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lundi 20 octobre 2014

Quand ils ont trop froid, les flamants roses meurent… de faim

1985. L’hécatombe. Dans un des plus beaux endroits de France, la Camargue indomptable, se déroule une tragédie sans précédents. Le froid extrême touche de plein fouet les populations sauvages, venant à bout même des animaux capables de migrer. Subissant deux semaines consécutives de températures négatives allant jusque -10°C, la population de flamants roses, la seule à se reproduire en France, subit alors de pertes considérables : près de 3000 cadavres sont recensés.

Photo d'archive de 1985 qui montre la tristesse de la rigueur de l'hiver, avec nombre de cadavres de flamants gisant sur une Camargue en proie au gel (Source)


2012. Nouvelle vague de froid alors même que le destin m’a conduit en Camargue pour étudier les flamants roses. Quelques jours après mon arrivée, c’est avec ironie que j’ai l’occasion de les observer de beaucoup plus près, et en beaucoup moins vivants… Le climat a encore frappé : on compte 1500 morts parmi les rangs des 20 000 individus hivernant en France. A la Tour du Valat, centre de recherche qui étudie les flamants de longue date, les macchabées roses s’entassent. Les gens nous ramènent les animaux qu’ils trouvent, ou nous appellent pour qu’on vienne les chercher. Malgré la tristesse de la situation, l’esprit scientifique grattouille sous le crâne : on a envie de comprendre.

Avec des collègues du centre et en collaboration avec d’autres personnes de Montpellier, on se lance alors dans une investigation. Objectif : déterminer la cause de la mortalité des flamants. Car si le froid mordant est un candidat évident, son impact peut être moins direct qu’il n’y parait.

Les corps s'entassent, on les stocke sous de gros bacs qui jouent le rôle de congélateurs "grâce" aux températures extérieures négatives. Ne pas se fier au soleil !

Avec la quantité de cadavres à disposition, on recrute une armada de volontaires (un grand merci au passage !) qui nous aide à mesurer chaque individu. Quelques candidats seront étudiés de plus près : on les mesure sous toutes les coutures, du bec jusqu’au bout des pattes. On leur arrache des plumes pour les compter et les mesurer. On utilise des appareils pour évaluer la couleur de leur peau et de leur plumage, on les pèse… Des centaines de données qui vont pouvoir être utilisées pour modéliser les dépenses énergétiques des flamants, grâce à un modèle développé par nos autres collaborateurs américains. Ce modèle astucieux fabrique un individu fictif numérique à partir des données moyennes qu’on lui donne (morphologie, physiologie, comportement, et tout un tas de paramètres). Puis on renseigne au modèle le climat subit par les animaux (température, vent, humidité, etc.) et on obtient les dépenses minimales nécessaires aux bestioles pour conserver leur homéothermie, autrement dit pour garder le sang chaud. Très rapidement on observe ce que l’on soupçonnait : les vagues de froid augmentent drastiquement les dépenses énergétiques de nos flamants. Se maintenir au chaud lorsqu’il fait froid, même si on est bien pourvus en plumes, ça coûte de l’énergie !

Un spectrophotomètre est utilisé pour mesurer la lumière renvoyée par les plumes et la peau des jeunes et des adultes. Autrement dit, on mesure leur couleur, qui joue un rôle dans la thermorégulation en modulant la quantité de rayons du soleil qui sont renvoyés.

Se pourrait-il que les flamants soient morts de faim, après avoir épuisé toute leur énergie ? Pour en avoir le cœur net, je monte dans un train direction Strasbourg, avec une valise pleine de flamants morts et l’espoir qu’ils ne décongèlent pas trop vite (pour ceux qui se posent la question, l’odeur du flamant décongelé est absolument abjecte !). Là-bas, avec d’autres collègues du CNRS, les flamants sont découpés avec la précision d’une boucherie fine, les morceaux sont pesés, et ils sont ensuite réduits en poudre. Littéralement. La technique peut paraitre un tantinet barbare mais elle permet de procéder à des dosages précis de la composition biochimique des animaux. En l’occurrence, le ratio lipides/protéines permet de donner une idée sur l’état des réserves de l’animal. Plus ce ratio est élevé, plus la bestiole se porte bien. En revanche, lorsqu’un individu n’a plus accès à la nourriture, il puise dans ses réserves en consommant d’abord ses lipides, ce qui fait diminuer ce ratio. 

Après investigation, mes flamants voyageurs présentaient un ratio proche de celui observé chez d’autres oiseaux dans une phase de jeûne avancée. Autrement dit, ils avaient faim, très faim ! Toutes les données se recoupent alors. Les carcasses étaient exceptionnellement légères, et les dosages suggèrent que toutes les ressources étaient épuisées, en parallèle du modèle qui nous dit que les flamants ont fait face à une demande sévèrement accrue en énergie. Alors pourquoi n’ont-ils pas simplement mangé plus s’ils avaient tant besoin d’énergie ? C’est la dernière clé de l’énigme. 

Les artémies, minis crustacés aquatiques, constituent un des mets favoris des flamants. Ils passent des heures le bec plongé dans l'eau à filtrer ces créatures à la manière d'une baleine et de ses fanons.


En France, comme pour beaucoup d’autres pays nordiques, des oiseaux de toutes trempes migrent à l’approche de l’hiver. Contrairement aux idées reçues, ce mouvement qui se fait généralement vers le sud n’est pas une réponse à l’incapacité des oiseaux à faire face à des températures plus faibles. D’ailleurs, notre modèle montre que les températures hivernales, même en période de vague de froid, induisent des dépenses énergétiques qui sont certes importantes mais qui restent plus faibles que celles requises par la reproduction. Ce qui fait partir les oiseaux, généralement, c’est la nourriture qui se fait rare. Insectes et petites bêtes en tous genres, y compris les minuscules crustacés aquatiques dont se nourrissent les flamants… la nature se dépeuple quand vient la fin de l’année. Les flamants roses sont d’ailleurs des migrateurs partiels : une partie de la population s’en va vers l’Afrique, terre d’abondance, une fois la période de reproduction terminée. Beaucoup restent en France cependant, et notamment les plus jeunes pour qui la probabilité de survie est plus importante s’ils restent sur place. Les ressources sont certes plus restreintes, mais généralement suffisantes pour eux, et constituent un obstacle bien moins insurmontable que de traverser des milliers de kilomètres avec tous les dangers que cela implique. Mais en période de vague de froid, on change la donne : la plupart des plans d’eau où se nourrissent les flamants sont alors congelés ! La nourriture n’était donc tout simplement pas accessible pour les animaux, qui avaient d’ores et déjà épuisé trop de réserves pour entreprendre avec succès une migration. C’est ainsi que se résout le mystère : les flamants roses, en pleine vague de froid, sont en fait morts de faim.


http://jeb.biologists.org/content/217/20/3700Bibliographie 
(et avec grande fierté, mon premier article tout fraichement publié !) :

Deville, A.-S., Labaude, S., Robin, J.-P., Béchet, A., Gauthier-Clerc, M., Porter, W., Fitzpatrick, M., Mathewson, P. & Grémillet, D. 2014. Impacts of extreme climatic events on the energetics of long-lived vertebrates: the case of the greater flamingo facing cold spells in the Camargue. The Journal of Experimental Biology, 214, 3700-3707.

+ le petit bonus du journal


Sophie Labaude

dimanche 6 avril 2014

Petit guide de la résistance au froid, partie 2 : les plantes terrestres

Haha, bande de veinards ! Alors que l’Europe se réchauffe (enfin !) sous les rayons printaniers du soleil précoce, au Québec, c’est toujours l’hiver. Le vrai. Celui où les mots gèlent en sortant de la bouche. Et où tes sourcils restent figés lorsque tu fais la grimace, tellement ils sont plein de givre.
Bon, j’exagère… mais à peine. Pour preuve, une photo d’actualité :

Après la pluie, dans les Laurentides

Sophie vous a déjà parlé des mécanismes chez les animaux qui permettent de vivre par très basse température (voir ici). Mais la résistance à l’hiver s’observe aussi chez d’autres organismes qu’on trouve partout et qui, eux, ne peuvent pas se déplacer ou se rouler en boule pour échapper au froid ! Il s’agit des végétaux. Eh oui, vous vous imaginez, vous, passer six mois de l’année à des températures négatives, sans bouger une racine, et revivre au printemps comme si de rien n’était ? Ben voyons donc ! Et ça, tous les végétaux terrestres des milieux tempérés et nordiques (ou presque) sont capable de le faire : ils ont chacun leurs «  stratégies »  pour résister à l’hiver, c'est-à-dire, à survire à une période de froid intense accompagné de gel, et de continuer à vivre normalement après cette période.
Mais d’abord, pourquoi devrait-on résister à l’hiver ? C’est vrai ça, pourquoi les plantes ne continuent pas de pousser même par -30°C ? Après tout, elles sont là toute l’année, alors bon, quelques mois de plus ou de moins… Ah mais ça, c’était sans compter le problème du gel. Comme vous le savez certainement, en dessous de 0°C, l’eau gèle (oui bon, pas toujours), elle passe de l’état liquide à l’état solide. Or, les tissus des plantes terrestres sont très gorgés d’eau : entre l’eau nécessaire à la circulation des sèves, l’eau nécessaire aux réactions métaboliques comme la photosynthèse ou la respiration, les végétaux en sont pleins !  On considère que l’eau entre à 90% dans la composition d’une cellule végétale (Raven et al. 2013). Il est donc logique que si la température descend en dessous de zéro, ils vont geler parce qu’ils ne peuvent pas bouger…  Plus particulièrement, lorsque la température descend vers le point de congélation fatidique, on assiste à plusieurs phénomènes, (résumés par Beck et al. 2004) :

·      une augmentation de la viscosité membranaire (souvenez vous, une cellule vivante est délimitée par une membrane constituée d’une double couche de phospholipides, c'est-à-dire des lipides associés à des groupements phosphates), ce qui engendre une perturbation dans les transferts d’ions et autres molécules entre cellules. La viscosité est l’inverse de la fluidité : plus une membrane est fluide, plus les échanges entre le milieu intérieur et extérieur de la cellule sont rapides ; l’activité des protéines transmembranaires (c'est-à-dire les canaux régulateurs des flux au niveau de la membrane : comme au péage sur l’autoroute !)va être facilité par une plus grande fluidité. La fluidité membranaire influe sur tout un tas d’autres paramètres biologiques permettant la vie de la cellule.  Imaginez vous donc lorsque la membrane n’est plus fluide...

·     un métabolisme ralenti (forcément, si plus rien ne circule correctement, comment voulez vous que les informations/nutriments arrivent à l’heure et au bon endroit ?). De plus, certaines protéines essentielles à la bonne marche cellulaire (appelées les enzymes) possèdent un optimum de fonctionnement à une température bien déterminée : si cette température diminue, l’efficacité de ces protéines va diminuer aussi…

·     un décalage entre l’utilisation de l’énergie lumineux et le stockage de cette énergie (sous forme de sucres) : imaginez vous une centrale à vapeur dont on bouche la sortie, au bout d’un moment, si on chauffe toujours de la même manière, ça va péter… eh bien là c’est pareil : les photosystèmes (voir l’article sur l’automne ici) vont recevoir trop d’énergie et ne pourront pas la transférer aux molécules chargées de s’occuper de tout ce trop-plein (l’eau à moitié gelée empêche les réactions…)

Mais aussi, lorsque l’eau gèle, elle est source de stress hydrique pour les plantes. Attention, quand je parle de stress ici, ça ne concerne pas le stress de tout bon parisien qui se respecte à l’idée de rater son métro : en biologie, on parle de stress pour définir toute situation jugée négative pour le bon fonctionnement d’un organisme (par exemple, prédation, parasitisme, manque de nourriture, etc). Bref, lorsque l’eau gèle, elle n’est plus disponible pour les plantes en tant que ressource ! En clair, de l’eau gelée dans le sol, c’est comme pas d’eau du tout : la plante meurt de soif ! Et donc on observe les conséquences classiques du manque d’eau :

·      diminution du volume de protoplasme (= le milieu intracellulaire, pour faire simple) et formation de cristaux de glace à l’extérieur de la cellule (dans les parois rigides)
·         turgescence négative (la plante se « fane »)
·         concentration des solutés cellulaires : moins d’eau disponible mais la même quantité de molécules dans la cellule… un peu comme quand on laisse évaporer de l’eau de mer, on récupère le sel au final !
·         arrêt des processus métaboliques
·         changement de potentiel transmembranaire (phénomène très important chez les organismes, entre autre, cela permet la formation de l’influx nerveux chez les animaux). Le potentiel transmembranaire est la différence de charges électriques, présentes sous forme d’ions positifs et négatifs, de part d’autre de la membrane (dans et à l’extérieur de la cellule).
·         désintégration de la double couche phospholipidique membranaire

Autant dire qu’après tout ça, notre pauvre plante a bien du mal à fonctionner…  Mais alors, comment est-ce possible qu’à chaque printemps, les plantes retrouvent leurs belles couleurs vertes ? Voici les différentes méthodes, chez les plantes terrestres, pour continuer à exister même après un hiver rigoureux.

Stratégie d’évitement : je suis trop rapide pour le froid, je ne vois jamais l’hiver !

Certaines plantes ont ce que l’on appelle un cycle de vie annuel, c'est-à-dire qu’elles germent, se développent, grandissent, se reproduisent, engendrent des descendants et meurent en une seule année, sans jamais voir l’hiver. Les tomates (Solanum lycopersicon), par exemple, ou encore, les haricots verts (Phaseolus sp.), sont des espèces annuelles : on les sème et on les récolte au cours d’une seule année (si si, les tomates ne poussent pas en hiver, je vous assure, oui, même les tomates « bio » du supermarché). Une fois qu’elles ont donné des descendants, elles… meurent. Et les graines passent l’hiver dans le sol. Mais elles ne gèlent pas ? Non, car une graine est un organe de résistance hautement déshydraté et ne pourra germer que si la dormance est levée (voir cet autre article, décidément, on a réponse à tout sur ce blog).
Par voie de conséquence, les plantes annuelles n’ont donc aucun mécanisme de résistance contre le froid et le gel, tout simplement parce qu’elles ne le subissent pas directement.

Stratégie furtive : faites comme si je n’étais pas là !

Ça, c’est pour toutes les plantes qui se cachent sous terre pendant l’hiver. On a l’impression que la plante « meurt » mais en fait elle est juste enterrée bien tranquillement à l’abri du gel, et elle attend le redoux pour montrer le bout de son nez. Quelques exemples : les pommes de terre, mais aussi tous les « plantes à bulbes » ornementales : jacinthes, tulipes et autres crocus, ou encore des espèces bisannuelles comme la carotte. Il ne s’agit pas ici de graine, bien que les structures soient aussi en sommeil pendant l’hiver. Les plantes à bulbes vont avoir en général une saison de végétation au printemps, ce qui va leur permettre d’emmagasiner des réserves dans la partie souterraine (qui est une tige modifiée, voir l'article sur les monocotylédones) et d’avoir produit des fleurs et des graines avant l’arrivée de l’hiver. Pour les plantes bisannuelles comme les carottes, au cours de la première année de croissance, la plante emmagasine des réserves dans sa racine (c’est la grosse carotte orange qu’on retrouve dans nos assiettes). Lorsque l’hiver arrive, les parties aériennes meurent (c'est-à-dire les feuilles), ou tout du moins, deviennent très réduites, et la plante passe l’hiver bien tranquillement sous forme de racine dans le sol. Au printemps suivant, la plante utilise ses réserves présentes dans la racine pour donner des fleurs, qui produiront des graines… puis la plante finit par mourir lorsque l’hiver revient.

Organes souterrains de stockage chez les plantes [Source] (a) la carotte sauvage Daucus carota (b) bulbe d'oignon (c) bulbe de Crocus (d) rhizome d'Iris (e) racines tuberculeuses de Dahlia (f) tubercules de pomme de terre Solanum tuberosum

Stratégie de face-à-face : vas-y, l’hiver, même pas peur !

“Brace yourselves, winter is coming.”

On pourrait résumer l’adaptation des plantes au froid par cette petite phrase, tirée de la bien connue série Game of Thrones. En effet, un des mécanismes clés de la résistance des plantes au froid est la préparation à l’hiver. En particulier, une détection du raccourcissement des journées à l’aide des phytochromes (Beck et al 2007), mais aussi à l’aide de la détection de baisse de températures. Un phytochrome, qu’est ce que c’est ? Pour rester simple, disons que c’est une molécule organique complexe (voir là, sur le site du Missouri Botanical Garden) qui permet à la plante de détecter les variations dans l’intensité lumineuse, en termes de durée et de qualité. Ainsi, la plante va pouvoir détecter que les jours raccourcissent à la fin de l’été, par exemple.
Concernant la détection de baisse de températures, c’est une phytohormone (= une hormone végétale), l’acide abscissique abrégé en ABA, qui va induire de nombreuses réactions cellulaires.
Ainsi, Minami et al. (2004) ont montré le rôle prépondérant de l’ABA chez la mousse Physcomitrella patens. En plaçant des cellules de cette mousse en présence d’ABA à température ambiante, la résistance à une température négative suivant ce traitement était d’autant plus grande que les cellules étaient restées longtemps au contact de l’ABA. En clair, si on ajoute de l’ABA à température ambiante, la mousse passe en mode « esquimau » lorsqu’elle est contact du froid par la suite : elle supporte mieux le froid !

Physcomitrella patens [source]

Et donc, l’ABA va engendrer des modifications morphologiques à l’échelle de la cellule : grosse vacuole fragmentée en plus petites vacuoles (souvenez vous, la vacuole, c’est cette poche d’eau présente dans la cellule qui sert un peu à tout), épaississement de la paroi de la cellule… D’autres choses se passent à l’échelle moléculaire dans la cellule, pas forcément lié à l’action de l’ABA (d’après Beck et al. 2007):

·         changement dans la composition des lipides membranaires. Pour rappel, les membranes sont composées d’une double couche de lipides, plus ou moins mobiles et libres entre eux : avec le froid, il faut une membrane plus résistante !

·   atténuation de l’activité des photosystèmes (zones clés permettant à la plante d’utiliser l’énergie lumineuse), mais accroissement de la capacité à utiliser l’énergie lumineuse pour le transport cyclique des électrons et la phosphorylation (= réaction enzymatique impliquant la fixation d’un phosphate sur une molécule, afin d’augmenter son potentiel énergétique, entre autre… un peu comme charger une batterie de téléphone : il faut un apport d’énergie de l’extérieur pour qu’il puisse ensuite servir !). Autrement dit, le peu d’énergie reçu par la plante va être stocké un maximum sous forme de molécules organiques !

·    transition du métabolisme à base d’amidon vers un métabolisme dominé par les oligosaccharides, qui utilise les sucres simples (sucrose par exemple) comme cryoprotecteurs. En clair, en temps normal, la plante fait des réserves de sucres (qu’elle produit à l’aide de la photosynthèse) sous forme d’amidon (voir photo après). Sauf que cette organisation en loooongues chaines implique un risque de gel plus important. Du coup, la plante va stocker ses sucres, non plus en molécules complexes, mais en molécules simples, qui vont être mélangées à l’eau et empêcher celle-ci de geler.

Sucres simples comme le glucose ou le sucrose (en haut), sucres complexes comme l'amidon (en bas) [Source]

Toujours concernant les sucres, Minami et al. (2004) ont constaté que lors de la préparation à l’hiver, la quantité de sucres en solution dans les cellules augmente… mais pourquoi ? Eh bien le sucre agit comme un antigel. On sait en effet que plus une solution est concentrée en soluté, et plus on abaisse le point de congélation. C’est pour ça qu’on met du sel sur les routes : l’eau mélangée au sel a tendance à geler à plus basse température que 0°C. Et donc, dans notre cellule frigorifiée, les sucres en grandes quantités servent à protéger les protéines du gel – on rappelle que les protéines sont des structures très coûteuses en énergie, difficiles à mettre en place, et qu’il est important pour la plante de préserver.
A des niveaux plus aisément visibles, on observe que les plantes se préparent au froid par différents mécanismes : arrêt de croissance, sénescence des feuilles et parfois abscission (c'est-à-dire la séparation de la feuille et de la tige de manière naturelle et programmée – c’est le terme scientifique pour désigner la chute des feuilles - ces phénomènes sont surtout visibles chez les arbres) , formation des bourgeons et dormance. Ainsi, certains bourgeons spéciaux sont mis en place dès l’été : ce sont les seules structures qui resteront vivantes sur la plante pendant l’hiver, mais ces bourgeons seront en dormance. .
En particulier, lors du gel, des cristaux de glace peuvent se former dans les troncs des arbres (Parker 1963). Jusque là, pas de problème, car la sève ne circule pas en hiver : c’est au printemps, lors de la fonte des cristaux, que l’arbre va subir ce qu’on appelle la cavitation. La fonte des cristaux de glace va engendrer la formation de bulles d’air, qui vont bloquer la colonne d’eau formée entre les racines et le feuillage… c’est le principe des vases communicants : si la colonne d’eau est rompue, le transfert ne peut pas s’effectuer. Heureusement, des mécanismes de poussée racinaire et de traction foliaire assurent la mise en mouvement des bulles, voire la dissolution totale de celles-ci dans la sève.
Les bourgeons des arbres sont dormants pendant l’hiver, c'est-à-dire qu’ils n’ont quasiment plus d’activité de croissance. Ils ne peuvent recommencer leur croissance qu’après avoir subit un nombre prolongé de jours de gel et de froid : le retour des jours plus chauds après l’hiver permet la levée de dormance (j’ai déjà évoqué ce terme dans l’article sur les graines : c’est le même principe avec les bourgeons). Les bourgeons sont également protégés par des écailles pendant l’hiver : ces écailles vont tomber au printemps lorsque les bourgeons « explosent » : on parle de débourrage. C’est toute la difficulté pour l’arbre de ne pas redémarrer son activité juste au sortir de l’hiver, là où les jours sont doux mais où il peut encore geler. Si l’arbre n’a pas subit assez longtemps le froid à la fin de l’automne et au début de l’hiver, il est plus enclin à redémarrer précocement au sortir de l’hiver… et risque de geler en cas de chute brutale des températures. 

Et après ? Que faire lorsqu’on a subit six mois de gel intensif ?

Certaines plantes refusent d’attendre le dégel complet. Qu’à cela ne tienne, je vais faire fondre la neige qui me recouvre ! ben voyons donc, et la marmotte… enfin bref. Il s’avère qu’il existe bien certaines plantes qui pratiquent la thermogenèse. Kesako ? Comme son nom l’indique, c’est un processus de production de chaleur. C’est le cas du chou puant (de son nom scientifique Symplocarpus fœtidus), qui va faire fondre la neige qui l’entoure (Gibernau & Barabé, 2007) pour pointer sa fleur à la surface !

Symplocarpus foetidus au printemps [Source]

Pour faire simple, la chaleur est produite par la mitochondrie (autrement appelée centrale énergétique de la cellule : c’est là entre autre que se produit la respiration cellulaire). Et par la suite, la chaleur est dispersée dans l’environnement, à un tel niveau qu’elle fait fondre la neige aux alentours… Le chou puant peut ainsi faire augmenter sa propre température jusqu’à une trentaine de degrés ! En plus, la chaleur disperse l’odeur de charogne produite par la plante, ce qui attire les mouches, qui sont ses pollinisateurs attitrés.

Le mot de la fin

Fait que pour conclure, bah, les plantes, elles sont crissement bien adaptées au froid ! Mais ‘stie qu’y fait frette icitte, moi j’aimerai quand même retrouver un peu de printemps, j’ai pas autant de résistance au froid !!!

Bibliographie

Gibernau & Barabé. 2007. Des plantes à sang chaud. Pour la science, n°359 - septembre 2007. http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-des-fleurs-a-sang-chaud-19419.php 

Beck, Heim, Hansen. 2004. Plant resistance to cold stress: Mechanisms and environmental signals triggering frost hardening and dehardening. J. Biosci. 29(4), 449–459

Minami, Nagao, Arakawa, Fujikawa, Takezawa. 2006. Physiological and morphological alterations associated with development of freezing tolerance in the moss Physcomitrella patens. Cold hardiness in plants : molecular genetics, cell biology and physiology – ed. Chen et al. – p. 138

Beck, Fettig, Knake, Hartig, Bhattarai. 2007. Specific and unspecific responses of plants to cold and drought stress. J. Biosci. 32(3), 501-510

Parker. 1963. Cold Resistance in Woody Plants. Botanical Review. 29(2), pp. 123-201

Raven et al. 2013. Biology of plants. 8ème édition.

jeudi 19 septembre 2013

Les vacances d’un zoologiste : les mâchoires de l’Arctique.

Battle et Sophie vous ont déjà parlé de leurs vacances en tant que scientifiques. Voici maintenant mon tour. Pour ceux qui me connaissent un peu, vous savez que ça va forcément parler de petites bêtes bizarres. Ceci dit c’est l’occasion de vous raconter comment on les trouve mais surtout, où on les trouve !

Parfois, en plaisantant, entre gens de notre laboratoire, nous nous faisons la remarque que notre recherche se rapproche de la cryptozoologie, l’étude des animaux légendaires. Notre  sujet d’étude est la méiofaune, les animaux microscopiques (j’en ai parlé dans cet article : Méiofaune). Pourquoi cela se rapproche t-il de la cryptozoologie ? Certains de ces animaux ne se trouvent qu’en très faible nombre dans des endroits parfois éloignés ou atypiques (abysses, grottes marines,  une plage perdue en Australie… Ou en France, bref). Pour un nombre considérable d’entre eux, leur morphologie est si étrange qu’on ne sait pas bien à quel groupe d’animaux déjà connus les assigner. Ils présentent des organes ou des structures qui n’existent nulle part ailleurs. L’un des animaux qui nous intéresse est le « Micrognathozoa » ou « Limnognathia ». On le trouve dans les mousses d’eau douce, jusque là rien d’impressionnant. Cependant sa présence a été rapportée à seulement deux endroits sur Terre : L’île Disko au Groenland (ou Qeqertarsuaq) et les îles Crozet, des îles sub-antarctiques.  Cet été nous sommes donc partis au Groenland chasser Limnognathia

Pour l’histoire, le Groenland appartient au royaume Danois. J’ai donc eu la chance de pouvoir aller voyager là bas en tant que thésard à l’université de Copenhague. Il y a, sur l’île Disko, une station scientifique appelée « Arktisk station », une annexe de l’université de Copenhague. C’est là que nous avons été hébergés et que nous avons installé notre laboratoire. Mais l’île Disko ne cache pas seulement Limnognathia mais aussi beaucoup d’autres animaux que l’on ne trouve que là bas (et nulle part ailleurs au Groenland). On y trouve aussi au littoral, en faible profondeur, un sable fin peu commun au Groenland. Reinhardt Kristensen, un des zoologistes qui a décrit les trois derniers phylums découverts (cf article méiofaune pour deux d'entre eux et mon autre blog pour le troisième) et qui a vécu plusieurs années au Groenland, nous a raconté cette légende Inuit : l’île Disko proviendrait originellement du sud du Groenland. Les pêcheurs de l’île auraient demandé à un personnage appelé « fille de la sorcière » de placer l’île plus au nord pour des raisons de commodité. Elle aurait demandé alors d’avoir la chevelure d’un nouveau né. La chevelure lui fut donc donnée et grâce à cela, elle harponna l’île, l’attacha à son kayak et en une nuit mena l’île jusqu’au nord. Certains détails de l’histoire m’ont échappé mais ce qu’il y a d’étonnant c’est que cette île possède en effet un climat partiellement sud groenlandais qui est du à un upwelling, ou remonté d’eaux chaudes profondes à la surface de la mer.

La station Arctique

Vous pouvez donc imaginer l’ambiance de la mission. Des étudiants excités à l’idée de traverser pour la première fois de leur vie le cercle polaire arctique, pour y trouver parmi les plus fascinants des animaux, et des professeurs tout aussi joyeux d’aller dans un endroit où ils ont fait parmi leurs plus importantes découvertes, pour le montrer à leurs étudiants plein de passion.

L’aventure commence enfin. Départ de Copenhague avec plus de 100kg de surpoids (plus plusieurs boites déjà envoyées à la station, les microscopes et autres équipements ça pèse). Après plusieurs heures d’avion et une première escale au Groenland, nous arrivons dans la ville d’Aasiaat où nous faisons la connaissance de nos premiers icebergs. Puis le lendemain nous naviguons entre les icebergs jusqu’à l’île Disko, durant ce voyage nous voyons nos premières baleines. Un des animaux les plus gros au monde… Pour notre part nous chassons un des plus petits. Une fois arrivés à la station scientifique, nous établissons le laboratoire. Pour l’instant tout a l’air propre (ce qui ne va pas durer), nous sommes prêts pour la récolte d’animaux en tous genres (et espèces !).


Malheureusement vous ne le voyez pas mais le labo donne sur les icebergs. Pas moyen de se plaindre.

Premier jour de travail, nous ne chômons pas. Un premier groupe part en bateau faire des échantillons. Quand à moi je reste avec deux de mes collègues (et amis), plongeurs, qui ont le grand courage d’aller faire de la plongée en tubas (avec des combinaisons bien sûr). N’étant pas plongeur moi-même, je reste pour les assister. Ils prélèvent plusieurs fois du sédiment et trient les organismes sur place grâce à un tamis. Cette méthode permet de récolter la « macrofaune » c’est à dire les organismes visibles à l’œil nu. Nous récoltons aussi des algues. En les « essorant » nous pouvons  y trouver pas mal de « méiofaune », ces animaux microscopiques.




Draguer demande parfois du courage. Nous rejoignons ensuite les autres dans le bateau. Cette fois ci nous prélevons de la vase grâce à une drague, un filet accroché à une armature qui racle le fond marin. Pas d’inquiétude ce n’est qu’une petite drague, pas de destruction massive des fonds marins (libre à vous de penser aux blagues que vous voulez, je n’ose pas faire les miennes). Alors que nous draguons (bonne ambiance dans l’équipe), subitement le bateau se met à basculer. Nous avons heurté un rocher. Les marins  relâchent immédiatement la tension puis remontent la drague, l’armature est totalement déformée. Impressionnés, nous discutons à propos de la force du choc. Nous avons eu de la chance que le câble ne lâche pas, cela peut facilement tuer quelqu’un (ce qui est arrivé, sans décès, quelques semaines auparavant).


Mise en place de la drague, n’essayez pas celle-ci dans les bars.


L’armature de la drague complètement déformée

La question qui se pose lorsqu’on étudie la méiofaune (ou des organismes de la vase) c’est comment récupérer les animaux, comment les séparer du sédiment ? Qu’allons-nous faire avec ces dizaines de kilos de vase ? On peut éventuellement  la passer au tamis mais soit la maille du tamis est trop petite et la vase le colmate (dans ce cas là on récupère trop de vase), soit il est trop gros et les plus petits organismes passent à travers. Une technique est de remuer les premiers centimètres de vase (dans l’eau à 4°C on essaye de ne pas faire ça trop longtemps avec nos mimines) pour mettre les organismes en suspension puis avec un petit filet à aquarium on filtre les premiers centimètres d’eau. Ainsi on récupère peu de vase et les organismes, qui flottent plus longtemps, sont récoltés. Ensuite direction le labo, loupe binoculaire, pipette ou pince pour récolter les organismes, livres d’identification, panoplie de produits chimiques (plus ou moins toxiques) pour préserver les organismes pour différents buts, et c’est partit pour le giga fun : « ohhhh regarde ce ver, il est joli », « Je comprends pas celui-ci colle avec aucune espèce décrite ici », « alors je vais t’expliquer comment identifier un Ophelidae » etc.

Puis vient le jour tant attendu, la chasse au Limnognathia ! Parmi les dizaines, si ce n’est centaines, de ruisseaux sur l’île, un seul est connu pour cacher notre proie. Nous prenons donc le bateau pendant 5 heures, un trajet calme et agréable entre les icebergs et les baleines. Nous arrivons finalement à notre point de récolte. Régulièrement nous entendons un son sourd, ce sont des icebergs se brisant au loin. Dur cependant de trouver celui qui se brise au milieu de cette abondance, ils couvrent en effet presque tout l’horizon. Nous accostons donc et remontons le ruisseau. Plus nous montons et plus ce dernier est discret. Au final il cours entre les mousses et ressemble seulement à un ensemble de petites mares. Dur de se dire qu’une des découvertes les plus importantes de la zoologie moderne s’y cache. Complètement survoltés nous n’arrêtons pas les blagues sur cet animal parmi les plus petits (invisible à l’œil nu) mais avec des mâchoires étonnement complexes :  « snif snif, je peux sentir le Limnognathia », « regardez, y’en a au moins deux dans cette marre », « ne buvez pas d’eau, vous risquez d’avoir des bouts de mâchoires entre les dents », « AAAAAH, un Limnognathia me tire vers le fond, aidez moiiiii ! » . Mais nous nous calmons vite, nous sommes assaillis par les moustiques. Motivés cependant, nous continuons. Nous devons prendre des mousses, les compresser et récolter le jus dans un tamis de 30µm (c’est que l’animal est petit !). Et parfois il faut se mouiller !

Maikon, notre post-doc téméraire, chassant le « petit animal à mâchoires » (Micrognathozoa) ou « les mâchoires lacustres » (Limnognathia). Gare aux jambes !

Chasser le Limnognathia avec un « soutient gorge de sirène » à la main (le tamis, oui on appelle ça « mermaid bra » !), le filet à moustique et la bouteille à prélèvement.

Après avoir fait nos récoltes (qui ont probablement divisé par deux la population de notre terrible animal à mâchoires), nous ramenons tous les échantillons sur le bateau. Sur le chemin du retour, nous faisons aussi quelque prélèvement de sédiment avec le « Mini Vann Veen », un outil cher au méiofauniste qui permet de récolter le sédiment en profondeur (pas les abysses non plus). Le principe est simple, une « pince » attachée à un câble est lâchée dans l’eau. En percutant le sédiment et avec son poids elle va se refermer et prélever le sédiment. A l’ouverture c’est toujours une surprise. Ca peut être « ah mince, ça c’est refermé avant de toucher le fond on a que de l’eau » ou « ah c’est trop vaseux, c’est de la merde ce sédiment » ou « OLALALALALA ! Regarde moi ce sable il est magnifique !!! Je suis sûr qu’on va y trouver plein d’animaux géniaux !!! Vite on re-prélève ! Vite vite avant qu’on perde la zone ! ». Oui, un des marins nous a pris pour des fous à nous émerveiller sur du sable. Voici une vidéo d’un de nos prélèvements (qu’on a effectué plus tard). Remarquez que malgré notre sérieux, il y a un temps de suspens et d’extrême curiosité au moment de l’ouverture de la pince… Et mince, c’est que de la vase…





Finalement nous abrégeons les prélèvements. Une tempête est prévue pour le retour. Même si celle-ci n’est pas effroyable, sur un petit bateau scientifique avec des vagues de plusieurs mètres secouant irrégulièrement de tous les côté, nous sommes quasiment tous pris d’un désagréable mal de mer. Même les plus téméraires !
Le lendemain il est temps de jeter un œil à nos échantillons. Premièrement le sable. Mais ici comment procéder ? Les animaux de la faune interstitielle (entre les grains de sable) ont en général des glandes adhésives et collent aux grains de sable. Le remuer ne sert donc pas à grand-chose vu que les animaux recouleront avec le sable. Comment donc les séparer ? On va les endormir ! Avec du chlorure de magnésium ! Après 10 minutes on les secoue énergiquement, puis, encore une fois on les filtre dans un soutien gorge de sirène ! On récupère ensuite « l’extraction » qu’on place dans une boite de pétri et hop, à la loupe binoculaire ! Encore une fois c’est la surprise. Il y a tous les états entre « Y’a vraiment rien dans cet échantillon, que des nématodes et des copépodes », « NON MAIS C’EST PAS POSSIBLE TOUS CES COPEPODES ET VERS PLATS !!! » « Oulà je crois que j’ai trouvé un ver intéressant mais je l’ai perdu » « cet échantillon est extraordinaire ! Je dois absolument y passer des heures, même au plus profond de la nuit, pour tous les récolter » (Haha, c’est un piège, il n’y a pas de nuit en été à Qeqertarsuaq !).


Deux vers cool que nous avons trouvé : Dinophilus taeniatus, la minuscule annélide et Diuronotus aspectos, le gastrotriche chaetonotide géant (600µm quand même !). Source: wikipédia.

La méiofaune classique est en général rigolote et cache une belle diversité. Puis le jour suivant on passe à la recherche de Limnognathia. Et c’est une autre histoire ! Évidement, notre directrice, professionnelle du domaine (et peut-être un peu chanceuse sur le coup) en trouve un grand nombre (comprenez quelque dizaines) très vite. Pour créer chez nous plus de frustration, pauvres étudiants inexpérimentés, aucun de nous n’a ensuite de bon échantillon. La journée fini donc en interminables lamentations pour trouver cette petite m***e blanche, nageant (donc jamais dans le champ de vision de la loupe binoculaire) lentement (donc quasi impossible à repérer au mouvement) et minuscule. Encore mieux, comme tout animal de la méiofaune qui se respecte, le transférer d’un récipient à l’autre c’est avoir une chance sur deux de le perdre. Quand on en trouve 3 dans une journée, y’a de quoi commettre un meurtre… Finalement nous en récoltons suffisamment (mais tout juste) après les efforts de 5 personnes sur 3 jours… Mais ça vaut le coup, traverser le cercle polaire Arctique pour voir un des animaux les plus rares et mystérieux au monde… Et mon chouchou en passant…

Pour vous convaincre que cet animal n'est pas le plus actif. Et encore, là y'en a plein c'est facile de les voir !

Et quand même, une vidéo à plus fort grossissement de notre star !


Quelques jours plus tard, nous avons l’occasion de faire un prélèvement de plancton, c'est-à-dire laisser trainer un filet derrière le bateau. Nous effectuons aussi un prélèvement de sable « subtérranéen », c'est-à-dire profond sur une plage. Nous tentons pour la première fois de creuser un trou d’un mètre cinquante dans une plage perdue du Groenland pour y trouver des organismes. En effet, la faune qu’on trouve dans cette haute zone de la plage peut être très particulière avec des organismes très rares. C’est un moment très amusant, nous constatons qu’enfant sur la plage nous faisions des trous pour jouer et qu’en doctorat, on s’amuse toujours de la même manière. Après de sacrés efforts et une bonne poilade donc, nous atteignons enfin l’eau au fond d’un trou de ma taille… En voici une preuve :



Et après ce suspens interminable (et tous ces efforts), je vous révèle ce qu’on y a trouvé… Rien ! Enfin si, des copépodes et des nématodes… Mais ce n’est pas ce que l’on cherchait.

Nous rentrons ensuite avec tous nos échantillons que nous plaçons dans le container réfrigéré qui nous a été prêté. Avec tous ces prélèvements nous le remplissons très vite :

Et encore là on n’y a pas encore entreposé la jambe de bœuf musqué que nous allons déguster pour le repas de départ de nos professeurs (qui partirons un peu avant nous).

Voilà, c’est la fin de cette aventure scientifique. Nous avons eu la chance d’y voir plein de petites bêtes qu’il est difficile de trouver ailleurs dans le monde. Ca a été pour ma part un de mes voyages les plus enrichissants sur tous les plans. J’ai voulu insister ici sur l’aspect récolte et terrain, pour la part « zoologique », vous pouvez aller voir l’article que j’ai publié sur la méiofaune. Mais bien sûr je ne peux pas vous laisser sans quelques photos supplémentaires. Entre les paysages magnifiques, les lieux uniques, la faune marine super riche, les histoires Inuit etc. je pourrais encore tergiverser pendant longtemps… 


Le brouillard tombe sur Qeqertarsuaq.

Qeqertarsuaq au loin.

Un glacier derrière le village. Notez qu’il était environ 21h30… 
Un beau bateau devant les montagnes qui entouraient le village


Le village de Kangerluk, d’une cinquantaine d’habitants perdu dans le brouillard au fin fond du Groenland. Avec des carcasses de phoques dépecées qui nous attendent à l’entrée et les chiens de traîneau hurlant tous ensemble… Rassurant…

Un magnifique nudibranche que nous avions récolté. Oui il y a une faune marine colorée au Groenland.

Et pour fini, un coucher de soleil sur les Icebergs.

lundi 31 décembre 2012

Petit guide de la résistance au froid


Un petit coup d’œil à travers la fenêtre et une confirmation : l’hiver et bel et bien installé ! Le paysage est aussi blanc que le ciel. Et malgré la beauté et la féérie de cette image, y’a pas à dire, on a envie de rester bien au chaud. Hé oui, il faut dire que niveau résistance au froid, l’humain n’est pas le mieux pourvu. Dès que la température descend en dessous de 20°C, le pull s’impose. Pourtant, outre les artifices dont nous avons (presque) le monopôle - chauffage, bouilloire et compagnie - la nature dispose de son florilège de tactiques pour lutter contre le froid. Avant de vous proposer un rapide tour d’horizon, une question s’impose : pourquoi le froid est-il mauvais pour certains organismes ?


(Source)

Les effets de la température


La température a des conséquences sur de nombreux mécanismes physiologiques. Sa diminution provoque un ralentissement de la plupart des phénomènes, y compris le métabolisme. Ainsi, les guppies, des petits poissons colorés bien connus des aquariophiles et qui vivent habituellement dans un environnement à 23°C, meurent à 10°C à cause d’un trop fort ralentissement de leur centre respiratoire (Pitkow 1960). Les enzymes, indispensables aux réactions chimiques de l’organisme, disposent d’une température optimale de fonctionnement. La température détermine en effet l’intensité de l’agitation moléculaire, elle-même influant notamment sur les vitesses de changements de conformation des protéines ou encore la probabilité de rencontre entre différents composés. Un changement trop important de température peut donc entraîner l’inactivation d’enzymes. De plus, les réactions n’ont pas toutes la même sensibilité aux températures, et il peut donc y avoir accumulation ou disparition de certains intermédiaires du métabolisme. La température peut avoir des effets sur la structure membranaire des cellules, et donc entraîner une modification des interactions des protéines et des lipides. Et puis bien sûr, beaucoup d’organismes ne supportent pas la formation de glace dans leurs tissus.


La thermorégulation chez l’être humain


Vous l’avez tous remarqué : nous même, Homo sapiens, avons une gamme de température dans laquelle nous nous sentons bien. Au-delà, nous avons « trop chaud » ou « trop froid ». Mais avant que la température ne soit sérieusement dangereuse, notre organisme est capable de s’arranger pour que notre température interne reste stable, grâce à ce qu’on appelle la thermorégulation.
En permanence, des récepteurs détectent la température, à la fois au niveau de la peau (thermorécepteurs périphériques) et de la moelle épinière, des organes abdominaux et de l’hypothalamus, dans le cerveau (thermorécepteurs centraux). L’information est ensuite transmise à l’hypothalamus, qui s’occupe de coordonner les actions permettant à notre corps de se réchauffer. L’important étant de garder les organes vitaux au chaud, les récepteurs centraux sont prioritaires mais les récepteurs périphériques permettent d’anticiper les variations de températures avant qu’elles n’atteignent les récepteurs centraux.
Et ensuite ? Et bien vous connaissez les symptômes liés aux basses températures : on claque des dents, on a froid aux doigts et aux orteils, on frissonne… Le frisson se caractérise par des contractions rythmiques des muscles, qui permettent de transformer l’énergie en chaleur. La sensation de froid aux extrémités est due à la vasomotricité (modification du diamètre des vaisseaux sanguins). Ainsi, les vaisseaux situés juste sous la peau se contractent. Le sang y circule moins, ce qui diminue les pertes de chaleur du sang vers l’extérieur. La chaleur de l’organisme reste donc concentrée dans les organes vitaux, quitte à sacrifier les doigts bien moins indispensables !
Alors que la température de notre corps est bien homogène lorsque la température extérieure est douce, elle descend rapidement dans les extrémités (mains et pieds, puis bras et jambes) lorsque la température extérieure baisse. Les centres vitaux de notre organisme (cerveau, cœur, poumons, etc.) restent cependant à bonne température (Source)


Ces mécanismes fonctionnent chez de nombreux organismes, mais beaucoup d’espèces ont leurs propres particularités qui leur permettent, entre autres, de résister aux températures basses. D’ailleurs pour l’homme, une particularité est bien plus évidente que toutes celles que je viens de citer. C’est sa capacité d’innovation, son aptitude à utiliser des outils, qui lui ont permis de coloniser des environnements à priori trop froids sans ces artifices. Vêtements, cabanes, découverte du feu… Et bien sûr à l’heure actuelle tout un tas de machines qui produisent de la chaleur, des procédés qui permettent de mieux la conserver… Imaginez vous seulement, tout petit humain que vous êtes, à poil et sans maison au beau milieu d’une France sauvage… La survie face au froid serait bien pénible !

 


Les multiples inventions pour résister au froid dans le monde animal


Si les humains ont pu coloniser presque tous les milieux grâce à leurs artifices, les autres animaux en ont fait tout autant, en rivalisant d’adaptations pour survivre sans problèmes dans des environnements qui nous donneraient envie de claquer des dents… On dénombre plusieurs types de propriétés, telles que des adaptations morphologiques, comportementales ou encore physiologiques.
Les adaptations morphologiques sont les plus évidentes parce que les plus visibles. Quand on voit un ours blanc se trémousser tranquillement sur la banquise, on se dit qu’on en ferait tout autant si seulement on avait une fourrure aussi bien fournie que la sienne… L’isolation thermique est en effet très importante pour conserver la chaleur au sein de l’organisme. Cette isolation passe par des couches de graisses, des poils ou encore des plumes. Fourrure et plumage fonctionnent un peu comme vos fenêtres à double vitrage. Si leur épaisseur compte pour isoler la maison, c’est surtout grâce à la couche d’air prisonnière entre les deux vitres que vous devez votre isolation thermique. Celle-ci fonctionne comme un tampon, assurant une certaine inertie thermique. De la même façon, poils et plumes emprisonnent de l’air, et c’est particulièrement cette couche qui permet à l’animal de conserver sa chaleur. Cette isolation peut varier selon les saisons, augmentant avec l’arrivée de l’hiver.
Une autre adaptation morphologique consiste en une réduction des surfaces d’échanges entre l’animal et l’environnement, qui réduit par la même occasion les pertes de chaleur. Cela consiste en une diminution (par rapport à des espèces apparentées vivant dans des milieux plus chauds) du ratio surface/volume, et une réduction des extrémités. On parle de la règle d'Allen. L’animal se rapproche ainsi d’un aspect compact, « en boule », la sphère ayant en effet le plus faible rapport surface/volume. Par exemple, le renard polaire, comparé à ses cousins, dispose d’oreilles bien plus réduites, ainsi que d’un museau relativement court.

Comparé à ses cousins des pays plus chauds (fennec et renard roux), le renard polaire dispose d’extrémités réduites

En plus d’adaptations morphologiques, les animaux soumis à de basses températures sont également capables de conserver leur chaleur corporelle via des comportements. Ainsi, à l’image des animaux ectothermes (c'est-à-dire qui produisent peu de chaleur via leur métabolisme, et dépendent donc des conditions de température de leur environnement), l’exposition au soleil est une manière simple de faire augmenter la température de son corps. Tout le monde a en tête l’image du serpent ou du lézard se dorant impassiblement au soleil… Des postures individuelles peuvent également permettre de réduire les pertes de chaleur. Ainsi, de la même façon que le renard polaire dispose d’une surface apparente réduite, les animaux peuvent s’arranger pour créer cette propriété, simplement en se roulant en boule. L’orientation du corps par rapport au vent peut également jouer un rôle primordial pour éviter les pertes de chaleur. Et puis bien évidemment, la recherche ou la construction d’abris sont indispensables à de nombreuses espèces, notamment les espèces qui hibernent. Par ailleurs, ces dernières sont fascinantes dans le sens où, bien qu’endothermes (par opposition à nos ectothermes de tout à l’heure, ce sont des espèces qui maintiennent relativement constante leur température  grâce à une production interne de chaleur, nous en faisons d’ailleurs partie), elles sont capables de survivre, lors de l’hibernation, à une baisse drastique de leur température interne. A tel point que ces animaux sont parfois classés dans la catégorie des hétérothermes, une sorte d’intermédiaire entre endothermes et ectothermes. Cette baisse de température est compensée par une intense diminution du métabolisme. Chez le Spermophile arctique (Spermophilus parryii), un petit écureuil, la fréquence cardiaque passe de près de 400 pulsations par minutes en éveil à une soixantaine en hibernation.
Après un réveil forcé, le Spermophile arctique (Spermophilus parryii) entre de nouveau en hibernation. On observe alors une baisse de sa fréquence cardiaque en parallèle de la diminution de sa température interne. (Source)

Dans la catégorie « comportements », on peut également classer la migration. De nombreux oiseaux sont ainsi connus pour rejoindre des contrées plus chaudes quand l’hiver arrive… Bien souvent cependant, il apparait que le paramètre important n’est pas la température elle-même (certains oiseaux survivraient tout à fait aux températures hivernales), mais plutôt les ressources en nourriture. Les animaux se nourrissant d’insectes, qui deviennent indisponibles dès l’arrivée de l’hiver, ont en effet beaucoup de mal à subvenir à leurs besoins énergétiques. Bon là je suis obligée de parler de mon sujet d’études préféré… le flamant rose (Phoenicopterus roseus) ! J’avais consacré un article à vous parler de leurs bizarreries multiples. Une partie de la population vit et se reproduit en France en été. L’automne venu, certains oiseaux partent vers le sud tandis que d’autres restent en France. Le sud est une promesse d’abondance, mais également la perspective d’un voyage périlleux au cours duquel beaucoup y laisseront la vie. La France recèle de plus en plus de ressources pour eux, mais ils n’y sont pas non plus à l’abri. Cette année par exemple, le froid a été tel que beaucoup de flamants sont morts… de faim (vous pouvez me croire, j’ai étudié leurs cadavres pendant des mois !). Leurs ressources de nourriture étaient simplement prisonnières de la glace. Les quelques centaines d’oiseaux qui sont restés cantonnés dans un petit étang au cœur d’un parc ornithologique ont eu la chance d’être nourris par l’homme, et ont tout à fait résisté au froid. Par ailleurs, je serais curieuse de connaître les effectifs des oiseaux qui ont migré cet automne ! Il se pourrait bien que beaucoup aient changé d’avis quant à leur décision de rester, compte tenu du fiasco de l’année passée…
Pour terminer ce tour d’horizon des comportements pour résister au froid, j’aimerais citer deux espèces aux mœurs assez spécifiques. D’une part, le fameux manchot empereur (Aptenodytes forsteri), qui vit dans des pays où tout est tout blanc partout. Son histoire a été largement diffusée grâce à un film-documentaire d’une grande poésie, La marche de l’empereur. J’avoue que ça me démange de radoter la différence entre un manchot et un pingouin, de huer tous les créateurs de dessin animés qui nous apprennent dès l’enfance à appeler pingouin les manchots… mais bon après tout ce n’est pas le sujet, et puis y’a une super planche de BD qui y est consacrée sur Mégatherium. Dans le film-documentaire comme je disais, on y voit les manchots plongés dans une tempête de neige atroce et les braves bêtes qui lutent contre ce froid et ce vent sans pitié. Ils ont une parade assez efficace : ils se regroupent, se serrent les uns aux autres le plus possible. Cette formation « en tortue » (oui oui, comme les légionnaires dans Astérix et Obélix !) permet un maintien de la chaleur grâce à une diminution des surfaces d’échanges avec l’environnement. Chaque individu étant de tous les côtés collé aux autres, qui ont à priori une température proche de son propre plumage, le froid ne les pénètre que par le haut (bin oui, ils ne vont pas non plus s’entasser…). Attention aux interprétations anthropomorphiques et à la tentation d’invoquer la sélection de groupe… Malgré une unité et une coopération apparente, chaque individu prend cette position pour sauver sa propre peau, et non pour protéger les autres comme le laisse entendre le film Happy feet (un film d’animation qui raconte l’histoire d’un pauvre petit manchot qui ne sait pas chanter…). Lorsque le blizzard déferle subitement sur la colonie, le chef se met en effet à crier « Share the cold! Share the cold. Each must take his turn against the icy blast... » (« partagez le froid ! partagez le froid ! Chacun doit prendre son tour contre le souffle de glace »). Il est vrai qu’il a été mis en évidence que ce ne sont pas toujours les mêmes individus qui se retrouvent à l’extérieur de la tortue, et donc sont les plus exposés au froid. Il y a une rotation, et un individu se retrouvera tantôt au centre, tantôt en bordure du groupe. Cependant, il semble peu probable qu’un individu bien au chaud au milieu décide de céder gracieusement sa place à un pauvre manchot mort de froid qui ne lui est probablement même pas apparenté. Il apparaît plutôt que les manchots vont simplement réagir au vent, et les plus exposés finiront par en avoir marre et iront se placer de l’autre côté de la formation, exposant ainsi les manchots qu’ils protégeaient auparavant…


Dernier exemple pour les comportements de lutte contre le froid, juste parce que quand même y’en a qui ont trouvé la solution miracle en s’offrant plaisir et détente de surcroît : petit détour chez les macaques japonais (Macaca fuscata). Ce macaque est le plus nordique de tous les primates, ce qui l’oblige à résister à des températures souvent négatives. Il est évidemment doté de particularités facilitant cette vie dans le froid, notamment une belle fourrure bien épaisse. Mais ces singes ont dégotés une source de chaleur de substitution qui n’a rien à envier aux inventions humaines : ils se réchauffent en se baignant dans des sources thermales naturelles, des bains dont la chaleur a une origine volcanique. D’ailleurs, si vous avez déjà eu l’occasion de visionner un reportage sur ces animaux, vous avez peut être été marqués par leur manque de courtoisie. Leur système social fonctionne, comme souvent chez les macaques, sur une hiérarchie bien déterminée. Seuls les dominants, ainsi que leurs petits, ont le droit de paresser tranquillement dans le bain de chaleur bienfaisante. Les autres, quand bien même issus de la même troupe, sont recalés transis sur les bords, profitant à peine des quelques effluves de chaleur de la source. Qu’ils essaient de prendre la place des dominants, et ils se feront sévèrement réprimandés. C’est que les dominants n’aiment pas être sérés dans leur bain…

Des macaques japonais (Macaca fuscata) se prélassent dans une source d’eau chaude. (Sources 1, 2)

Dernier grand type d’adaptations au froid que je veux vous évoquer, mais loin d’être le moindre : les adaptations d’ordre physio-anatomique. J’en avais évoqué deux au début de l’article, concernant l’être humain : frisson et vasomotricité. Il existe bien d’autres particularités, plus au moins répandues au sein du règne animal. Tout d’abord, les propriétés morphologiques permettant d’isoler l’animal, telles que les plumes ou les poils notamment, peuvent être améliorée par un phénomène de piloérection. Cela signifie que les structures, poils et plumes, vont se redresser. Chez l’humain, on parle de chair de poule. Cependant, poilus comme nous sommes, le résultat est assez décevant… Mais chez certains animaux, c’est un phénomène qui permet de conserver leur chaleur corporelle, en améliorant le système dont je vous avais parlé plus haut : des poils dressés permettent simplement l’emprisonnement d’une plus importante couche d’air.

Comme beaucoup d’oiseaux, le bruant à gorge blanche (Zonotrichia albicollis) est capable d’hérisser ses plumes pour augmenter la couche d’air qu’elles emprisonnent (Sources 1, 2)


En dessous de la peau, les vaisseaux sanguins s’adaptent aussi à la température extérieure, notamment grâce à cette vasoconstriction des vaisseaux les plus externes dont je vous avais parlé chez l’humain. Mais ce n’est pas la seule particularité des vaisseaux. Une disposition particulière permet de faire des miracles quand il s’agit de sauvegarder la chaleur corporelle. Quand j’ai évoqué les manchots, j’ai dit que la formation en tortue permettait que seul le haut de leur corps soit exposé au froid. Ce n’est pas tout à fait vrai. Qu’ils soient en formation ou chacun dans leur coin, les manchots ont toujours un point de contact indéniable avec le froid, simplement au niveau de leurs pattes ! Bin oui, de toute façon ils ne savent pas voler et au pôle sud ce n’est certainement pas dans les arbres qu’ils vont se réfugier… Ces oiseaux sont donc constamment debout sur de la glace, et donc à priori ils devraient progressivement évacuer toute leur chaleur par le bas. Mais c’est sans compter la disposition de leurs vaisseaux. Vous avez tous remarqué que la chaleur se transmet. Autrement dit, posez un objet froid conte un objet chaud et il se réchauffera. Ainsi, dans les pattes de nombreux animaux, ainsi que dans d’autres structures évidemment, veines et artères sont accolées. Si bien que quand le sang chaud descend vers l’extrémité des pattes, il est au contact du sang refroidit qui lui remonte. Ce contact fait que la chaleur du sang des artères se transmet dans les veines, réchauffant progressivement le sang qui remonte dans le corps de l’animal. Un système on ne peut plus simple qui aboutit à un gradient de chaleur du corps vers les extrémités.
A gauche, une patte de manchot empereur. A droite, système d’échange de chaleur en U dont disposent, dans leurs extrémités, des animaux exposés au froid

Les organismes constamment exposés au froid ont également des adaptations d’ordre moléculaire. Ainsi, ils disposent d’enzymes adaptées, dont l’activité est assurée à de basses températures. Si les organismes ne sont exposés que périodiquement au froid, le métabolisme peut s’adapter en diminuant. J’en ai parlé plus haut avec l’hibernation. Les mammifères hibernant ont d’autres adaptations physiologiques leur permettant de résister au froid, et notamment une importante proportion de « graisse brune ». Ce tissu adipeux particulier, présent chez beaucoup de petits mammifères et augmentant avec l’arrivée du froid, dispose d’un rôle thermogénétique. Autrement dit, il sert à produire de la chaleur via une oxydation des acides gras qu’il contient par les mitochondries. Je ne rentre pas plus dans les détails, mais les curieux peuvent aller jeter un coup d’œil sur le blog de JP Colin.
Disposition des principaux amas de graisse brune chez les petits mammifères hibernant



Et pour les températures négatives ?


Saviez-vous qu’en certaines parties du globe, l’eau des océans est inférieure à 0°C ? Et que malgré cette température, des animaux y survivent ? Petit point d’abord sur les différents états de l’eau. Comme on vous l’a appris à l’école, l’eau bout à peu près à 100°C et gèle en dessous de 0°C (je dis à peu près car cela dépend également de la pression atmosphérique). Pas de problème jusque là, ce sont même ces propriétés qui ont permis de créer l’échelle des degrés Centigrades, très proche de l’échelle des degrés Celsius (hé bien oui, à pression standard, l’eau bout précisément à 100 degré Centigrades mais à seulement 99,975 degré Celsius !). Cependant, vous savez aussi sans doute qu’en mettant un peu de sel dans l’eau des pâtes, ça cuit plus vite ! La belle aubaine. Comment ? En augmentant le point d’ébullition. Concrètement, de l’eau plus concentrée (ici en sel) est à une température plus élevée quand elle se met à bouillir, accélérant le processus de cuisson (en fait, le phénomène est quasi insignifiant sur le temps de cuisson). C’est également le même principe mais en sens inverse lorsqu’on répand du sel sur les routes en hiver : l’eau, dont le point de congélation est alors abaissé, se transforme en glace à une température plus basse que 0°C. Tout ça pour dire quoi ? Ha oui, que l’eau de mer étant salée, il n’est pas étonnant qu’elle puisse descendre en dessous de 0°C sans geler ! Des créatures aquatiques (appelons les « poissons » pour la compréhension générale de tout un chacun…) peuplent donc ces milieux frigorifiques, et ils ont tout intérêt, eux, à ne pas geler ! Ils disposent alors de protéines spéciales, qui leur permettent d’abaisser leur point de congélation : des glycoprotéines antigel. Ces protéines fonctionnement en empêchant la fixation de molécules d’eau sur des cristaux en formation.
D’autres animaux en revanche sont tout simplement capable de supporter le gel. Par exemples, les organismes qui vivent dans la zone de balancement des marées sont dans l’eau à marée haute mais se retrouvent exposés à l’air à marée basse, à des températures qui peuvent être fortement négatives. A ce stade, l’eau de leur corps peut être gelée à 90%. Et comme seulement l’eau gèle, et non les particules qui y sont dissoutes, le milieu interne non encore gelé est de plus en plus concentré, ce qui empêche une partie de geler (la même histoire que le sel juste au dessus). La protection des membranes cellulaires peut être assurée par des composés, tel que le glycérol, présent en forte concentration chez certains insectes et qui permet également d’abaisser le point de congélation.
Pour les curieux et courageux qui auront eu le courage d’aller jusqu’au bout de cet article, je termine en parlant d’un champion toutes catégories qui est aussi une de mes bébêtes préférées : le tardigrade. Cette minuscule bestiole, surnommée « ourson d’eau » en raison de son apparence, cumule les titres en matière de survie : résistance aux radiations, à la déshydratation, aux produits toxiques, et même au vide intersidéral ! Hé bien oui, lâchés dans l’espace, beaucoup survivent ! Ces bestioles sont aussi capables d’être actifs à des températures très négatives (allez donc leur faire un petit coucou au Groenland !), mais aussi de survivre à une température proche… du zéro absolu (Persson et al. 2011), soit -273,15 °C ou autrement dit, la plus basse température qui puisse exister dans l’univers ! Si après ça vous ne vous sentez pas ridicule question résistance au froid…

Un tardigrade, petit animal qui peut se targuer de résister à bien des situations extrêmes. (Source)


Bibliographie


Geiser, F. 2004. Metabolic rate and body temperature reduction during hibernation and daily torpor. Annual Review of Physiology, 66, 239-74.
Persson, D., Halberg, K.A., Jørgensen, A., Ricci, C., Møbjerg, N. & Kristensen, R.M. 2011. Extreme stress tolerance in tardigrades: surviving space conditions in low. Journal of zoological systematic and evolutionary research, 49, 90-97.
Pitkow, R.B. 1960. Cold Death in the Guppy. Biological Bulletin, 119(2), 231-245.


Sophie Labaude

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