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vendredi 2 avril 2021

Ces plantes qui n’ont pas besoin du Soleil pour vivre

Aujourd’hui, je vous emmène en voyage… en Malaisie ! Comme la plupart d’entre vous, je suis coincé derrière mon écran d’ordinateur en ce moment, mais ce n’est pas une excuse pour ignorer l’actualité scientifique internationale. Et ça tombe bien, car je vais vous parler d’une découverte récente faite dans le parc national du Royal Belum sur la péninsule du Myanmar, en Malaisie.

Ça fait du bien de voyager… même depuis sa chaise d’ordinateur ! (source)

Pour les personnes dont la géographie n’est pas le point fort (et je m’inclue dedans, inquiétez-vous pas), la Malaisie, c’est ici :

Localisation de la Malaisie (gauche, source)
et du parc national du Royal Belum (droite, source : Siti-Munirah et al 2021)

Cette région du monde est un des biodiversity hotspot (« points chaud » de biodiversité en français), c’est-à-dire une zone de la planète qui présente une diversité biologique élevée, directement menacée par les activités humaines. Dans le cas des zones tropicales telles que la Malaisie, il s’agit principalement de la déforestation.

Heureusement, certains gouvernements prennent des mesures pour protéger ce qui peut encore l’être, et créent des zones de réserves qui ne sont pas exploitées. C’est le cas du parc national du Royal Belum, où nos scientifiques ont fait une bien étrange rencontre…

Pour la petite histoire, les scientifiques à l’origine de la découverte et description de cette plante travaillent au Forest Research Institute Malaysia, situé proche de Kuala Lumpur (la capitale de la Malaisie), et ont tout d’abord pris connaissance de l’existence de cette plante… sur les réseaux sociaux ! En effet, un guide naturaliste du Royal Belum State Park avait posté des photos de cette plante intrigante, et les scientifiques en sont venus à la conclusion qu’il pouvait s’agit d’une nouvelle espèce. La suite, on la connait : une campagne de terrain plus tard, une nouvelle plante était répertoriée !

Sans plus attendre, je vous dévoile cette espèce révélée au grand jour par l’équipe en question : il s’agit de Thismia belumensis.

Plante entière dans son milieu naturel (source )

Mais… dites-moi, elle n’est pas très verte, pour une plante… et puis, ça ressemble plus à un cauchemar sorti tout droit de l’imaginaire de Ridley Scott plutôt qu’une sympathique petite plante de sous-bois dans la forêt tropicale… Alors, regardons de plus près ce drôle de végétal.

Vue rapprochée de Thismia belumensis. (source  )

Non seulement, cette plante n’est pas verte et aucune feuille n’est visible… mais elle ressemble furieusement à la bouche d’un animal quand on se rapproche. Alors, que penser ? Est-ce une plante carnivore qui attire des insectes et les gobe au passage dans sa large « bouche » ? Que nenni ! C’est un peu plus complexe que ça…

Effectivement, cette plante n’est pas verte, donc elle ne peut pas réaliser la photosynthèse et utiliser l’énergie du soleil pour fabriquer sa propre nourriture (c’est-à-dire des sucres). Comment fait-elle pour se développer, se maintenir et survivre même ?

Il s’avère que les plantes du genre Thismia (qui regroupe tout de même entre 80 et 90 espèces selon les auteurs) sont ce que l’on appelle « mycohétérotrophes » : cela signifie que ces plantes se développent au dépend des champignons du sol. En gros, au lieu de fabriquer ses propres sucres grâce à la photosynthèse, la plante utilise son système racinaire pour aller « pomper » les sucres fabriqués par les champignons dans le sol. On assiste donc ici à une relation de parasitisme au bénéfice de la plante, alors que la plupart du temps c’est le champignon qui sera le parasite.

On peut même aller plus loin et dire que les champignons servent de lien de transfert direct du carbone depuis les plantes chlorophylliennes jusqu’à nos plantes mycohétérotrophes ! Pour résumer la chose, voici un petit schéma :

Lien trophiques entre les plantes et les champignons dans le sol, avec les transferts de carbone (=sucres) associés. (Source)

Dans notre cas, il s’agit d’une relation de parasitisme et non de symbiose (comme avec les mycorhizes) car c’est une relation à sens unique : la plante récupère les nutriments et sucres auprès du champignon mais ne redonne rien en échange.

Quant à la forme de cette fleur, eh bien… les chercheurs n’ont pas encore trouvé d’explication ! ce qui est encore plus étrange, c’est que chez le genre Thismia, les fleurs ont la plupart du temps une symétrie radiale (comme une étoile de mer si l’on veut) alors que dans notre cas, la fleur possède une symétrie bilatérale. Le mystère reste donc entier vis-à-vis de cette morphologie particulière…

A gauche, Thismia neptunis, une espèce récemment redécouverte en Malaisie (Sochor et al 2018 ); à droite,  Thismia belumensis (modifié d’après Siti-Munirah et al 2021)

D’autres exemples de mycohétérotrophie peuvent s’observer à travers le règne végétal, et pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour ça ! On trouve par exemple Monotropa uniflora en Amérique du Nord, dans les forêts où se trouvent des champignons de la famille des Russules (Yang et al 2006). De la même manière que les plantes du genre Thismia, la monotrope va se « brancher » sur les filaments du champignon présent dans le sol afin d’en extraire les nutriments.

Mais le plus étrange dans tout ça, c’est la mycohétérotrophie n’a pas qu’une seule origine (Merckx et al, 2013) dans le règne des végétaux ! Cette particularité se trouve dans de nombreuses lignés évolutives qui comptent principalement des plantes chlorophylliennes… alors, pourquoi cette capacité à « voler » des sucres aux champignons s’est-elle développée ? Sans avoir la réponse exacte à cette question (comme bien souvent en sciences), on peut proposer plusieurs hypothèses (Merckx et al, 2013). Par exemple, on pourrait penser que certaines plantes utilisent la mycohétérotrophie pour éviter de stocker trop de nutriments dans leurs graines : ainsi, les nouvelles plantules s’associent directement avec les filaments de champignons dans le sol, en leur « pompant » leurs réserves de sucres… c’est tout bénéfice pour la plante-mère, qui n’a pas besoin de dépenser toutes ses ressources dans sa descendance (les autres organismes s’en chargent !). D’autres hypothèses laissent entendre que le développement de la mycohétérotrophie s’est fait en même temps que la formation des premières forêts à canopée fermée… ce qui empêche la lumière d’arriver au sol ! Donc, être capable d’utiliser les ressources d’autres organismes, au lieu de faire la photosynthèse, est un avantage évolutif certain dans ces conditions d’obscurité.

En conclusion, les plantes mycohétérotrophes tirent leur subsistance du parasitisme envers les champignons… qui eux-mêmes, tirent leur nourriture soit des arbres vivants ou morts, alors on peut dire qu’au bout du compte, tous ces organismes qui sont reliés les uns autres tirent leur énergie d’une seule et même source : le soleil !

Bibliographie

·        Siti-Munirah MY, Suhaimi-Miloko Z, Zubir Ahmad MI (2021) Thismia belumensis (Thismiaceae), a remarkable new species from The Royal Belum State Park, Gerik, Perak, Peninsular Malaysia. PhytoKeys 172: 121–134. https://doi.org/10.3897/phytokeys.172.59336

·        https://www.newscientist.com/article/2162691-a-weird-underground-plant-has-been-rediscovered-after-151-years/

·        https://www.newscientist.com/article/2270144-fairy-lantern-flower-has-a-gaping-mouth-and-saps-energy-from-fungi/

·        Sochor, M., Egertova, Z., HRONEŠ, M., & DANČÁK, M. (2018). Rediscovery of Thismia neptunis (Thismiaceae) after 151 years. Phytotaxa, 340(1), 71-78.

·        S. Yang & D.H. Pfister (2006) Monotropa uniflora plants of eastern Massachusetts form mycorrhizae with a diversity of russulacean fungi, Mycologia, 98:4, 535-540, DOI: 10.1080/15572536.2006.11832656

·        Merckx, V. S. F. T., Freudenstein, J. V., Kissling, J., Christenhusz, M. J. M., Stotler, R. E., & Crandall-Stotler, B. (2013). Mycoheterotrophy. Springer, New York, NY. doi10, 978-1.

 

mercredi 27 janvier 2021

Ces plantes qui aiment se dorer au soleil

A la surface de la planète, la plupart des plantes sont vertes, en raison d’un pigment appelé chlorophylle, contenu dans leurs feuilles. La chlorophylle utilise l’énergie provenant du soleil (sous forme de photons) pour réaliser la photosynthèse, un mécanisme cellulaire à l’origine de la production de sucres indispensable à la plante pour sa croissance, son développement et sa reproduction. Tout ça j’en ai déjà parlé ici, je ne vais pas revenir là-dessus.

Mais saviez-vous que certaines plantes utilisent également la lumière du soleil pour d’autres raisons ? Que certaines espèces possèdent des feuilles et des cellules particulières qui augmentent artificiellement la température de l’organisme lorsque la météo devient plus froide ? Et que ceci est une adaptation qui augmente leur succès reproducteur (un plus grand nombre de descendants viables) et ainsi favorise la survie de l’espèce

Dans un précédent article, je vous parlais de voies métaboliques permettant à certaines espèces d’élever drastiquement leur température interne par rapport au milieu ambiant, ce qui est bien utile au chou-puant pour percer la neige au printemps. Cette fois, je vais vous parler de plantes qui, à défaut d’accroitre leur température de façon autonome, sont capables d’utiliser les rayons du soleil pour rester au chaud.

Mais avant de vous expliquer le-pourquoi-du-comment, reprenons les bases sur l’effet de serre.

Petit rappel sur l’effet de serre

Vous avez certainement entendu parler des gaz à effet de serre (GES) – ou alors c’est que vous venez juste de vous réveiller d’un sommeil datant de l’ère préindustrielle, vous avez plusieurs siècles à rattraper et la liste serait trop longue à faire ici – la star au cœur des problèmes de changements climatiques qu’on connaît actuellement.

Faisons simple, un schéma vaut mieux que 1000 mots!

Schéma explicatif de l'effet de serre (Source)

La Terre, la seule et unique planète habitable connue du système solaire (et pour le moment, de l’univers à ce qu’on sache !), possède une atmosphère viable pour le développement de la vie. Cette atmosphère est une mince couche de gaz protégeant entre autres les organismes vivants des rayonnements ultraviolets mortels émis par le soleil et ayant un rôle dans notre capacité à respirer. Au passage, l’atmosphère ne fait pas plus de 100km, c’est environ la distance entre  Paris et Chartres pour les français, deux fois la distance Anvers-Bruxelles pour les belges et un peu moins du tiers de la distance entre Montréal et Québec pour les québécois.

D’après notre petit schéma, on remarque qu'une partie du rayonnement solaire est réfléchie dans l’espace par l’atmosphère et la surface terrestre. L’autre partie est absorbée par la surface terrestre, dont la température va être augmentée, et la surface terrestre va à son tour réémettre de l'énergie vers l'espace sous forme de rayonnements infrarouges.

Ces rayons infrarouges frappent les molécules de gaz à effet de serre présentes naturellement dans l’atmosphère, tels que la vapeur d’eau ou encore le dioxyde de carbone (CO2) et réchauffent ainsi les basses couches de l’atmosphère et de la surface de la terre. Grâce à cela, nous ne gelons pas sur place et la température moyenne sur Terre avoisine les 15°C. La chaleur réémise par la terre sous forme de rayons infrarouges se retrouve ainsi en grande partie piégée par les gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui à leur tour réémettent une partie de la chaleur vers la surface terrestre, et s’en suit une boucle qui peut durer longtemps. Ce cycle de réchauffement nécessite donc deux conditions sine qua none : des rayonnements provenant de l’extérieur générés par le soleil, et des gaz à effet de serre capable de les piéger.

Le même principe est utilisé dans les serres artificielles pour faire pousser des légumes en hiver, à la différence qu’ici les rayons du soleil traversent le plafond de verre pour venir réchauffer le sol de la serre, qui émet des rayons infrarouges, qui eux ne peuvent pas retraverser le verre, et sont donc réfléchis vers le sol, entrainant un réchauffement supplémentaire, etc.

Une mini-serre naturelle dans une feuille

Voyez-vous où je veux en venir ? Certaines plantes sont capables d’utiliser ce principe de l’effet de serre à leur avantage, en créant des conditions idéales pour leur croissance.

Voyageons un peu à la découverte de la rhubarbe noble Rheum nobile qui pousse sur les flancs des montagnes himalayennes, vers les 4000m d’altitude.

Rheum nobile dans son milieu naturel sur les flans de l'Himalaya (source

À cette altitude, il n’y a plus d’arbres, et les rares plantes y sont en général toutes rabougries et peu développées. Le sol est quasiment inexistant, le substrat étant surtout constitué de cailloux inhospitaliers pour la croissance des plantes. De plus, à cette altitude, l’atmosphère filtre moins les rayons ultraviolets du soleil, qui sont tout de même des agents mutagènes néfastes au bon développement des êtres vivants.

Mais alors, comment cette rhubarbe peut-elle atteindre 2 mètres de hauteur, dans un endroit aussi peu accueillant ?

Eh bien, cette plante possède des feuilles transformées translucides, appelées des bractées, qui vont jouer le rôle du toit en verre d’une serre de culture, pour notre rhubarbe. La chaleur est ainsi conservée autour des tiges de la plante grâce à l’effet de serre!

Mais ce n’est pas fini ! Ces grandes colonnes entourées de bractées protègent ce qu’il y a de plus précieux pour la plante, à savoir ses fleurs. Une étude a montré que la présence des bractées augmente la température d’au moins 10 degrés autour des fleurs, condition indispensable à  leur développement dans un environnement qui autrement serait trop froid. Cette adaptation, vitale pour l’espèce, lui permet de produire un nombre suffisant de graines, et donc d’assurer sa descendance. L’équipe de recherche a également mis en évidence le rôle de ces bractées dans la protection du pollen contre les rayons UV, qui sont particulièrement délétères pour les étamines (=les organes sexuels producteurs de pollen dans les fleurs).

Enfin, pour ne rien enlever au charme de cette rhubarbe, il faut savoir que ses fleurs sont pollinisées par un moucheron, attiré par cette source de chaleur inespérée. L’insecte vient se protéger du froid et pollinise la plante par contact, sans oublier d’y pondre ses œufs. Pour se développer, les larves consomment généralement une partie des graines produites. Malgré les apparences, cette interaction est un mutualisme, offrant une garantie de reproduction et de survie de la descendance pour les deux espèces. Le jeu en vaut donc la chandelle!

Cette fascinante rhubarbe n’est pas la seule espèce de plantes à avoir développé cette stratégie évolutive reposant sur une mini-serre naturelle pour faciliter la production de graines. On trouve aussi l’espèce de vigne Schizopepon bryoniifolius au Japon, dont les feuilles se recourbent à l’automne pour venir protéger les fruits en maturation. Les chercheurs ont montré que sous les feuilles, la température était jusqu’à 5 degrés plus élevée que la température extérieure. Selon l’équipe de recherche, cette augmentation de température pourrait assurer une descendance plus nombreuse à la plante (=un nombre de graines plus élevé).

La vigne japonaise Schizopepon bryoniifolius avec les feuilles protectrices des fruits en maturation (source)

Concentration de chaleur : une parabole naturelle

Pour les plus vieux d’entre nous qui ont connu l’ère pré-internet, quand nous n’avions pour choix que six chaines de télévision (tu le sens le coup de vieux ?), il était possible de s’abonner au câble satellite pour avoir un peu plus de choix dans les émissions qui passaient à la télé. Il fallait alors avoir une énorme antenne sur le toit ou dans le jardin : une antenne parabolique. Le principe d’une antenne parabolique, c’est de concentrer en un seul point des signaux (ondes radios par exemple) qui arrivent d’une source lointaine, et de les amplifier.

Schéma d'une antenne parabolique (source)

La forme de l’antenne en « coquille » arrondie (la parabole, en fait) n’est pas anodine. C’est elle qui permet de concentrer un maximum de signaux sur une petite surface au même endroit. Mais ceci n’est qu’une pâle copie de ce que la nature fait avec succès depuis fort longtemps … Et encore une fois, ça a rapport à la chaleur provenant du soleil.

Une étude montre que les boutons d’or du genre Ranunculus arborent des pétales qui concentrent la lumière des rayons du soleil au centre de la fleur, à la manière d’une parabole.

Fleur de bouton d'or Ranunculus sp, avec la fonction parabolique illustrée en bas à droite (source)

Cet effet parabole a deux conséquences : D’une part, la structure particulière de l’épiderme des pétales agit comme un miroir et rend les fleurs plus « brillantes » au soleil, attirant ainsi plus de pollinisateurs. D’autre part, la concentration des rayons du soleil au centre de la fleur réchauffe les parties reproductrices, particulièrement les étamines, là où se développe le pollen… et donc, cela améliore l’efficacité de reproduction de la fleur !

Pour conclure …

Ces quelques exemples montrent que l’utilisation des rayons du soleil par les plantes dépassent la « simple » photosynthèse. Qu’il s’agisse de mini-serres ou de paraboles, les plantes sont pleines de ressources pour exploiter tout le potentiel des rayons du soleil de la même manière que tous les animaux, à savoir, pour se réchauffer !

Bibliographie

Cet article se base principalement sur trois articles publiés dans le New Scientist, qui est un journal de vulgarisation scientifique :

Extreme rhubarb : the plan that grows a greenhouse

Vine grows its own greenhouses to help fruit develop in autumn

Buttercups focus light to heat their flowers and attract insects

Ces articles de vulgarisation sont basés sur les articles scientifiques suivants :

Song, B., Zhang, Z. Q., Stöcklin, J., Yang, Y., Niu, Y., Chen, J. G., & Sun, H. (2013). Multifunctional bracts enhance plant fitness during flowering and seed development in Rheum nobile (Polygonaceae), a giant herb endemic to the high Himalayas. Oecologia172(2), 359-370.

Nagaoka, N., Naoe, S., Takano-Masuya, Y., & Sakai, S. (2020). Green greenhouse: leaf enclosure for fruit development of an androdioecious vine, Schizopepon bryoniifolius. Proceedings of the Royal Society B287(1936), 20201718.

van der Kooi, C. J., Elzenga, J. T. M., Dijksterhuis, J., & Stavenga, D. G. (2016). Functional optics of glossy buttercup flowers. JR Soc Interface 17: 20160933.



lundi 1 juin 2020

Allergies saisonnières et sexisme botanique

Le printemps est là ! Pour moi, c’est synonyme d’activité de jardinage intense et d’observation des petites pousses qui sortent de terre… sans oublier la chasse aux insectes et autres bestioles qui daignent enfin montrer le bout de leurs pattes ! Mais pour d’autres personnes, c’est l’enfer car… les allergies au pollen sont de retour ! Nez qui coule, yeux rouges et gorge qui gratte, ça vous dit quelque chose ? Mais pourquoi observe-t-on ce phénomène particulièrement au printemps ? Pourquoi les allergies sont plus intenses en ville ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans cet article.

Est ce que vous ressemblez à ça au printemps ? (source)

D’abord, c’est quoi une allergie ?

Bien qu’étant docteur, je ne suis pas médecin, alors je vais m’en tenir à des explications assez simples sur le type d’allergies qui nous concerne ici (parce qu’il en existe plusieurs en réalité), à savoir, les allergies qui apparaissent au printemps.
Si on prend la définition d’une allergie donnée par Thomas H. McConnell en 2013, il s’agit d’une réaction immunitaire exagérée de la part de l’organisme face à un antigène étranger. Ici, quand on parle d’antigène, on entend tout élément extérieur au corps humain (un intrus, quoi) pouvant être à la base d’une réaction immunitaire. Je vous l’accorde, cette définition se mord la queue, mais vous allez comprendre, accrochez-vous.
Dans certains cas, lorsque le corps humain est exposé à une substance qui lui est étrangère (ce sont donc les antigènes ici), il peut réagir face à cette substance. Mais cette réaction n’est pas systématique et elle varie d’un individu à l’autre ; cette inégalité de réaction est probablement due à des facteurs génétiques, encore actuellement mal identifiés. Alors, que se passe-t-il concrètement dans notre organisme, lorsqu’un antigène y pénètre par inadvertance ?
Pour rendre la chose un peu plus simple à comprendre, imaginons que le corps humain est une boite de nuit où les entrées sont libres. Habituellement, les nouveaux arrivants peuvent entrer s’amuser sans problème mais ils sont surveillés à l’intérieur par des agents de sécurité (via des caméras) qui ont pour objectif de repérer les fauteurs de troubles. Arrive alors tout un gang d’individus aux cheveux oranges fluo : ils sont facilement reconnaissables par les agents de sécurité. Une fois à l’intérieur, ils malmènent un peu les autres participants et plombent un peu l’ambiance… ils sont alors maitrisés par les videurs de la boite de nuit, qui inscrivent leur signalement dans la salle des caméras. La semaine suivante, d’autres individus portant des cheveux orange fluo entrent à nouveau dans la fameuse boite de nuit. Cette fois ci, ils sont reconnus rapidement et les agents de sécurité décident d’appeler la police, les pompiers, et l’armée, ils déclenchent les lances à incendie à l’intérieur de la boite de nuit, et provoquent une évacuation d’urgence de l’ensemble du personnel. Alors qu’une simple intervention des videurs aurait suffi !
Ce que je viens de vous décrire ici, c’est un type d’hyper-réaction qu’on observe dans le cas des allergies. Nos videurs sont en réalité appelés des Lymphocytes B, et ils vont produire des anticorps spécifiques (la surveillance vidéo) dirigés contre les antigènes (les individus aux cheveux oranges) qui seront ainsi plus facilement reconnaissables par les mastocytes (les agents de sécurité) dont le rôle est de sonner l’alarme en cas d’intrusion. Dans notre organisme, cette sonnette d’alarme se concrétise par une libération d’une substance appelée histamine, qui va interagir avec différentes parties du corps pour engendrer des démangeaisons au niveau de la peau, une détresse respiratoire par contraction d’une partie des poumons ou encore la dilatation des vaisseaux sanguins, pouvant mener à des gonflements de certaines parties du corps… et plein d’autres symptômes tous plus réjouissants les uns que les autres. Ces réactions ont pour but en temps normal d’activer les éléments du système immunitaire qui auront pour but de faire disparaitre les antigènes de l’organisme.

Un schéma simplifié de la réaction allergique (source)

Et le pollen, dans tout ça ?
 
Chez les plantes à fleurs, le pollen est une particule produite par les étamines (la partie mâle de la fleur) et qui contient deux cellules qui serviront à la reproduction. Ces particules sont dispersées par les insectes volant (les abeilles par exemple), par l’eau ou par le vent : c’est ce dernier cas qui nous intéresse ici, car ce sont ces grains de pollens qui vont pouvoir se retrouver malencontreusement dans nos voies respiratoires. Les grains de pollen peuvent avoir des formes incroyablement variées (vous pouvez avoir un aperçu de la diversité sur ce site) et portent à leur surface des protéines et glycoprotéines qui sont caractéristiques de chaque espèce. Ainsi, les pollens sont très différents d’une espèce à l’autre, ce qui permet à chaque fleur de reconnaître spécifiquement le pollen de sa propre espèce.

Diversité du pollen (source)

 Pourquoi certaines personnes développent-elles des allergies au pollen ?

Maintenant, lorsque le grain de pollen, au lieu de se déposer sur la partie femelle d’une fleur, se retrouve aspiré par mégarde par un humain, que se passe-t-il ?
Chez les personnes non allergiques, le grain de pollen est simplement considéré comme une poussière comme les autres et évacué normalement avec les sécrétions nasales (comprendre : le truc gluant qui reste au fond du mouchoir lorsque vous vous mouchez. Désolé pour l’image). Chez les personnes allergiques, c’est là que ça se gâte.
Comme je le disais plus haut, les grains de pollen portent à leur surface des protéines. Or, une des choses que détecte particulièrement bien le système immunitaire, ce sont les protéines étrangères, car en général elles sont associées à la présence d’organismes pathogènes tels que les virus et les bactéries. Non seulement il va y avoir détection de ces protéines étrangères, mais surtout une hyper-réaction de la part du système immunitaire… qui mène à une réaction allergique.
De plus, il est possible que certaines personnes souffrent d’allergies croisées : elles ne sont pas réactives au pollen d’une seule plante, mais à plusieurs ! En effet, les différences entre les protéines portées par les grains de pollen sont parfois trop subtiles pour être détectées par le système immunitaire. Résultat ? Une personne peut être allergique au pollen de toutes les graminées… une famille comportant plus de 12000 espèces! Ca représente un potentiel allergène assez élevé.
Comme la plupart des plantes dans l’hémisphère nord fleurissent à la fin du printemps et au début de l’été, la période chaude est redoutée par les personnes sensibles qui développent souvent des allergies croisées et passent alors leur temps à éternuer ou à se gratter. Pas terrible quand on veut juste profiter du beau temps ! 

Les allergies saisonnières en ville

Des études scientifiques montrent que les allergies au pollen sont plus importantes dans les villes par rapport aux zones non-urbaines… alors que la quantité de pollen en général est plus importante dans l’air des campagnes que dans les zones urbanisées. Les personnes habitant en ville sont aussi plus susceptibles d’être allergiques aux espèces ornementales qu’aux espèces agricoles. A première vue, cela peut sembler étrange que les personnes vivant à l’extérieur des villes soient moins touchées par des allergies alors qu’elles sont exposées à de plus grandes quantité de pollen… Laissez-moi vous expliquer.
En ville, les surfaces végétalisées sont gérées artificiellement par les populations humaines, sauf dans des cas exceptionnels. Qu’il s’agisse d’un parc verdoyant ou d’une allée bordée de grands arbres, les plantes sont entretenues par une armée d’horticulteurs. Mais surtout, avant d’être mis en terre, ces plantes ont été choisies sur des critères répondant aux contraintes liées à l’urbanisme : être résistant à la pollution engendrée par le trafic automobile, ne pas produire trop de feuilles pour éviter de les ramasser à l’automne… et ne pas produire de fruits qui viennent tacher les trottoirs. Pour cela, on pratique le sexisme botanique : on sélectionne certaines espèces d’arbres dioïques (où les mâles et les femelles sont des individus séparés, un peu comme chez les humains) et on ne plante que des mâles ! On évite ainsi de se coltiner le ramassage des fruits laissés sur les trottoirs, car seuls les arbres femelles produisent des fruits. Quelle superbe idée, ça fait moins de travail pour tout le monde ! Oui mais… ce sont les arbres mâles qui produisent le pollen ! Donc en favorisant la proportion de mâles par rapport aux femelles, on va changer la quantité de pollen libéré dans l’air. C’est d’ailleurs ce que montre une étude espagnole qui a fait l’inventaire des plantes horticoles utilisées dans un parc de la ville de Grenade  (le parc Gracia Lorca). Résultat : le sex-ratio du Gingko biloba est à 80% en faveur des mâles ! 

Un lien entre le sexisme botanique et les allergies saisonnières ?

Pour terminer, accrochez-vous aux branches parce que là, je vais vous parler d’une hypothèse que je trouve un peu farfelue mais non dénuée d’intérêt. A prendre avec des pincettes donc !
Et si l’absence d’arbres femelles dans les villes accentuait les allergies saisonnières ? Thomas Leo Ogren a émis l’hypothèse que les fleurs femelles attireraient activement le pollen en suspension dans l’air, réduisant ainsi la quantité qui serait potentiellement inhalée par les êtres humains. Certains chercheurs pensent même que des forces électrostatiques interviennent dans le « piégeage » du pollen par les parties femelles de la fleur et ainsi augmentent les chances de rétention du pollen dans la fleur.
Pour réduire les allergies en ville, faudra-t-il donc accepter de voir les trottoirs parsemés de fruits çà et là ? L’avenir nous le dira !

Bibliographie
Bosch-Cano, F., Bernard, N., Sudre, B., Gillet, F., Thibaudon, M., Richard, H., ... & Ruffaldi, P. (2011). Human exposure to allergenic pollens: A comparison between urban and rural areas. Environmental research, 111(5), 619-625.
Cariñanos, P., Sánchez-Mesa, J. A., Prieto-Baena, J. C., Lopez, A., Guerra, F., Moreno, C., ... & Galan, C. (2002). Pollen allergy related to the area of residence in the city of Córdoba, south-west Spain. Journal of Environmental Monitoring, 4(5), 734-738.
Cariñanos, P., & Casares-Porcel, M. (2011). Urban green zones and related pollen allergy: A review. Some guidelines for designing spaces with low allergy impact. Landscape and urban planning, 101(3), 205-214.
Cariñanos, P., Casares-Porcel, M., & Quesada-Rubio, J. M. (2014). Estimating the allergenic potential of urban green spaces: A case-study in Granada, Spain. Landscape and urban planning, 123, 134-144.
Esch, R. E., & Klapper, D. G. (1989). Isolation and characterization of a major cross-reactive grass group I allergenic determinant. Molecular immunology, 26(6), 557-561.
Knox, B., & Suphioglu, C. (1996). Environmental and molecular biology of pollen allergens. Trends in Plant Science, 1(5), 156-164.
Law, S. E., Wetzstein, H. Y., Banerjee, S., & Eisikowitch, D. (2000). Electrostatic application of pollen sprays: effects of charging field intensity and aerodynamic shear upon deposition and germinability. IEEE Transactions on Industry Applications, 36(4), 998-1009.
McConnell, T. H. (2013). The nature of disease: pathology for the health professions. Lippincott Williams & Wilkins.
Middleton, E (1998). Allergy: Principles and practice. 5th ed. St Louis.
Ogren, T.L. (2015). Botanical sexism cultivates home-grown allergies. Scientific American (Blog)
Puc, M. (2003). Characterisation of pollen allergens. Annals of Agricultural and Environmental Medicine, 10(2), 143-150.
Vaknin, Y., Gan-Mor, S., Bechar, A., Ronen, B., & Eisikowitch, D. (2000). The role of electrostatic forces in pollination. In Pollen and pollination (pp. 133-142). Springer, Vienna.
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