mercredi 30 novembre 2011

A History of Fish 1 : Sans mâchoires y a de l'espoir !

Ce blog s'appelle "les poissons n'existent pas". Il est grand temps pour moi de vous parler de poissons, ou plutôt de pourquoi ils n'existent pas. D'abord, voyons quels organismes on qualifie de "poissons".
Parler de "poissons", c'est parler de vertébrés. Qu'est-ce qu'un vertébré ? Un animal avec des vertèbres ? Malheureusement, c'est plus compliqué que ça ! 
Dressons le portrait-robot du "vertébré-cliché", l'animal qui concentre toutes les caractéristiques qu'on associerait à première vue à ce groupe :

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Un animal au corps allongé,  à symétrie bilatérale (un côté gauche et un côté droit, si vous préférez), avec des membres pairs (un de chaque côté). Il aura aussi éventuellement des appendices impairs (c’est-à-dire un seul pour les deux côtés) : pensez aux ailerons des requins, par exemple. Il aura une queue, une bouche à l'avant, entourée de mâchoires, un anus à l'arrière, deux yeux, deux capsules nasales et deux capsules auditives. A l'intérieur, on aura un cerveau prolongé par la moelle épinière dorsale, un cœur ventral et enfin un squelette interne dont un crâne qui entoura la tête. Ce squelette est constitué de carbonate de calcium, donc mangez du yaourt, les kids !
Ah oui, et j'ai oublié les fentes branchiales à l'arrière de la tête.
Comment ça "moi je suis un vertébré et j'ai pas de branchies" ? Certes, mais à l'âge adulte ! Chez les embryons de tétrapodes (les vertébrés terrestres, nous y compris), les fentes branchiales sont bien présentes avant de se résorber chez l'adulte. Et puis en ce qui concerne leurs structures associées, les arcs branchiaux… on en reparlera plus tard.

Finalement, ce vertébré "idéal" ressemble pas mal à un poisson… Vous voyez, quand je vous disais que parler des poissons c'est parler des vertébrés en général ! Et si on fait abstraction de certains caractères particuliers que nous avons, nous aussi ressemblons pas mal à ça ! Mais on y reviendra.
Bon, maintenant allons voir plus loin que ce "plan" idéal. En réalité, tous les vertébrés ne possèdent pas tous ces caractères, loin de là. En fait, les nouvelles classifications impliquent que tous les vertébrés n'ont même pas…de vertèbres !

Si vous voulez un caractère qui permet de reconnaître à coup sûr un vertébré, le voici : les vertébrés ont des cellules de la crête neurale. Ces cellules, qui vont se séparer de la paroi dorsale de l'embryon pendant son développement (celle qui deviendra le système nerveux), sont à l'origine de tout un tas de structures propres aux vertébrés : les os de la face, les dents, la gaine qui entoure les neurones, les cellules pigmentaires… Pour l'instant on ne connaît des cellules de la crête neurale que chez les vertébrés.
Les vertébrés ont également des placodes, des zones épaissies sur les côtés de la tête de l'embryon. Elles donnent nombre de structures sensorielles elles aussi propres aux vertébrés : le cristallin de l'œil, la couche de cellules sensorielles présentes dans les narines et les oreilles, et le système de ligne latérale, des cellules qui détectent les mouvements d'eau chez les vertébrés aquatiques.
Enfin, tous les vertébrés connus ont également un crâne qui entoure le  cerveau. Ce crâne, selon les groupes, peut être constitué d'os ou de cartilage (ce même cartilage qui est présent chez nous, par exemple aux articulations, au bout du nez, dans les oreilles…).


Les vertébrés ont une longue histoire. Les plus anciens connus remontent au Cambrien, il y a environ 530 millions d'années. Le Cambrien est la période pendant laquelle on observe les premiers fossiles de la plupart des grands groupes d'animaux, les arthropodes (comme les insectes et les araignées) et les mollusques (dont on a déjà parlé) par exemple.
  
Haikouichthys. Crédits : Wikipédia© 2003 Nature© 1999 Nature

Haikouichthys (voir ci-dessus) est le premier vertébré connu. Il provient de Chine, de l'écosystème dit de Chengjiang, qui nous a livré de magnifiques fossiles de toutes sortes d'animaux tous plus fous les uns que les autres. Malheureusement, ils sont tout aplatis, ce qui ne facilite pas l'observation de l'anatomie.
A première vue, Haikouichthys ressemble pas mal à un céphalochordé, qui n'est pas un vertébré (c'est quoi déjà un céphalochordé ?). Mais dans sa tête, les chercheurs ont observé des taches paires, qui pourraient bien être des yeux, des cavités nasales, et des capsules auditives. L'association de ces trois éléments fait bien penser à un vertébré. Pour couronner le tout, des petites taches en série le long du dos de l'animal font furieusement penser à des vertèbres. Comme ces marques ont été observées dans des centaines de spécimens, on considère qu'elles correspondent bien à des structures réelles de l'animal.

Mais Haikouichthys n'avait encore pas tout du vertébré idéal, loin de là ! C'était un animal tout mou, sans os, et il n'avait ni nageoires paires, ni mâchoires…
Parlons-en des mâchoires justement. Figurez-vous que même  aujourd'hui certains vertébrés n'en ont pas ! Ce sont les lamproies et les myxines.


Lamproie marine (Petromyzon marinus). Crédits : ARKive

Voici la lamproie. Comme vous pouvez le voir c'est un animal allongé, sans nageoires paires, mou, et sans écailles. Son squelette interne est entièrement cartilagineux. Elle est peut-être familière à certains d'entre vous : les espèces européennes, si elles vivent en mer, se reproduisent en eau douce (comme les saumons). On parle d'espèce anadrome. En plus, il paraît que c'est très bon à manger !

Lamproie de rivière (Lampetra fluviatilis). Crédits : ARKive

Ce qu'elle aime, la lamproie, c'est parasiter d'autres "poissons" en se collant à eux (voir ci-dessus) et en leur suçant le sang à l'aide de sa bouche que voici :


La bouche-ventouse d'une lamproie marine (Wikipédia)

Une sorte de ventouse ronde, plein de petites dents et une structure en forme de piston (au milieu), qui va râper les chairs, mmmh !

Autour de cette bouche, il n'y a pas de mâchoires, juste un anneau de cartilage.
A noter que les larves des lamproies (appelées ammocètes) se nourrissent de manière très similaire aux céphalochordés (c'est quoi déjà un céphalochordé ?) : elles filtrent l'eau avec les fentes de leurs pharynx.

La lamproie est étrange, mais pas autant que la myxine, dont voici l'adorable frimousse : 

La bouche de la myxine Myxine glutinosa (crédits).

Ne vous laissez pas prendre par les apparences : les rangées de dents qu'on voit ne sont pas des mâchoires, mais bien une "langue-piston" similaire à celle des lamproies. Leurs yeux ne sont pas visibles car ils sont couverts par une couche de peau et de muscles.
Les myxines vivent plutôt dans les profondeurs marines. Elles restent enfouies dans la vase pendant la journée, et sortent la nuit, pour chasser ou se nourrir des cadavres qui tombent au fond (comme les baleines par exemple). Vous pouvez voir ci-dessous une carcasse de baleine filmée à différentes étapes de sa décomposition. Toutes les petites bêtes qui ondulent au début sont des myxines ! A noter qu'on y voit aussi des vers polychètes du genre Osedax, que l'on trouve uniquement fixés dans les os des baleines mortes. Ces vers font partie de la famille des Siboglinidae, dont on a déjà parlé ici



Les myxines ont aussi l'amusante particularité de produire un mucus (une sécrétion visqueuse) en grande quantité quand on les dérange. Regardez (ci-dessous) la quantité impressionnante de mucus que cette myxine produit !



Ce mucus a un rôle de défense contre les prédateurs, comme on peut le voir sur cette série de vidéos filmées en profondeur :  




Les prédateurs qui essayent de boulotter ces myxines repartent sans demander leur reste, la bouche pleine de mucus ! (Regardez aussi, vers 2:50, la myxine faire un nœud avec l'arrière de son corps pour s'enfoncer dans le sédiment et attraper une proie).
Il paraît que dans certaines régions d'Asie de l'est, le mucus des myxines est consommé en cuisine, un peu comme du blanc d'œuf…

Nous l'avons vu, les myxines n'ont pas de mâchoires. Mais elles n'auraient pas non plus de vertèbres, étonnant pour un organisme que l'on classe dans un groupe nommé "vertébrés" ! Par contre, les lamproies ont des petites vertèbres rudimentaires et cartilagineuses. De la même façon, les myxines sont les seuls vertébrés à ne pas avoir de nerf qui contrôle les battements du cœur. Cette anatomie a longtemps fait penser à une plus grande parenté des lamproies avec les autres vertébrés (qui ont tous des vertèbres, eux) qu'avec les myxines. Aujourd'hui, les analyses génétiques semblent au contraire démontrer que les lamproies et les myxines forment un groupe monophylétique (ça veut dire quoi, "monophylétique" ?) : les cyclostomes. Ce groupe serait caractérisé par cette structure particulière que j'ai appelée "langue-piston", et par certaines séquences d'ADN bien particulières… Les myxines auraient perdu certains caractères au cours de l'évolution, comme le contrôle nerveux du cœur ou les vertèbres. Des études récentes sur des embryons de myxines ont d'ailleurs mis en évidence la présence de petites structures qui seraient les restes de ces vertèbres perdues… Aussi étonnant que ça semble paraître, les myxines semblent donc être des vertébrés très modifiés, par la perte de tout un tas de structures. Cela n'est pas sans rappeler les Acoelomorpha et Xenoturbella, dont on a déjà parlé, avec leur morphologie très modifiée.

Avec les lamproies et les myxines, on a donc des vertébrés sans os, sans mâchoires et sans membres pairs. Diantre ! Tous ces caractères seraient donc apparus au fur et à mesure au cours de l'évolution ? Ou alors ils ont été perdus chez les lamproies et les myxines ? Les fossiles peuvent nous éclairer à ce sujet.

Sacabambaspis. En haut, le fossile découvert en Bolivie. En bas, une reconstitution. Crédits : P. Janvier, Tree of Life

Voici Sacabambaspis (ci-dessus). C'est un vertébré fossile de l'Ordovicien (il y a environ 450 millions d'années), découvert en Bolivie par une équipe du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris. A l'avant, on peut voir sa bouche, entourée par les yeux. Lui non plus n'a pas de membres pairs, ni de mâchoires. Mais il a un truc en plus par rapport aux lamproies et aux myxines : un énorme bouclier osseux qui couvre tout l'avant du corps. De l'os, comme chez la plupart des vertébrés actuels ! Cette petite bête pourrait donc plus proche de nous, les vertébrés osseux, que des lamproies et des myxines, car nous partageons le caractère "squelette constitué d'os".
Pour qualifier l'ensemble de ces "poissons" sans mâchoires avec un bouclier à l'avant du corps, on a forgé un nom : "ostracodermes", ce qui veut dire " coquille sur la peau". Les ostracodermes ont eu une histoire florissante, et on retrouve leurs fossiles en grande quantité dans les gisements de l'Ordovicien, du Silurien et du Dévonien (ce qui constitue quand même un "règne" de plus de 100 millions d'années !).

En haut reconstitution de divers "ostracodermes" du groupe des ostéostracés. Zenaspis est en bas à gauche. En bas, le fossile de Zenaspis. Crédits : Philippe Janvier, Tree of Life

 Voici Zenaspis (ci-dessus), un autre "ostracoderme", du Dévonien cette fois (à peu près 400 millions d'années). Sur la reconstitution (en haut, individu en bas à gauche), on peut voir que lui aussi a un bouclier à l'avant du corps (cette fois-ci constitué d'une seule plaque). Sa bouche (non visible car elle est ventrale) n'a pas de mâchoires : c'est juste un orifice dans le bouclier osseux. Mais regardez bien, à l'arrière du bouclier : on voit deux petites nageoires en forme de lobe. Des nageoires paires, les nageoires pectorales. Vous aussi vous avez des "nageoires pectorales" : vos deux bras !
Les "ostracodermes" du groupe des ostéostracés, comme Zenaspis, seraient donc plus proches de nous que de toutes les autres bestioles que l'on a vues jusqu'à présent ! Finalement, pour en arriver au "poisson" idéal du début à partir de Zenaspis, il ne manque plus grand-chose, dont des mâchoires ! Celles-ci sont propres au clade des gnathostomes, les vertébrés à mâchoires, dont je vous reparlerai dans un prochain article.

Les fossiles que l'on vient de voir nous démontrent une chose : à part certaines pertes de caractères qui ont eu lieu chez les myxines, leur anatomie à elles et aux lamproies est bien due à une absence ancestrale. En d'autres termes, l'os et les membres pairs sont apparus une seule fois : au sein de la lignée qui comprend les gnathostomes et les "ostracodermes". Les fossiles nous montrent des organismes qui présentent des combinaisons de caractères que l'on ne voit pas dans la nature actuelle. Ils sont donc très importants pour reconstituer l'évolution de ces caractères.

Avant de partir quand même, un petit arbre récapitulatif (eh oui, on aime bien les arbres ici !) :


Les caractères qui apparaissent aux nœuds sont : 1) crête neurale ; placodes épidermiques ; crâne ; vertèbres ; 2) "langue-piston" ; 3) os dermique ; système de canaux sensoriels de la ligne latérale ; 4) nageoires pectorales ; nageoire caudale avec un lobe dorsal. Les myxines sont caractérisées par une perte des vertèbres. Les gnathostomes sont caractérisés par la présence de mâchoires.


Les lecteurs les plus attentifs l'auront remarqué : certains de ces "poissons" sans mâchoires "ostéostracés" sont plus proches des gnathostomes (les vertébrés à mâchoires, c’est-à-dire nous) que d'autres "poissons" sans mâchoires "ostéostracés". Les "ostéostracés" sont donc un groupe paraphylétique, un groupe qui n'existe pas en systématique moderne (comme nous l'avons déjà expliqué ici). Mais surtout, les "ostéostracés", les lamproies et les myxines sont tous des "poissons" au sens traditionnel du terme. La conclusion est donc la même pour les "poissons". Vous commencez à comprendre le titre de ce blog ? Ah, mais ce n'est pas fini ! La suite au prochain numéro !


Quelques liens vers des articles scientifiques sur le sujet :
  • L'article qui soutient la présence de vertèbres chez les embryons de myxines : par ici
  • Article de P. Janvier (CNRS) sur la monophylie des cyclostomes : par là 
  • Article de P. Janvier sur l'évolution des "poissons" sans mâchoires : hop ! 



La phylogénie des deutérostomiens, encore une affaire pleine de rebondissements.

Hey lecteur sais tu que tu es un deutérostomien  ? Sisi ! Ha oui, qu'est-ce qu'un deutérostomien... Ce mot vient de deutéro "deuxième" et "stomo" bouche (du Grec). Ce qui signifie que la bouche se forme en deuxième chez l'embryon après... L'anus ! Oui, il a eu un moment dans ta vie où tu n'étais qu'un cul... Dur dur hein ? Ho disons le plus poétiquement alors : le blastopore donnera l'anus en premier... Le blastopore c'est le premier "trou digestif" de l'embryon. Bon mais c'est bien chouette tout ça mais alors ? Ben alors les humains sont au même titre que les étoiles de mer des deutérostomiens (j'en ai parlé par-ci par-là dans le blog). Vous n'avez rien à voir avec une étoile de mer protesterez vous... Et bien si, embryonnairement parlant vous en êtes très similaire. C'est plus tard au court du développement que les choses se gâtent (au cours du développement de cet article aussi vous verrez). 

Les deutérostomiens sont un des deux grands groupes d’animaux à deux côtés, les "bilatériens", l'autre groupe de bilatériens étant les protostomiens (cf la phylogénie animale une affaire pleine de rebondissements). Les protostomiens comprennent les « invertébrés » (cf les mystères de la phylogénie) que vous connaissez le mieux : mollusques, insectes, vers de terre etc. Les deutérostomiens comprennent les vertébrés, les étoiles de mers et quelques autres groupes qu'un non biologiste a peu de chance de connaître. Soyez heureux ! Si vous arrivez à la fin de cet article vous allez les connaître ! Le groupe des deutérostomiens est donc un large groupe et on peut penser que son évolution est bien connue depuis un bout de temps vu que nous y appartenons et que la grande injustice zoologique veut que l'on s’intéresse quasiment toujours plus à ce qui est proche de l’homme.

Voici un comparatif très simplifié du développement embryonnaire précoce chez les deutérostomiens et les protostomiens. Bon, vous me direz ça ne ressemble pas à grand chose. Source de l’image : comparatif proto/deutéro


Commençons par présenter les sympathiques protagonistes de cette histoire :

Les Vertebrata (vertébrés pour les intimes) sont des animaux à vertèbres et à crâne. Oui, vous en êtes ! On y retrouve la plupart des animaux que vous connaissez bien, mais certains ont un crâne sans avoir de vertèbres. C'est la curieuse myxine. Tous les vertébrés ont au moins chez l'embryon une chorde (ou corde), un axe rigide cartilagineux dans le dos qui sert entre autre de squelette de soutien. Notre colonne vertébrale la remplace en quelque sorte plus tard dans le développement. Au moins originellement  (c’est à dire au moins chez leurs ancêtres), les vertébrés ont un appareil branchial (la zone qui porte les branchies) qui se forme à partir du tube digestif et qui est percé de trous pour laisser passer l'eau.

Exemple de Vertebrata (même si celui-ci n’a pas de vertèbres). Voici la curieuse myxine imitant le sac de nœud phylogénétique dans lequel je me prépare à vous emmener… Source de l’image : Myxine en nœud

Les Cephalochordata (céphalochordés pour les intimes) sont de petits « vers » à l'allure de "poisson" qui restent dans le sable et filtrent les particules. Ils ont aussi une chorde et celle ci va jusqu'à la tête d'où leur nom "Cephalochordata" qui signifie "chorde dans la tête" (cephalo = tête en grec et chordata simplement corde en latin). Les Cephalochordata ont eux aussi le même type d’appareil branchial que les vertébrés. Tout comme les vertébrés, ces animaux ont des muscles en bandes... pensez simplement à vos muscles abdominaux.


Exemple de Cephalochordata. Voici l’Amphioxus ou lancelet. C’est un cephalochordata. Source de l’image : lancelet

Les Urochordata (urochordés ou tuniciers pour les intimes) ont la chorde dans la queue cette fois ci. Mais seulement à l'état adulte beaucoup d’entre eux perdent cette chorde contrairement à certains vertébrés  (esturgeon, lamproie) et à tous les céphalochordés qui la gardent toute leur vie. Ces animaux sont pour la plupart très étranges. A un stade de leur vie ils se fixent à la roche ou autre et y restent toute leur vie. La chorde va disparaître comme chez certains vertébrés  (par exemple chez nous la chorde est totalement remplacée par les vertèbres) et les branchies vont se développer énormément pour filtrer la nourriture en suspension dans l'eau et respirer. Vous l'aurez compris, ces animaux aussi ont le même type d’appareil branchial que nous.

Exemples de d’Urochordata. A gauche, une ascidie. A droite Oikopleura dioica. Si l’ascidie ressemble à un gros sac et perd sa chorde lors de son développement, Oikopleura lui garde sa chorde qui est présente dans sa queue et ressemble à un têtard. Source des images : Ascidie et Oikopleura.

Les Hemichordata (hémichordés pour les intimes), j'en ai parlé (cf le top 5 des animaux obscènes), ce sont les vers pénis mais aussi d'autres organismes étranges dont je vous épargnerais les détails de peur d'être trop long (ils sont si passionnants que je m'emporterais). Les hémichordés ont une "stomochorde" c'est à dire une sorte de bâtonnet de soutien très petit et confiné à leur partie avant. Ils ont un appareil branchial comme le nôtre. Les Hemichordata ont aussi un système nerveux qui n’est pas regroupé en nerfs et en ganglions mais en un ensemble diffus  situé en contact de la peau (ou épiderme) : ils sont «épithéloneuriens».

Exemple d’Hemichordata : le balanoglosse ou ver pénis. Source de l’image : Blanoglossus.
Il est temps de s’arrêter brièvement pour comparer les Hemichordata et les Cephalochordata…

En haut un Hemichordata. En bas, un Cephalochordata. Remarquez la similitude de l’appareil branchial. La stomochorde n’est pas délimitée sur le schéma mais elle est à peu près là où indiquée. Remarquez aussi la différence de position du système nerveux. Source de l’image : un peu de comparaison

Les Echinodermata (échinodermes pour les intimes) sont des animaux à 5 cotés... Enfin, pour faire compliqué, ce n'est pas le cas de la larve qui a deux cotés comme nous. Ces animaux ont un système nerveux diffus, comme les Hemichordata. Vous connaissez au moins l’étoile de mer et l’oursin et très probablement le concombre de mer.

Exemples d’Echinodermata. A gauche deux étoiles de met prises en plein acte obscène, au milieu un oursin crayon et à droite un concombre de mer. Source : Etoiles de mer exhibitionnistesoursin crayon , concombre coloré.


Maintenant que vous avez fait la connaissance de tout ce beau monde, quelle classification leur a t-on donné ? Suivez le raisonnement phylogénétique et vous devrez la comprendre : 
Tous ceux-là sont des deutérostomiens, on peut déjà les regrouper au sein des Deuterostomia. Céphalochordés et vertébrés ont des muscles en bandes. Hop, on les regroupe dans un groupe au nom barbare : les "Myomerozoa" ce qui signifie en gros "animaux avec des muscles en bande". Myomérozoaires et urochordés ont une belle chorde bien foutue sur tout le long du corps ou presque. On va les regrouper sons le nom de "Chordata", hop, c'est réglé. Hémichordata et Chordata partagent quelque chose de ressemblant, la chorde et la stomochorde. Mais vous verrez, ça se ressemble trop peu. Par contre ils partagent un bel appareil brancial, on va les appeler "Pharyngotrema" de pharynx et trema (du Grec) signifiant trou : ce sont les trous de l'appareil digestif qui forment l’appareil branchial. Les Echinodermes eux sont à part mais restent des deutérostomiens.

Présentons maintenant cette vision des relations de parentés entre Deutérostomiens :


Arbre phylogénétique (évolutif) « classique » des Deuterostomia. Remarquez que le vertébré est surpris de se retrouver au milieu de tout ce bordel... Source des images : Echinodermata , Hemichordata , Urochordata, Vertebrata, Cephalochordata.


Pour lire cet arbre c’est simple. Par exemple on peut dire ici que Vertebrata et Cephalochordata appartiennent au groupe des Chordata. Ce qui signifie aussi que Vertebrata et Cephalochordata sont plus proches  entre eux qu’ils ne le sont des Echinodermata. Ou encore que les Chordata on un ancêtre commun qui avait une chorde, qui n’est pas celui des Echinodermata. Il n’est pas question de savoir lequel ici est le plus évolué mais qui est plus proche de qui.

Voilà voilà c'est très joli tout ça mais... Aujourd'hui la classification des deutérostomiens est tout à fait différente ! Rha pourtant c'était tout bien rangé, les systématiciens sont pourtant là pour mettre de l'ordre ! Oui mais l'ordre le plus intuitif n'est pas toujours le plus naturel. Or de nouveaux caractères sont parfois découverts qui chamboulent tout. La comparaison de l'ADN n'y étant pas pour rien non plus.

Premièrement les Hémichordés comme je l'ai dit ont une stomochorde... Mais celle ci se forme totalement différemment de la chorde des chordés. L’argument de la chorde, bien que séduisant ne tient finalement plus très bien. De plus, les hémichordés ont eux aussi un système nerveux épithéloneurien comme les échinodermes... Haaa mais ils ont aussi un développement similaire aux échinodermes et des larves semblables. Faudrait-il les mettre ensemble ? L'ADN et certaines analyses en morphologie (contrairement à ce qu'on pourrait penser) sont formels : oui. On va appeler ce nouveau groupe Ambulacraria en rapport avec un système de cavité appelé "système ambulacraire " chez les échinodermes (qui est un système de circulation d’eau de mer). Ha mais c'est bien joli tout ça mais que fait-on de l’appareil branchial ? Contrairement à la chorde et à la stomochorde qui au final ne se ressemblent pas plus que ça, l’appareil branchial des Hemichordata lui ressemble bien à celui des Chordés. Or les échinodermes n’en n’ont pas. On est donc obligé de supposer que les échinodermes avaient un appareil branchial qu'ils ont perdu.  


Certains fossiles laissent supposer ça : les Stylophora, des fossiles, rappelant furieusement des échinodermes, bien que très bizarres laissent penser qu'il avaient un appareil branchial. Tout va finalement  pour le mieux dans le meilleur des mondes... Mais, certains plaisantins ont eu la bonne idée de proposer une nouvelle théorie pour l'interprétation de la morphologie des échinodermes (la théorie EAT, j'y reviendrai probablement plus tard puis elle n'est pas facile à expliquer) qui ne considère plus les Stylophora comme d'anciens échinodermes avec branchies mais comme des échinodermes proches de ceux qu'on a aujourd'hui qui auraient perdus leur branchies depuis longtemps. La discussion est encore en cours mais zut ! Ce n'est plus si simple !

A gauche, un fossile de Stylophora… Mouais c’est de la paléontologie hein, on ne voit pas grand chose même si le fossile est assez joli. A droite, schéma plus simple d’un Stylophora avec trois interprétations morphologiques différentes. En a et en c, on a l’hypothèse « chordé » où les stylophora ne seraient finalement pas des échinodermes mais des animaux plus proches des Chordata. En d, l’hypothèse où les Stylophora sont des échinodermes modernes et en b, l’hypothèse selon laquelle les Stylophora seraient des échinodermes proches des actuels sans y être inclus. Evidement vous n’avez pas à comprendre tout ça, c’est juste pour montrer que leur morphologie peut être interprétée de différentes manières. Sources des images : Cothurnocystis et Morphologie des Stylophora.


Mais attendez, attendez ! les choses vont continuer à devenir plus complexes  ! Admettons les Ambulacraria, ça tient bien même si on ne comprend pas très bien ce que les Echinodermes ont fait de leur appareil branchial (si on rangeait aussi...). L'Amphioxus, le petit céphalochordé, il ressemble quand même rudement à un vertébré avec ses muscles en bandes. Oui mais avouons le, les urochordés, à part la larve, eux ils ressemblent à rien alors bon, ça se trouve ils sont tellement modifiés qu'ils sont plus proches des vertébrés qu'on ne le pense. Paf ! Dans le mille ! les urochordés seraient plus proches des vertébrés que des céphalochordés. Rhaaaa ! Mais ça ressemble à rien ce groupe ! l'ADN l'a suggéré en premier puis la façon dont les gènes sont exprimés dans le développement aussi (oui un gène ça s'exprime, ça parle, si on sait l'écouter, on peut savoir où il agit dans le corps de l'animal). En gros la morphologie vient le confirmer. Le nom de ce groupe contenant les urochordés et les vertébrés ? Olfactores puisque qu’un organe impliqué dans l’olfaction (l’odorat) serait présent chez les vertébrés et les urochordés mais pas chez les céphalochordés. 

Mais j'ai pas fini ! Ok on avait des groupes au départ on a tout chamboulé que peut-il y avoir encore ? A part enlever ou rajouter des groupes... Oui déjà on en a retiré, je vous renvoie à mon article à propos des Siboglinidae (d’ailleurs ce ne sont pas les seuls mais là je deviendrais vraiment long). Mais on en a aussi rajouté, je vous renvoie au même article à propos de Xenoturbella. Pour les flemmards je vous rappelle un peu tout ça. Xenoturbella pris en premier lieu pour un ver plat (proche du ver solitaire) puis ensuite considéré comme un mollusque s'est retrouvé projeté d'un coup chez les deutérostomiens. La structure de sa "peau" rappelle timidement celle des hémichordés. L'ADN le suggère aussi fortement. Soit, admettons, au point où on en est et vu que Xenoturbella ne ressemble pas à grand chose non plus on n’a pas beaucoup le choix. Xenoturbella serait donc proche des Ambulacraria dans un groupe appelé Xenambulacraria. Cependant ce résultat est de plus en plus largement accepté.


Xenoturbella, appartenant aux Xenoturbellida. Source de l’image : Xenoturbella.


Voici la situation aujourd’hui…

Mais restez assis ! Il reste encore des choses à dire ! C'est la situation aujourd'hui mais il est possible que nous les deutérostomiens accueillions de nouveaux venus ! Les Acoelomorpha ! Pour la petite histoire, le plus connu de ce groupe est un petit ver vert découvert en France à Roscoff. Ce petit ver vit en symbiose avec des algues (Aurélide vous parlera d’un mollusque qui copie furieusement notre ver vert). Symsagittifera roscoffensis, puisque c'est comme ça que s'appelle ce petit ver, grandit avec des « algues » en lui qui lui apportent de l’énergie. Bref, il y a d'autres vers dans ce groupe qui encore une fois ne ressemblent à pas grand chose. Supposés pendant longtemps comme proche des bilatériens (animaux à deux côtés), sans y être invités, une étude récente avec plein d'ADN et des calculs super compliqués en méthodes probabilistes en "Bayesian Inference" avec des "mixture model" en "General Time Reversible"  (ça claque) semble suggérer que les Acoelomorpha seraient donc des deutérostomiens proches de Xenoturbella. En fait une étude ADN précédente avait suggéré que Xenoturbella et les Acoelomorpha sont proches entre eux mais que cet ensemble est proche des animaux à deux côtés sans en être (oui, Xenoturbella a beaucoup voyagé). Puisque les Acoelomorpha et les Xenoturbellida ont aussi des caractères morphologiques en commun et que Xenoturbella a lui même des caractères morphologiques en commun avec les Ambulacraria (Etoile de mer et ver pénis), finalement cette hypothèse qui demande à être confirmée ne semble pas si farfelue. Xenoturbellida et Acoelomorpha sont regroupés sous le nom super barbare des « Xenacoelomorpha »… Oui quand on contracte des noms barbares ça donne ça ! Les zoologistes sont fort à ce jeu.


Exemples de vers Acoelomorpha : A gauche Symsagittifera roscoffensis, le ver de Roscoff et de jolies acoeles d’Indonésie. Source des images : adorables Symsagittifera et jolis acoeles.


Ho, je passe outre le problème de l’appareil branchial qui se complique avec la venue des Xenoturbellida et des Acoelomorpha qui eux n'en n'ont pas, à proximité des Hemichordata. D’ailleurs ce n’est pas la seule perte, cette position des « Xenacoelomorpha » implique la perte de plein d’autres caractères au cours de leur évolution (la bouche par exemple est perdue chez les Xenacoelomorpha). Alors soit ce n’est pas interprétable morphologiquement et on a des caractères qui ont disparus sans explication, ce qui pose un sacré problème (faut pas déconner non plus ho les zoologistes !), soit on devrait trouver une trace de ces caractères. Parions que beaucoup de recherches se feront prochainement pour résoudre le mystère des caractères perdus... Et je vous passe aussi quelques problèmes au sein des vertébrés, notamment cette histoire de myxine sans vertèbres qui va être traité par Donald...

Voici donc une proposition de l’arbre des deutérostomiens plus « actuelle ». La position des Acoelomorpha est encore très incertaine. Celle de Xenoturbella moins mais restons prudents…


Le « nouvel arbre » des deutérostomiens. Et oui, ça a bien changé ! Source de l’image des deux nouveaux invités : Symsagittifera roscoffensis et Xenoturbella.


Pour aller plus loin :

-Classification phylogénétique du vivant de Guillaume Lecointre et Hervé le Guyader, éditions Belin. Vous y trouverez le vieil arbre des deutérostomiens et les arguments qui le soutien.

-Article de blog (en anglais) : Our faceless cousins ? Du blog Catalogue of Organisms.

-Cameron C. B. 2005. A phylogeny of the hemichordates based on morphological characters. Canadian Journal of Zoology. 83, 196–215.
-Clausen S. et Smith A, B. 2005. Palaeoanatomy and biological affinities of a Cambrian deuterostome (Stylophora). Nature. 438 (17), 351-354.
-Delsuc F., Brinkman F., Chourrout D. et Philipe H. 2006. Tunicates and not cephalochordates are the closest living relatives of vertebrates. Nature. 439.
-Philipe H., Brinkmann H., Copley R. R., Moroz L. L., Nakano H., Poustka A. J., Walberg A., Peterson K. J. et Teldford M. 2011. Acoelomorph flatworms are deuterostomes related to Xenoturbella. Nature. 470, 255-260.
-Swalla B. J. et Smith A. B. 2008. Deciphering deuterostome phylogeny : molecular, morphological and palaeontological perspectives. Philosophical Transactions of the Royal Society. 363, 1557-1568.



mercredi 23 novembre 2011

Ne sous-estimez jamais les mollusques…

Souvent le mollusque porte l’image d’un animal mou amorphe et sans force. Lorsque quelqu’un manque de volonté en général on le traite de mollusque. Le mollusque étant simplement considéré comme un animal mou, certains assimileront tout « invertébré » mou à un mollusque. Ils sont aussi vus comme des animaux lents et baveux, à la limite du dégoûtant. Bref, ces pauvres animaux sont souvent mal considérés par la majorité des gens. Pourtant le terme « mollusque » a bien une signification précise en biologie et ce groupe est si vaste qu’il est à même de surprendre les plus blasés. Donnons déjà quelques exemples : l’escargot, le bigorneau, la pieuvre, le calmar, l’huître, la moule… Un point commun entre tous ces mollusques ? A la gueule, comme ça, pas trop. Bon, sinon, on les mange ! Mais les mollusques ne sont pas seulement intéressants qu’en termes culinaires…

Un étalage de mollusques. Vous les connaissez probablement plutôt sous cette forme mais continuez de lire cet article pour les découvrir dans d’autres contextes… Source de l’image : « étalage de pauvres mollusques » 

Déjà qu’est-ce qu’un mollusque ? Le terme « mollusque » signifie effectivement « mou » en latin. Difficile de les défendre dans ce cas. C’est bien pour ça que leur réputation a la coquille dure... Coquille dure ? Oui, la plupart des mollusques ont une coquille dure. Certains n’en n’ont pas comme la pieuvre ou la limace. Mais comme pour le serpent et ses pattes, c’est qu’en fait la coquille est régressée dans ces cas-là. Mais ce n’est pas le seule caractère particulier des mollusques :
-Les mollusques possèdent une structure très particulière : le pied. C’est un gros muscle qui sert au départ à se déplacer en rampant comme les escargots justement. Les tentacules des pieuvres sont ce même pied mais modifié.
-Ils portent aussi au niveau de la bouche une espèce de râpe particulière portant plein de petites dents : la « radula » qui permet de brouter la nourriture chez un grand nombre de groupes de mollusques.
-Les mollusques sont recouverts d’une « peau » - le « manteau » - qui produit entre autres la coquille.
-Mis à part quelques mollusques particuliers, le manteau forme un repli de telle façon qu’une cavité se forme, on parle de la cavité palléale et dans beaucoup de cas elle porte les branchies (les « cténidies » chez les mollusques car elles ont une forme de peigne et « ctenos » signifie peigne en grec).
Voilà pour un certain nombre de caractères de mollusques, comme quoi on ne les définit pas seulement par leur mollesse …

Illustration des « principaux » caractères de mollusques. Notez bien que ce mollusque n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais. C’est juste une forme de schéma récapitulatif. Les anglais l’appellent Hypothetical Ancestor Mollusc (ce qu’il n’est pas justement) ou HAM… Ce qui en anglais signifie aussi jambon  ! Source de l’image : Jambon le mollusque.

Commençons d’abord par la principale idée fausse selon laquelle les mollusques seraient tous des animaux lents. Alors là je vous défie de rattraper un calmar à la nage. Certains mollusques peuvent  aussi faire preuve d’une étonnante agilité comme la coquille St-Jacques. Et oui ! Celle ci peut ouvrir et fermer frénétiquement ses deux valves pour s’enfuir ! En général c’est lorsque son pire prédateur, l’étoile de mer, approche (et là ceux qui ne savaient pas seront peut-être étonnés de savoir que l’étoile de mer est un vorace et terrible prédateur !). Par ce fou mouvement de la coquille St-Jacques, l’eau rentre entre les deux valves et lors de la fermeture est expulsée par les côtés. C’est une forme de nage à réaction !

Vidéo d’une coquille Saint Jaques, certes maladroite, tentant d’échapper à une terrible et extrêmement vive étoile de mer …

Un autre adorable mollusque proche de la coquille Saint Jacques qui se balade…

D’ailleurs c’est le même principe utilisé par les calmars, seiches et pieuvres qui expulsent l’eau qui rentre dans la cavité palléale par un repli en siphon du manteau. L’eau est éjectée violemment et le calmar est propulsé à toute berzingue  !

Une seiche à réaction agressant un plongeur…

Le fait que les mollusques les plus communs autour de nous soient les escargots et les limaces fait peut-être penser à certains que les mollusques passent leur temps à manger de la salade. En fait il existe des prédateurs très actifs chez les mollusques. Alors oui, un grand nombre d’entre eux broutent la salade, les « algues » ou les charognes (berk, aucun art de vivre ces mollusques !) mais il existe plein de modes de nutrition différents. Déjà , beaucoup de mollusques filtrent les particules alimentaires. En effet, il est difficile d’imaginer une huître brouter. En fait, elle créé un courant d’eau qui va la traverser et elle absorbe alors les particules alimentaires en suspension dans l’eau. Mais il existe des mollusques à deux coquilles comme les huîtres ou les moules (appelés bivalves) qui chassent à l’affût ! Par exemple les mollusques du genre Poromya, sortent une   « bouche  extensible » (le « siphon inhalant », un repli du manteau en forme de long tube),  dès  qu’ils sentent une proie et la gobent subitement !

Poromya et sa grande bouche se nourrissant d’un ptit crustacé… Source de l’image : Terrible bivalve.  

Mais d’autres, plus proches des escargots, sont aussi très actifs. Par exemple, il existe des escargots prédateurs : le terrible Euglandina rosea est un escargot « classique » si ce n’est qu’il a des « moustaches ». Oui oui ! Et grâce à ça il va pister sa proie grâce à la trace de bave d’autres escargots et les manger une fois attrapés. Par des introductions malhabiles par l’homme cette espèce a d’ailleurs participé à l’extinction de plusieurs autres espèces d’escargots à Hawaï ou en Polynésie par exemple… 

Euglandina rosea. Avouez que pour un tueur en série il a la classe avec ses moustaches ! Source de l’image  : Euglandina le moustachu.

Une terrible vidéo (amis des mollusques, et maintenant vous l’êtes tous, s’abstenir) dont la musique est tout à fait appropriée…

Certains escargots marins sont de terribles prédateurs comme le cône. Le cône est un magnifique coquillage très apprécié des collectionneurs mais la radula est réduite à une seule dent qui sert à injecter un venin extrêmement puissant, mortel en quelques heures pour l’homme dans certains cas. Le mollusque attend lui aussi à l’affût, pique sa proie puis la gobe en entier ! 

Dans cette vidéo, un cône mangeant un « poisson »… remarquez que très vite, il ne va plus exister …

Finissons avec le groupe des « céphalopodes » comprenant les seiches, calmars et pieuvres. Ce sont des prédateurs à vue cette fois ci qui attraperont la proie avec leurs tentacules. Je pourrais continuer encore longtemps la liste de mollusques prédateurs, certains ayant de drôles de manières de faire, mais j’espère vous avoir déjà convaincus !

Dans cette vidéo une seiche se nourrissant. Une vivacité aussi surprenante que les céphalopodes le sont.

Certains voient aussi les mollusques comme des animaux visqueux et moches. En fait dans beaucoup de cas c’est tout le contraire et c’est bien pour cela que beaucoup de personnes collectionnent les coquilles de mollusques ! Premièrement certains ont de très belles couleurs et même certains bivalves peuvent être magnifiques. Les bénitiers géants en plus d’être de très gros mollusques abritent des « algues » dans leur manteau ce qui donne à leur intérieur une belle couleur bleue-verte.

Image d’un magnifique Bénitier. On a envie de lui faire un bisou ! Source de l’image : Bénitier affectueux .

Les Spondylus sont des bivalves dont la coquille porte de très belles expansions. 

Un  Spondylus à la coquille feu d’artifice. Source de l’image : Spondylus coquet

Mais la palme des plus beaux mollusques revient sans conteste aux nudibranches. Pourtant c’est mal parti pour eux, on les appelle « limaces de mer » ce qui n’a pas l’air très entraînant au premier abord. Mais ces gastéropodes (comprenant entre autre les bigorneaux et les escargots) portent des couleurs magnifiques et ont des formes surprenantes. Les nudibranches contrairement à la plupart des autres mollusques ont perdus leurs cténidies et ont d’autres formes de branchies souvent originales. Cela vaut pour un groupe de mollusques plus large les « opisthobranches » (groupe dont l’existence est discutée) et chez les nudibranches les branchies sont… nues, c’est à dire qu’elles ne sont pas protégées. Beaucoup de nudibranches (qui eux semblent être un bon groupe) sont brouteurs de cnidaires (méduses, coraux etc.). Les cnidaires piquent (vous le savez, peu de gens apprécient de se frotter à une méduse). Certains nudibranches utilisent les cellules urticantes des cnidaires et les stockent dans des papilles qui servent aussi parfois de branchies. Ces papilles en touffes forment souvent de magnifiques bouquets … Mais des images vous parleront mieux que des mots, regardez plutôt … 

Un des plus beaux : le Glaucus atlanticus. Source de l’image Glaucus atlanticus.
Tritonis elegans.  Ca pour être élégant, il l’est… Source de l’image : Tritonis elegans, le mollusque flocon de neige.

Nembrotha megalocera. Lui il s’est dit « quitte à avoir de jolies couleurs, autant avoir les plus belles ». Source de l’image : Nembrotha megalocera, la limace chatoyante

Au cas où vous douteriez de leur existence réelle, vous disant que des choses aussi jolies ne peuvent pas exister (et je vous comprends), voici quelques vidéos.

Comme quoi Glaucus atlanticus c’est pas un montage.


Un nudibranche s’attaquant vaillamment à un animal ressemblant à une anémone (d’ailleurs assez proche mais en fait c’est une cérianthe) 

Une « danseuse espagnole ». Rien à commenter.

Quoi ?! Vous n'en avez toujours pas assez ? On pourrait y passer des années ! Si vous voulez encore en prendre plein les mirettes cliquez ici (en fait cliquez, c'est un ordre !) : Nudibranches, National Geographic.

Au final cette grande diversité de formes et de modes de vie s’explique simplement par le fait que le groupe des mollusques est un groupe très large et ancien. Les mollusques comprennent environ 100 00 espèces, deux fois plus que tous les vertébrés réunis. Le groupe des mollusques est après celui des arthropodes (insectes et confrères à plein de pattes  (plus de quatre)) le deuxième plus important des animaux. Alors faire une généralité sur un groupe aussi vaste sera toujours risqué. Si je vous disais : « les mammifères sont herbivores » vous trouveriez probablement ça bizarre et faux ! En biologie en général, le fait que les êtres évoluent selon un arbre de la vie empêche toute généralisation hâtive. Et les mollusques sont si nombreux qu’avec eux, il y aura forcement des surprises…

Alors la prochaine fois qu’on vous traite de mollusque, répondez merci !

Pour aller plus loin :

-Brusca R.C. Brusca G.J. 2003. Invertebrates, second edition. Sinauer, Sunderland.

-Gabi G. 2008. coquillages ; étonnants habitants des mers. White star.

-Kuiter R et Debelius H. 2008. Atlas mondial des Nudibranches. Eugene Ulmer.

-Sur les cônes, Zonatus.

mercredi 16 novembre 2011

La reine, seule reproductrice chez les fourmis?


Pendant vos cours de biologie animale ou dans des reportages à la télévision, vous avez du entendre que certains Hyménoptères vivaient en colonie. Ces colonies représentent la structure sociale la plus complexe, l’eusocialité, avec un partage du travail entre les individus selon des castes définies. Chez les fourmis, deux castes nous sont généralement présentées. D’un côté, vous connaissez certainement les reines, qui ont le rôle privilégié de la reproduction alors que d’un autre côté, les ouvrières assument les tâches « ingrates » de la colonie. Les ouvrières peuvent avoir différentes fonctions selon les espèces :
Les fourmis nourricières prennent soin des œufs et des larves et passent le plus clair de leur temps aux toilettages du nid et des individus dans la colonie
Les soldats sont pourvus de mandibules particulièrement développées qui leur permettent de se défendre contre les agresseurs
Confrontation ouvrière nourricière (à gauche)-soldat (à droite) chez Daceton armigerum (photos Guenard, Scheffrahn)

Les fourmis fourrageuses qui mettent leur vie en danger pour partir à la recherche de victuailles et nourrir leurs sœurs.
D’autres fonctions sont découvertes par les chercheurs au fil de leurs études.
Par contre, les reines, elles, ont la grande chance d’être les seules à avoir des ailes, leur permettant de s’envoler et d’aller copuler avec les mâles. Elles pourront alors se reproduire directement et donc transmettre leur patrimoine génétique à des descendants.
Enfin, ça… c’est ce qu’on a l’habitude d’entendre ! Or derrière cette dichotomie reine /ouvrière, les choses ne sont pas toujours aussi simples… La reine de la fourmilière ne serait pas la seule à faire des bébés.
Depuis un siècle environ, les chercheurs trouvent régulièrement des individus étranges dans certaines espèces. Elles ressemblent parfois à des reines, parfois à des ouvrières, ou bien elles peuvent être un mix, sans appartenir strictement à l’une ou l’autre des deux grandes castes. Mais elles ont un point en commun… c’est qu’elles pondent des œufs qui donneront de nouvelles petites fourmis. Pour le moment, quatre types de femelles reproductrices, autres que les reines, ont été identifiées par les chercheurs : les reines ergatoides, les intercastes, les gamergates et les ouvrières parthénogénétiques (Peeters 1991).

Les reines ergatoides correspondent à une caste reproductrice sans aile qui a évolué à partir des reines habituellement ailées. Au sein d’une espèce, toutes les reines ergatoides se ressemblent. Leur fécondité est similaire voire supérieure (comme chez les Eciton) à celle de reines ailées d’autres espèces. Ce type de reproductrice est présent à la place des reines ailées dans les colonies.
Morphologie des reines ergatoides (on remarque qu'elles se ressemblent toutes beaucoup!) d'après Buschinger & Winter 1975 Insect. Soc pour Harpagoxenus sublaevis

Les intercastes regroupent un ensemble de fourmis femelles qui exhibent des morphologies variés. Ces formes sont des combinaisons de caractères morphologiques des reines et des ouvrières, ce qui signifie qu’elles ont des phénotypes intermédiaires ; pour ceux qui ne le savent pas encore, le phénotype correspond à un ou plusieurs caractères observables chez les êtres vivants (gardez cette définition en tête, vous en aurez encore besoin !).

Morphologie des différentes intercastes (vous pouvez remarquer la grande variabilité des formes) d'après Plateaux 1970 Ann. Sci. Nat. Zool. Biol. Anim. pour les Temnothorax nylanderi

Ces intercastes peuvent avoir entre 0 et 3 ocelles (les yeux simples des insectes accompagnant leurs yeux composés), la structure du thorax (la partie centrale du corps) peut être simple comme celle des ouvrières mais peut aussi se complexifier jusqu’à atteindre celle des reines, avoir un nombre variables d’ovocytes (les cellules reproductrices) et avoir une taille corporelle allant des ouvrières aux reines. Elles n’ont généralement pas d’ailes. Les intercastes ne sont capables de se reproduire que dans certaines espèces comme Harpagoxenus sublaevis et Formicoxenus spp. (Francoeur et al. 1985) et sont présentes en même temps que les reines dans la colonie.
Les gamergates (prononcez le à l’anglaise !) sont des ouvrières reproductrices accouplées qu’on trouve dans certaines espèces de la sous-famille des Ponerines, dans les genres Diacamma, Rhytidoponera et Ophtalmopone. Ces petites ouvrières ne sont morphologiquement pas différentes de leurs sœurs non accouplées !
Et les petites dernières, les ouvrières parthénogénétiques, vont elles aussi produire des femelles diploïdes (la diploïdie correspond à la présence de chaque chromosome en 2 exemplaires dans la cellule ou l’individu, comme dans la plupart des cellules humaines !) mais sans avoir besoin d’être inséminées par un mâle. Ces ouvrières ne pourront produire que des petites femelles. En biologie c’est ce qu’on appelle de la parthénogenèse thélytoque ! Cette caste a été observée chez la Myrmicine, Pristomyrmex pungens (Itow et al 1984). Mais attention, cette espèce ne serait en fait pas eusociale … il n’est pas vraiment possible d’identifier des castes, puisque toutes les ouvrières passent par un état reproducteur au cours de leur vie! Etonnant, n’est-ce pas ?!!!

Maintenant que vous connaissez vous aussi les petites chanceuses qui peuvent transmettre leurs gènes, la grande question que vous devez vous poser en tant qu’adepte de l’évolution (Comment ça vous ne l'êtes pas ? Ne vous inquiétez pas, si vous vous intéressez à ces petites fourmis, vous ne tarderez pas à le devenir !!) c’est « Quel mécanisme évolutif se cache derrière l’apparition de ces drôles d’individus ? »
Les castes sont issues d’un développement embryonnaire fortement influencé par l’environnement (les ressources alimentaires, les hormones ambiantes, les conditions de température et d’humidité, etc….). C’est ce qu’on appelle le polyphénisme ; en grec, « poly » signifie « plusieurs » et « phanain » signifie « se montrer » donc le polyphénisme est la capacité pour un embryon de prendre des formes variées selon les conditions dans lesquelles il se développe. Un polyphénisme canalisé, c'est-à-dire quand tout se passe sans problème, aboutira soit à la production de reines soit à la production d’ouvrières, comme ce qu’on a l’habitude de voir chez les hyménoptères.
Mais comme on le sait, rien ne se passe vraiment comme ce qui est prévu ! Du coup, quand il y a des imprévus dans l’environnement ou bien des perturbations génétiques chez les larves, on peut voir apparaitre toute sorte d’individus. Selon les pressions génétiques (au hasard des mutations dans l’ADN…) ou environnementales qui se seront exercées au cours du temps sur les différentes espèces, des reproductrices différentes auront pris place dans certaines espèces de fourmis. Maintenant vous avez une petite idée de comment ces castes sont apparues !
Cependant, je vous rappelle qu’il ne suffit pas qu’une chose apparaisse pour qu’elle persiste dans le temps ! Une fois les individus produits, ils doivent faire face à la sélection naturelle, pilier de la théorie de l’évolution pensée par Darwin il y a déjà un petit bout de temps. Les phénotypes « nouvellement » produits doivent faire preuve d’une plus forte fitness (la fitness correspond à la capacité à se reproduire d’un individu avec un bagage génétique donné) que les phénotypes déjà existants pour être maintenues dans la nature. Une plus forte fitness implique que :
-
soit les avantages dus à ces castes, à coûts identiques de production (temps et ressources investis dans le soin et l’élevage des larves), sont plus importants qu’avec les reines- soit les coûts de leur production, pour des avantages identiques, sont plus faibles que le coût de production des reines
Plus particulièrement, ces quatre castes reproductrices ont un avantage majeur par rapport aux reines standards : elles ne sont pas ailées ! Or les ailes sont énergétiquement très coûteuses à mettre en place lors du développement.


Développement du thorax et des muscles alaires dans différentes castes de Pachycondyla obscuricornis (photo: Antweb)

Ainsi l’énergie allouée au développement des ailes chez la reine peut être utilisée pour d’autres fonctions chez ces castes, comme par exemple la production d’un nombre plus important de jeunes, ou la production de jeunes plus robustes ou encore une meilleure survie.

De nombreuses études comportementales sont menées afin de déterminer les avantages que procurent ces « nouvelles » castes reproductrices aux colonies dans diverses espèces.
Mais on peut déjà garder à l’esprit que si ces phénotypes sont apparus par convergence (les apparitions de tels phénotypes dans les espèces de fourmis sont indépendantes les unes des autres) dans différentes espèces phylogénétiquement éloignées, et s’ils n’ont pas été contre-sélectionnés, c’est peut-être qu’ils procurent un avantage aux colonies qui les développent !

Références bibliographiques :
Buschinger & Winter (1975) Der Polymorphismus der sklavenhaltenden Ameise Harpagocursor Fonsc (H.F.) Cycle biologique en élevage des colonies avec reine et des colonies sans reines. Insectes sociaux, 22 :333-362
Francoeur et al. (1985) Biosystématique de la tribu leptothoracini (Formicidae, Hymenoptera) 1. Le genre Formicoxenus dans la région holarctique, Naturalise Canadien, 112 : 343-403
Itow et al (1984) The reproductive cycle of the queenless ant Pristomyrmex pungens, Insectes sociaux, 31 : 87-102
Peeters (1991) Ergatoid queens and intercastes in ants: two distinct adult forms which look morphologically intermediate between workers and winged queens, Insectes sociaux, 38:1-15
Plateaux (1970) Sur le polymorphisme de social de la fourmi Leptothorax nylandri (Förster), Morphologie et biologie comparée des castes, Annales Scientifique naturelle Zoologie 12ème Série, 12 :378-384
Tsuji et al. (1991) The caste system of the dolichoderine ant Technomyrmex albipes (Hymenoptera: Formicidae) : morphological description of queens, workers and reproductively active intercastes, Insectes sociaux, 38(4): 413-422

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