mercredi 1 novembre 2017

Des amphibiens adeptes de mélodrame

Les bestioles frêles et molles le savent, quand un être menaçant approche, mieux vaut réagir au quart de tour sous peine de se transformer en repas. Beaucoup d’animaux optent ainsi pour des stratégies classiques et indiscutablement efficaces. Les uns prennent les jambes à leur cou, les autres se camouflent en un temps record, cessent de bouger ou font le mort. Certains répliquent et contre-attaquent dans l’espoir de dissuader l’adversaire de les croquer. Et d’autres enfin se la jouent personnages de pièce mélodramatique à la Shakespeare, se lancent dans tout un cinéma lorsqu’ils se sentent menacés, offrant un spectacle déconcertant à leur ennemi. L’effet de déroute fait d’ailleurs partie du stratagème. Les maîtres en la matière : les amphibiens.

La supplication du condamné


Le crapaud n’a pas vu le prédateur s’approcher. Le meurtrier se tient devant lui, prêt à l’avaler d’une bouchée. Plus question de s’enfuir. Dans une tentative désespérée, le crapaud se recroqueville sur le sol, se tordant dans ce qui semble être une pathétique supplication de lui épargner la vie, se couvrant les yeux pour ne pas voir la mort arriver.

Reflexe d’Unken d’un crapaud sonneur à ventre jaune
(Crédits : Aleksandar Simovic, Burday Adam et Emmanuele Biggi)


Pris de pitié, le prédateur décide finalement d’épargner ce pauvre petit être sans défense. Comment ça pas crédible ? Parole de biologiste, cette position réflexe – le réflexe d’Unken de son petit nom – permet bien à crapauds et salamandres d’échapper à la mort ! Bon certes, l’empathie du prédateur n’est pas forcément une valeur sur laquelle on peut compter. Il n’empêche, la soudaine position insolite de la proie offre d’autres atouts de taille. Taille au sens littéral d’abord, puisque l’animal, après quelques goulées d’air, se gonfle et parait alors plus gros et plus impressionnant. Tout en protégeant ses yeux sensibles avec ses pattes, l’amphibien demeure immobile. En apparence tout du moins, puisqu’il profite de la surprise du prédateur pour secréter quelques toxines. Le repas du prédateur s’avère donc toxique, et ce dernier le sait ! Car la position du supplicié n’a pas tellement pour objectif d’attendrir le prédateur, mais bien de montrer ses jolies couleurs à son tortionnaire. Vous le savez sans doute, des couleurs vives sont souvent l’apanage des espèces toxiques. Et pour cause, c’est un signal suffisamment fort pour alerter les prédateurs de leur toxicité. Et éviter au passage de se faire croquer. On parle d’aposématisme. Un prédateur qui fait l’erreur de goûter une espèce aussi colorée a des chances de s’en souvenir longtemps. Et évitera par la suite tout bout de chair aux couleurs trop vives. C’est un peu comme le dégoût que nous inspirent des aliments qui nous ont rendu malades la dernière fois qu’on y a goûté ! Finalement, la position étrange des amphibiens s’apparente moins à une supplication désespérée qu’à un pied-de-nez au prédateur : « Va z’y, je bouge pas, mange-moi si tu l’oses ! »


“Come at me Bro!”; Réflexe d’Unken de triton rugueux, Taricha granulosa (Crédits : Gary Nafis)


Sacrifice charnel


Tenter d’impressionner son assassin n’est pas toujours une solution gagnante, surtout lorsqu’on ne dispose pas de toxines suffisamment dissuasives. Que faire face à un carnivore affamé ? Lui donner quelque chose à se mettre sous la dent pourrait bien être une stratégie salutaire… si seulement les proies se baladaient avec un bout de viande de secours. Qu’à cela ne tienne, beaucoup d’organismes ont trouvé la parade. Si le prédateur veut manger, autant faire un compromis et sauver sa vie ! Ainsi, certaines salamandres, malencontreusement attrapées par la queue par un serpent, préfèrent s’en délaisser (de la queue, et du coup du serpent par la même occasion). Cette technique, appelée autotomie, consiste à s’automutiler en cas de danger, offrant ainsi au prédateur un bout de barbaque et à la proie le répit nécessaire pour filer à l’anglaise. Cette stratégie n’est pas l’apanage des salamandres, puisqu’on la retrouve chez des organismes aussi variés que des lézards, des araignées, des crabes, des limaces… et même des souris capables, littéralement, de laisser leur peau(1) ! Chez les lézards comme chez les salamandres, le bout de queue laissé au prédateur peut continuer à se mouvoir tout seul, ce qui permet autant d’attirer l’attention du prédateur (si celui-ci n’a pas encore attrapé sa proie) que de le garder occupé le temps que le mutilé s’échappe(2).

Si la tactique peut paraître très efficace, elle est à utiliser avec parcimonie. Bien que les salamandres soient capables de régénérer leur membre amputé, cela demande du temps et de l’énergie. De plus, la queue des salamandres n’est pas dénuée d’utilité. La réserve de graisse qu’elle contient pourrait notamment être indispensable à la reproduction. De plus, les individus se déplacent beaucoup moins vite quand ils sont amputés(3). L’autotomie est donc utilisée, à priori, en dernier recours, lorsque les autres tactiques ont échoué(4).



Wolverine in real life


Pour finir sur les amphibiens qui en font trop, laissez-moi vous présenter Trichobatrachus robustus. Cette grenouille, du haut de ses 11 cm, se prend ni plus ni moins pour un des X-men. En plus d’être poilue, ce qui, il faut bien l’avouer, est très bizarre pour une grenouille, la bestiole est capable de sortir des griffes de sa peau lorsqu’elle se sent menacée. Non pas que ces griffes soient rétractiles, non, il s’agit d’excroissances osseuses capables de percer sa peau(5) ! Et pour sortir ces bouts d’os, la grenouille contracte un muscle, désolidarisant la partie pointue (la griffe) d’une partie osseuse qui elle reste à sa place. En somme, elle se casse les os, puis se transperce la peau… Pas étonnant qu’elle soit appelée « Wolverine frog » en anglais, ou encore « horror frog », littéralement « la grenouille de l’horreur » ! 


La grenouille Wolverine, avec sa jolie barbe… (Crédits : J. Green et Gustavocarra)


Si les amphibiens rivalisent de techniques pour échapper à leurs prédateurs, les autres animaux ne sont pas en reste. La nature regorge de stratégies, inventions des proies dans leur course aux armements avec les prédateurs... L'évolution n'a pas attendu l'imagination de humains pour créer des êtres aux pouvoirs de X-men ou autres super-héros !


Références :


(1) Seifert, A.W., Kiama, S.G., Seifert, M.G., Goheen, J.R., Palmer, T.M. & Maden, M. 2013. Skin shedding and tissue regeneration in African spiny mice (Acomys). Nature, 489, 561-565.
(2) Dial, B.E. & Fitzpatrick, C. 1983. Lizard tail autotomy: Function and energetics of postautotomy tail movement in Scincella lateralis. Science, 219, 391-393.
(3) Maiorana, V.C. 1977. Tail autotomy, functional conflicts and their resolution by a salamander. Nature, 265, 533-535.
(4) Ducey, P.K., Brodie, E.D.Jr. & Baness, E.A. 1993. Salamander tail autotomy and snake predation: Role of antipredator behavior and toxicity for three neotropical Bolitoglossa (Caudata: Plethodontidae). Biotropica, 25, 344-349.
(5) Blackburn, D.C., Hanken, J. & Jenkins, F.A.Jr. 2008. Concealed weapons: erectile claws in African frogs. Biology Letters, 4, 355-357.




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