » . Mais nous nous calmons vite, nous sommes assaillis par les moustiques. Motivés cependant, nous continuons. Nous devons prendre des mousses, les compresser et récolter le jus dans un tamis de 30µm (c’est que l’animal est petit !). Et parfois il faut se mouiller !

Maikon, notre post-doc téméraire, chassant le « petit animal à mâchoires » (Micrognathozoa) ou « les mâchoires lacustres » (Limnognathia). Gare aux jambes !

Chasser le Limnognathia avec un « soutient gorge de sirène » à la main (le tamis, oui on appelle ça « mermaid bra » !), le filet à moustique et la bouteille à prélèvement.

Après avoir fait nos récoltes (qui ont probablement divisé par deux la population de notre terrible animal à mâchoires), nous ramenons tous les échantillons sur le bateau. Sur le chemin du retour, nous faisons aussi quelque prélèvement de sédiment avec le « Mini Vann Veen », un outil cher au méiofauniste qui permet de récolter le sédiment en profondeur (pas les abysses non plus). Le principe est simple, une « pince » attachée à un câble est lâchée dans l’eau. En percutant le sédiment et avec son poids elle va se refermer et prélever le sédiment. A l’ouverture c’est toujours une surprise. Ca peut être « ah mince, ça c’est refermé avant de toucher le fond on a que de l’eau » ou « ah c’est trop vaseux, c’est de la merde ce sédiment » ou « OLALALALALA ! Regarde moi ce sable il est magnifique !!! Je suis sûr qu’on va y trouver plein d’animaux géniaux !!! Vite on re-prélève ! Vite vite avant qu’on perde la zone ! ». Oui, un des marins nous a pris pour des fous à nous émerveiller sur du sable. Voici une vidéo d’un de nos prélèvements (qu’on a effectué plus tard). Remarquez que malgré notre sérieux, il y a un temps de suspens et d’extrême curiosité au moment de l’ouverture de la pince… Et mince, c’est que de la vase…





Finalement nous abrégeons les prélèvements. Une tempête est prévue pour le retour. Même si celle-ci n’est pas effroyable, sur un petit bateau scientifique avec des vagues de plusieurs mètres secouant irrégulièrement de tous les côté, nous sommes quasiment tous pris d’un désagréable mal de mer. Même les plus téméraires !
Le lendemain il est temps de jeter un œil à nos échantillons. Premièrement le sable. Mais ici comment procéder ? Les animaux de la faune interstitielle (entre les grains de sable) ont en général des glandes adhésives et collent aux grains de sable. Le remuer ne sert donc pas à grand-chose vu que les animaux recouleront avec le sable. Comment donc les séparer ? On va les endormir ! Avec du chlorure de magnésium ! Après 10 minutes on les secoue énergiquement, puis, encore une fois on les filtre dans un soutien gorge de sirène ! On récupère ensuite « l’extraction » qu’on place dans une boite de pétri et hop, à la loupe binoculaire ! Encore une fois c’est la surprise. Il y a tous les états entre « Y’a vraiment rien dans cet échantillon, que des nématodes et des copépodes », « NON MAIS C’EST PAS POSSIBLE TOUS CES COPEPODES ET VERS PLATS !!! » « Oulà je crois que j’ai trouvé un ver intéressant mais je l’ai perdu » « cet échantillon est extraordinaire ! Je dois absolument y passer des heures, même au plus profond de la nuit, pour tous les récolter » (Haha, c’est un piège, il n’y a pas de nuit en été à Qeqertarsuaq !).


Deux vers cool que nous avons trouvé : Dinophilus taeniatus, la minuscule annélide et Diuronotus aspectos, le gastrotriche chaetonotide géant (600µm quand même !). Source: wikipédia.

La méiofaune classique est en général rigolote et cache une belle diversité. Puis le jour suivant on passe à la recherche de Limnognathia. Et c’est une autre histoire ! Évidement, notre directrice, professionnelle du domaine (et peut-être un peu chanceuse sur le coup) en trouve un grand nombre (comprenez quelque dizaines) très vite. Pour créer chez nous plus de frustration, pauvres étudiants inexpérimentés, aucun de nous n’a ensuite de bon échantillon. La journée fini donc en interminables lamentations pour trouver cette petite m***e blanche, nageant (donc jamais dans le champ de vision de la loupe binoculaire) lentement (donc quasi impossible à repérer au mouvement) et minuscule. Encore mieux, comme tout animal de la méiofaune qui se respecte, le transférer d’un récipient à l’autre c’est avoir une chance sur deux de le perdre. Quand on en trouve 3 dans une journée, y’a de quoi commettre un meurtre… Finalement nous en récoltons suffisamment (mais tout juste) après les efforts de 5 personnes sur 3 jours… Mais ça vaut le coup, traverser le cercle polaire Arctique pour voir un des animaux les plus rares et mystérieux au monde… Et mon chouchou en passant…

Pour vous convaincre que cet animal n'est pas le plus actif. Et encore, là y'en a plein c'est facile de les voir !

Et quand même, une vidéo à plus fort grossissement de notre star !


Quelques jours plus tard, nous avons l’occasion de faire un prélèvement de plancton, c'est-à-dire laisser trainer un filet derrière le bateau. Nous effectuons aussi un prélèvement de sable « subtérranéen », c'est-à-dire profond sur une plage. Nous tentons pour la première fois de creuser un trou d’un mètre cinquante dans une plage perdue du Groenland pour y trouver des organismes. En effet, la faune qu’on trouve dans cette haute zone de la plage peut être très particulière avec des organismes très rares. C’est un moment très amusant, nous constatons qu’enfant sur la plage nous faisions des trous pour jouer et qu’en doctorat, on s’amuse toujours de la même manière. Après de sacrés efforts et une bonne poilade donc, nous atteignons enfin l’eau au fond d’un trou de ma taille… En voici une preuve :



Et après ce suspens interminable (et tous ces efforts), je vous révèle ce qu’on y a trouvé… Rien ! Enfin si, des copépodes et des nématodes… Mais ce n’est pas ce que l’on cherchait.

Nous rentrons ensuite avec tous nos échantillons que nous plaçons dans le container réfrigéré qui nous a été prêté. Avec tous ces prélèvements nous le remplissons très vite :

Et encore là on n’y a pas encore entreposé la jambe de bœuf musqué que nous allons déguster pour le repas de départ de nos professeurs (qui partirons un peu avant nous).

Voilà, c’est la fin de cette aventure scientifique. Nous avons eu la chance d’y voir plein de petites bêtes qu’il est difficile de trouver ailleurs dans le monde. Ca a été pour ma part un de mes voyages les plus enrichissants sur tous les plans. J’ai voulu insister ici sur l’aspect récolte et terrain, pour la part « zoologique », vous pouvez aller voir l’article que j’ai publié sur la méiofaune. Mais bien sûr je ne peux pas vous laisser sans quelques photos supplémentaires. Entre les paysages magnifiques, les lieux uniques, la faune marine super riche, les histoires Inuit etc. je pourrais encore tergiverser pendant longtemps… 


Le brouillard tombe sur Qeqertarsuaq.

Qeqertarsuaq au loin.

Un glacier derrière le village. Notez qu’il était environ 21h30… 
Un beau bateau devant les montagnes qui entouraient le village


Le village de Kangerluk, d’une cinquantaine d’habitants perdu dans le brouillard au fin fond du Groenland. Avec des carcasses de phoques dépecées qui nous attendent à l’entrée et les chiens de traîneau hurlant tous ensemble… Rassurant…

Un magnifique nudibranche que nous avions récolté. Oui il y a une faune marine colorée au Groenland.

Et pour fini, un coucher de soleil sur les Icebergs.

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