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vendredi 2 avril 2021

Ces plantes qui n’ont pas besoin du Soleil pour vivre

Aujourd’hui, je vous emmène en voyage… en Malaisie ! Comme la plupart d’entre vous, je suis coincé derrière mon écran d’ordinateur en ce moment, mais ce n’est pas une excuse pour ignorer l’actualité scientifique internationale. Et ça tombe bien, car je vais vous parler d’une découverte récente faite dans le parc national du Royal Belum sur la péninsule du Myanmar, en Malaisie.

Ça fait du bien de voyager… même depuis sa chaise d’ordinateur ! (source)

Pour les personnes dont la géographie n’est pas le point fort (et je m’inclue dedans, inquiétez-vous pas), la Malaisie, c’est ici :

Localisation de la Malaisie (gauche, source)
et du parc national du Royal Belum (droite, source : Siti-Munirah et al 2021)

Cette région du monde est un des biodiversity hotspot (« points chaud » de biodiversité en français), c’est-à-dire une zone de la planète qui présente une diversité biologique élevée, directement menacée par les activités humaines. Dans le cas des zones tropicales telles que la Malaisie, il s’agit principalement de la déforestation.

Heureusement, certains gouvernements prennent des mesures pour protéger ce qui peut encore l’être, et créent des zones de réserves qui ne sont pas exploitées. C’est le cas du parc national du Royal Belum, où nos scientifiques ont fait une bien étrange rencontre…

Pour la petite histoire, les scientifiques à l’origine de la découverte et description de cette plante travaillent au Forest Research Institute Malaysia, situé proche de Kuala Lumpur (la capitale de la Malaisie), et ont tout d’abord pris connaissance de l’existence de cette plante… sur les réseaux sociaux ! En effet, un guide naturaliste du Royal Belum State Park avait posté des photos de cette plante intrigante, et les scientifiques en sont venus à la conclusion qu’il pouvait s’agit d’une nouvelle espèce. La suite, on la connait : une campagne de terrain plus tard, une nouvelle plante était répertoriée !

Sans plus attendre, je vous dévoile cette espèce révélée au grand jour par l’équipe en question : il s’agit de Thismia belumensis.

Plante entière dans son milieu naturel (source )

Mais… dites-moi, elle n’est pas très verte, pour une plante… et puis, ça ressemble plus à un cauchemar sorti tout droit de l’imaginaire de Ridley Scott plutôt qu’une sympathique petite plante de sous-bois dans la forêt tropicale… Alors, regardons de plus près ce drôle de végétal.

Vue rapprochée de Thismia belumensis. (source  )

Non seulement, cette plante n’est pas verte et aucune feuille n’est visible… mais elle ressemble furieusement à la bouche d’un animal quand on se rapproche. Alors, que penser ? Est-ce une plante carnivore qui attire des insectes et les gobe au passage dans sa large « bouche » ? Que nenni ! C’est un peu plus complexe que ça…

Effectivement, cette plante n’est pas verte, donc elle ne peut pas réaliser la photosynthèse et utiliser l’énergie du soleil pour fabriquer sa propre nourriture (c’est-à-dire des sucres). Comment fait-elle pour se développer, se maintenir et survivre même ?

Il s’avère que les plantes du genre Thismia (qui regroupe tout de même entre 80 et 90 espèces selon les auteurs) sont ce que l’on appelle « mycohétérotrophes » : cela signifie que ces plantes se développent au dépend des champignons du sol. En gros, au lieu de fabriquer ses propres sucres grâce à la photosynthèse, la plante utilise son système racinaire pour aller « pomper » les sucres fabriqués par les champignons dans le sol. On assiste donc ici à une relation de parasitisme au bénéfice de la plante, alors que la plupart du temps c’est le champignon qui sera le parasite.

On peut même aller plus loin et dire que les champignons servent de lien de transfert direct du carbone depuis les plantes chlorophylliennes jusqu’à nos plantes mycohétérotrophes ! Pour résumer la chose, voici un petit schéma :

Lien trophiques entre les plantes et les champignons dans le sol, avec les transferts de carbone (=sucres) associés. (Source)

Dans notre cas, il s’agit d’une relation de parasitisme et non de symbiose (comme avec les mycorhizes) car c’est une relation à sens unique : la plante récupère les nutriments et sucres auprès du champignon mais ne redonne rien en échange.

Quant à la forme de cette fleur, eh bien… les chercheurs n’ont pas encore trouvé d’explication ! ce qui est encore plus étrange, c’est que chez le genre Thismia, les fleurs ont la plupart du temps une symétrie radiale (comme une étoile de mer si l’on veut) alors que dans notre cas, la fleur possède une symétrie bilatérale. Le mystère reste donc entier vis-à-vis de cette morphologie particulière…

A gauche, Thismia neptunis, une espèce récemment redécouverte en Malaisie (Sochor et al 2018 ); à droite,  Thismia belumensis (modifié d’après Siti-Munirah et al 2021)

D’autres exemples de mycohétérotrophie peuvent s’observer à travers le règne végétal, et pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour ça ! On trouve par exemple Monotropa uniflora en Amérique du Nord, dans les forêts où se trouvent des champignons de la famille des Russules (Yang et al 2006). De la même manière que les plantes du genre Thismia, la monotrope va se « brancher » sur les filaments du champignon présent dans le sol afin d’en extraire les nutriments.

Mais le plus étrange dans tout ça, c’est la mycohétérotrophie n’a pas qu’une seule origine (Merckx et al, 2013) dans le règne des végétaux ! Cette particularité se trouve dans de nombreuses lignés évolutives qui comptent principalement des plantes chlorophylliennes… alors, pourquoi cette capacité à « voler » des sucres aux champignons s’est-elle développée ? Sans avoir la réponse exacte à cette question (comme bien souvent en sciences), on peut proposer plusieurs hypothèses (Merckx et al, 2013). Par exemple, on pourrait penser que certaines plantes utilisent la mycohétérotrophie pour éviter de stocker trop de nutriments dans leurs graines : ainsi, les nouvelles plantules s’associent directement avec les filaments de champignons dans le sol, en leur « pompant » leurs réserves de sucres… c’est tout bénéfice pour la plante-mère, qui n’a pas besoin de dépenser toutes ses ressources dans sa descendance (les autres organismes s’en chargent !). D’autres hypothèses laissent entendre que le développement de la mycohétérotrophie s’est fait en même temps que la formation des premières forêts à canopée fermée… ce qui empêche la lumière d’arriver au sol ! Donc, être capable d’utiliser les ressources d’autres organismes, au lieu de faire la photosynthèse, est un avantage évolutif certain dans ces conditions d’obscurité.

En conclusion, les plantes mycohétérotrophes tirent leur subsistance du parasitisme envers les champignons… qui eux-mêmes, tirent leur nourriture soit des arbres vivants ou morts, alors on peut dire qu’au bout du compte, tous ces organismes qui sont reliés les uns autres tirent leur énergie d’une seule et même source : le soleil !

Bibliographie

·        Siti-Munirah MY, Suhaimi-Miloko Z, Zubir Ahmad MI (2021) Thismia belumensis (Thismiaceae), a remarkable new species from The Royal Belum State Park, Gerik, Perak, Peninsular Malaysia. PhytoKeys 172: 121–134. https://doi.org/10.3897/phytokeys.172.59336

·        https://www.newscientist.com/article/2162691-a-weird-underground-plant-has-been-rediscovered-after-151-years/

·        https://www.newscientist.com/article/2270144-fairy-lantern-flower-has-a-gaping-mouth-and-saps-energy-from-fungi/

·        Sochor, M., Egertova, Z., HRONEŠ, M., & DANČÁK, M. (2018). Rediscovery of Thismia neptunis (Thismiaceae) after 151 years. Phytotaxa, 340(1), 71-78.

·        S. Yang & D.H. Pfister (2006) Monotropa uniflora plants of eastern Massachusetts form mycorrhizae with a diversity of russulacean fungi, Mycologia, 98:4, 535-540, DOI: 10.1080/15572536.2006.11832656

·        Merckx, V. S. F. T., Freudenstein, J. V., Kissling, J., Christenhusz, M. J. M., Stotler, R. E., & Crandall-Stotler, B. (2013). Mycoheterotrophy. Springer, New York, NY. doi10, 978-1.

 

jeudi 19 mars 2020

Nyctinastie toi-même !


Mais que veut dire ce drôle de mot ? C’est une nouvelle insulte à la mode ? La dernière lubie alimentaire des gens nés à la pleine lune de février de l’année 2003 ? Une position de yoga ? Une crème hydratante à base de rognures d’ongles ? Une dynastie de nyctalopes ? Une maladie causée par un empoisonnement à la nicotine ?

Et surtout qu’est-ce que ça vient faire dans la rubrique de botanique ?

Pas de panique ... je vous explique tout ! [Source]

Nyctinastie vient du grec nux qui signifie « nuit » et nastos qui se rapporte à l’idée d’un mouvement de fermeture, appliqué aux plantes terrestres. Donc, la nyctinastie décrit les mouvements des plantes durant la nuit.

Et là je vous entends vous exclamer intérieurement « Hein ? Mais comment ça les plantes ça bouge ? Pourtant mon géranium sur mon appui de fenêtre n’a pas vraiment l’air d’être équipé pour courir un marathon ! »

Que nenni jeune Padawan ! Toutes les plantes sont capables de mouvements, et ce même si elles sont des organismes fixés (il existe d’autres organismes fixés tels que les coraux et les éponges). On pensera par exemples aux plantes se tournant progressivement vers une source de lumière, ou les spectaculaires croissances en accéléré des paysages entiers dans la nature.

Mais alors, comment les plantes sont-elles capables de bouger, quand bien même elles sont fixées ? Et surtout, à quoi ça peut bien leur servir… puisqu’elles ne se déplacent pas de tout manière ? Est-ce que la fermeture des feuilles la nuit correspond à une phase de « sommeil » pour la plante ? Pour écrire cet article je me suis basé sur l’article de revue de Peter V. Minorsky publié dans Biological Review en 2019.

Comment ça marche ?

La nyctinastie s’observe chez de nombreuses plantes qui ont la particularité de voir leurs feuilles se replier une fois la nuit venue. Un peu comme une figure en origami, qui serait la plus étendue possible durant la journée pour maximiser l’absorption des rayons du soleil, puis se ferait la plus petite possible durant la nuit et surtout, qui se positionnerait en position verticale.



Un exemple de nyctinastie chez deux plantes Desmodium gyrans (gauche) et Lotus creticus (droite) [Source]

Les mécanismes cellulaires et moléculaires qui gouvernent ces mouvements sont différents selon les espèces, mais dans tous les cas, il s’agit d’une histoire de turgescence et de plasmolyse. Encore des mots compliqués, mais ne partez pas je vais expliquer ça immédiatement.

La turgescence, c’est quand les cellules sont gonflées d’eau et occupent un espace important, par opposition avec la plasmolyse où les cellules sont toutes ratatinées et flasques. Un peu comme une éponge à vaisselle qui se gorge d’eau lorsqu’elle est sous le robinet … et perd toute son eau quand on l’oublie à côté de l’évier !

Ces deux mécanismes, turgescence et plasmolyse, ont pour conséquence directe de modifier l’aspect et la forme de la plante. De la même manière que notre éponge va être plus grosse lorsqu’elle est gorgée d’eau, les tissus de la plante vont être plus rigides lorsque les cellules sont en turgescence… et à l’inverse, les tissus deviendront plus mous lorsque les cellules entrent en plasmolyse. Si ces cellules, qui changent de taille à volonté, sont situées à des endroits stratégiques de la plante, elles vont lui permettre de changer l’orientation de ses feuilles selon si elles sont turgescentes ou plasmolysées.

Les tissus qui sont capables de se contracter ou de se dilater, selon leur état de turgescence, ne sont pas répartis n’importe comment dans la plante : ils sont situés dans la partie appelée pulvinus, qui est un renflement à la base des feuilles. C’est là que tout se joue pour que les feuilles puissent avoir ce mouvement de nyctinastie.


Localisation des tissus extenseurs et fléchisseurs dans le pulvinus permettant aux feuilles d'avoir des mouvements contrôlés. [Source]

Au niveau du pulvinus, on constate deux types de tissus : les tissus fléchisseurs et les tissus extenseurs. Les mouvements d’eau dans les tissus fléchisseurs et extenseurs sont complémentaires et sont régulés par la plante elle-même, peu importe la quantité d’eau disponible dans le sol. Si la plante a besoin d’avoir ses feuilles ouvertes au maximum dans la journée, alors les tissus extenseurs seront gonflés d’eau. En revanche, si la plante doit se fermer pendant la nuit, ce sont les tissus fléchisseurs qui seront remplis d’eau et permettront à la plante de refermer ses feuilles. Cela signifie qu’en perdant leur eau, ces tissus peuvent se contracter (car les cellules sont alors plus petites) et permettent à la plante de faire bouger ses feuilles.

Au final, la plante est capable de faire ses mouvements uniquement en jouant sur la quantité d’eau que contiennent ses cellules !

Mais à quoi ça sert ? Ce qu’on pensait jusqu’à présent …


Il faut remonter aux études de Charles Darwin lui-même pour trouver une hypothèse quant à l’utilité du phénomène de nyctinastie : selon lui, il pourrait s’agir d’un mécanisme de la plante pour éviter la trop grande perte de chaleur par les feuilles lorsque la nuit arrive. Moins de surface exposée à l’extérieur est en effet synonyme de moins de dommages en cas de froid intense. Effectivement, ce mécanisme se retrouve chez les plantes de très haute montagne (comme Espeletia schultzii dans les Andes) et peut représenter une préservation de température de plus de 2°C (Smith 1974) ! Ça ne parait pas grand-chose comme ça, mais quand on est proche de 0°C, cela fait toute la différence car la plante évite ainsi de gros dommages à ses tissus par le gel.

Une autre utilité de la nyctinastie serait de permettre à la plante de « s’ébrouer » quotidiennement et ainsi éviter l’accumulation d’eau à la surface de ses feuilles. En soi, l’accumulation d’eau en elle-même n’est pas forcément un problème (bien qu’une couche d’eau à la surface des feuilles réduise l’efficacité de la photosynthèse) mais dans les pays tropicaux surtout, les bactéries et champignons profitent de la présence d’eau pour se développer. Et donc, potentiellement, une mince couche d’eau à la surface d’une feuille est un milieu favorable à la croissance de pathogènes ! La nyctinastie pourrait donc être perçue dans ce cas comme un phénomène de protection de la plante contre les pathogènes, puisque l’eau située à la surface est régulièrement retirée, mais cela reste encore une hypothèse à tester.

Dans le même temps, les plantes des milieux secs bénéficient de la nyctinastie car elle permet de réduire les pertes en eau par évapotranspiration durant la nuit. En effet, la feuille étant repliée sur elle-même, les échanges avec l’atmosphère en sont réduits … de même que la transpiration, et donc que les pertes d’eau.

Enfin (et c’est l’hypothèse la plus répandue), la nyctinastie est un mécanisme présent chez certaines plantes pour éviter l’herbivorie sur les feuilles. Effectivement, en réduisant sa surface foliaire durant la nuit, la plante rend moins accessible les parties consommables de son anatomie… les herbivores seront d’autant plus frustrés qu’ils se rabattront sur d’autres plantes plus faciles à dévorer ! Également, lors de la fermeture de la feuille, certaines plantes vont avoir des épines qui se positionnent vers l’extérieur pour dissuader encore une fois les herbivores de s’aventurer trop proche, évitant ainsi de se faire manger !

… et ce qui est nouveau : l’hypothèse tritrophique !

Encore un mot compliqué ! Tritrophique, cela décrit simplement une relation triangulaire entre la plante, les herbivores et les prédateurs des herbivores (donc carnivores).

Les plantes sont au départ face à un problème : comment se protéger des herbivores, en particulier les plus petits que sont les insectes mangeurs de feuilles ? Une plante peut repousser les insectes à l’aide de composés toxiques… mais lorsque cela ne suffit plus, quelle stratégie adopter pour éviter de se faire manger ?

Tout simplement … en facilitant la tâche pour les prédateurs dans la recherche de leurs proies ! Et c’est là que pourrait intervenir le phénomène de nyctinastie, à plusieurs niveaux.

D’abord, on en a déjà parlé, en se refermant la nuit les feuilles réduisent leur surface puisqu’elles se replient sur elles-mêmes. Si on extrapole ça à l’échelle de la canopée, cela représenterait une grosse diminution de la place que prennent les feuilles. En conséquence, il y aurait plus d’espaces libres entre les arbres. Or, certaines études mentionnent que les prédateurs aériens comme les chouettes ou les chauves souris ont besoin de plus d’espace pour évoluer dans leur milieu et pratiquer une chasse efficace (Raino et al 2010, Holt et al 2008) : la nyctinastie permettrait donc d’ouvrir des « couloirs » dans la végétation pour que les prédateurs attrapent leurs proies plus facilement. D’un point de vue acoustique également, le fait d’avoir une végétation moins dense la nuit permet aux sons de se propager plus loin (Arlettaz et al 2001) et donc aux prédateurs de détecter plus efficacement leurs proies. Enfin, la réduction de la masse foliaire pourrait permettre aux odeurs de se diffuser plus loin (Randlkofer et al 2010, Aartsma et al 2017) et de rendre ainsi les proies plus facilement détectables pour leurs prédateurs.

Pour résumer, la nyctinastie est donc un mécanisme qui permet une préservation des plantes de manière indirecte, car la réduction de la surface foliaire pendant la nuit va augmenter l’efficacité de chasse des prédateurs sur les proies, et ces dernières auront moins de temps pour aller grignoter tranquillement les feuilles.

Le mot de la fin

Indirectement, la nyctinastie est donc une innovation évolutive qui permet à certaines plantes de mieux survivre et de produire une descendance en plus grand nombre. Ce mécanisme est assez répandu à travers l’histoire des plantes pour avoir évolué de manière indépendante plusieurs fois, mais il est surtout présent dans la famille des Leguminosae (les légumineuses telles que les pois chiches, haricots verts, etc.). Une des hypothèses pouvant expliquer pourquoi on retrouve la nyctinastie plus souvent dans cette famille viendrait du fait que les légumineuses ont une teneur en azote plus élevée que les plantes des autres familles. Pour les insectes et autres herbivores, cela signifie que les feuilles des légumineuses sont plus nutritives… donc plus recherchées comme source de nourriture ! En réponse à cela, il est donc fort probable que la nyctinastie ait été activement sélectionnée dans cette famille, pour essayer de préserver au maximum les feuilles en les rendant moins accessibles aux insectes durant la nuit.

Bibliographie

Aartsma, Bianchi, van der Werf, Poelman (2017) Herbivore-induced plant volatiles and tritrophic interactions across spatial scales. New Phytologist 216, 1054 – 1063

Arlettaz, Jones, Racey (2001) Effect of acoustic clutter on preydetection by bats. Nature 414, 742 – 745

Holt, Layne (2008).  Eye  injuries  in  long-eared  owls  (Asio  otus): prevalence and survival. Journal of Raptor Research 42, 243 – 247.

Minorsky (2019) The functions of foliar nyctinasty: a review and hypothesis. Biological Review 94, pp. 216 – 229.

Oikawa et al. (2018) Ion Channels Regulate Nyctinastic Leaf Opening in Samanea saman. Current Biology 28, 2230–2238

Rainho, Augusto, Palmeirim (2010) Influence of vegetation clutter on the capacity of ground foraging bats to capture prey. Journal of Applied Ecology 47, 850 – 858.

Randlkofer, Obermaier, Hilker, Meiners (2010) Vegetation complexity — The influence of plant species diversity and plant structures on plant chemical complexity and arthropods. Basic and Applied Ecology 11, 383 – 395.

Smith (1974) Bud temperature in reference to nyctinastic leaf movement in an Andean giant rosette plant. Biotropica 6, 263 – 266.

dimanche 15 septembre 2013

Les vacances d'une (autre) écologue: mission tourbière




Les vacances des scientifiques…  à quoi ça peut bien ressembler ? Sophie vous en a donné un aperçu en vous contant ses aventures en Camargue. De mon côté, les vacances n’étaient pas au programme de l’été, mais ce n’est pas pour autant que l’aventure n’était pas au rendez-vous !

Si vous vous fiez à notre page de présentation, depuis un peu plus de 10 mois je travaille sur les tourbières, et plus particulièrement les tourbières du Jura. Cette année l’hiver a été très froid et plutôt long. Encore plus en altitude. Les tourbières du Jura sont restées sous la neige assez longtemps après la hausse des températures au mois de mars. Il a fallu encore plus de temps pour que l’activité reprenne dans cet écosystème qui s’était mis en veille tout l’hiver. Quelle activité ? Celle des micro-organismes dont je vous ai très brièvement parlé . Et c’est à ces petits amis qui ont pris leur temps pour se réveiller que je m’intéresse. C’est eux ma raison de me lever tous les matins depuis quelques mois. Et c’est encore eux qui ont accaparé mon attention tout cet été ! L’objectif de l’été est de prélever des carottes de tourbe pour ensuite faire des analyses et un suivi des communautés microbiennes en laboratoire afin de connaître l’effet du réchauffement climatique sur les bactéries et sur la capacité de stockage du carbone par les tourbières.
Le site expérimental sur lequel on prélève est situé à Frasne dans une réserve naturelle régionale et nationale. Plusieurs espèces protégées s’y développent comme la Drosera et l’Andromède.


Drosera rotundifolia (source)
Andromeda polifolia (source)



Mais pour que les chercheurs puissent faire avancer la science, un accord a été passé entre les responsables de la réserve et un groupe de laboratoire de recherche de façon à ce que le site soit classé Observatoire des Sciences de l’Univers, c’est-à-dire que les scientifiques ont l’autorisation d’y mettre en place des expériences afin de répondre à de grandes questions environnementales. Grâce à cet accord, en 2008, le laboratoire Chrono-environnement a pu mettre en place le ponton et un plan expérimental pour étudier l’effet du réchauffement climatique sur les tourbières. Ce plan expérimental (comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous) est constitué de 12 placettes dont certaines sont mises sous serre grâce à un système appelé Open-Top-Chamber et qui permet d’appliquer un réchauffement moyen de 2 degrés, ce qui correspond à un réchauffement plausible à moyen terme. Ce site expérimental est unique en France mais il a été reproduit en Pologne et en Sibérie afin d’obtenir des données sur un gradient latitudinal. Ainsi si mes expériences sont concluantes, il faudrait les réitérer dans les 2 autres pays !

Schéma du site expérimental des tourbières de Frasne


Et voilà, c’est pour mes amis (bactéries, champignons et autres compères) des tourbières que je me suis levée à 5h le vendredi 28 juin dernier et que je suis partie en vadrouille sur les sentiers perdus de la Franche-Comté, plus précisément du côté de la ville de Frasne.

Carte du site, © V.Jassey
Accompagnée de deux stagiaires et d’une ingénieure du labo (notre Mac Gyver à nous !), on décolle à la première heure. Après presque 3h de route à passer de petites villes en villages, c’est vers 9h du matin que nous arrivons aux abords de la tourbière du Forbonnet. Là, il nous faut enfiler bottes et chaussures de marche, pantalon imperméable, prévoir parapluie et crème solaire (on ne sait jamais à quel temps on aura droit, même en plein été), emporter nos sacs remplis de flacons et pots en tout genre, couteaux de taille conséquente, sachets isothermes, glacière, et nous armer de toute notre motivation et de notre humour sans lequel une journée de terrain ne serait pas une journée de terrain !



Panorama du site (quand il fait beau!!!)
C’est parti !

Presqu’à l’image d’Indiana Jones, on brave quelques pontons glissants (la faute à la pluie de la veille), souches et branches d’arbres traîtres et on se démène pendant un peu plus de 20 minutes au beau milieu d’une forêt de pins en tentant de ne pas s’embourber dans la tourbe ! C’est qu’elle a faim la tourbe. Dès qu’on relâche notre attention ne serait-ce qu’une seconde, elle ne perd pas une occasion d’aspirer un pied, voire plus (quand elle a de l’appétit, ça peut aller jusqu’à la cuisse !)… De mon expérience, la sensation n’est absolument pas désagréable. On se laisserait presque prendre à ce doux massage si seulement les membres en cours d’aspiration ne commençaient pas à se refroidir très rapidement. La tourbe, surtout après un hiver long et froid, est à une température moyenne de 10°C et plus on s’enfonce, plus c’est froid. Donc, il ne faut pas s’endormir sur nos lauriers…. euh sur nos pins !
A gauche, vous pouvez voir la forêt de pins dans laquelle on a du évoluer pour arriver au but et à droite, un petit aperçu de ce dans quoi il nous est arrivé de plonger nos pieds

Arrivés sur notre ponton expérimental et sans plus attendre, on se répartit les tâches : qui prélève, qui annote, qui prend les photos, et qui vérifie les capteurs. La meilleure partie, c’est le prélèvement biensûr ! A chaque campagne, le mode de prélèvement doit être adapté à ce qu’on veut étudier sur les échantillons. Dans mon cas, j’ai besoin de carottes de 10*10*15 cm de profondeur (photo plus bas). D’autres avant moi n’ont prélevé que des échantillons de sphaignes (c’est la mousse qui pousse préférentiellement sur ces tourbières et que l’on voit sur la photo de la carotte), ou encore que des échantillons sur les 3 premiers centimètres de profondeur. Mes carottes vont servir à mettre en place plusieurs expériences au laboratoire, et comme ce coup-ci je travaille sur les bactéries, il faut que le prélèvement se fasse de façon la plus stérile possible. C’est pour ça que les pots s’apprêtant à recevoir les carottes ont été lavés à l’alcool, il en est de même pour les couteaux servant à trancher la tourbe. Et entre chaque prélèvement, les couteaux sont aussi stérilisés à l’alcool.

Pour prélever sur chacune des 12 placettes, je dois descendre du ponton et marcher à même la tourbe, qui ne perd pas une seconde pour s’enfoncer en m’emporter avec elle. Deux solutions se présentent à moi : soit je reste en permanence en mouvement, mais cela rend complexe le découpage et le prélèvement des carottes, soit je me sers du Peatsurf, autrement dit le surf des tourbières ! Je suis sûre que vous vous demandez ce que c’est…. Je vous préviens, vous allez être déçu par la simplicité de l’idée. Le peatsurf n’est rien de plus qu’un couvercle de poubelle sur lequel on monte quand on a besoin de marcher sur la tourbière. Il nous permet de mieux répartir notre poids au sol et donc de ne pas nous enfoncer et de rester au sec (ou presque). Cette idée de notre Mac Gyver tient du système D mais c’est suffisamment simple, judicieux et efficace pour être validé par quiconque doit prélever sur les tourbières. 
Une belle photo de mon peatsurf!
Pour chaque placette, il a fallu, avant-tout, trouver une zone représentative de l’ensemble de la placette, puis découper la carotte au couteau aux dimensions souhaitées (10*10 cm en surface) sur une profondeur minimum de 15 cm. A partir de là, on abandonne les couteaux et on passe en mode manuel. Il faut alors plonger les mains dans la tourbe (avec des gants lavés à l’alcool pour rester dans des conditions les plus stériles possibles) pour en sortir la carotte (photo ci dessous à gauche) d’à peu près 3 kilos saturée en eau. Une fois la carotte prélevée, on en profite pour collecter un échantillon d’eau au fond du trou (photo ci dessous à droite) laissé pour y analyser les bactéries présentes.






Autant vous dire qu’entre la position assez inconfortable, l’instabilité du peatsurf et la température plutôt rafraichissante de la tourbe, on fait en sorte d’être efficace pour ne pas avoir à y revenir 2 fois. En un peu moins de 3h, tous les prélèvements sont faits et les échantillons stockés en glacière. Il ne reste plus qu’à rapporter tout ça en laboratoire. 
Là où c’est moins drôle, c’est que les expériences prévues sur ses échantillons doivent se faire à Paris. Donc après avoir remballé nos affaires, fait le chemin inverse au milieu de la forêt de pins, des souches, de la tourbe et sur les pontons glissants, et repris la voiture en direction de la gare la plus proche, j’enchaîne avec 3h de train chargée de plus de 30 kilos de tourbe et une valise de matériel de laboratoire. Arrivée à 21h à Gare de Lyon, je retrouve les traditionnels problèmes de métro qui retardent mon arrivée au laboratoire où je dois stocker mes échantillons en chambre froide jusqu’au lendemain. Mais après beaucoup de patience, à 23h mes échantillons sont enfin au frais. Ils vont pouvoir passer 24h au calme, et moi je dois traverser Paris pour rentrer chez moi, dormir quelques heures et me reposer une journée tout au plus avant de revenir m’occuper de mes petits amis des tourbières.

Et donc, dimanche matin, 9h, au laboratoire BIOEMCO, à Créteil, nous sommes 3 pour faire face à ces 30 kg de tourbe et d’eau. Mes deux acolytes, un chercheur et une post-doctorante, se sont aussi armés de leur humour et de leur réserve de café, car ils savent que la journée va être longue. Et ce n’est pas peu dire…. Nous avons fini à 2h30 … du matin, presque sans avoir fait de pause. 


De droite à gauche: une partie des échantillons est mise à sécher; ils sont broyés; puis on leur applique plusieurs méthodes de microbiologie pour mesurer la diversité génétique, la diversité de métabolisme, l’activité et la respiration des bactéries; et enfin on récupère les échantillons en prévision d’autres analyses.
Comme tout chercheur en biologie le sait, le vivant n’attend pas, il continue son cycle, son évolution quoi qu’il se passe. C’est à nous de nous plier à ses contraintes et pas le contraire. Mais ces fameuses contraintes, c’est cela qui nous forge de merveilleux souvenirs. Et dire que de simples bactéries sont capables de déclencher de monstrueux fous rires à n’en plus finir.

Pour tout vous avouez, les jours suivants n’ont pas été de tout repos et loin d’être faciles. L’ensemble des expériences que j’avais prévues a duré 1mois et demi en continu et il m’en reste quelques bribes à finir jusque fin octobre. Mais je n’échangerai pour rien au monde ces vacances d’écologue contre des vacances à Bora-Bora !


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