samedi 25 août 2012

Les éléphants de mer sont-ils si polygynes qu’ils y paraissent ?

Sur la plage se déroule un combat sans merci. Deux éléphants de mer mâles, énormes, s’entredéchirent. La raison ? Le sexe, évidemment. Car le mâle victorieux aura comme récompense une belle centaine de femelles à sa disposition. Soit autant de descendants potentiels. Mais que le pacha ne se réjouisse pas trop : les choses ne sont pas tout à fait ce qu’elles semblent…


Un mâle éléphant de mer, Mirounga leonina (Source

Dans le règne animal, il existe quatre grands systèmes d’appariement, chacun avec leurs avantages et leurs inconvénients :

     - La promiscuité, régime sans restriction où chaque individu va pouvoir copuler, au sein d’une même saison de reproduction, avec plusieurs autres individus
     - La monogamie, où chaque mâle ne s’apparie qu’avec une seule femelle, et vice-versa
     - La polyandrie, association d’une femelle avec plusieurs mâles pendant une période de reproduction
     - La polygynie où un mâle va copuler avec plusieurs femelles

C’est ce dernier cas qui nous intéresse. La polygynie se retrouve souvent chez des espèces dont les soins aux jeunes peuvent n’être assurés que par la mère, le père ne pouvant pas assumer sa descendance trop nombreuse. Le mâle obtient un bénéfice évident : il a accès à un grand nombre de femelles, ce qui lui assure une descendance nombreuse, propice à la dissémination de ses gènes. Cependant, seuls les mâles les plus vigoureux peuvent monopoliser un groupe de femelles, ou un territoire dans lequel elles se trouvent. Les femelles obtiennent ainsi un bénéfice indirect : elles sont assurées que leur descendance portera les gènes de ce mâle puissant.

Un des cas les plus cités dans les livres et les plus utilisés dans les cours concerne l’éléphant de mer. Chez cette espèce, les femelles reviennent à terre tous les ans pour mettre bas. Les mâles les plus gros (qui sont aussi les plus âgés), mènent alors des combats sanglants à l’issu desquels le vainqueur aura le monopôle du groupe de femelles, qui peut dépasser 200 individus. Alors que les femelles allaitent leurs petits, le mâle veille sur son harem, soucieux d’éloigner les mâles opportunistes qui tentent de s’accoupler discrètement avec une femelle. Une fois le jeune sevré et le mâle dominant satisfait, tout ce beau monde retourne en mer jusqu’à l’année suivante.
 
Combat sanglant entre deux mâles éléphant de mer (Source)

Oui mais voila, un constat a été fait qui remet en question ce que l’on pensait connaître de l’animal : les chercheurs n’observent presque jamais sur la plage de jeunes femelles qui n’ont jamais eu de rejetons. On s’attendrait pourtant à les voir se pointer en fin de saison pour copuler avec le mâle dominant. Mais non. Elles débarquent un beau jour, et mettent au monde un jeune issu d’un père invisible…
 
Jeune éléphant de mer (Source)
 

Des études comportementales…

A partir de ce constat, une étude comportementale a été menée chez l’éléphant de mer austral Mirounga leonina (De Bruyn et al. 2011). Le principe : chaque année, au moment du sevrage, des jeunes femelles sont « marquées », c'est-à-dire qu’on leur pose au niveau de la nageoire caudale, une espèce de boucle d’oreille comprenant un numéro unique, permettant l’identification de chaque individu. Près de 3700 femelles ont ainsi reçu un code d’identification, sur une période s’étalant de 1983 à 2007. Ensuite, les chercheurs se positionnent sur la plage durant la période de reproduction et sondent les femelles pour découvrir qui est présent, qui est resté en mer, qui a un jeune, ou qui encore n’est présent sur la plage que pour s’accoupler. Et là, surprise. Alors qu’on sait que la plupart des femelles ne mettent pas bas tous les ans même si elles en sont biologiquement capables, on s’attend donc à ce que beaucoup viennent sur la plage sans jeune juste pour s’accoupler. Cependant, les chercheurs ont observé que seulement 1% des femelles sur la terre ferme étaient présentes uniquement dans ce but. De plus, parmi les femelles qui ont loupé une saison de reproduction, 87% ont quand même mis bas l’année suivante ! Les évidences d’une copulation en dehors de la plage commencent à être fortes…
 

Dispositif de reconnaissance individuel : "Jumbotag" (Source : image 1, image 2)

Pour compléter cette étude à long terme, les chercheurs disposaient d’un autre outil : un petit appareil qui se colle sur la tête de l’animal et qui permet un suivi de sa position par satellite. En posant une cinquantaine de dispositifs, l’idée était de marquer par chance une femelle qui allait louper une saison de reproduction pour mettre bas l’année suivante… et ainsi découvrir ce qu’elle faisait au moment de la copulation supposée. Et là, bingo. Malgré la mue qui entraîne très rapidement la perte du dispositif, deux femelles ont répondu à ces critères. Et ce que les chercheurs supposaient s’est confirmé : les femelles, durant la période de réceptivité sexuelle, sont en mer ! De plus, le dispositif montre qu’elles passent plus de temps à la surface de l’eau durant cette période, suggérant une copulation près de la surface, voire sur un morceau de glace flottant…

Dispositif de suivi par satellite (Source)


… Aux études génétiques

Les études comportementales apportent des arguments convainquant en faveur d’une copulation en mer. Cependant, d’autres raisons peuvent être invoquées pour expliquer les résultats, entre autres : l’absence de la femelle sur la plage parce qu’elle se trouve sur une autre plage (même si cet argument est contrebalancé par une forte fidélité au site de reproduction), l’implantation différentielle de l’embryon qui fait que la femelle met bas deux ans après la copulation sur la plage (en effet, dans un cycle de reproduction annuel, l’embryon ne s’implante pas immédiatement, afin que la mise bas corresponde précisément au retour sur terre l’année suivante), la mauvaise détection des femelles sur la plage par les chercheurs (la probabilité de détection qu’ils ont calculé atteignait tout de même 96% !), etc.
 
Pour compléter les études comportementales, les études génétiques, notamment les études de paternité, sont de parfaits candidats. Elles permettent en effet de mettre en évidence des systèmes d’appariement cryptiques (cachés). Par exemple, chez les oiseaux, alors que la grande majorité des espèces est monogame (des couples stables dont les deux partenaires élèvent les petits), il aura fallu attendre des études génétiques à partir de 1980 pour se rendre compte que le taux de paternité hors couple, autrement dit le nombre de jeunes issus d’un père illégitime, était parfois immense. Il apparait ainsi que 90% des espèces d’oiseaux présentent de la paternité hors-couple, et que la proportion de nichées contenant au moins un poussin illégitime peut atteindre 87% (Griffith et al. 2002).

Chez nos pinnipèdes, deux études génétiques ont été menées chez d’autres espèces que l’éléphant de mer, mais également connues pour être polygynes : l’otarie de Kerguelen Arctocephalus gazella (Gemmell et al. 2001) et le phoque gris Halichoerus grypus (Worthington et al. 1999). Dans la première étude, 243 mâles (soit 90% des mâles d’une plage) et 184 mères et leurs petits de l’année suivante ont été analysés. Résultat : malgré l’échantillonnage de la presque totalité des mâles, seuls 23% des jeunes étaient issus de pères présents sur la plage ! De plus, les chercheurs ont pu observer 16 copulations, suivies de mise bas l’année suivante. Et surprise encore une fois : seul un des jeunes était issu du mâle avec qui la femelle avait été vue en train de copuler ! Non seulement des femelles semblent échapper au système de polygynie en copulant en mer, mais en plus celles qui copulent à terre n’offrent pas au mâle la certitude de sa paternité ! La deuxième étude confirme l’implication beaucoup plus faible qu’attendue des mâles territoriaux dans la reproduction : entre 50 et 70% des jeunes phoques gris ne proviennent pas d’un père défendant un harem !

Otarie de Kerguelen mâle Arctocephalus gazella (Source)

Femelle phoque gris Halichoerus grypus, et son petit (Source)


Stratégie alternatives et raisons évolutives

Ces trois études mettent en lumière plusieurs faits chez les pinnipèdes polygynes. D’une part, les femelles sont capables de se reproduire en mer, et cette stratégie semble même être préférée lorsqu’elles n’ont pas besoin de revenir à terre pour mettre bas. D’autre part, même lorsqu’elles copulent avec le mâle dominant, le jeune issu peut provenir d’un autre père, suggérant des copulations multiples et éventuellement une sélection post-copulatoire du mâle.
 
Le système de polygynie chez les pinnipèdes a longtemps été considéré comme bénéfique pour les femelles : celles-ci, en copulant avec le mâle dominant, assurent de bons gènes à leur descendance. De plus, aucun déplacement n’est nécessaire, le mâle est disponible à l’endroit même où elles doivent se rendre pour mettre bas, pratique. Ce mâle est aussi garant de leur tranquillité durant l’élevage du jeune, évinçant ses rivaux qui pourraient persécuter les dames. Que d’avantages donc, qui expliquent que l’hypothèse de stratégies alternatives de la part des femelles ait peu été envisagée.

Cependant, suite à ces études, d’autres raisons sont invoquées pour expliquer la formation en harem des femelles : non pas un désir d’être sous la tutelle d’un beau mâle puissant, mais plutôt une stratégie pour éviter la persécution de la part d’autres mâles, et une contrainte du fait du nombre limité de plages disponibles.

La question se pose alors des raisons évolutives de ces stratégies d’appariement, autrement dit quels sont les bénéfices qu’elles apportent ? Pour les femelles, louper une saison de reproduction est un moyen d’économiser de l’énergie pour mieux l’allouer à sa propre survie et aux reproductions futures. Rester en mer durant la reproduction loupée est aussi un moyen permettant de continuer à s’approvisionner en nourriture, lui évitant ainsi un long voyage vers la plage. De plus, de nombreux mâles ayant atteint leur maturité sont disponibles en mer (75% des mâles éléphants de mer restent en mer durant la période de réceptivité sexuelle de la femelle), permettant un large choix de partenaires. Les avantages directs de rester en mer semblent alors bien plus importants que les avantages indirects que procurent les bons gènes du mâle. Et ce d’autant plus que les mâles territoriaux deviennent puissants avec l’âge, réduisant ainsi le rôle des « bons gènes ». Les mâles qui se trouvent en mer sont potentiellement de futures maîtres de harem !

Et pour les mâles alors ? Pourquoi s’obstiner à essayer de contrôler un harem alors que les femelles vont copuler ailleurs ? Et que la prise de pouvoir est très coûteuse, pouvant même leur coûter la vie ? La raison est simple. Les jeunes mâles n’ont aucune chance de s’accaparer un groupe de femelles et ont donc tout intérêt à rester en mer en espérant y croiser une femelle. Mais les mâles qui ont un harem, même s’ils n’ont pas autant de descendants qu’il y a de femelles présentes, ont toutefois un nombre de jeune plus important. Ayant atteint un certain âge, monopoliser un groupe de femelle permet donc d’augmenter son succès reproducteur, même s’il est plus faible que ce à quoi on s’attendrait en voyant les plages bondées de femelles. De plus, l’animal prenant de l’âge, ses chances d’être encore vivant et de se reproduire les années suivantes diminuent petit à petit. Autant donner le tout pour le tout et tenter une reproduction multiple, au risque d’être sérieusement blessé.
 
L’avènement de la génétique est une bénédiction pour les études centrées sur les systèmes d’appariement. A l’image des oiseaux monogames ou des pinnipèdes polygynes, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Il y a fort à parier qu’au cours des prochaines années, d’autres évidences s’écroulent encore…

 

Bibliographie

De Bruyn, P.J.N., Tosh, C.A., Bester, M.N., Cameron, E.Z., McIntyre, T. & Wilkinson, I.S. 2011. Sex at sea: alternative mating system in an extremely polygynous mammal. Animal Behaviour, 82, 445-451.

Gemmell, N.J., Burg, T.M., Boyd, I.L. & Amos, W. 2001. Low reproductive success in territorial male Antarctic fur seals (Arctocephalus gazella) suggests the existence of alternative mating strategies. Molecular Ecology, 10, 451-460.

Griffith, B., Owens, I.P.F. & Thuman, K.A. 2002. Extra pair paternity in birds: a review of interspecific variation and adaptive function. Molecular Ecology, 11, 2195-2212.

Worthington Wilmer, J., Allen, P.J., Pomeroy, P.P., Twiss, S.D. & Amos, W. 1999. Where have all the fathers gone? An extensive microsatellite analysis of paternity in the grey seal (Halichoerus grypus). Molecular Ecology, 8, 1417–1430.
 

Sophie Labaude

mercredi 15 août 2012

Ingénieuse et insoupçonnée...

Ce soir, j’en ai marre de travailler. Alors j’ai décidé de vous écrire un petit mot pour vous expliquer ce que c’est que l’ingénierie écologique. De quoi je parle ? Vous n’avez jamais entendu parler d’ingénierie écologie ? Autrement appelé le génie écologique…. Et bien ça veut dire qu’il était grand temps que je sorte la tête hors de mes publis scientifiques, de mes manipes de labo et de toutes mes activités bien trop sérieuses.

L’ingénierie écologique, c’est quelque chose d’assez neuf en réalité. Il n’y a que très peu de scientifiques qui s’y intéressent, mais c’est pourtant un domaine très prometteur dans la branche de l’environnement mais aussi pour nos sociétés.
Bien que le nom soit quelque peu barbare, il dit tout. L’ingénierie, vous savez ce que c’est ?! C’est quand on essaye de trouver une solution à une question concrète, un problème pratique. Et l’écologie, que ça soit scientifique ou idéologique (comme en politique ou chez les hippies !), c’est le domaine qui s’intéresse à l’environnement, au sens large, et à notre environnement plus particulièrement, à notre milieu environnant proche.  Donc pour l’expliquer en deux mots, l’ingénierie écologique c’est quand on cherche des solutions à nos problèmes dans l’environnement. Bon ça a l’air pas folichon tout ça, mais je vous assure, c’est plein de surprises ! C’est le but de mon article : vous montrer que les organismes qui nous entourent, et qui constituent notre écosystème, sont pleins de ressources et peuvent être d’une grande aide.

Avant ça, je vais vous donner une définition un peu plus « scientifique ». Odum l’a définit en 1962 comme la mobilisation de l’énergie propre à l’activité des systèmes vivants et des organismes au lieu de faire appel à la technologie et à l’énergie externe, essentiellement non renouvelable, comme les énergies fossiles. Mais une des caractéristiques de l’ingénierie écologique est qu’elle se veut bénéfique à la fois pour les humains et pour la Nature. Et c’est pourquoi elle a été préconisée par le Millenium Ecosystem Assessment (programme de travail international conçu pour répondre aux besoins des décideurs et du public en matière d’information scientifique relative aux conséquences des changements que subissent les écosystèmes pour le bien-être humain) afin de tenter de pérenniser les relations  « Homme-Nature ».

Et donc je vous parlais de surprise… vous devez vous demander à quoi je faisais référence. Ni plus ni moins qu’à tous les petits services que nous rendent les espèces autour de nous. Pour que ce soit plus parlant, on peut comparer l’ingénierie écologique au biomimétisme. Vous savez, le biomimétisme ! La science qui s’inspire des capacités physiologiques et physiques des animaux ou des plantes pour créer de nouvelles technologies. 

Vu comme ça, on se demande qui de l'homme ou de l'animal a copié sur l'autre ! [source]






Pour en savoir plus, je vous conseille de regarder les extraits de reportages au lien suivant : le biomimétisme. Pour ma part, j’ai déjà vu les reportages et ça m’impressionne toujours autant !

 
Il y a tellement d’exemples d’application de l’ingénierie écologique que j’ai un peu de mal à choisir lesquels vous présenter.
Je vais commencer par quelque chose d’assez peu ragoutant…. Les stations d’épuration. Ces centres de collecte de nos eaux urbaines et industrielles ont pour principal objectif de transformer les eaux sales et chargées en matières en eaux propres. Et bien figurez-vous que certaines de ces grosses usines n’utilisent ni plus ni moins que des bactéries dans le processus de transformation. Il existe différentes méthodes qui utilisent des types de bactéries différentes (libres ou fixées, ayant besoin d’oxygène ou non). L’intérêt de ces bactéries, c’est qu’en plus de nettoyer l’eau elles vont produire du biogaz, qui constitue une source d’énergie naturelle. 

Les bactéries sont nos amies, on vous l'a déjà dit! [sources] 








Un autre exemple dans le même style, c’est l’utilisation des racines foisonnantes des mangroves tropicales à Mayotte pour filtrer les eaux usées. Après la récolte des eaux usées et un prétraitement de décantation qui élimine une partie de la pollution, l’eau est rejetée à marée basse sur des parcelles de mangrove par des tuyaux percés comme un système d’arrosage. Ainsi l’azote contenu dans les eaux usées est absorbé par la végétation qui favorise sa croissance tel un engrais. Bien que ce type de projet ne soit qu’expérimental, il semble donner de bons résultats. Les chercheurs qui en ont la charge n’ont plus qu’à s’assurer que l’équilibre de la biodiversité n’a pas été perturbé.
 
En voilà de belles racines! [source]

Je voudrais vous parler d’autres plantes, qui sont proches de vous, qui vous rendent service, et pourtant on les oublie souvent, on fait comme ci elles n’étaient pas là. Ce sont les arbres de nos villes. Si nombreux et pourtant si invisibles. Et bien figurez-vous qu’eux aussi sont au cœur de l’attention des chercheurs pour voir en quoi ils nous sont bénéfiques. Il semblerait que les arbres urbains se portent bien (ils ont une grande ressource en carbone et azote), mais ils sont en manque d’eau. En parallèle, ils absorbent le CO2 produit par le large parc automobile français, mais ils contribuent aussi à rafraichir l’atmosphère.  Les arbres abritent une grande diversité d’organismes, des micro-organismes aux vertébrés en passant par les milliers d’invertébrés qui y élisent domicile. Ils contribuent à ce qu’on appelle la Trame Verte, cette continuité végétale qui permet de réduire la fragmentation des habitats naturels des animaux. Et cela contribue à notre bien-être et à notre besoin de nature !

Nos beaux arbres parisiens... on devrait en prendre soin comme ils prennent soin de nous [source]

Toujours en lien avec les plantes, mais plutôt de celles dont on va se nourrir, je voudrais maintenant vous parler d’agriculture. La France est la championne européenne de l’agriculture, mais ça n’est pas un secteur de tout repos. Les agriculteurs sont soumis à de nombreuses catastrophes climatiques mais aussi à des épidémies de pathogènes. Et bien il serait peut-être possible de lutter contre certains pathogènes des cultures en utilisant un agent de lutte très particulier…. Le ver de terre !!! Les vers de terre pourraient favoriser la croissance du blé et réduire les attaques d’un champignon, le piétin, sur la plante. Les vers limiteraient le contact entre le piétin et le blé, notamment en enfouissant les débris végétaux sur lesquels se déposent les spores des champignons .

Le piétin verse donne une couleur plus clair au blé [source]

Les vers de terre, connus pour être "ingénieurs des écosystèmes" [source]

Enfin un dernier exemple, plutôt original mais qui me tient à cœur : les toits végétalisés. Ils créent des zones de verdure dans nos villes bien grises. Ils ont plusieurs objectifs : isoler thermiquement les immeubles, améliorer la qualité de l’eau en ville, séquestrer le CO2, re-dynamiser la biodiversité locale et régionale. Ces petits espaces au dessus de nos têtes pourraient dans un avenir proche constituer de véritables écosystèmes artificiels, abritant une multitude d’espèces, animales, végétales, et de micro-organismes. 
Ça fait rêver, n'est-ce pas?! [source]
 Il y aurait encore beaucoup d’exemple à donner pour illustrer les actions des ingénieurs écologues:
- La phytoremédiation et la bioremédiation utilisent des plantes et des micro-organismes pour dépolluer les sols (en phase expérimentale en France)
- Construire des zones humides artificielles pourrait réduire la pollution par les pesticides des nappes phréatiques.
- Le recyclage de déjections porcines dans les élevages et leur réutilisation en champs permet de minimiser les pollutions tout en produisant plus de biomasse végétale.
- Etc.
 Cette discipline en pleine essor n’a pas fini de faire parler d’elle, et surtout elle a encore beaucoup de cartes à jouer pour nous en mettre plein la vue. Alors restez attentifs, on ne sait jamais ce qui se cache derrière un organisme vivant ! 

A bon entendeur

Battle

Pour en savoir plus:
- le site internet du groupe d'application de l'ingénierie écologique (GAIE) : ici 
- le numéro spécial du CNRS sur l'ingénierie écologique: "Ingénieuse écologie" 
- le numéro spécial du journal du CNRS sur le biomimétisme: "La Nature pour modèle"

jeudi 2 août 2012

Elysia : histoire d'une voleuse peu ordinaire

Il y a des rencontres qui vous changent une vie, il a aussi celles qui vous marquent, dessinant un sourire sur votre visage lorsque vous y songez. Aujourd’hui j’aimerais partager avec vous un de ces rendez-vous.


Ça se passe en Bretagne, la marée est basse, c’est l’été. Bottes chaussées, vêtue de mon coupe-vent, je m’en vais joyeusement prospecter la faune présente dans les algues à l’aide d’un filet. Je venais en effet de m’intéresser à cet habitat particulier. Les algues, tout comme la flore terrestre, constituent un abri considérable pour de nombreuses espèces. Elles sont également source de nourriture et constituent de véritables zones refuges pour les juvéniles et quelques fois même, pour les œufs. Ces habitats ont des fonctions de refuge, nourricerie ou encore d’alimentation. Pour tous ceux d’entre vous qui, comme moi, ne prêtaient aucune attention aux algues parce que ce n’étaient que de vulgaires sous-plantes sans forme ni intérêt, détrompez-vous ! Vous ne serez pas déçus.

Je vous dévoilerai, peut-être, un jour, si vous êtes sages (oui, j’suis un peu comme le père noël), le mystère des algues. En attendant, je reprends mon épopée chevaleresque…


Figure 1 : Quelques espèces peuplant les algues Hippolyte varians, Caprella acanthifera, Dynamene sp. [Source]


Crevettes, gastéropodes, amphipodes se sont pris dans mon filet (Fig. 1) : des espèces que j’avais déjà eu la chance de rencontrer mais qui me comblent toujours autant lorsque je les retrouve. Bien des algues s’étaient enchevêtrées dans les mailles. Leur rendant alors leur liberté, j’ai repéré une masse qui m’était inhabituelle. Elle était verte, elle avait une consistance molle et visqueuse en dehors de l’eau, elle n’avait pas de forme particulière et ne mesurait pas plus d’1cm. C’est alors que je l’ai plongé dans un tube contenant de l’eau de mer. Sous mon œil curieux et ébahi, elle s’est mue de mouvements lents me dévoilant ainsi ses courbes gracieuses… D’après l’enseignante qui nous accompagnait, elle s’appelait Elysia

Elysia est un mollusque gastéropode me disait-elle mais  hormis sa silhouette, je ne connaissais rien sur ce genre, j’étais alors tout à fait enthousiaste et excitée à l’idée d’en savoir plus. Je l’ai amené avec moi, m’empressant de l’observer à la loupe et « TADAAA » :
Figure 2 : Elysia sp en vue dorsale sous loupe binoculaire

Elle possède plusieurs teintes de vert mais est aussi ponctuée de grains verts et de petites tâches réfringentes bleues (Fig. 3) et roses.

De recherches en recherches et donc de découvertes en découvertes, j’ai appris davantage sur la biologie et le mode de vie de cette espèce à laquelle je me sens liée (je suis sentimentale à mes heures perdues).

Les tâches vertes que vous pouvez distinguer sur sa robe (Fig. 3) sont en fait… des chloroplastes (les organites qui permettent aux plantes de faire la photosynthèse) ! Les chloroplastes, me direz-vous, ne se rencontrent que chez les végétaux (en incluant les algues*). Comment un animal peut-il contenir des chloroplastes -entiers, intactes- ?
Figure 3 : Elysia sp en vue dorsale sous loupe binoculaire avec vue sur les chloroplastes et les tâches réfringentes bleues (les roses ne sont pas visibles ici).

En fait, les Elysia ont comme particularité d’aspirer les chloroplastes contenus dans certains types d’algues (cf vidéo ci dessous - préparez le pop corn) et de les stocker dans les expansions de leur système digestif pendant plusieurs jours.


Sur ces deux vidéos (filmées par nos soins !!), l'Elysia est en vue ventrale, sous l'algue verte Bryopsis sp.



Ces mollusques vivent à faible profondeur dans une zone où la lumière du soleil pénètre encore. Les chloroplastes étant des entités indépendantes dans les végétaux (on parle d’organites), ils sont capables de poursuivre leur activité photosynthétique dans le corps de l’animal de façon temporaire. A partir de l’énergie lumineuse produite par le soleil, ils forment du glucose qui sera alors libéré et utilisé par l’animal. Ainsi, en temps de crise, les chloroplastes peuvent nourrir l’Elysia jusqu’à 10 mois !

Mais ce n’est pas tout !

Certaines espèces de ce genre (comme E. pusilla et E. rufescens) ne gobent pas les chloroplastes de n’importe quelle algue. Elles favorisent les algues ichtyotoxiques (toxiques pour les poissons). D’abord pour éviter d’avoir comme concurrent principal une bestiole qui fait 10, 20 ou même 100 fois sa taille (imaginez devoir vous battre contre une lionne pour un morceau de viande ou contre un éléphant pour une touffe d’herbe ou encore contre une baleine pour une crevette d’un centimètre…). Etant donné que les poissons ne se nourrissent pas de ces algues, il y a moins de chance pour qu’ils mangent l’Elysia par « mégarde ». Ensuite, parce qu’en ingérant les chloroplastes, elles vont également chopper les toxines anti-poisson (il y en a de plusieurs sortes, ça dépend de l’algue « hôte ») et « tada ! » elles deviennent elles aussi empoisonnées ! L’espèce E. pusilla pousse encore plus loin l’utilisation de ces toxines puisque lorsqu’elle est dérangée, elle sécrète un mucus avec une forte concentration en substances toxiques. De même, lorsqu’elle pond ses œufs, elle prend le soin de les enrober dans un mucus toxique.

Des moyens tout à fait originaux de s’alimenter et se protéger dans ce monde où les contraintes biotiques et abiotiques rendent ces environnements particulièrement hostiles.

Ça se passe en Bretagne, la marée est basse, c’est l’été, je suis en pleine prospection de la faune du littoral et j’y ai découvert un monde que je chéris, un monde qui me fascine.

Quand je serai grande, je serai biologiste marin. 
Quand je serai grande, je continuerai à m’émerveiller comme cet été, à marée basse, en Bretagne, avec mes bottes et mon coupe vent.


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* : D'un point de vue évolutif, ça n'est pas juste. On traitera de ce sujet un jour ou l'autre.


Pour les curieux :
- Vous trouverez d’autres photos sur le site Estran 22 à l’initiative de l’association Vivarmor Nature
- Et ici, des photos de quelques espèces peuplant les algues.
- BECERRO M., GOETZ G., PAUL V., & SCHEUER P., 2001 - Chemical defenses of the sacoglossan mollusk Elysia rufescens and its host alga Bryopsis sp. Journal of Chemical Ecology 27(11): 2287–2299.
- HAY M.E., PAWLIK J., DUFFY E., & FENICAL W., 1989 - Seaweed-herbivore-predator interactions : host-plant specialization reduces predation on small herbivores. Oecologia 81: 418–427.
PAUL V., & Van Alstyne K., 1988. Use of ingested algal diterpenoids by Elysia halimedae Macnae (Opisthobranchia : Ascoglossa) as antipredator defensesJ. Exp. Mar. Biol. Ecol. 119: 15–29.
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