mardi 23 septembre 2014

Mission to Mars : une affaire de sol !

Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, on va parler un peu de science fiction. Ouiiii je sais ce n’est pas l’objectif du blog, on est supposé parler de ce qui existe sur Terre et pas de ce qui pourrait exister dans l’espace.

Bref. Il y a quelques temps, je suis retombé sur un livre égaré au fond de ma bibliothèque : The Mars Trilogy, de Kim Stanley Robinson. Je dois avouer que, étant un gros flemmard, je l’ai lu en version française. Pour la faire courte, il s’agit de l’histoire romancée des premiers humains à avoir colonisé Mars. On nage bien en pleine science fiction. Quoique, avec le projet Mars One de la NASA, peut-être qu’on n’en est pas si loin… Sans vous dévoiler l’intrigue de ce livre, quelle ne fut pas ma surprise de constater que bon nombre de techniques et technologies présentées sont aujourd’hui bien réelles et utilisées (presque) tous les jours ! Entre autre, il y a le problème de la terraformation – néologisme décrivant la transformation d’une planète hostile à l’être humain en planète dont les conditions naturelles sont semblables à celle de la Terre. Dans le livre de la trilogie de Mars, les colons font face à ce souci récurrent : comment faire pousser des plantes à la surface de Mars ?

Alors oui, bien entendu, il y a le problème de la température (il fait « légèrement » plus froid sur Mars que sur la Terre, c'est-à-dire une température moyenne de -55°C ; il vaut mieux ne pas oublier son chandail et ses moon-boots quand on sort faire son footing) qui empêche directement la croissance des plantes. Mais qu’à cela ne tienne ! Imaginons un instant que des êtres humains s’installent sur Mars, ils n’iront pas se faire bronzer tout de suite en haut du Mont Olympus. Ils resteront probablement enfermés dans des caissons étanches pressurisés. En effet, en plus de faire plutôt froid à la surface de Mars, l’atmosphère y est irrespirable pour l’être humain : elle est composée à 95% de CO2. Par comparaison, l’atmosphère actuelle de la Terre contient 0.04% de CO2 et des études cliniques montrent qu’à partir de 6% ou 7% de CO2 dans l’atmosphère, on commence à éprouver une gêne respiratoire. Sans compter que la pression est bien moins importante sur Mars que sur la Terre : elle se situe à environ 600 Pascal (c’est l’unité de mesure de la pression atmosphérique) si on fait une moyenne. Il ne faut pas oublier que sur Terre la pression moyenne est de 101300 Pascal, ce qui fait que la pression atmosphérique terrestre est environ 170 fois plus importante que celle de Mars. On va donc éviter pour le moment de sortir sans scaphandre intégral, sous peine de mourir de froid, d’asphyxie et de pertes de fluides vitaux par tous les orifices.

Revenons à nos colonisateurs. Quelle sera leur priorité une fois installés ? Eh bien ils auront à assurer leurs besoins immédiats : nourriture, air, eau. C’est bien joli d’envoyer tout ça depuis la Terre, mais au bout d’un moment, manger des conserves, ça fait péter les plombs ! Du coup, il faudra qu’ils cultivent leur propre nourriture… Et pour ça, c’est pas compliqué ! Un peu de terreau, quelques graines et hop ! un potager sous serre ! Oui mais voilà : sur Mars, il n’y a pas de sol. C’est juste de la pierre nue ! Du coup, des chercheurs se sont posé la question : est-on à l’heure actuelle capable d’identifier des plantes qui pourraient potentiellement croitre sur les sols martiens ? Cet article a déjà été analysé par Pierre Barthélémy sur leblog « passeur des sciences » ou vous pouvez aller voir directement ce que disent les chercheurs hollandaisdans leur article. Tout ça pour dire que, oui, certaines plantes sont bien capables de pousser sur des sols martiens.

Suite à ça, j’aimerai revenir sur un point clé : c’est quoi, un sol ? Qu’est ce qui fait qu’un sol est « bon » pour une plante ? Reprenons du début, et tournons nous vers le passé avant de regarder vers l’avenir. Prenons l’exemple de la Terre à l’Ordovicien, période qui se trouve grosso-modo entre -485 et -443 millions d’années. A peu près. A la louche, quoi. Bref. A cette époque, c’est plutôt vide à la surface de la Terre – alors que sous l’eau, oh boy, c’est la grande fiesta ! Mais ce n’est pas vide pour très longtemps : les plantes chlorophylliennes vont coloniser ce no man’s land… mais ça ne s’est pas fait en un jour ! Au début, on trouvait vraisemblablement des organismes proches des lichens, des cyanobactéries, des organismes résistants mais ne dépassant probablement quelques centimètres de haut ([1] et [2]). Et c’est là que nous en revenons à notre planète Mars. Car sur la Terre à cette époque, tout du moins sur les continents, les conditions s’apparentent à ce qu’on trouve actuellement sur la planète rouge : de la roche nue et constamment balayée par les vents. Pas terrible pour nos petites plantes actuelles qui ont l'habitude d'avoir un sol profond pour développer leurs racines ! 

Paysage du Silurien, la période géologique juste avant le Dévonien. Que des petites plantes à ras de terre, qui poussent directement sur la roche nue. Source

Vous avez déjà du remarquer qu’il existe différents types de sols, ne serait-ce que lors d’une promenade en forêt, par comparaison avec les pelouses bien entretenues du parc municipal d’à côté. Prenons un sol typique, comme montré sur la photo suivante

Une coupe de sol. Source 

Le sol, c’est un gros gâteau, en fait. C’est un ensemble de couches, appelées « horizons ». Au dessus du gâteau, le glaçage, c’est la partie vivante du sol, qui comprend la litière (l’ensemble des feuilles et organismes morts qui se déposent progressivement à la surface) et l’humus (qui est l’horizon où se retrouve l’ensemble de la matière organique morte et tous les décomposeurs tels que les vers de terre, insectes et champignons). C’est l’humus qui est la partie la plus importante du sol : il contient tous les nutriments nécessaires à la croissance des plantes terrestres, et en particulier, tout l’azote nécessaire à la synthèse des protéines des plantes ainsi que le phosphore utilisé dans la construction des ADN et ARN. C’est pour ça qu’on ajoute des engrais azotés et phosphatés dans les cultures, car au bout d’un moment ces ressources s’épuisent si le sol est trop cultivé ! En dessous, dans la génoise du gâteau, on retrouve progressivement un mélange entre la matière organique morte et la roche-mère plus ou moins fragmentée. C’est là que se retrouvent aussi toutes les grosses racines des arbres, qui cherchent toujours plus loin en profondeur l’eau, élément également essentiel à la croissance des plantes.

Du gâteau, ce sol ! Ou bien est-ce le contraire ? Source
Et c’est là qu’on arrive à une autre découverte qui pourrait bien aider les futurs colons martiens : d’autres chercheurs espagnols  ont mis en évidence que certaines plantes étaient capables d’utiliser l’eau contenue dans les roches. Je précise : contenue dans les roches à l’échelle moléculaire. On parle ici d’eau de cristallisation, présente directement dans les cristaux de roches. En particulier cette eau se retrouve dans le gypse hydraté, appelé également sulfate de calcium hydraté. Ici, l’eau est associée très étroitement aux autres atomes et est, théoriquement, indisponible pour les végétaux (pour info, le gypse, une fois chauffé et déshydraté, sert à faire du plâtre). Eh bien, finalement, peut être pas… les chercheurs ont mis en évidence avec des études isotopiques que des molécules d’eau, initialement présentes dans le gypse, se retrouvaient au cours de la journée dans les plantes qui poussaient directement sur ce minéral. Je ne vais pas détailler la méthode, mais il est possible de différencier l’eau disponible présente dans le milieu, de l’eau – normalement – indisponible présente dans les pierres. Conclusion : certaines plantes, soumises à des conditions de croissances extrêmement difficiles, possèdent des caractères et des techniques qui leur permettent de récupérer l’eau contenue dans les roches. Et ce qui est très intéressant, c’est qu’il existe sur Mars des roches qui se comportent comme le gypse…

Un peu plus haut, j’ai parlé de la nécessité pour les plantes d’avoir des composés azotés et phosphatés dans le sol à leur disposition pour pouvoir croître. Pour revenir à l’étude réalisée par les chercheurs hollandais, ils ont mis en évidence que les légumineuses poussaient sans problème sur des sols dépourvus de toute matière organique. En effet, ces plantes possèdent la capacité de récupérer l’azote atmosphérique et peuvent donc se développer sans apports provenant du sol… du moment qu’il y a de l’eau en quantité ! Les légumineuses sont ce qu’on appelle des plantes pionnières : elles s’installent sur un sol dépourvu ou presque d’éléments nutritifs, croissent puis meurent, et laissent un sol plus riche qu’au départ car elles ont fixé l’azote de l’air en matière organique utilisable par d’autres plantes qui elles, ont besoin de cet apport dans le sol. Le problème c’est que sur Mars, il n’y a pas ou peu d’azote disponible dans l’atmosphère… donc là encore, il faudrait que les futurs martiens trouvent comment apporter de l’azote sur la planète .

La plante idéale pour commencer une terraformation devrait donc être capable de pousser directement sur la roche nue, sans apport d’eau, ou presque. Il faudrait cependant que la technologie protège ces végétaux de la trop faible pression atmosphérique, en faisant par exemple pousser des forêts sous dômes transparents. Par la suite, les composés produits par les végétaux pourraient être exportés à la surface nue de Mars pour commencer à former des sols. Dans un avenir pas si lointain, en utilisant toutes nos connaissances sur les comportements et les caractéristiques des différentes plantes, on pourrait être capable d’utiliser tout un cortège de plantes pionnières afin de préparer des sols viables pour d’autres générations de plantes plus exigeantes. Imaginez : une plante pour récupérer de l’eau de cristallisation, une plante pour enrichir le milieu en azote, une plante pour fragmenter mécaniquement la roche-mère en plus petits morceaux… C’est de la science fiction, mais plus pour très longtemps !

Et si Mars la Rouge devenait Mars la Bleue ? Source
Boris

mardi 16 septembre 2014

L’indolence poussée à son paroxysme : quand les parasites manipulateurs laissent les autres manipuler

Le soleil se lève tranquillement sur la vallée. Les premiers rayons viennent caresser les herbes pâles, croulant encore, dans une position de sommeil, sous le poids de minuscules diamants de rosée. La vie sort de sa torpeur dans le monde du peuple de l’herbe. Insouciante à l’ambiance si particulière de ce début de journée, une fourmi prend la route. Chaque ouvrière de la colonie connaît parfaitement son rôle, entre le soin des jeunes, la défense du nid, l’aspect maçonnerie ou la quête de nourriture. Notre compère fonce sans se retourner pour accomplir sa tâche à elle : escalader glorieusement un brin d’herbe, se munir d’une patience de fer et attendre son destin… se faire brouter. 

La vie suit son cours normal chez le peuple de l’herbe, inconscient du drame qui se prépare (par ici pour plus de photos du talentueux Andrey Pavlov)

Maintenant que j’ai votre attention, revenons à la réalité impitoyable de ce qu’est réellement la vie. La pauvre fourmi ne survivra pas, désolée, mais elle va permettre à une myriade d’autres bestioles de se reproduire. Des êtres craints par tous, y compris des humains : les parasites. En particulier, notre jeune hyménoptère abrite en son corps des trématodes du gentil nom de Dicrocoelium dendriticum. En moins charmant, on parle aussi de la petite douve du foie. Ce parasite se reproduit exclusivement dans la bedaine des herbivores, mais son cycle passe invariablement par des fourmis. Et comme celles-ci n’ont pas naturellement tendance à aller spontanément se faire brouter, les parasites ont développé la capacité à modifier le comportement de leur hôte, poussant ce dernier à adopter des attitudes carrément suicidaires. Leurs techniques perfides ont valu à ces parasites le doux surnom de manipulateurs.

Petit résumé du cycle de Dicrocoelium dendriticum

Bon, tout ça on connaît bien, d’autant que j’y ai déjà consacré tout un article. Mais il y a un petit détail dont j’ai omis de vous parler. Les parasites manipulateurs ont partout dans le monde maitrisé l’art de faire faire à leur hôte ce dont ils ont eux-mêmes besoin (aller à tel endroit, se rapprocher de tel animal, etc.). Mais certains vont plus loin : ils font faire faire ! Plutôt que de faire faire soi-même, ils laissent faire les autres. Vous me suivez ?

Revenons à notre fourmi. Goulue comme elle est, elle a par le passé commis l’erreur bientôt fatale de consommer des trématodes, délicieusement enfouis dans de la bave d’escargot (encore un hôte intermédiaire du parasite). Une fois les bestioles avalées, un des individus migre dans le cerveau, où il pourra mettre en place son plan machiavélique de manipulation. Et les autres individus ? Rien. Ils laissent faire le leader. Pourquoi se fatiguer alors qu’un seul parasite suffit à prendre les commandes ? Pis encore, le fayot qui s’est précipité dans le cerveau ne survivra pas. Autrement dit, seuls les individus qui n’ont pas tenté de manipuler vont s’en sortir… Dans ce cas, fort à parier qu’on ait affaire à de la sélection de parentèle : les parasites sont probablement des clones, partageant le même matériel génétique, dont un se sacrifie pour les autres de la même manière que les fourmis, ironie du sort, se sacrifient aussi pour leur colonie. 

Changeons de cap sans transition pour une petite balade au bord de la mer. C’est marée basse. Le tableau semble idyllique. Sous un ciel d’un bleu éclatant et au son lointain de la houle, quelques oiseaux marins se baladent sur la plage, complètement indifférents à notre présence, s’arrêtant de temps en temps pour plonger le bec dans le sable détrempé. Le caractère idyllique est beaucoup moins évident pour quelques bivalves, autrement surnommés palourdes, qui sont en train de se faire déchiqueter par le bec des piafs.

Si les pauvres mollusques n’ont pas réussi à s’enfouir dans le sable, comme ils le font généralement, c’est encore la faute à un parasite, un autre trématode du nom de Curtuteria australis. Sa méthode à lui est un tantinet moins subtile. Pour pousser son hôte palourde à s’exposer à la prédation de son hôte final (les oiseaux, dans lesquels il pourra se reproduire), le trématode s’installe dans le pied du bivalve et se développe d’une telle manière qu’il modifie sa morphologie, le rendant inutilisable. Impossible de s’enterrer dans le sable sans ce précieux outil, les mollusques n’ont plus qu’à attendre de se faire picorer.


 
Pour ceux qui se demandent comment un bivalve peut s’enfouir lui-même dans le sable… et si vous avez un peu de patience !

Mais il y a une autre dimension à cette histoire. Les oiseaux ne sont pas les seuls prédateurs des environs, et quand la marée remonte, c’est aux poissons que les mollusques ont affaire. Ceux-ci viennent lui mâchouiller le pied, la partie qui dépasse de la coquille. Les choses se corsent pour lui, mais de toute façon il est déjà condamné. En revanche, cette deuxième menace n’est pas du goût des parasites qui se trouvent justement dans le pied. Finir dans un poisson, qui n’est pas un hôte approprié, c’est la mort assurée. Certains individus parasites ont, à l’instar de la douve du foie, trouvé la parade. Pourquoi prendre le risque de se faire avaler par de la poiscaille quand on peut attendre tranquillement au chaud dans la coquille du bivalve ? Ils se développent donc sans soucis dans une partie du mollusque où ils n’ont pas d’effet, laissant les plus braves faire le travail pour rendre l’hôte infirme.


Issue fatale pour le bivalve, salvatrice pour le parasite (Source)

Les deux trématodes ne sont pas des exemples isolés et prouvent que quelques parasites sont passés maîtres suprêmes dans une catégorie que beaucoup leur envient : non contents d’arriver à leurs fins en poussant leurs hôtes à faire ce dont ils ont besoin, certains parviennent même à leurs fins… en ne faisant absolument rien. 



Bibliographie :


Carney, W.P. 1969. Behavioral and morphological changes in carpenter ants harboring dicrocoeliid metacercariae. The American Midland Naturalist Journal, 82, 605–611.

Poulin, R., Fredensborg, B. L., Hansen, E., & Leung, T. L. F. 2005. The true cost of host manipulation by parasites. Behavioural Processes, 68(3), 241–244. 

Thomas, F., Poulin, R. 1998. Manipulation of a mollusc by a trophically transmitted parasite: convergent evolution or phylogenetic inheritance? Parasitology, 116, 431–436.



Sophie Labaude

jeudi 4 septembre 2014

Un nouveau casse-tête pour les zoologistes

Ça courrait dans les couloirs de mon université depuis quelques mois, mais enfin, hier, la description d’une nouvelle énigme zoologique a été publiée…

Il arrive que les zoologistes crient au nouvel animal. Et souvent, ça tombe dans une case qu’on connait. Pour n’en citer que deux jolis cas, le premier est celui des Concentricycloidea  (un nom bien barbare) pris pour un tout nouveau type d’échinodermes (oursins, étoiles de mer, plus d'infos ici, ou ), mais qui se sont révélés être seulement des étoiles de mer. Le second cas est celui de Buddenbrochia  (encore un avec un nom pas possible), longtemps resté une énigme zoologique totale (vraiment aucune idée, si ce n’est que c’est un animal), jusqu’à ce qu’on réalise que c’était un cousin des méduses, au sein d’un groupe bien connu de parasites.


Un Concentricycloidea à gauche et un Buddenbrockia à droite. A première vue ils ne ressemblent pas à grand-chose, et c’est bien pour ça qu’ils ont été des énigmes pendant un bout de temps. Source: paquerette de mer et ver mystère.



Hier, c’est un nouveau candidat au titre d’animal «incertae sedis » (placement incertain) qui a fait l’objet d’une publication. Et pour ne pas déroger à la règle des noms, il a été nommé Dendrogramma. Trouvé au fond des mers australiennes, de 400 à 1000 mètres de profondeur, cet humble animal d’un demi centimètre fait déjà beaucoup parler de lui. Alors, c’est quoi ce truc ? Il a été décrit comme un animal « non bilatérien », c'est-à-dire un animal qui n’est pas composé de deux côtés symétriques comme nous. Un animal sans avant, sans arrière, sans gauche, sans droite, mais avec une bouche (face orale) et un côté opposé à la bouche (face aborale). Comme expliqué précédemment (ici), définir un groupe sur une absence, c’est pas très élégant, et ça fait des groupes qui n’existent pas, comme les poissons. Le groupe des « animaux non bilatériens » donc, n’existe pas, mais la découverte d’un nouvel animal non bilatérien est quand même une belle trouvaille. Parce que les bilatériens comprennent plus de 95% des espèces animales décrites, et parce qu’il n’y avait jusqu’alors que 4 groupes d’animaux non bilatériens bien définis : les éponges de mer, les cnidaires (méduses et coraux), les gracieux cténophores et le mystérieux placozoaire (avec une seule espèce décrite). Autant dire que même si les cnidaires et les éponges contiennent un nombre raisonnable d’espèces, on n’a pas grand monde en dehors des bilatériens. En plus les relations de parentés entre les non bilatériens sont loin d’être établies et beaucoup de discussions persistent (voir les discussions sur SSAFT). Mais ce que cette histoire de Dendrgramma nous dit en plus c’est que notre nouvel ami pourrait nous en apprendre beaucoup sur les origines des animaux !


Une gracieuse méduse, un des animaux non bilatériens que vous connaissez le mieux. Source : spaghettis nageant

Euplectella, la délicate éponge de verre. Source : aille ça pique.

Un fragile cténophore, ces animaux qui donnent mal à la tête aux zoologistes. Source : cténotrofort.

Un heuu... Ttruc appellé placozoaire. C'est un blob plat, et jusque là, c'était le plus mystérieux des animaux non bilatériens. Source : pauvre animal délaissé.


Oui mais…
Mais la réalité en zoologie ce n’est pas toujours si simple et le matériel utilisé n’est pas en si bon état. Si bien que les auteurs du papier sont resté très prudents. Ils auraient pu décrire cet animal comme un nouveau phylum, le plus haut rang au sein des animaux, le Graal du taxonomiste. Qu’importe le nombre d’espèces dans un phylum (une pour les placozoaires, un million pour les arthropodes), les membres d’un même phylum sont organisés de manière suffisamment distincte pour être placés ensemble, mais sont suffisamment différents du reste pour qu’il soit, à première vue, difficile de les relier à un autre phylum. Bref, les auteurs ont rechigné à décrire les Dendrogramma comme un nouveau phylum. Pourtant, pour avoir discuté avec eux, les scientifiques qui ont relu et commenté leur article (c’est comme ça qu’on publie en science, des gens doivent approuver l’article avant) leur auraient même proposé de le faire. Alors, pourquoi ne pas avoir sauté le pas et ajouté un nouveau phylum aux animaux ? D’autant plus qu’un des auteurs en a déjà décrit 3, c’est pas comme s’il avait l’habitude (et j'en ai parlé ici !) ! Déjà, pas mal de gens n’aiment pas les « phylums », bah, c’est de la dispute de zoologistes, je ne rentre pas dans les détails. Ensuite, les organismes ont été mal fixés, c'est-à-dire qu’ils ont été récoltés il y a presque 30 ans et gardés de côté depuis. Malheureusement, aucun autre spécimen n’a été récolté depuis, malgré plusieurs essais. Ca implique que malheureusement, aucun ADN n’a été récolté. Et aujourd’hui, pour justifier une grande découverte zoologique, il faut de l’ADN (ça se critique ou pas, bref). Plusieurs scientifiques qui ont déjà commenté cette découverte ici (ça a fait beaucoup de bruit), prétendent qu’ils pourraient en extraire de l’ADN quand même. Toujours est-il que les auteurs de ce nouvel article n’avaient pas la possibilité de le faire, c’est comme ça. Et le matériel lui-même était vieux et difficile à étudier. Tellement que leur appartenance aux animaux elle-même a été mise en doute. En effet, les spécimens ont été récoltés en 1987, il y a 27 ans… Et les spécimens ont passé ce temps dans le formol et l’alcool, rendant leur morphologie difficile à interpréter. Ça implique aussi qu'ils ont été tués et conservés dès qu’ils ont été récoltés (c’est comme ça qu’on procède en mission en haute mer), si bien que ces animaux n’ont jamais été observés vivants !


Nos étranges Dendrogramma. Les larges avec une astérisque à gauche, sont une autre espèce que les autres plus petits. Source: la publication originale que vous devriez lire.

Alors, à quoi ressemblent nos nouveaux amis (attention, partie morphologie !). Deux espèces ont été décrites. En gros ce sont des disques avec une tige au milieu. Oui, ça ressemble à des champignons ! Cette tige porte la bouche à son extrémité (et les champignons n’ont pas de bouche, dommage), qui semble présenter des cellules glandulaires. Ces cellules permettraient de créer du mucus pour piéger les particules qui flottent dans le fond des mers Australiennes. Au sein de cette tige, la bouche débouche (forcément) sur un canal qui descend jusqu’au centre du disque et va se ramifier de manière dichotomique (deux par deux) jusqu’à atteindre les bords du disque. Ce canal semble remplis de larges cellules. Malheureusement comme les spécimens sont vieux, il est dur de savoir si ces cellules forment bien une cavité quand le spécimen est vivant et/ou se nourrit. Cependant, chez certains animaux, l’intestin au repos ne présente en effet aucune cavité. L’animal n’a que deux tissus cellulaires : des cellules « endodermiques » présentes dans ces tubes, et des cellules « épidermiques » présentes à l’extérieur de l’animal. Entre les deux se trouve une substance, la mésoglée, qui, selon les endroits, a une texture fibreuse ou spongieuse. Deux espèces ont été décrites. Une large, Dendrogramma discoides, dont le disque mesure autour d’un demi centimètre, et avec une tige courte et un disque bien rond, et une petite, mesurant autour de deux millimètres, avec une longue tige et une entaille dans le disque.



Détails de la morphologie de notre nouveau venu chez les animaux. Source: encore la publi orginale, allez, lisez là.

En réalité ces caractères (canaux, une bouche et pas d’anus, deux tissus, une mésoglée) sont présents chez les cnidaires et les cténaires, ces autres animaux non bilatériens que j’ai évoqué plus haut. Mais nos Dendrogramma ne présentent aucun des autres caractères spécifiques à ces deux groupes (que je ne vais pas détailler, à moins que vous me le demandiez), ce qui les en exclu. Cependant ils pourraient être de proches cousins. Malheureusement encore, les relations de parentés entre ces organismes sont encore mal comprises, la morphologie de ces organismes est mal préservée, et aucun ADN n’a été prélevé. Il va falloir attendre de nouvelles recherches. Et aux vues des nombreuses réactions déjà existantes, on espère que ça va aller vite. Une petite critique pourrait être faite : l’entaille de Dendrogramma enigmatica pourrait présenter une forme de bilatéralité, et donc ces animaux auraient en effet deux côtés, comme les bilatériens. Ceci dit, une petite touche de bilatéralité se trouve aussi chez les animaux non bilatériens : par exemple l’intestin des anémones l’est clairement. Rien de bien informatif donc, d’autant plus que Dendrogramma discoides ne présente pas cette entaille.

Les relations de parentés entre les animaux non bilatériens, les bilatériens et Dendrogramma vues par les auteurs du nouvel article. Source: mais vous allez le lire cet article oui ?


Aussi, d’autres hypothèses ont été proposées, lors de la publication, mais aussi après discussion avec quelques collègues hier. Est-ce que ça pourrait être des écailles de vers à élytres (souris de mer par exemple). Ces écailles n’ont pas de bouche, et même si l’image ci-dessous montre des similarités (l’aspect ramifié), elles ne sont que superficielles (ces ramifications sont des nerfs). Pareil avec les « pensées de mer » (traduit de l'anglais) qui y ressemblent fortement, mais qui ont une organisation très différente (c’est une colonie de petites animaux, apparentés aux coraux).

Harmorthoe, un ver à écailles. Et si Dendrogramma n'était que des écailles perdues ? Peu probable. Source : ver blindé.


Photo de microscopie confocale d'un écaille de ver à écailles. La ressemblance a un peu intrigué lers auteurs, mais non, ça colle pas. Source : la photo m'a été donnée par un collègue et ami à moi Brett.


Une "tapette de mer", Renilla reniformis. Un truc qui ressemble quand même au Dendrogramma... Source : cnidaire échoué.


Autre chose à se mettre sous la dent ? Oui, et pas n’importe quoi. Ce qui fait grand bruit avec cette découverte, c’est que ces animaux ont été comparés avec des fossiles qui datent du fond des âges, il y a 600 millions d’années, probablement pas bien longtemps après que les animaux soient apparus. Ces fossiles datent de l’édiacarien, où les animaux présentaient des formes étranges, et encore, l’appartenance de ces fossiles aux animaux a elle aussi été discutée (tiens tiens, comme les Dendrogramma). L’organisation des canaux et l’aspect discoïdal ressemble fortement. Mais y’a un hic, comme toujours, c’est que les canaux de ces animaux Ediacariens présentent une symétrie en trois au centre, alors que les Dendrogramma n’ont que deux canaux qui partent du centre. Une histoire à creuser donc, mais passionnante. Qui sait, ces étranges organismes du fin fond des âges pourraient avoir survécu finalement ! Jusqu’alors les pauvres avaient été décrits comme un échec de l’évolution (et ça, ça m’énerve en plus !), ce serait un bel exemple d’une incroyable découverte de quelque chose que l’on pensait disparu. Et même si c’était une convergence évolutive, ça montrerait que ces organismes n’étaient pas tellement un échec, et que d’autres animaux les ont même copié (bien sûr pas consciemment, on parle d’évolution quand même) !


Reconstitution, pas très artistique de Rucognites, un des vieux trucs fossiles qui ressemble quand même drôlement à Dendrogramma. Source : Notre ami wikipédia

Une reproduction plus artistique, de la faune d'Ediacaria. Source: vieux animaux.

Pour finir, je dirais que malgré cette effervescence autour de cette découverte, il faut rester prudent, tout comme les auteurs l’ont fait. Il faut toujours le temps pour qu'une nouvelle découverte scientifique se décante. Que la communauté scientifique commente et critique, qu’elle lance de nouvelles recherches. Comme l’a dit l’un des auteurs dans une interview « cette publication est un appel à l’aide » et à la vue des premières réactions, il a été entendu. Et dans tous les cas, il fallait bien publier ça, même si les résultats sont incomplets, ça stimule la communauté et nous fait rêver : au fin fond des mers il y a encore plein de belles découvertes. 

Pour aller plus loin :

L'article original, quand même : 


Et pour les curieux, un article où je parle, entre autre d'autres découvertes similaires passées d'un des auteurs de l'article dont j'ai parlé ici : vers infiniment petites et au delà !




Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...