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lundi 11 mai 2020

Ça pond des bébés, les poissons ?

La question de l’œuf et de la poule est résolue depuis bien longtemps. Des œufs, on en trouve partout sur l’arbre du vivant, bien avant l’apparition des oiseaux. A coquille dure ou avec une enveloppe protectrice molle, pondus déjà fécondés ou expulsés dans l’environnement en attente de la semence des mâles, aux formes et aux couleurs variables, bref, une belle omelette bien diversifiée. Certains groupes comme les mammifères ont changé de mœurs au cours de l’évolution, adoptant par exemple la gestation dans le bidon. A contrario, les œufs restent la norme pour pas mal d’organismes, et notamment les Actinoptérygiens (appelons les « poissons » pour simplifier !)


Céto, monstre de la mythologie grecque décrit comme un “gros poisson” ou une baleine (son nom est à l'origine de celui des "cétacés"). Peut-être bien une chimère à en croire son apparence… On ne saura pas si la bête pondait des œufs ou des bébés : c’est un mâle !

Chez les poissons donc, madame pond des œufs pas encore fécondés directement dans l’environnement, sur lesquels ces messieurs enverront des nuées de spermatozoïdes. Ceux-ci savent nager de toute façon, ils arriveront bien à trouver les œufs à féconder. Parents attentifs ou aux abonnés absents, l’accompagnement de la progéniture jusqu’à l’éclosion est variable selon l’espèce. Tellement variable même, que certaines espèces ont suivi l’exemple des mammifères, en adoptant la stratégie d’arrêter de pondre des œufs… et d’enfanter des jeunes bel et bien formés !

Exit les œufs ? Eh bien non, on parle plutôt d’ovoviviparité. Les ovocytes sont fécondés à l’intérieur de la femelle, qui incubera les œufs dans son corps. Ceux-ci assurent donc le nourrissage des jeunes jusqu’à l’éclosion, qui a lieu plus ou moins longtemps avant la naissance des alevins. Et qui dit fécondation interne dit… accouplement ! Pour faciliter la chose, certains poissons sont équipés d’un gonopode, une nageoire modifiée qui leur permet d’amener leur semence dans le corps de madame. Un équivalent-pénis quoi.


Gambusia affinis, un poisson de la famille des Poeciliidae dont le gonopode, sous le corps, est particulièrement bien développé.

L’ovoviviparité est particulièrement répandue dans le groupe des Poeciliidae, qui comprend notamment les guppys, particulièrement appréciés des aquariophiles. Deux nouvelles espèces de poissons ovovivipares appartenant à ce groupe viennent tout juste d’être découvertes dans les Caraïbes, sur l’île d’Hispaniola (partagée par Haïti et la République dominicaine). Limia islai et Limia mandibularis rejoignent donc la liste des 18 espèces du genre Limia qui sont endémiques de cette île, dont la moitié qui ne sont trouvées que dans un seul lac, le lac Miragoane. De tels hotspots de biodiversité soulignent l’importance d’études scientifiques locales dans des pays où l’expertise scientifique et naturaliste reste à développer. Il ne s’agirait pas que des espèces aussi intrigantes disparaissent avant même qu’on ait connaissance de leur existence…


Références


La majorité des auteurs de ces deux études sont originaires de différents pays des Caraïbes, et leurs travaux sont soutenus par l’association Caribaea Initiative, qui œuvre pour le développement d’une expertise locale d'étude et de protection de la biodiversité des Caraïbes.



lundi 27 avril 2020

Mes insectes chouchou, les bombyles

Cette année, printemps rime avec confinement. La vie sauvage s’offre un petit répit, ce qui met en joie les naturalistes. Avec un pincement au cœur tout de même, celui de louper la nature qui s’éveille en cette belle saison. Alors j’ouvre l’œil encore plus grand lors de mes rares sorties autour de chez moi, en espérant apercevoir ce petit battement d’ailes si caractéristique d’un insecte que j’adore : le bombyle.



Étonnement, les bombyles ne sont pas très bien connus du grand public. Regardez pourtant leurs bouilles adorables ! Ils ont l’apparence de petits bourdons d’à peine un centimètre de long, un mimétisme qui leur confère sans doute une protection contre les prédateurs qui osent moins s’en approcher de peur d’être piqués. Ils sont pourtant inoffensifs, d’autant qu’ils appartiennent à un tout autre groupe : celui des diptères. Des mouches, donc !

On compte plusieurs dizaines d’espèces du genre Bombylius en Europe, la plus commune étant Bombylius major. Ils sont plutôt communs au printemps, quand les conditions sont réunies. Ils ne sont pas difficiles et visitent une large variété de fleurs, mais ils ont tout de même leurs favorites : une fois que l’on sait où ils viennent butiner, il y a de fortes chances de les retrouver le lendemain au même endroit. Chez moi, ce sont les muscaris qui ont la cote. Un ingrédient indispensable cependant : malgré leur jolie fourrure, ils volent presque exclusivement au soleil.


Les bombyles sont pourvus d’une longue trompe avec laquelle ils se délectent du nectar des fleurs. Ils se posent à peine sur celles-ci, du bout des pattes (elles aussi très longues !), sans même s’arrêter de battre des ailes. Il faut dire qu’ils ont de quoi être fier de leur outil de vol : ils n’ont nul égal en ce qui concerne la pratique du vol stationnaire, et sont même capables d’effectuer de rapides rotations autour d’un axe verticale, un type de vol dont eux seuls ont le secret. Le tout en émettant un petit vrombissement…


Atterrissage réussi !

Certaines espèces sont reconnaissables à la couleur de leurs poils, ou encore à celle de leurs ailes. Par exemple, alors que Bombylius major a les ailes transparentes avec une bande noire en haut, Bombylius discolor, une autres espèce commune, présente lui des tâches noires sur ses ailes. Autre détail rigolo : on peut déterminer le sexe des individus en les observant dans les yeux. Tandis que les deux yeux des mâles se touchent au milieu, ceux des femelles sont clairement écartés l’un de l’autre. Pratique !

Bombylius discolor (gauche) et Bombylius major (droite) diffèrent notamment par le pattern sur leurs ailes
On différencie très bien le mâle à gauche de la femelle à droite rien qu’à l’écartement des yeux

Bon, il faut l’avouer, ils ont tout de même une petite particularité moins mignonne : les larves sont comme qui dirait carnivores. Après avoir été pondus (sous la forme d’œufs bien sûr) à l’entrée d’une galerie de guêpes ou d’abeilles solitaires par une mère qui n’a même pas pris le temps de se poser, nos bombyles passent leur jeunesse dans le nid de l’insecte étranger à grignoter ses rejetons. Eh oui, personne n’est parfait !



mardi 7 avril 2020

Guacamole de testicules et paresseux géants

Le titre est on ne peut plus explicite, cet article traite de l’Histoire des avocats. Le fruit, pas le gars. Avant d'atterrir dans votre salade, votre petit avocat a traversé le globe depuis l’Amérique du Sud. Parmi les 6 millions de tonnes annuellement produits, il a eu l’honneur de faire partie des presque 100 000 tonnes importées en France (si c’est là que vous vivez…), deuxième pays le plus friand. Le tout avec une empreinte écologique assez terrifiante, entre une consommation d’eau importante (1000 litres par kilo d’avocats) et un transport qui nécessite camions, réfrigération en bateau et moult emballages (la bête est fragile). MAIS avant de faire ce long voyage géographique, les avocats ont dû faire un plus long voyage encore, un voyage à travers les âges...

Reconstitution de Megatherium (Source)


Dans les assiettes préhistoriques


Les avocatiers appartiennent à la famille des Lauraceae, un groupe vieux de plusieurs dizaines de millions d’années. Bien sûr, à l’époque, ils ne devaient pas tellement ressembler à la plante que l’on connaît aujourd’hui. Les fossiles ne laissent cependant aucun doute quant à la présence d’avocats préhistoriques dès le Pliocène, dans l’actuelle Californie(1), d’où ils se sont dispersés vers l’Amérique du Sud.

C’est là que le paresseux géant intervient. Nous sommes au Pléistocène (jusqu’à 2,6 millions d’années avant nous). Les avocats ont déjà la forme globale qu’on leur connaît. Avec une chair bien riche en graisses, appétissante… Une chair qui entoure la graine prête à être dispersée. Beaucoup des animaux actuels n’oseraient pas avaler tout rond un tel met (sachant que le noyau ressort plus ou moins intact…), mais nous sommes à la glorieuse époque de la mégafaune. “Méga”, car les animaux sont géants ! Et c’est probablement parce qu’ils ont co-évolué avec ces animaux que les avocats sont ce qu’ils sont : une graine énorme enfouie dans de la chair très nutritive(2).

Parmi les géants qui foulent l’Amérique du Sud au Pléistocène, on trouve plusieurs espèces de gomphothères, des colosses qui ressemblent à des éléphants. On trouve aussi le glyptodon, un tatou géant de la taille d’une voiture, et son cousin doedicurus, tout aussi cuirassé. Et bien sûr le célèbre mégathérium, paresseux géant qui peut se targuer d’être l’un des plus grand animaux terrestres à avoir existé, avec ses six mètres de long et ses quatre petites tonnes. Si vous passez par Paris, n’hésitez pas à leur rendre visite dans la galerie d’anatomie comparée du Muséum !

Reconstitution de Stegomastodon, un gomphotère d’Amérique du Sud (Source)

Reconstitution de Glyptodon (Source)
Fossile de Doedicurus (Source)

Squelette de paresseux géante Mégathérium au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris (Source)

La presque extinction des avocats


Tout allait bien dans le meilleur des mondes. Les animaux géants se délectaient des avocats, et les avocatiers suivaient le mouvement des géants depuis leurs intestins et profitaient de l’engrais naturel qui accompagnait le retour des graines au grand jour (vous voyez l’idée). Jusqu'à ce que le monde des avocats menace de s’écrouler : la mégafaune est en train de disparaître ! Peut-être à cause du réchauffement climatique qui accompagne la fin de l’ère glaciaire (pas la faute des hommes, une fois n’est pas coutume !).

Heureusement, les humains de l’époque ont aussi trouvé le fruit à leur goût (gageons qu’eux n’avalaient pas le noyau), et se sont mis à le cultiver(3). Même si la domestication a sans doute modifié l’allure que peuvent avoir les avocats, ils gardent cette grosse graine que seuls les géants herbivores arrivaient à avaler. Un anachronisme évolutif comme l’a appelé Barlow dans son livre sur “les fantômes de l’évolution”(2).

Petit point étymologique pour finir : “avocat” (en espagnol “aguacate”) est dérivé du mot “ahuacatl” en langue nahuatl. En plus de désigner le fruit, ce mot sert aussi à désigner les testicules. Rapport à la forme…



Références


  1. Schroeder CA. 1968. Prehistoric avocados in California. California Avocado Society, Yearbook 52: 29-34
  2. Barlow C. 2000. The Ghosts of Evolution: Nonsensical Fruit, Missing Partners, and Other Ecological Anachronisms. Basic Books, New York.
  3. Galindo-Tovar ME, Ogata-Aguilar N & Arzate-Fernandez AM. 2008. Some aspects of avocado (Persea Americana Mill.) diversity and domestication in Mesoamerica. Genetic Resources and Crop Evolution 55:441-450


lundi 8 avril 2019

Les ramifications des nouvelles découvertes sur l’insignifiant placozoaire

En 2014 je vous parlais de « l’insignifiant placozoaire », ces animaux qui ressemblent à des trucs. Pas très précis me direz-vous ? En effet, leur forme n’est pas précise. On dirait des plaques vaguement rondes qui rampent, tout comme le nom de la première espèce découverte l’indique ; Trichoplax adhaerens, ou plus prosaïquement « la plaque à poils qui colle ». Pas très glamour et pourtant ! Et pourtant non.  C’est pas passionnant au premier abord. Ces animaux n’ont pas d’organes et oh révolution, je vous racontais dans mon dernier article qu’il y avait 6 types de cellules au lieu de 4. Voilà voilà. Cool. J’ai dit tout ce qu’il y avait à dire sur le sujet, on se retrouve dans un prochain article. 


Un placozoaire. Voilà. Source : wikipédia 

Nicobola
















Bwahahaha bien sûr que si y’a plein de trucs à dire ! Je vous ai bien eu n’est-ce pas ? (bon normalement vous avez vu que l’article était plus long que ça…). Les vrais zoologistes savent que tous les animaux sont intéressants ! Et c’est justement parce que cet animal à l’apparence simple a été délaissé, car considéré comme insignifiant, qu’il a plein de mystères à nous révéler ! Et puis j’ai déjà fait un article là-dessus, ça pouvait ne pas être aussi bref. 

Et pourquoi ces placotrucs seraient important pour la zoologie ?


Alors quoi de neuf chez les placozoaires ? Ben plein de trucs figurez-vous ! Déjà reprenons, les placozoaires sont bien des animaux qui bougent mais ils n’ont pas de muscles ni de système nerveux. Ceux qui suivent au premier rang diront « oui, mais c’est le cas des éponges aussi ! ». Soit, mais les éponges ne se déplacent pas (en tout cas une fois adultes, puis c’est pas si simple, j’en ai parlé ici ; préjugés sur les éponges),. De plus la majorité des zoologistes pense que les ancêtres des éponges n’ont jamais eu de système nerveux ni de muscles. En revanche la majorité des zoologistes pense qu’un des ancêtres des placozoaires possédait un système nerveux. Mieux, ces derniers possèdent plein de gènes en commun avec d’autres animaux qui ont une organisation interne plus complexe. Qu’ont-ils bien pu faire de leurs organes, muscles et système nerveux ? Normalement les animaux dont l’organisation interne se simplifie autant lors de leur évolution sont les parasites. Mais pour autant qu’on sache, les placozoaires qu’on connait ne sont pas parasites. Un mystère pour les zoologistes qui ne s’y sont pas tellement intéressés aux placozoaires en vrai… Alors qu’est-ce qu’il s’est passé pour que d’un coup ils deviennent « hype » ? Ben ces derniers temps y’a un gros débat chez les zoologistes. Je ne vais pas rentrer dans les détails car Pierre Kerner l’a déjà très bien fait ici  : relation avec Bob L'éponge, et je l’ai aussi évoqué ici : casse tête zoologique, mais la classification des animaux est assez bordélique. En gros il y a 5 groupes très anciens d’animaux qui peuvent nous renseigner sur le tout début de l’évolution des animaux en général :
-Les éponges qui n’ont ni système nerveux, ni muscles, ni tube digestif, ni symétrie
-Les placozoaires pareil, mais on pense qu’eux ont eu des muscles, un tube digestif et une symétrie dans le passé
-Les bilatériens, c’est, entre autres, nous, les animaux à deux côtés
-Les cnidaires avec les méduses et les coraux : système nerveux, muscles, tube digestif sans anus, symétrie en « étoile » 
-Et les magnifiques cténaires, un système nerveux, des muscles, un tube digestif sans anus, et deux axes de symétrie perpendiculaires.


Un magnifique cténaire, avouez qu’ils en jettent plus que les placozoaires. Source : wikipédia 


Ben les classifications basées sur les gènes ont beaucoup de mal à résoudre où se placent les cténaires et les éponges en ce moment, et sans vouloir rentrer dans les détails, ça pose beaucoup de questions sur l’origine évolutive du système nerveux et des muscles chez les animaux. Alors pour mieux comprendre l’évolution de ces organes, les gens se sont mis à plus étudier les éponges (enfin !), les cténaires (enfin !) et les cnidaires (on les connaissait pas mal mais mieux les étudier ça fait quand même pas de mal). Et puis bon, les pauvres placozoaires ont été délaissés pendant longtemps. Ceci dit ce débat sur la position des cténaires et l’origine des nerfs et des muscles  n’en finit pas chez les zoologistes et ils ont décidé d’étudier enfin les placozoaires ! Une aubaine pour ces pauvres petites plaques délaissées qui ne demandaient que de l’attention ! Il y a donc eu plusieurs publications dont je vais vous parler brièvement (sinon ce serait bien trop long !)

Les placozoaires vont-ils enfin avoir une place au chaud dans l’arbre évolutif des animaux ?


La première par Laumer et al. en 2018 (j’vous disais que c’était dans l’air du temps) a consisté à essayer de placer avec soin les placozoaires entre tous ces groupes. Pour cela, l’équipe a étudié en détails les gènes de ces animaux. L’étude montre que le groupe évolutivement le plus proche des placozoaires serait les cnidaires. Les flamboyants coraux et les gracieuses méduses associés à ces petites plaques collantes ? Allez, pourquoi pas. Et le taxon (groupe) le plus proches de ce groupe c’est nous, les bilatériens. Mais ça a des conséquences en termes d’interprétation de l’évolution des caractères ! Comme les cnidaires et les bilatériens ont des nerfs et des muscles, ça semble confirmer l’idée que l’ancêtre des placozoaires en avaient et les ont perdu en évoluant. Par ailleurs ça a d’autres conséquences qu’ils soient proches des cnidaires comme vous le verrez plus tard.

Les relations de parentés entre les 5 groupes d’animaux dont je vous parlais. L’étude en question trouve que les placozoaires et les cnidaires sont plus proches entre eux qu’ils ne le sont des autres groupes. Quant aux éponges et aux cténaires, la communauté des scientifiques n’arrive pas à trancher pour savoir de qui ils sont le plus proche. Sources : épongescténairesbilatériensplacozoaires, cnidaires

Une nouvelle espèce surprise !


L’autre découverte par Eitel et al. en 2018 c’est sur leur diversité. Eh oui, le vivant varie, change, et même les êtres les plus mal fortunés de l’évolution (oui je sais je suis sévère, mais c’est affectueux) ont le droit d’avoir un peu de diversité ! Jusque-là une seule espèce avait été décrite, la mal nommée Trichoplax adhaerens, et on se doutait qu’un groupe qui est probablement apparu il y a si longtemps avec les premiers animaux ne pouvait pas avoir qu’une espèce. On avait aussi différentes lignées en laboratoire, dont on savait qu’elles présentaient des variations génétiques. Mais là ces chercheurs sont allés plus loin et ont trouvé des différences assez importantes dans la structure du génome d’une autre lignée provenant de Hong Kong. Montrant même que les deux étaient reproductivement isolés (ils ne peuvent pas faire de bébés plaques ensemble). Les auteurs ont donc décidé non seulement de décrire leur lignée comme une nouvelle espèce mais aussi comme un nouveau genre, dû aux grosses différences de leurs génomes : cette fois ci la bien nommée Hoilungia honhkongensis. En effet, le nom Hoilungia est une mauvaise latinisation de Hoi Lung du cantonais signifiant « dragon des mer », une créature de la mythologie chinoise pouvant changer de forme comme les placozoaires. Asseyez-vous bien et préparez-vous donc à voir un petit dragon :


Voilà. Vous pourrez constater la différence flagrante avec Trichoplax. Si si regardez, y’a un plis là. Bref, vous moquez pas, tous les dragons ne crachent pas de feu, puis changer de forme c’est déjà pas mal. Source : Eitel et al. 2018.

Une découverte non sans gravité


Ensuite Mayorova et al. en 2018, répondent enfin à une question qui était ouverte dans l’article que j’avais écrit précédemment sur les placozoaires, à quoi servent donc leurs cellules brillantes avec un cristal à l’intérieur ? Comme on s’en doutait fortement, une cellule avec des cristaux dedans souvent ça sert à sentir la gravité chez les animaux. Comment l’a-t-on confirmé ? Ben il semble que des lignés de la même espèce peuvent avoir ou pas ces cellules cristallines. En comparant le comportement des animaux avec ou sans ces cellules on s’est rendu compte que les deux lignées ne se comportent pas pareil. Sur un support vertical, les placozoaires avec les cellules cristallines remontent et restent à peu près au même niveau la plupart du temps, alors que celles sans ces cellules se laissent glisser lamentablement vers le bas. Alors ouais c’est pas impressionnant, mais ces animaux n’ont que 6 types de cellules, et ça montre qu’ils peuvent bien sentir leur environnement et coordonner leurs mouvements en fonction de la gravité et cela sans système nerveux. On commence à mieux comprendre pourquoi ils ont autant de gènes, mais je n’ai pas encore fini mon histoire…


Les différentes trajectoires que prennent des placozoaires quand ils ont des cellules cristalines (à gauche) ou pas (à droite). Barres d’échelles : 100µm en haut et 5mm en bas. Source : Mayorova et al. 2018

Donc maintenant on connait la fonction de ces cellules cristallines, et morphologiquement on peut différencier 6 types de cellules chez les placozoaires. C’est mieux que 4 mais ça reste vraiment pas beaucoup. Dans la lignée d’études précédentes qui se demandaient s’il y avait quand même des différences physiologiques entre certaines cellules pourtant  non distinguables, DuBuq et al. en 2019 et Varoqueaux et al. en 2018 ont tenté de voir si ce n’était pas le cas. 

Les cachoteries génétiques des placozoaires révélées


Dubuq et al. sont allés voir où s’exprimaient certains gènes impliqués dans la mise en place de l’organisation d’un animal chez les placozoaires, et dont on se demandait sincèrement s’ils s’en servaient vraiment de ces gènes. Alors non seulement c’est le cas, mais en plus, loin d’une expression aléatoire de ces gènes, ils ont une expression plutôt bien organisée. On a bien un axe ventro-dorsal (on parle d’axe oral/aboral) et l’expression circulaire de certains de ces gènes du centre vers la périphérie, un peu comme une cible. Comme s’ils avaient une symétrie en étoile… ce qui rappelle les cnidaires dont ils seraient proches ! Et comme par hasard l’expression de ces gènes chez les cnidaires est assez similaire ! Donc, malgré leur apparence informe, les placozoaires sont bien organisés de manière précise grâce à ces gènes, et leur organisation semble être similaire à celle qu’on trouve chez les anémones et les méduses, même s’ils ont l’air plus simple !

(Cliquez pour agrandir) Illustration de comment s’expriment les différents gènes chez Trichoplax. Remarquez l’organisation en forme de cible. Source : Dubuq et al. 2019.


Mode d’emplois pour froisser ou faire tourner la tête à un gentil placozoaire


L’étude de Varoqueaux et al., elle, s’intéresse au comportement de Trichoplax adhaerens avec une approche assez chouette. Si l’ancêtre des placozoaires avait un système nerveux, alors il doit en rester des traces dans leur génome. Mieux, des traces de molécules impliquées dans la communication des neurones ! Ils ont donc cherché des « neuropeptides », c’est un peu comme des mini protéines qui permettent de réguler l’activité des neurones. A partir des gènes des neuropeptides décelés dans le génome ils ont fait deux choses : ils ont fait des anticorps qui permettent de savoir où ils se trouvent dans l’animal (en se fixant sur les molécules qu’on cherche et en produisant un signal coloré là où ils se sont fixés), et ils ont produit ces neuropeptides pour voir ce qu’il se passe quand on met ces neuropeptides dans l’eau de Trichoplax. Grâce aux anticorps, ils ont remarqué que ces neuropeptides se retrouvent eux aussi de manière concentrique dans l’animal. Ce qui montre qu’il y a encore différentes cellules qui produisent (ou du moins contiennent) ces neuropeptides ! Mais le plus cool c’est quand on met ces neuropeptides dans l’eau, ça provoque trois types de comportements : le froissement, l’arrondissement et la rotation, et le fait de tourner en spirale et de s’aplatir (oui, ça leur donne pas l'air malin). Ca veut dire plusieurs choses, le catalogue de comportement est encore plus grand que ce qu’on pensait, c’est-à-dire jusque là plus ou moins ramper, manger et changer de forme, mais certains de ces comportements sont modulés par des molécules qui en théorie agissent sur le système nerveux. Or rappelez-vous, les placozoaires n’ont pas de système nerveux ! Comment ils font pour intégrer le signal de ces molécules ? On ne sait pas encore, mais ça promet d’être intéressant à étudier ! 


(Cliquez pour agrandir) A gauche les zones où on trouve certains neuropeptides, remarquez encore la disposition en «cible». A droite deux exemples de changement de comportements en présence de certains neuropetides. Détachement et repliement avec la SIFG-amide, et aplatissement extrême et rotation avec la LF-amide. Les barres d’échelles font 200µm. Source : Varoqueaux et al. 2018.


Ah enfin une explication au titre tordu de l’article !


La dernière découverte c’est ma préférée ! C’est celle qui m’a inspiré pour écrire cet article (puis après j’ai rattrapé la littérature récente et j’ai pas résisté à vous en parler). C’est la découverte d’une nouvelle espèce de placozoaire par Osigus et al. en mars 2019  ! « Encore ? » me direz-vous ? C’était déjà le cas de Hoilungia honhkongensis qui malgré son nom un peu trop stylé pour ce à quoi il ressemble, a quand même grosso modo carrément la même gueule que Trichoplax adhaerens (alors que les placozoaires n’ont même pas de gueules). Non, là on a quelque chose de bien différent, celui-ci ressemble à… heuuuu je sais pas trop, à des racines je dirais ? Voyez vous-même ! C’est trop bien !


Polyplacotoma mediterranea, le nouveau placozoaire palpitant ! Source Osigus et al. 2019

Eh oui cette fois ci c’est pas juste une plaque ronde, mais c’est une plaque ramifiée ! Et pour le coup le nom Polyplacotoma mediterranea lui va comme un gant, puisqu’il signifie qu’il se sépare en plusieurs plaques et qu’il vient de la Méditerranée (plus précisément de l’Italie). Cette nouvelle espèce est plus grosse que les deux précédentes qui peinaient à atteindre le millimètre, puisque ce géant peut atteindre le centimètre ! Alors alors ? De nouveaux types de cellules ? Qui sait peut-être même des organes internes ? Et comment on est sûr que c’est un placozoaire ? Tant de questions ! Tant d’exaltation ! Heuuu pardon, je m’emporte.  Malheureusement cet animal est assez rare et fragile et la majorité des animaux ont été utilisés pour les analyses du génome. Par ailleurs, contrairement aux deux autres espèces, les chercheurs n’ont malheureusement pas réussi à cultiver celle-ci. Par contre les gènes de ses mitochondries (la centrale énergétique de la cellule) montrent que c’est bien un placozoaire et que Hoilungia et Trichoplax sont plus proches entre eux qu’ils ne le sont de Polyplacotoma. Et cette découverte montre que la diversité des placozoaires est encore mal connue, et qui sait, on en trouvera peut-être avec des muscles et/ou un système nerveux, ce qui nous permettrait de bien mieux comprendre l’origine de ces organes ! Et puis qui dit plus d’espèces dit meilleure compréhension de leur évolution, et comme je vous disais, une meilleure compréhension de l’évolution des autres groupes d’animaux dont je vous parlais ! C’est comme un puzzle, plus on rajoute de pièces, et plus l’image devient claire. Ca soulève aussi d’autres questions, comme : qu’en est-il des organisations concentriques d’expression de gènes ou de présence de neuropeptides chez Polyplacotoma qui n’est pas rond ? 

Bref, la découverte de ce petit animal ouvre plusieurs ramifications de questions et de potentielles réponses en zoologie ! Nos « insignifiants » placozoaires le sont de moins en moins en fonction des découvertes, et comme souvent, plus on étudie une chose et plus elle nous paraît complexe et importante, et aucun organisme ne devrait être délaissé, car chacun a son propre lot de mystères et d’histoires étonnantes !

Une découverte qui devrait inspirer certains zoologistes, il y en aurait même qui se seraient déjà tatoué ce drôle d’animal !

Un tatouage de Polyplacotoma mediterranea… Source : je vous laisse deviner…

Nicobola


Mais non ce n’est pas vraiment la fin ! Les placozoaires ont d’autres secrets à nous révéler comme… Allez non, ça ira pour aujourd’hui, j’ai vraiment fini !

Sources :

DuBuq TQ, Ryan JF et Martindale MQ. 2019. “Dorsal–Ventral” Genes Are Part of an Ancient Axial Patterning System: Evidence from Trichoplax adhaerens (Placozoa). Molecular Biology and Evolution. https://doi.org/10.1093/molbev/msz025

Eitel M, Francis WR, Varoqueaux F, Daraspe J, Osigus H-J, Krebs S, et al. 2018. Comparative genomics and the nature of placozoan species. PLoS Biology 16(7): e2005359. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.2005359

Laumer CE, Gruber-Vodicka H, Hadfield MG, Pearse VB, Riesgo A, Maioni JC and Giribet G. 2018. Support for a clade of Placozoa and Cnidaria in genes with minimal compositional bias. eLife, 7:e36278. https://doi.org/10.7554/eLife.36278.001

Mayorova TD, Smith CL, Hammar K, Winters CA, Pivovarova NB, Aronova MA, Leapman RD et Reese TS. 2018. Cells containing aragonite crystals mediate responses to gravity in Trichoplax adhaerens (Placozoa), an animal lacking neurons and synapses. Plos One, 13(1): e0190905. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0190905

Osigus HJ, Rolfes S, Herzog R, Kamm K et Schierwater B. 2019. Polyplacotoma mediterranea is a new ramified placozoan species. Current biology 29(5) pR148-R149. https://doi.org/10.1016/j.cub.2019.01.068

Varoqueaux F, Williams EA, Grandemange S, Truscello L, Kamm K, Schierwater B, Jékély G et Fasshauer D.  2018. High Cell Diversity and Complex Peptidergic Signaling Underlie Placozoan Behavior. 28(21) p3495-3501. https://doi.org/10.1016/j.cub.2018.08.067

dimanche 20 janvier 2019

Vers la fin du monde ?

Quel joyeux titre en cette période suivant les fêtes … non ne partez pas tout de suite ! Aujourd’hui, on va parler de changements climatiques à court terme, et particulièrement de ce qui va nous arriver dans la poire dans les quelques dizaines d’années à venir. Pour cela je me suis basé sur l’article de Burke et al., paru cette année dans la revue PNAS.
Je ne vous apprends rien en disant que ça chauffe sur la planète : le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, en anglais IPCC Intergovernmental Panel on Climate Change) stipule que d'ici 2030 à 2052, l’augmentation de température à l’échelle de la planète atteindra 1,5°C, compte tenu des tendances actuelles de l’humanité à émettre du CO2 (qui, je le rappelle, est un gaz à effet de serre ayant un impact direct sur le changement climatique). Donc, ça n’est pas prévu pour le siècle prochain, non non. Mais bien dans quelques décennies… voire bien plus tôt que ça, en fait.
Pour rappel, une augmentation aussi rapide de la température globale aura un impact direct sur – dans le désordre – les régimes de précipitation, la fonte des glaciers et la montée du niveau des océans, l’augmentation significative des épisodes d’inondations, l’accroissement en force et en fréquence des tempêtes tropicales et des ouragans, l’aridification des terres arables, l’acidification des océans, etc. Ce qui aura pour conséquence – au choix – l’altération des productions agricoles, une augmentation des flux migratoires des populations, la disparition de certaines villes sous les eaux, etc., etc.
Je continue ?
Alors, en termes de réjouissances, à quoi devons nous nous attendre au juste ? Parce que c’est bien beau de se dire que le climat va changer, mais ça serait quand même chouette de savoir comment, pour pouvoir passer ses dernières vacances dans un coin tranquille avant l’apocalypse (moi, sarcastique ? jamais voyons). Ça tombe bien, parmi les nombreuses études scientifiques qui parlent de ce sujet (c’est très en vogue en ce moment de parler du climat, on se demande pourquoi tiens), en voici une qui propose différents scénarios pour savoir à quelle sauce on va être mangé. Mais avant de détailler les résultats de cette étude, on va faire un point météo.

Le climat a-t-il toujours été celui qu’on connait actuellement ?

Eh bien en fait… pas du tout. Notre petit cocon douillet climatique, tel qu’on le connait encore actuellement et depuis que l’humanité garde trace de ses observations sur la météo, ne représente qu’une infime portion de ce qu’a pu être le climat au cours de l’existence de la Terre.
Sans nécessairement remonter aux temps anciens (genre quand les océans n’existaient pas et que la Terre était une grosse boule de lave en fusion, lors de sa formation au sein du système solaire il y a quelque chose comme 4.5 milliards d'années, à la louche), on peut distinguer plusieurs périodes spécifiques durant lesquelles le climat de notre chère vieille planète n’était pas franchement celui d’aujourd’hui. Spécifiquement, au cours de l’histoire « récente » de la Terre, on distingue quelques périodes au cours desquelles se promener en bikini en Alaska était assez courant. Pour autant que l’Alaska ait existé à cette époque et que les bikinis aient été inventés, mais ceci est un détail.
Mais comment peut-on savoir que les températures étaient réellement différentes ? Clairement les stations météo de l’époque étaient inexistantes (je vois mal Evelyne Dhéliat faire le détail des prévisions météo). Pour remédier à cela, on utilise des techniques d’enregistrement du climat dans les glaces polaires, au moyen des isotopes stables. Pas de panique, je vous explique.

L’enregistrement du climat sur cassette VHS

Tous les éléments qui nous entourent sont constitués d’atomes, je ne vous apprends rien. Ces atomes sont caractérisés par leur numéro atomique, qui correspond au nombre de protons (particules chargées positivement), et par le nombre de masse, qui correspond à la somme du nombre de neutrons (particules non chargées) additionnés de celle des neutrons. Si le numéro atomique définit la nature de l’atome (hydrogène, oxygène, carbone, etc.), il peut s’avérer que deux atomes du même élément possèdent un nombre de masse différent. C’est le cas si par exemple un atome d’oxygène, dont le noyau est constitué habituellement par huit protons et huit neutrons, et qui se note 16O, se retrouve affublé de deux neutrons supplémentaires, ce qui se note 18O. L’oxygène 18O est ce que l’on appelle un isotope stable de l’oxygène 16O. Ces deux isotopes stables possèdent une masse différente (et par conséquent, un poids différent, vu que le poids est corrélé à la masse), du fait de la présence de deux neutrons, ajoutant une masse : l’isotope 18O qui se trouve donc plus lourd que l’isotope 16O …
Mais quelle importance dans notre cas ? Que viennent faire ces isotopes dans notre étude du changement climatique ? Patience, patience, j’y arrive ! Pensez à présent que l’oxygène peut se combiner avec l’hydrogène afin de former des molécules d’eau H2O, présentes en grande quantité sur Terre. Fondamentalement, une molécule d’eau comportant un atome de 18O va être légèrement plus lourde qu’une molécule comportant un atome de 16O… et ça, c’est la clé pour pouvoir mesurer les variations climatiques sur le long terme. Eh oui ! Car une molécule d’eau « lourde », c’est-à-dire qui comporte un atome de 18O, va avoir tendance à rester sous forme liquide (principalement l’eau des océans) plus facilement qu’une molécule d’eau « légère », c’est-à-dire qui comporte un atome de 16O. Les molécules d’eau qui subissent l’évaporation et le passage sous forme de vapeur d’eau (qui, je le rappelle, est un gaz), vont contenir respectivement moins de 18O que de 16O. Particulièrement, en période froide, lorsque l’évaporation est moins fréquente, les atomes de 18O vont être plus présents dans les océans, au détriment de l’eau présente sous forme de vapeur. Au final, la quantité de 18O dans l’eau vapeur va être appauvrie par rapport à celle située dans l’eau liquide, en période froide. Et c’est cette variation de la quantité de 18O dans la vapeur d’eau, directement associée à la température ambiante, qui est notre enregistrement climatique ! En effet, c’est à partir de la vapeur d’eau que se forment les précipitations, particulièrement les chutes de neige responsables de la formation des glaciers (aux pôles ou dans les hautes montagnes). La proportion de 18O dans les glaciers, directement dépendante de celle présente dans l’eau atmosphérique responsable des précipitations, sera alors emprisonnée successivement au cours des années, suite aux dépôts de précipitations les unes par-dessus les autres.
De la même manière, il est possible d’enregistrer les variations climatiques dans les sédiments marins, formés entre autres à partir des coquilles des animaux morts déposés sur les fonds marins (la craie des falaises calcaires de Normandie est un très bel exemple de sédiment marin). Les coquilles étant constituées de carbonates de calcium CaCO3, donc comportant trois atomes d’oxygène, on applique ici le même principe lié aux isotopes ayant des masses différentes, comme pour les glaces, à la différence ici que la relation est inversée. En effet, comme je le disais plus haut, le 18O va être retenu dans l’eau des océans particulièrement en période froide car il va être moins soumis à l’évaporation, étant plus « lourd » que le 16O. Par conséquent, les carbonates formés durant les périodes froides seront plus riches en atomes de 18O comparativement à ceux formés en période chaude.
On peut ainsi remonter très loin dans les climats du passé en étudiant les couches successives de glace et de neige déposées au cours du temps dans les glaciers, ainsi que des couches de sédiments marins. Ce principe nous permet ainsi de reconstituer les climats passés en faisant un lien direct entre les quantités de 18O et la température passée correspondante. C’est à l’aide ce fabuleux outils qu’on a pu déterminer qu’au cours de l’histoire de la Terre, le climat n’avait pas toujours été tel qu’on le connait actuellement.

Le climat à l’Eocène sous le sunlight des tropiques

Sur une échelle géologique dans l’histoire de la Terre, l’Éocène c’était hier. Bon, j’exagère, peut être avant-hier. Officiellement, selon la Commission Internationale de Stratigraphie, l’Éocène est une période allant de 56 à 34 millions d’années avant notre ère. Dis comme ça, ça semble proche, mais il faut s’imaginer que le premier fossile connu rattaché à l’espèce humaine a été daté de 300.000 ans  (soit, pour remettre ça à la même échelle de temps, 0.3 millions d’années). Donc, pas si proche que ça de nous, mais comparé à l’âge de la Terre c’est une poussière.
En tout cas, à l’Éocène, le climat global de la planète était particulièrement… chaud bouillant. Les enregistrements des sédiments de l’époque montrent que la température globale de la planète était – selon les estimations – de 5 à 8 degrés Celsius supérieurs à ce qu’on connait actuellement. Clairement, la Terre avait un autre visage et c’était plutôt dans l’esprit du Club Med’, séjours Caraïbes un peu partout sur la planète : pas de glace du tout aux pôles et des températures tropicales à des latitudes aussi élevées que le nord de l’Europe. Vous imaginez, bronzer les doigts de pieds en éventail sur une plage en Ecosse ? Non, moi non plus… mais force est de constater qu’à l’époque c’était tout à fait vraisemblable. Pour tout vous dire, la Terre ressemblait à ça :


La Terre reconstituée à l'Eocène - source

Pas une trace de glace aux pôles, des eaux tropicales un peu partout sur la planète, et des êtres vivants en conséquence (c'est à dire adaptés à des conditions de vie tropicales). Par la suite, le climat s’est un peu refroidit, et la Terre a commencé à ressembler à ce que l’on connait actuellement, mais un autre passage au cours de son histoire s’est avéré intéressant : le Pliocène, situé il y a environ 3 millions d’années.

Le Pliocène : pense à ton écran total 

Ce qui est particulièrement frappant (ouille) au Pliocène, c’est la quantité de CO2 présente dans l’atmosphère à l’époque. Bon, dis comme ça… ce n’est pas évident. Mais, si je vous dis qu’à cette période, la quantité de CO2 – qui est un gaz à effet de serre, entre autres responsables du changement climatique actuel – était de 400 ppm (partie par million), soit constituait 0.04% de l’atmosphère, ça ne vous dit rien ? Non, toujours rien … Eh bien, 400 ppm de CO2, c’est exactement la quantité qui vient d’être atteinte pour ce gaz, au cours de notre ère industrielle. Ce qui signifie, en clair, que la concentration de CO2 actuellement présente dans l’atmosphère vient d’atteindre celle qui était présente au Pliocène. Et à cette époque, le climat était particulièrement aride, avec des sécheresses intenses à l’échelle de continents entiers. Là on ne parle pas de canicule… mais bien de surfaces entières brûlées par le soleil et balayées par des vents torrides lors des mois les plus chauds, avec peu de précipitations pendant les mois les plus froids pour contrebalancer le tout. Sexy hein ? Pas trop non.

Retour vers le futur climatique ?

D’après les estimations des auteurs Burke et al. 2018, si la tendance actuelle se poursuit en termes de production de CO2 atmosphérique, directement lié à l’augmentation globale de la température, on pourrait aboutir à la succession de deux scénarios climatiques. D’abord, d’ici 2030, on aurait un retour du climat terrestre vers celui observé au cours du Pliocène, donc extrêmement aride, accompagné par une augmentation des températures globales entre 1,8 et 3,6 degrés plus chaudes qu’actuellement, sans oublier une fonte des glaces aux pôles accélérée et par conséquent, une augmentation du niveau des mers. Donc, adieu les villes côtières comme New York ou Londres, sans oublier tous les archipels d’îles dans le Pacifique qui verraient leur surface se réduire jusqu’à disparaitre sous les eaux.
Et ce n’est pas fini ! D’ici 2050 à 2140 (ici la fourchette est un peu plus large), on verrait revenir à la surface de la Terre des climats dignes de l’Éocène, avec des faunes et flores tropicales provenant des zones équatoriales qui supplanteraient les faunes et flores tempérées actuelles à des latitudes élevées et une absence totale de glaces au niveau des pôles. Ici, les changements ont lieu dans un laps de temps si court que les espèces n’auront pas ou peu la possibilité de s’adapter sur place à leur nouvel environnement : elles devront suivre les conditions climatiques pour ne pas disparaitre. L’avenir s’annonce donc particulièrement chaud, avec des températures qui chambouleront tous les écosystèmes terrestres et marins tels que nous les connaissons.

Sur la plage ensoleillée, coquillages et crustacés se font cuire au court-bouillon

Ici s’arrête notre analyse scientifique de la situation : on sait pertinemment qu’on se dirige vers des changements climatiques drastiques, et à présent on est même capable d’imaginer clairement à quoi ressembleront nos conditions environnementales par comparaison avec ce que la Terre a déjà connu par le passé. En clair, il va faire chaud !

D’un point de vue plus personnel, je tenais à terminer sur une réflexion qui n’engage que moi à propos du changement climatique. D’une part, l’humanité sera – et est déjà – responsable de la disparition de nombreux écosystèmes et espèces uniques, qui auront des impacts directs sur le bien-être des populations humaines : sans dresser une liste exhaustive, je pense à la perte potentielle de nouvelles molécules à usage médical qui pourraient se trouver dans les plantes des forêts tropicales indonésiennes, actuellement défrichées pour y installer des plantations de palmiers à huile ; ou encore, le pompage compulsif de l’eau du Mississippi aux États-Unis, qui engendre des sécheresses épouvantables dans des endroits auparavant naturellement irrigués ; ou bien la perte des récifs coralliens suite à l’acidification des océans, ayant des conséquences directes sur la protection des rivages adjacents où habitent un grand nombre de personnes. Pour finir, il me semble probable que notre société actuelle ne puisse pas faire face à tous ces changements et qu’en conséquence, elle finisse par s’effondrer, suite aux – trop – nombreuses manifestations d’un climat changeant (sécheresses répétées, ouragans et tempêtes tropicales violents, perte des surfaces cultivables, etc). Attention, je ne dis pas que l’humanité en tant qu’espèce Homo sapiens va disparaitre, mais que notre système entier sera grandement chamboulé par tous ces changements globaux.
Et sur une note plus positive, eh bien… disons qu’on pourra profiter de la plage à Dunkerque en plein mois de décembre sans risquer de se geler les orteils !

jeudi 27 septembre 2018

Camargue requiem - Partie 2 : reportage photo d’un Eden de biodiversité

Des siècles durant, le Rhône a travaillé la terre. Épaulée par les vents méditerranéens, l’eau a peu à peu creusé, façonné les paysages à l’endroit où le fleuve et la mer se mêlent. Le sel et le soleil sont venus apporter la touche finale à ce delta unique en France, la Camargue.

Le résultat de la rencontre entre ces quatre éléments – l’eau, le vent, le soleil et le sel – ce sont des paysages uniques, typiques à la région. Une végétation adaptée aux rigueurs du climat sur cette terre si plate qu’elle paraît sans limite, et une diversité animale qui l’accompagne à couper le souffle.

La Camargue, c’est un mélange étonnant de grandes étendues d’eau et de vastes terres craquelées. Désert et milieu humide tout à la fois, ce milieu présente quelques subtilités aux espèces qui le peuplent. Dans la sansouire, vaste espace argileux tantôt inondé, tantôt asséché, la végétation a su dompter la force du mistral et la salinité du milieu. Les étangs, forts de leurs dizaines de milliers d’hectares, constituent un indiscutable Eden pour la faune aviaire : près de 400 espèces différentes d’oiseaux ont été observés en Camargue, et des espèces aussi emblématiques que les flamants roses y ont élu domicile. Les autres groupes d’animaux ne sont pas en reste : une dizaine d’espèces d’amphibiens, une quinzaine de reptiles, plus de 40 mammifères, mais surtout des milliers d’invertébrés. La Camargue, c’est le paradis des moustiques et des libellules. C’est aussi le paradis des photographes, et un sacré casse-tête pour les naturalistes en herbe qui essaient de déterminer les espèces qu’ils ont pu observer ! Si vous n’êtes toujours pas démangés par un désir d’aller fouler ces vastes contrés, voici un petit aperçu de ce que vous pourrez y observer, sans devoir vous mettre à quatre pattes ou vous armer de matériel de camouflage, juste en vous baladant, les yeux grands ouverts, prêts à être émerveillés.


Dans la famille des odonates, je voudrais…


Agrion élégant (Ischnura elegans)

Plus de 40 espèces différentes d’odonates ont été observées en Camargue. Les plus fines et délicates sont les demoiselles (ou zygoptères en jargon scientifique). Elles ont généralement les ailes repliées lorsqu’elles sont posées, contrairement à leurs cousines les libellules (ou anisoptères) qui adoptent, elles, plutôt une allure de petit hélicoptère. Les espèces photographiées ci-dessous sont parmi les plus communes de Camargue. Peu farouches, il est très facile de les observer plantées telles de petits drapeaux au sommet de la végétation.

Libellule écarlate mâle (Crocothemis erythraea)
Libellule écarlate femelle (Crocothemis erythraea)
Libellule écarlate femelle (Crocothemis erythraea)
Orthétrum réticulé femelle (Orthetrum cancellatum)
Orthétrum réticulé mâle (Orthetrum cancellatum)


En jaune et noir


Dans l’immense ordre des hyménoptères, qui regroupe guêpes, abeilles, bourdons et fourmis, il est souvent très difficile de différencier les espèces. Surtout que certains insectes d’ordres différents viennent parfois essayer de se faire passer pour des hyménoptères, à l’image de l’éristale. Cet insecte rayé jaune et noir aux allures de bourdon fait en fait partie d’un groupe de diptères bien particulier, les syrphes. Des mouches, donc ! La stratégie des quelques milliers d’espèces qui composent le groupe des syrphes est souvent de se faire passer pour des insectes plus agressifs et dangereux qu’ils ne le sont vraiment. En s’habillant tel une guêpe, ils dissuadent les prédateurs de les manger, quand bien même ils sont complètement inoffensifs.

Éristale gluante (Eristalis tenax)
Guêpe (hyménoptère), espèce indéterminée
Guêpe (hyménoptère), espèce indéterminée


Une délicate touche de bleu


Bien qu’il soit très courant sur les bords des chemins, l’argus bleu sait garder pour lui cet éclat azur si particulier de ses ailes. D’abord, seuls les mâles sont dotés de cette chatoyante couleur, tandis que les femelles arborent des ailes ocres ponctuées de tâches orange. Mais surtout, l’argus replie ses ailes dès qu’il est posé, nous montrant par ailleurs des motifs qui valent bien le coup d’œil. Seuls les papillons en vol offriront un petit clin d’œil bleuté à l’observateur.

Argus bleu, ou Azuré de la Bugrane (Polyommatus icarus)
Argus bleu, ou Azuré de la Bugrane (Polyommatus icarus)


Des cabrioles à chaque pas


Pour observer les criquets, il faut avoir l’œil… ou les déranger ! Car ces insectes sont des maîtres en matière de camouflage. Voyez plutôt l’éclat vert de cette espèce qui se pose sur une feuille de la même couleur, ou encore l’apparence tout à fait similaire à la terre séchée de cette autre espèce observée au sol ! Déterminer les espèces de criquet est une science subtile : les individus passent par plusieurs stades larvaires au cours de leur vie – on parle de nymphes – stades qui ne sont ni tout à fait différents, ni tout à fait identiques aux adultes !

Nymphe de criquet égyptien (Anacridium aegyptium)
Criquet de la sous-famille des Oedipodinae, espèce indéterminée
Criquet (orthoptère), espèce indéterminée
Criquet (orthoptère), espèce indéterminée
Criquet (orthoptère), espèce indéterminée


D’autres insectes en pagaille


Bien sûr, des dizaines d’autres espèces qui n’appartiennent pas aux groupes cités ci-dessus sont également observables en Camargue. Parfois, le contraste entre la couleur de leur corps et celle de leur environnement est si saisissant que l’observateur n’a aucun mal à les repérer, à l’instar de ces punaises qui avaient l’air bien occupées. D’autre fois, on se demande si on a bien affaire à une bestiole et pas une simple excroissance de la végétation !

Couple de graphosomes d'Italie, ou punaises arlequin (Graphosoma italicum)
Ce drôle d’insecte appartient aux hémiptères (Cicadomorpha ou Fulgoromorpha)


Plus de pattes


Les insectes ne sont pas les seules petites bêtes que l’on trouve en Camargue. Quoique classifier de « petites bêtes » les deux espèces représentées ci-dessous n’est peut-être pas l’adjectif le plus approprié. Le corps des argiopes lobées femelles peut dépasser deux cm. Plantées au milieu de toiles qui peuvent atteindre 1,5 m de diamètre, il est heureusement difficile de les louper ! D’autant qu’elles s’entendent plutôt bien entre voisines : celles que j’ai photographiées faisaient partie d’un grand quartier de toiles, des dizaines d’individus bien alignés entre chaque buisson. Les toiles sont particulièrement solides, et heureusement ! Car le vent a vite fait des les faire bouger de plusieurs dizaines de centimètres. Attention donc à ne pas approcher l’appareil trop près lorsque vous les prenez en photo !

Argiope lobée (Argiope lobata)
Argiope lobée (Argiope lobata)


Avec un peu plus de pattes, je vous présente la scutigère ! Peut-être plus effrayante que les araignées, cette espèce s’observe en général la nuit et… à l’intérieur des maisons ! Celle-ci était dans ma chambre… Fortes de leurs quinzaines de paires de pattes à l’âge adulte, ces prédatrices courent à une vitesse impressionnante (d’où leur nom « véloce »), et attaquent leurs proies à grand renfort de venin.

Scutigère véloce (Scutigera coleoptrata)



Quelques vertébrés…


J’avoue, j’ai fait la part belle aux petites bêtes. Les vertébrés ne sont pourtant pas en reste. Chauve-souris, lézards, grenouilles, geckos, rongeurs, serpents, renards, sangliers, tortues… Il y en a du monde ! Sans oublier les grandes stars, ces animaux sans qui la Camargue ne serait pas la Camargue : taureaux et chevaux typiques de la région, et surtout des oiseaux par milliers ! Des plus discrets aux plus chatoyants, de toutes les couleurs et de toutes les formes, de passage ou résidents permanents, ce sont près de 400 espèces d’oiseaux, par dizaines de milliers, qui peuplent ces terres accueillantes. Mes préférés ? Si vous vous demandez, c’est que vous n’êtes pas coutumier de ce blog ! Allez, la réponse plus bas pour continuer la découverte de ma belle Camargue !

Lézard des murailles (Podarcis muralis)
Cheval camarguais accompagné d’un héron garde-bœufs (Bubulcus ibis)



Mes autres articles sur un des emblèmes de la Camargue :


Et la première partie des mes nouvelles aventures en Camargue :




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