lundi 1 juin 2020

Allergies saisonnières et sexisme botanique

Le printemps est là ! Pour moi, c’est synonyme d’activité de jardinage intense et d’observation des petites pousses qui sortent de terre… sans oublier la chasse aux insectes et autres bestioles qui daignent enfin montrer le bout de leurs pattes ! Mais pour d’autres personnes, c’est l’enfer car… les allergies au pollen sont de retour ! Nez qui coule, yeux rouges et gorge qui gratte, ça vous dit quelque chose ? Mais pourquoi observe-t-on ce phénomène particulièrement au printemps ? Pourquoi les allergies sont plus intenses en ville ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans cet article.

Est ce que vous ressemblez à ça au printemps ? (source)

D’abord, c’est quoi une allergie ?

Bien qu’étant docteur, je ne suis pas médecin, alors je vais m’en tenir à des explications assez simples sur le type d’allergies qui nous concerne ici (parce qu’il en existe plusieurs en réalité), à savoir, les allergies qui apparaissent au printemps.
Si on prend la définition d’une allergie donnée par Thomas H. McConnell en 2013, il s’agit d’une réaction immunitaire exagérée de la part de l’organisme face à un antigène étranger. Ici, quand on parle d’antigène, on entend tout élément extérieur au corps humain (un intrus, quoi) pouvant être à la base d’une réaction immunitaire. Je vous l’accorde, cette définition se mord la queue, mais vous allez comprendre, accrochez-vous.
Dans certains cas, lorsque le corps humain est exposé à une substance qui lui est étrangère (ce sont donc les antigènes ici), il peut réagir face à cette substance. Mais cette réaction n’est pas systématique et elle varie d’un individu à l’autre ; cette inégalité de réaction est probablement due à des facteurs génétiques, encore actuellement mal identifiés. Alors, que se passe-t-il concrètement dans notre organisme, lorsqu’un antigène y pénètre par inadvertance ?
Pour rendre la chose un peu plus simple à comprendre, imaginons que le corps humain est une boite de nuit où les entrées sont libres. Habituellement, les nouveaux arrivants peuvent entrer s’amuser sans problème mais ils sont surveillés à l’intérieur par des agents de sécurité (via des caméras) qui ont pour objectif de repérer les fauteurs de troubles. Arrive alors tout un gang d’individus aux cheveux oranges fluo : ils sont facilement reconnaissables par les agents de sécurité. Une fois à l’intérieur, ils malmènent un peu les autres participants et plombent un peu l’ambiance… ils sont alors maitrisés par les videurs de la boite de nuit, qui inscrivent leur signalement dans la salle des caméras. La semaine suivante, d’autres individus portant des cheveux orange fluo entrent à nouveau dans la fameuse boite de nuit. Cette fois ci, ils sont reconnus rapidement et les agents de sécurité décident d’appeler la police, les pompiers, et l’armée, ils déclenchent les lances à incendie à l’intérieur de la boite de nuit, et provoquent une évacuation d’urgence de l’ensemble du personnel. Alors qu’une simple intervention des videurs aurait suffi !
Ce que je viens de vous décrire ici, c’est un type d’hyper-réaction qu’on observe dans le cas des allergies. Nos videurs sont en réalité appelés des Lymphocytes B, et ils vont produire des anticorps spécifiques (la surveillance vidéo) dirigés contre les antigènes (les individus aux cheveux oranges) qui seront ainsi plus facilement reconnaissables par les mastocytes (les agents de sécurité) dont le rôle est de sonner l’alarme en cas d’intrusion. Dans notre organisme, cette sonnette d’alarme se concrétise par une libération d’une substance appelée histamine, qui va interagir avec différentes parties du corps pour engendrer des démangeaisons au niveau de la peau, une détresse respiratoire par contraction d’une partie des poumons ou encore la dilatation des vaisseaux sanguins, pouvant mener à des gonflements de certaines parties du corps… et plein d’autres symptômes tous plus réjouissants les uns que les autres. Ces réactions ont pour but en temps normal d’activer les éléments du système immunitaire qui auront pour but de faire disparaitre les antigènes de l’organisme.

Un schéma simplifié de la réaction allergique (source)

Et le pollen, dans tout ça ?
 
Chez les plantes à fleurs, le pollen est une particule produite par les étamines (la partie mâle de la fleur) et qui contient deux cellules qui serviront à la reproduction. Ces particules sont dispersées par les insectes volant (les abeilles par exemple), par l’eau ou par le vent : c’est ce dernier cas qui nous intéresse ici, car ce sont ces grains de pollens qui vont pouvoir se retrouver malencontreusement dans nos voies respiratoires. Les grains de pollen peuvent avoir des formes incroyablement variées (vous pouvez avoir un aperçu de la diversité sur ce site) et portent à leur surface des protéines et glycoprotéines qui sont caractéristiques de chaque espèce. Ainsi, les pollens sont très différents d’une espèce à l’autre, ce qui permet à chaque fleur de reconnaître spécifiquement le pollen de sa propre espèce.

Diversité du pollen (source)

 Pourquoi certaines personnes développent-elles des allergies au pollen ?

Maintenant, lorsque le grain de pollen, au lieu de se déposer sur la partie femelle d’une fleur, se retrouve aspiré par mégarde par un humain, que se passe-t-il ?
Chez les personnes non allergiques, le grain de pollen est simplement considéré comme une poussière comme les autres et évacué normalement avec les sécrétions nasales (comprendre : le truc gluant qui reste au fond du mouchoir lorsque vous vous mouchez. Désolé pour l’image). Chez les personnes allergiques, c’est là que ça se gâte.
Comme je le disais plus haut, les grains de pollen portent à leur surface des protéines. Or, une des choses que détecte particulièrement bien le système immunitaire, ce sont les protéines étrangères, car en général elles sont associées à la présence d’organismes pathogènes tels que les virus et les bactéries. Non seulement il va y avoir détection de ces protéines étrangères, mais surtout une hyper-réaction de la part du système immunitaire… qui mène à une réaction allergique.
De plus, il est possible que certaines personnes souffrent d’allergies croisées : elles ne sont pas réactives au pollen d’une seule plante, mais à plusieurs ! En effet, les différences entre les protéines portées par les grains de pollen sont parfois trop subtiles pour être détectées par le système immunitaire. Résultat ? Une personne peut être allergique au pollen de toutes les graminées… une famille comportant plus de 12000 espèces! Ca représente un potentiel allergène assez élevé.
Comme la plupart des plantes dans l’hémisphère nord fleurissent à la fin du printemps et au début de l’été, la période chaude est redoutée par les personnes sensibles qui développent souvent des allergies croisées et passent alors leur temps à éternuer ou à se gratter. Pas terrible quand on veut juste profiter du beau temps ! 

Les allergies saisonnières en ville

Des études scientifiques montrent que les allergies au pollen sont plus importantes dans les villes par rapport aux zones non-urbaines… alors que la quantité de pollen en général est plus importante dans l’air des campagnes que dans les zones urbanisées. Les personnes habitant en ville sont aussi plus susceptibles d’être allergiques aux espèces ornementales qu’aux espèces agricoles. A première vue, cela peut sembler étrange que les personnes vivant à l’extérieur des villes soient moins touchées par des allergies alors qu’elles sont exposées à de plus grandes quantité de pollen… Laissez-moi vous expliquer.
En ville, les surfaces végétalisées sont gérées artificiellement par les populations humaines, sauf dans des cas exceptionnels. Qu’il s’agisse d’un parc verdoyant ou d’une allée bordée de grands arbres, les plantes sont entretenues par une armée d’horticulteurs. Mais surtout, avant d’être mis en terre, ces plantes ont été choisies sur des critères répondant aux contraintes liées à l’urbanisme : être résistant à la pollution engendrée par le trafic automobile, ne pas produire trop de feuilles pour éviter de les ramasser à l’automne… et ne pas produire de fruits qui viennent tacher les trottoirs. Pour cela, on pratique le sexisme botanique : on sélectionne certaines espèces d’arbres dioïques (où les mâles et les femelles sont des individus séparés, un peu comme chez les humains) et on ne plante que des mâles ! On évite ainsi de se coltiner le ramassage des fruits laissés sur les trottoirs, car seuls les arbres femelles produisent des fruits. Quelle superbe idée, ça fait moins de travail pour tout le monde ! Oui mais… ce sont les arbres mâles qui produisent le pollen ! Donc en favorisant la proportion de mâles par rapport aux femelles, on va changer la quantité de pollen libéré dans l’air. C’est d’ailleurs ce que montre une étude espagnole qui a fait l’inventaire des plantes horticoles utilisées dans un parc de la ville de Grenade  (le parc Gracia Lorca). Résultat : le sex-ratio du Gingko biloba est à 80% en faveur des mâles ! 

Un lien entre le sexisme botanique et les allergies saisonnières ?

Pour terminer, accrochez-vous aux branches parce que là, je vais vous parler d’une hypothèse que je trouve un peu farfelue mais non dénuée d’intérêt. A prendre avec des pincettes donc !
Et si l’absence d’arbres femelles dans les villes accentuait les allergies saisonnières ? Thomas Leo Ogren a émis l’hypothèse que les fleurs femelles attireraient activement le pollen en suspension dans l’air, réduisant ainsi la quantité qui serait potentiellement inhalée par les êtres humains. Certains chercheurs pensent même que des forces électrostatiques interviennent dans le « piégeage » du pollen par les parties femelles de la fleur et ainsi augmentent les chances de rétention du pollen dans la fleur.
Pour réduire les allergies en ville, faudra-t-il donc accepter de voir les trottoirs parsemés de fruits çà et là ? L’avenir nous le dira !

Bibliographie
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