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mercredi 27 janvier 2021

Ces plantes qui aiment se dorer au soleil

A la surface de la planète, la plupart des plantes sont vertes, en raison d’un pigment appelé chlorophylle, contenu dans leurs feuilles. La chlorophylle utilise l’énergie provenant du soleil (sous forme de photons) pour réaliser la photosynthèse, un mécanisme cellulaire à l’origine de la production de sucres indispensable à la plante pour sa croissance, son développement et sa reproduction. Tout ça j’en ai déjà parlé ici, je ne vais pas revenir là-dessus.

Mais saviez-vous que certaines plantes utilisent également la lumière du soleil pour d’autres raisons ? Que certaines espèces possèdent des feuilles et des cellules particulières qui augmentent artificiellement la température de l’organisme lorsque la météo devient plus froide ? Et que ceci est une adaptation qui augmente leur succès reproducteur (un plus grand nombre de descendants viables) et ainsi favorise la survie de l’espèce

Dans un précédent article, je vous parlais de voies métaboliques permettant à certaines espèces d’élever drastiquement leur température interne par rapport au milieu ambiant, ce qui est bien utile au chou-puant pour percer la neige au printemps. Cette fois, je vais vous parler de plantes qui, à défaut d’accroitre leur température de façon autonome, sont capables d’utiliser les rayons du soleil pour rester au chaud.

Mais avant de vous expliquer le-pourquoi-du-comment, reprenons les bases sur l’effet de serre.

Petit rappel sur l’effet de serre

Vous avez certainement entendu parler des gaz à effet de serre (GES) – ou alors c’est que vous venez juste de vous réveiller d’un sommeil datant de l’ère préindustrielle, vous avez plusieurs siècles à rattraper et la liste serait trop longue à faire ici – la star au cœur des problèmes de changements climatiques qu’on connaît actuellement.

Faisons simple, un schéma vaut mieux que 1000 mots!

Schéma explicatif de l'effet de serre (Source)

La Terre, la seule et unique planète habitable connue du système solaire (et pour le moment, de l’univers à ce qu’on sache !), possède une atmosphère viable pour le développement de la vie. Cette atmosphère est une mince couche de gaz protégeant entre autres les organismes vivants des rayonnements ultraviolets mortels émis par le soleil et ayant un rôle dans notre capacité à respirer. Au passage, l’atmosphère ne fait pas plus de 100km, c’est environ la distance entre  Paris et Chartres pour les français, deux fois la distance Anvers-Bruxelles pour les belges et un peu moins du tiers de la distance entre Montréal et Québec pour les québécois.

D’après notre petit schéma, on remarque qu'une partie du rayonnement solaire est réfléchie dans l’espace par l’atmosphère et la surface terrestre. L’autre partie est absorbée par la surface terrestre, dont la température va être augmentée, et la surface terrestre va à son tour réémettre de l'énergie vers l'espace sous forme de rayonnements infrarouges.

Ces rayons infrarouges frappent les molécules de gaz à effet de serre présentes naturellement dans l’atmosphère, tels que la vapeur d’eau ou encore le dioxyde de carbone (CO2) et réchauffent ainsi les basses couches de l’atmosphère et de la surface de la terre. Grâce à cela, nous ne gelons pas sur place et la température moyenne sur Terre avoisine les 15°C. La chaleur réémise par la terre sous forme de rayons infrarouges se retrouve ainsi en grande partie piégée par les gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui à leur tour réémettent une partie de la chaleur vers la surface terrestre, et s’en suit une boucle qui peut durer longtemps. Ce cycle de réchauffement nécessite donc deux conditions sine qua none : des rayonnements provenant de l’extérieur générés par le soleil, et des gaz à effet de serre capable de les piéger.

Le même principe est utilisé dans les serres artificielles pour faire pousser des légumes en hiver, à la différence qu’ici les rayons du soleil traversent le plafond de verre pour venir réchauffer le sol de la serre, qui émet des rayons infrarouges, qui eux ne peuvent pas retraverser le verre, et sont donc réfléchis vers le sol, entrainant un réchauffement supplémentaire, etc.

Une mini-serre naturelle dans une feuille

Voyez-vous où je veux en venir ? Certaines plantes sont capables d’utiliser ce principe de l’effet de serre à leur avantage, en créant des conditions idéales pour leur croissance.

Voyageons un peu à la découverte de la rhubarbe noble Rheum nobile qui pousse sur les flancs des montagnes himalayennes, vers les 4000m d’altitude.

Rheum nobile dans son milieu naturel sur les flans de l'Himalaya (source

À cette altitude, il n’y a plus d’arbres, et les rares plantes y sont en général toutes rabougries et peu développées. Le sol est quasiment inexistant, le substrat étant surtout constitué de cailloux inhospitaliers pour la croissance des plantes. De plus, à cette altitude, l’atmosphère filtre moins les rayons ultraviolets du soleil, qui sont tout de même des agents mutagènes néfastes au bon développement des êtres vivants.

Mais alors, comment cette rhubarbe peut-elle atteindre 2 mètres de hauteur, dans un endroit aussi peu accueillant ?

Eh bien, cette plante possède des feuilles transformées translucides, appelées des bractées, qui vont jouer le rôle du toit en verre d’une serre de culture, pour notre rhubarbe. La chaleur est ainsi conservée autour des tiges de la plante grâce à l’effet de serre!

Mais ce n’est pas fini ! Ces grandes colonnes entourées de bractées protègent ce qu’il y a de plus précieux pour la plante, à savoir ses fleurs. Une étude a montré que la présence des bractées augmente la température d’au moins 10 degrés autour des fleurs, condition indispensable à  leur développement dans un environnement qui autrement serait trop froid. Cette adaptation, vitale pour l’espèce, lui permet de produire un nombre suffisant de graines, et donc d’assurer sa descendance. L’équipe de recherche a également mis en évidence le rôle de ces bractées dans la protection du pollen contre les rayons UV, qui sont particulièrement délétères pour les étamines (=les organes sexuels producteurs de pollen dans les fleurs).

Enfin, pour ne rien enlever au charme de cette rhubarbe, il faut savoir que ses fleurs sont pollinisées par un moucheron, attiré par cette source de chaleur inespérée. L’insecte vient se protéger du froid et pollinise la plante par contact, sans oublier d’y pondre ses œufs. Pour se développer, les larves consomment généralement une partie des graines produites. Malgré les apparences, cette interaction est un mutualisme, offrant une garantie de reproduction et de survie de la descendance pour les deux espèces. Le jeu en vaut donc la chandelle!

Cette fascinante rhubarbe n’est pas la seule espèce de plantes à avoir développé cette stratégie évolutive reposant sur une mini-serre naturelle pour faciliter la production de graines. On trouve aussi l’espèce de vigne Schizopepon bryoniifolius au Japon, dont les feuilles se recourbent à l’automne pour venir protéger les fruits en maturation. Les chercheurs ont montré que sous les feuilles, la température était jusqu’à 5 degrés plus élevée que la température extérieure. Selon l’équipe de recherche, cette augmentation de température pourrait assurer une descendance plus nombreuse à la plante (=un nombre de graines plus élevé).

La vigne japonaise Schizopepon bryoniifolius avec les feuilles protectrices des fruits en maturation (source)

Concentration de chaleur : une parabole naturelle

Pour les plus vieux d’entre nous qui ont connu l’ère pré-internet, quand nous n’avions pour choix que six chaines de télévision (tu le sens le coup de vieux ?), il était possible de s’abonner au câble satellite pour avoir un peu plus de choix dans les émissions qui passaient à la télé. Il fallait alors avoir une énorme antenne sur le toit ou dans le jardin : une antenne parabolique. Le principe d’une antenne parabolique, c’est de concentrer en un seul point des signaux (ondes radios par exemple) qui arrivent d’une source lointaine, et de les amplifier.

Schéma d'une antenne parabolique (source)

La forme de l’antenne en « coquille » arrondie (la parabole, en fait) n’est pas anodine. C’est elle qui permet de concentrer un maximum de signaux sur une petite surface au même endroit. Mais ceci n’est qu’une pâle copie de ce que la nature fait avec succès depuis fort longtemps … Et encore une fois, ça a rapport à la chaleur provenant du soleil.

Une étude montre que les boutons d’or du genre Ranunculus arborent des pétales qui concentrent la lumière des rayons du soleil au centre de la fleur, à la manière d’une parabole.

Fleur de bouton d'or Ranunculus sp, avec la fonction parabolique illustrée en bas à droite (source)

Cet effet parabole a deux conséquences : D’une part, la structure particulière de l’épiderme des pétales agit comme un miroir et rend les fleurs plus « brillantes » au soleil, attirant ainsi plus de pollinisateurs. D’autre part, la concentration des rayons du soleil au centre de la fleur réchauffe les parties reproductrices, particulièrement les étamines, là où se développe le pollen… et donc, cela améliore l’efficacité de reproduction de la fleur !

Pour conclure …

Ces quelques exemples montrent que l’utilisation des rayons du soleil par les plantes dépassent la « simple » photosynthèse. Qu’il s’agisse de mini-serres ou de paraboles, les plantes sont pleines de ressources pour exploiter tout le potentiel des rayons du soleil de la même manière que tous les animaux, à savoir, pour se réchauffer !

Bibliographie

Cet article se base principalement sur trois articles publiés dans le New Scientist, qui est un journal de vulgarisation scientifique :

Extreme rhubarb : the plan that grows a greenhouse

Vine grows its own greenhouses to help fruit develop in autumn

Buttercups focus light to heat their flowers and attract insects

Ces articles de vulgarisation sont basés sur les articles scientifiques suivants :

Song, B., Zhang, Z. Q., Stöcklin, J., Yang, Y., Niu, Y., Chen, J. G., & Sun, H. (2013). Multifunctional bracts enhance plant fitness during flowering and seed development in Rheum nobile (Polygonaceae), a giant herb endemic to the high Himalayas. Oecologia172(2), 359-370.

Nagaoka, N., Naoe, S., Takano-Masuya, Y., & Sakai, S. (2020). Green greenhouse: leaf enclosure for fruit development of an androdioecious vine, Schizopepon bryoniifolius. Proceedings of the Royal Society B287(1936), 20201718.

van der Kooi, C. J., Elzenga, J. T. M., Dijksterhuis, J., & Stavenga, D. G. (2016). Functional optics of glossy buttercup flowers. JR Soc Interface 17: 20160933.



jeudi 19 mars 2020

Nyctinastie toi-même !


Mais que veut dire ce drôle de mot ? C’est une nouvelle insulte à la mode ? La dernière lubie alimentaire des gens nés à la pleine lune de février de l’année 2003 ? Une position de yoga ? Une crème hydratante à base de rognures d’ongles ? Une dynastie de nyctalopes ? Une maladie causée par un empoisonnement à la nicotine ?

Et surtout qu’est-ce que ça vient faire dans la rubrique de botanique ?

Pas de panique ... je vous explique tout ! [Source]

Nyctinastie vient du grec nux qui signifie « nuit » et nastos qui se rapporte à l’idée d’un mouvement de fermeture, appliqué aux plantes terrestres. Donc, la nyctinastie décrit les mouvements des plantes durant la nuit.

Et là je vous entends vous exclamer intérieurement « Hein ? Mais comment ça les plantes ça bouge ? Pourtant mon géranium sur mon appui de fenêtre n’a pas vraiment l’air d’être équipé pour courir un marathon ! »

Que nenni jeune Padawan ! Toutes les plantes sont capables de mouvements, et ce même si elles sont des organismes fixés (il existe d’autres organismes fixés tels que les coraux et les éponges). On pensera par exemples aux plantes se tournant progressivement vers une source de lumière, ou les spectaculaires croissances en accéléré des paysages entiers dans la nature.

Mais alors, comment les plantes sont-elles capables de bouger, quand bien même elles sont fixées ? Et surtout, à quoi ça peut bien leur servir… puisqu’elles ne se déplacent pas de tout manière ? Est-ce que la fermeture des feuilles la nuit correspond à une phase de « sommeil » pour la plante ? Pour écrire cet article je me suis basé sur l’article de revue de Peter V. Minorsky publié dans Biological Review en 2019.

Comment ça marche ?

La nyctinastie s’observe chez de nombreuses plantes qui ont la particularité de voir leurs feuilles se replier une fois la nuit venue. Un peu comme une figure en origami, qui serait la plus étendue possible durant la journée pour maximiser l’absorption des rayons du soleil, puis se ferait la plus petite possible durant la nuit et surtout, qui se positionnerait en position verticale.



Un exemple de nyctinastie chez deux plantes Desmodium gyrans (gauche) et Lotus creticus (droite) [Source]

Les mécanismes cellulaires et moléculaires qui gouvernent ces mouvements sont différents selon les espèces, mais dans tous les cas, il s’agit d’une histoire de turgescence et de plasmolyse. Encore des mots compliqués, mais ne partez pas je vais expliquer ça immédiatement.

La turgescence, c’est quand les cellules sont gonflées d’eau et occupent un espace important, par opposition avec la plasmolyse où les cellules sont toutes ratatinées et flasques. Un peu comme une éponge à vaisselle qui se gorge d’eau lorsqu’elle est sous le robinet … et perd toute son eau quand on l’oublie à côté de l’évier !

Ces deux mécanismes, turgescence et plasmolyse, ont pour conséquence directe de modifier l’aspect et la forme de la plante. De la même manière que notre éponge va être plus grosse lorsqu’elle est gorgée d’eau, les tissus de la plante vont être plus rigides lorsque les cellules sont en turgescence… et à l’inverse, les tissus deviendront plus mous lorsque les cellules entrent en plasmolyse. Si ces cellules, qui changent de taille à volonté, sont situées à des endroits stratégiques de la plante, elles vont lui permettre de changer l’orientation de ses feuilles selon si elles sont turgescentes ou plasmolysées.

Les tissus qui sont capables de se contracter ou de se dilater, selon leur état de turgescence, ne sont pas répartis n’importe comment dans la plante : ils sont situés dans la partie appelée pulvinus, qui est un renflement à la base des feuilles. C’est là que tout se joue pour que les feuilles puissent avoir ce mouvement de nyctinastie.


Localisation des tissus extenseurs et fléchisseurs dans le pulvinus permettant aux feuilles d'avoir des mouvements contrôlés. [Source]

Au niveau du pulvinus, on constate deux types de tissus : les tissus fléchisseurs et les tissus extenseurs. Les mouvements d’eau dans les tissus fléchisseurs et extenseurs sont complémentaires et sont régulés par la plante elle-même, peu importe la quantité d’eau disponible dans le sol. Si la plante a besoin d’avoir ses feuilles ouvertes au maximum dans la journée, alors les tissus extenseurs seront gonflés d’eau. En revanche, si la plante doit se fermer pendant la nuit, ce sont les tissus fléchisseurs qui seront remplis d’eau et permettront à la plante de refermer ses feuilles. Cela signifie qu’en perdant leur eau, ces tissus peuvent se contracter (car les cellules sont alors plus petites) et permettent à la plante de faire bouger ses feuilles.

Au final, la plante est capable de faire ses mouvements uniquement en jouant sur la quantité d’eau que contiennent ses cellules !

Mais à quoi ça sert ? Ce qu’on pensait jusqu’à présent …


Il faut remonter aux études de Charles Darwin lui-même pour trouver une hypothèse quant à l’utilité du phénomène de nyctinastie : selon lui, il pourrait s’agir d’un mécanisme de la plante pour éviter la trop grande perte de chaleur par les feuilles lorsque la nuit arrive. Moins de surface exposée à l’extérieur est en effet synonyme de moins de dommages en cas de froid intense. Effectivement, ce mécanisme se retrouve chez les plantes de très haute montagne (comme Espeletia schultzii dans les Andes) et peut représenter une préservation de température de plus de 2°C (Smith 1974) ! Ça ne parait pas grand-chose comme ça, mais quand on est proche de 0°C, cela fait toute la différence car la plante évite ainsi de gros dommages à ses tissus par le gel.

Une autre utilité de la nyctinastie serait de permettre à la plante de « s’ébrouer » quotidiennement et ainsi éviter l’accumulation d’eau à la surface de ses feuilles. En soi, l’accumulation d’eau en elle-même n’est pas forcément un problème (bien qu’une couche d’eau à la surface des feuilles réduise l’efficacité de la photosynthèse) mais dans les pays tropicaux surtout, les bactéries et champignons profitent de la présence d’eau pour se développer. Et donc, potentiellement, une mince couche d’eau à la surface d’une feuille est un milieu favorable à la croissance de pathogènes ! La nyctinastie pourrait donc être perçue dans ce cas comme un phénomène de protection de la plante contre les pathogènes, puisque l’eau située à la surface est régulièrement retirée, mais cela reste encore une hypothèse à tester.

Dans le même temps, les plantes des milieux secs bénéficient de la nyctinastie car elle permet de réduire les pertes en eau par évapotranspiration durant la nuit. En effet, la feuille étant repliée sur elle-même, les échanges avec l’atmosphère en sont réduits … de même que la transpiration, et donc que les pertes d’eau.

Enfin (et c’est l’hypothèse la plus répandue), la nyctinastie est un mécanisme présent chez certaines plantes pour éviter l’herbivorie sur les feuilles. Effectivement, en réduisant sa surface foliaire durant la nuit, la plante rend moins accessible les parties consommables de son anatomie… les herbivores seront d’autant plus frustrés qu’ils se rabattront sur d’autres plantes plus faciles à dévorer ! Également, lors de la fermeture de la feuille, certaines plantes vont avoir des épines qui se positionnent vers l’extérieur pour dissuader encore une fois les herbivores de s’aventurer trop proche, évitant ainsi de se faire manger !

… et ce qui est nouveau : l’hypothèse tritrophique !

Encore un mot compliqué ! Tritrophique, cela décrit simplement une relation triangulaire entre la plante, les herbivores et les prédateurs des herbivores (donc carnivores).

Les plantes sont au départ face à un problème : comment se protéger des herbivores, en particulier les plus petits que sont les insectes mangeurs de feuilles ? Une plante peut repousser les insectes à l’aide de composés toxiques… mais lorsque cela ne suffit plus, quelle stratégie adopter pour éviter de se faire manger ?

Tout simplement … en facilitant la tâche pour les prédateurs dans la recherche de leurs proies ! Et c’est là que pourrait intervenir le phénomène de nyctinastie, à plusieurs niveaux.

D’abord, on en a déjà parlé, en se refermant la nuit les feuilles réduisent leur surface puisqu’elles se replient sur elles-mêmes. Si on extrapole ça à l’échelle de la canopée, cela représenterait une grosse diminution de la place que prennent les feuilles. En conséquence, il y aurait plus d’espaces libres entre les arbres. Or, certaines études mentionnent que les prédateurs aériens comme les chouettes ou les chauves souris ont besoin de plus d’espace pour évoluer dans leur milieu et pratiquer une chasse efficace (Raino et al 2010, Holt et al 2008) : la nyctinastie permettrait donc d’ouvrir des « couloirs » dans la végétation pour que les prédateurs attrapent leurs proies plus facilement. D’un point de vue acoustique également, le fait d’avoir une végétation moins dense la nuit permet aux sons de se propager plus loin (Arlettaz et al 2001) et donc aux prédateurs de détecter plus efficacement leurs proies. Enfin, la réduction de la masse foliaire pourrait permettre aux odeurs de se diffuser plus loin (Randlkofer et al 2010, Aartsma et al 2017) et de rendre ainsi les proies plus facilement détectables pour leurs prédateurs.

Pour résumer, la nyctinastie est donc un mécanisme qui permet une préservation des plantes de manière indirecte, car la réduction de la surface foliaire pendant la nuit va augmenter l’efficacité de chasse des prédateurs sur les proies, et ces dernières auront moins de temps pour aller grignoter tranquillement les feuilles.

Le mot de la fin

Indirectement, la nyctinastie est donc une innovation évolutive qui permet à certaines plantes de mieux survivre et de produire une descendance en plus grand nombre. Ce mécanisme est assez répandu à travers l’histoire des plantes pour avoir évolué de manière indépendante plusieurs fois, mais il est surtout présent dans la famille des Leguminosae (les légumineuses telles que les pois chiches, haricots verts, etc.). Une des hypothèses pouvant expliquer pourquoi on retrouve la nyctinastie plus souvent dans cette famille viendrait du fait que les légumineuses ont une teneur en azote plus élevée que les plantes des autres familles. Pour les insectes et autres herbivores, cela signifie que les feuilles des légumineuses sont plus nutritives… donc plus recherchées comme source de nourriture ! En réponse à cela, il est donc fort probable que la nyctinastie ait été activement sélectionnée dans cette famille, pour essayer de préserver au maximum les feuilles en les rendant moins accessibles aux insectes durant la nuit.

Bibliographie

Aartsma, Bianchi, van der Werf, Poelman (2017) Herbivore-induced plant volatiles and tritrophic interactions across spatial scales. New Phytologist 216, 1054 – 1063

Arlettaz, Jones, Racey (2001) Effect of acoustic clutter on preydetection by bats. Nature 414, 742 – 745

Holt, Layne (2008).  Eye  injuries  in  long-eared  owls  (Asio  otus): prevalence and survival. Journal of Raptor Research 42, 243 – 247.

Minorsky (2019) The functions of foliar nyctinasty: a review and hypothesis. Biological Review 94, pp. 216 – 229.

Oikawa et al. (2018) Ion Channels Regulate Nyctinastic Leaf Opening in Samanea saman. Current Biology 28, 2230–2238

Rainho, Augusto, Palmeirim (2010) Influence of vegetation clutter on the capacity of ground foraging bats to capture prey. Journal of Applied Ecology 47, 850 – 858.

Randlkofer, Obermaier, Hilker, Meiners (2010) Vegetation complexity — The influence of plant species diversity and plant structures on plant chemical complexity and arthropods. Basic and Applied Ecology 11, 383 – 395.

Smith (1974) Bud temperature in reference to nyctinastic leaf movement in an Andean giant rosette plant. Biotropica 6, 263 – 266.
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