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vendredi 22 mai 2020

A la poursuite des truites parasitées


Les premiers pas dans le monde de la science sont toujours une expérience inoubliable. Aujourd’hui, Perrine, une jeune étudiante, est invitée sur notre blog pour vous raconter son premier stage de terrain.


L’Ariège. Terre inconnue, mystérieuse, et lointaine, elle fut ma terre d’accueil pendant les trois mois d’été de l’année 2019. Ce n’est pas pour aller observer les ariégeois et leurs coutumes que je me suis déplacée si loin de la Nièvre mais bien pour pêcher des truites fario (Salmo truita). C’est donc à la Station d’Écologie Théorique et Expérimentale du CNRS (SETE) à Moulis que je débarquais par une magnifique journée d’été avec mon bagage d’étudiante agronome, pour participer à un projet scientifique incroyable.





Pêcher des truites, très bien, mais pour quoi faire ?


Les fédérations de pêche d’Occitanie se sont alertées ces dernières années quant à l’augmentation de la mortalité des truitelles (bébés truites). Cette mortalité semble directement liée à la présence de Tetracapsuloïde bryosalmonae, un parasite cnidaire des salmonidés (appelons-le plus simplement “le parasite” pour le reste de l’article), et qui provoque une maladie infectieuse : la maladie rénale proliférative, plus communément appelée PKD (pour l’anglais Proliferative Kidney Disease).

Le parasite prolifère et se multiplie dans les bryozoaires, des organismes aquatiques filtreurs formant des colonies sur différents substrats d’eau douce tels que des roches ou des algues. Quand les conditions sont propices, les bryozoaires infectés libèrent le parasite dans l’eau. Le parasite va ensuite pénétrer sous forme de spores à travers la peau et les branchies dans les muqueuses des truitelles, son second hôte. Il va atteindre les reins et la rate de l’alevin via la circulation sanguine, où il va continuer son développement. La truitelle libérera les spores du parasite en urinant, et ceux-ci pourront coloniser de nouveaux bryozoaires, et ainsi de suite.

Cycle de vie du parasite Tetracapsuloides bryosalmonae (reproduction : SLS Nadler, Küsnacht)

Seulement, chez les truites, le rein a une fonction dans le transport de l’oxygène. Lorsque le parasite s’y multiplie, le rein grossit, dysfonctionne, et peut causer la mort de la truitelle par asphyxie. Dans 10 à 90% des cas, la truitelle meurt (Sudhagar et al. 2020). Ce parasite était déjà connu des fédérations de pêche, mais jusqu’il y a quelques années, la mortalité des truitelles due à celui-ci était encore modérée. C’est l’augmentation de la mortalité des truitelles due au parasite qui a amené Simon Blanchet, chargé de recherche en Ecologie aquatique au CNRS, et Eloïse Duval sa doctorante à se pencher sur la question.

Leur projet de recherche s’attache à étudier la distribution, la dispersion, et les impacts du parasite sur les populations de truites fario et à comprendre les causes de cette soudaine hausse de la mortalité, qui met en péril la pérennité des populations sauvages de la région. Et j’ai eu la grande chance d’intégrer cette équipe et de les aider pendant quelques temps à faire avancer le projet.


Le protocole de recherche


Le projet est vaste et ambitieux : il s’agit de prélever et d’étudier des truitelles de près de 50 sites, ciblés par les fédérations de pêche, et répartis sur tout un tas de cours d’eau un peu partout en Occitanie !

La région Occitanie couvre une bonne partie du sud de la France (Source)


La truite fario est une espèce appartenant à la famille des salmonidés, grandissant en eau douce. Elle se reproduit entre novembre et février dans une eau fraîche entre 5° et 12°C. Après l’éclosion au printemps, les juvéniles commencent à se disperser et se déplacer vers l’aval des cours d’eau, vers des zones de la rivière adaptées à leur taille et besoins. Ils s’installent plutôt dans les radiers et les plats courants, des zones peu profondes avec un courant à vitesse moyenne.

En pêchant en été, nous pouvions donc cibler les truitelles âgées de moins d’un an, de taille inférieure à 10 cm, qui sont les plus susceptibles de développer la PKD. Ainsi sur chaque site nous échantillonnions environ 20 truitelles par pêche électrique, et nous faisions sur chacune d’entre elles différentes mesures.


Comment se déroule une journée de terrain ?


Chaque matin, nous vérifions que tout le matériel est présent dans le Ranger : la quantité à y entasser est FARIOMINEUSE (vous l’avez ??). Ensuite, une fois sur site, nous les stagiaires néophytes et les personnes expérimentées comme Simon, allons pêcher.

Avant de s’aventurer dans l’eau il faut s’équiper : Waders, chaussures à crampons antiglisse, épuisettes, seaux, anode, cathode et groupe électrogène. L’anode (le pôle négatif) est une sorte de perche dotée d’un anneau conducteur qui sera agitée dans l’eau par un membre de l’équipe, et la cathode (le pôle positif) est une « corde » qui baigne dans l’eau en permanence. A vrai dire, les waders sont devenus ma seconde peau pendant l’été. Adieu la sexytude, mais cela vaut mieux si vous ne voulez pas vous prendre une châtaigne. Car la pêche électrique n’a rien d’une petite baignade tranquille en eau douce et à la canne à pêche, cela peut être assez dangereux. Mais cela s’est toujours bien passé dans mon équipe, le COURANT passait bien entre nous.

Une pêche électrique se déroule à peu près ainsi : les épuisettiers (mot inventé pour l’occasion) se mettent de part et d’autre de la personne qui porte le groupe électrogène et l’anode, à l’affut des malheureux poissons. L’exercice n’est pas facile, les truitelles assommées sont emportées rapidement par le courant et me passent souvent sous le nez. Ou atterrissent plus volontiers dans l’épuisette de mes camarades.

Sur le terrain, on s'organise en différents postes de travail (Crédit : Pierre Girard)
La pêche électrique est quand même bien plus efficace que la pêche à la ligne ! (Crédit : Pierre Girard)


Aucune pêche ne se ressemble. De fait, chaque cours d’eau a ses caractéristiques propres : sa taille, la turbidité (degré de transparence) de l’eau, la vitesse et la force du courant, la structure et la texture du sol, la température et autres paramètres physico-chimiques, la composition de la végétation environnante… En conséquence, la difficulté à pêcher varie. Parfois nous mettons 15 minutes pour pêcher nos 20 truites et d’autres fois c’est la dèche, il nous faut 40 minutes pour en avoir à peine la moitié. Nous enregistrons d’ailleurs les caractéristiques physico-chimiques de chaque cours d’eau à l’aide d’une sonde et d’un thermomètre.

Une fois nos 20 truitelles capturées, elles sont chacune mises dans une bouteille d’eau, et puis elles vont y rester pour y faire pipi tranquillement. Oui j’ai bien dit faire pipi. Notre protocole se base sur la détection d’ADN environnemental (ADNe) : ceci consiste en la filtration de l’eau des bouteilles grâce à des pompes reliées à des portes-filtres montés à la main et … à l’huile de coude. L’ADN contenu dans la bouteille, rejeté par l’alevin lors de la miction (c’est le mot scientifique pour dire qu’on fait pipi, vous pourrez toujours le replacer lors d’un diner de famille assommant pour vous éclipser aux toilettes d’une manière élégante), va se déposer sur le filtre. Ensuite, lors des analyses de biologie moléculaire, on pourra isoler l’ADN du parasite si présent, grâce à une séquence connue de son génome.

Notre système de filtration d'ADNe (Crédits : Daniel Estrade)

Capture colorimétrique d'une truitelle anonyme par photographie (Crédit : Eloïse Duval)


Après le recueil de l’ADNe, des analyses complémentaires sont effectuées pour essayer d’établir des liens entre les caractères observables de l’individu (son phénotype), sa composition génétique (son génotype) et sa contamination et résistance au parasite. Chaque truite « filtrée » est anesthésiée, puis est prise en photo pour faire une analyse colorimétrique. Elle est ensuite mesurée, pesée, et se fait prélever un morceau de nageoire pelvienne (si si, ça repousse). La truitelle se remettra de ses aventures dans un seau « réveil » avant d’être relâchée. La journée finie nous rentrons avec nos échantillons d’ADNe, de nageoires, et nos mesures. Ces échantillons seront envoyés en laboratoire pour être analysés à la fin de la saison de pêche et ils permettront l’élaboration de statistiques quant à la distribution et l’impact du parasite sur l’ensemble des cours d’eau ciblés. 


Conclusion d’une stagiaire

 
Si trois mois de participation à ce projet scientifique ne m’auront pas transformée en pêcheuse aguerrie, j’aurai passé un été très enrichissant sur le plan scientifique et découvert les superbes paysages de l’Ariège sauvage. J’espère découvrir plus encore le monde de la recherche et pourquoi pas dans d’autres domaines de l’écologie.


Quelques photos de l'Ariège (si vous cherchez votre prochaine destination de vacances)


L’objectif à long terme pour l’équipe avec laquelle j’ai travaillé sera de proposer des solutions permettant de réduire le nombre de pertes parmi les rangs de truitelles, victimes de ce parasitisme qui gagne en puissance. “L’équipe poisson” de Moulis fait un travail formidable et j’espère que les travaux de recherche permettront aux fédérations de pêche d’Occitanie de mettre en place des solutions pérennes qui auront pour but de préserver ces petites truitelles. Affaire à suivre !


References :

  • Sudhagar, A.; Kumar, G.; El-Matbouli, M. The Malacosporean Myxozoan Parasite Tetracapsuloides bryosalmonae: A Threat to Wild Salmonids. Pathogens 2020, 9, 16.

Pour en savoir plus sur les projets de l’équipe et de le SETE : 


Perrine HUET


lundi 11 mai 2020

Ça pond des bébés, les poissons ?

La question de l’œuf et de la poule est résolue depuis bien longtemps. Des œufs, on en trouve partout sur l’arbre du vivant, bien avant l’apparition des oiseaux. A coquille dure ou avec une enveloppe protectrice molle, pondus déjà fécondés ou expulsés dans l’environnement en attente de la semence des mâles, aux formes et aux couleurs variables, bref, une belle omelette bien diversifiée. Certains groupes comme les mammifères ont changé de mœurs au cours de l’évolution, adoptant par exemple la gestation dans le bidon. A contrario, les œufs restent la norme pour pas mal d’organismes, et notamment les Actinoptérygiens (appelons les « poissons » pour simplifier !)


Céto, monstre de la mythologie grecque décrit comme un “gros poisson” ou une baleine (son nom est à l'origine de celui des "cétacés"). Peut-être bien une chimère à en croire son apparence… On ne saura pas si la bête pondait des œufs ou des bébés : c’est un mâle !

Chez les poissons donc, madame pond des œufs pas encore fécondés directement dans l’environnement, sur lesquels ces messieurs enverront des nuées de spermatozoïdes. Ceux-ci savent nager de toute façon, ils arriveront bien à trouver les œufs à féconder. Parents attentifs ou aux abonnés absents, l’accompagnement de la progéniture jusqu’à l’éclosion est variable selon l’espèce. Tellement variable même, que certaines espèces ont suivi l’exemple des mammifères, en adoptant la stratégie d’arrêter de pondre des œufs… et d’enfanter des jeunes bel et bien formés !

Exit les œufs ? Eh bien non, on parle plutôt d’ovoviviparité. Les ovocytes sont fécondés à l’intérieur de la femelle, qui incubera les œufs dans son corps. Ceux-ci assurent donc le nourrissage des jeunes jusqu’à l’éclosion, qui a lieu plus ou moins longtemps avant la naissance des alevins. Et qui dit fécondation interne dit… accouplement ! Pour faciliter la chose, certains poissons sont équipés d’un gonopode, une nageoire modifiée qui leur permet d’amener leur semence dans le corps de madame. Un équivalent-pénis quoi.


Gambusia affinis, un poisson de la famille des Poeciliidae dont le gonopode, sous le corps, est particulièrement bien développé.

L’ovoviviparité est particulièrement répandue dans le groupe des Poeciliidae, qui comprend notamment les guppys, particulièrement appréciés des aquariophiles. Deux nouvelles espèces de poissons ovovivipares appartenant à ce groupe viennent tout juste d’être découvertes dans les Caraïbes, sur l’île d’Hispaniola (partagée par Haïti et la République dominicaine). Limia islai et Limia mandibularis rejoignent donc la liste des 18 espèces du genre Limia qui sont endémiques de cette île, dont la moitié qui ne sont trouvées que dans un seul lac, le lac Miragoane. De tels hotspots de biodiversité soulignent l’importance d’études scientifiques locales dans des pays où l’expertise scientifique et naturaliste reste à développer. Il ne s’agirait pas que des espèces aussi intrigantes disparaissent avant même qu’on ait connaissance de leur existence…


Références


La majorité des auteurs de ces deux études sont originaires de différents pays des Caraïbes, et leurs travaux sont soutenus par l’association Caribaea Initiative, qui œuvre pour le développement d’une expertise locale d'étude et de protection de la biodiversité des Caraïbes.



mercredi 12 juin 2019

Chagrin d’amour et pessimisme : des poissons broient du noir quand leur bien-aimé disparaît

Ha l’amour… Ce sentiment si unique qui fait dans nos coeurs la pluie et le beau temps... On voit la vie en rose lorsque l’être aimé est tout près, et on se met à broyer du noir quand il est hors de portée. Et de manière plus générale, la qualité d’une relation amoureuse chez les humains se reflète sur l’état affectif - ou l’humeur - des deux partenaires. C’est prouvé ! Un tel mécanisme renforcerait l’engagement des deux partenaires dans la relation, et permettrait donc au couple de durer. Mais les humains ne sont pas la seule espèce à s’engager dans des relations longue durée ! Il serait donc logique que ce lien existe aussi chez d’autres espèces, notamment celles dont l’élevage des jeunes nécessite des soins de la part des deux parents, et donc un couple solide pendant cette période.


Couple de cichlidés zébrés, Amatitlania siquia. Crédits : Chloé Laubu

Pour montrer ça, il y a un modèle biologique qui est tout trouvé : le cichlidé zébré ! Il s’agit d’un petit ostéichthyen (pour rester dans l’air du temps, nous emploierons le vulgaire sobriquet de “poisson”), originaire d’Amérique du sud, qui nous avait déjà permis d’aborder le concept de personnalité animale (par ici) et même de convergence de personnalité (les amoureux qui finissent par se ressembler, par là). Ces travaux viennent d’une équipe de chercheurs de Dijon, et j’avais même interviewé Chloé Laubu (a.k.a. ma super ancienne collègue), l’auteure principale du papier que je m’apprête à vous présenter. Elle était alors au coeur de ladite expérience. Voici donc la vidéo où elle récapitule plein de concepts (Spoiler alert!! A regarder après l’article si vous préférez garder le suspense jusqu’au bout).





Reprenons. Le but de l’expérience est de vérifier l’hypothèse selon laquelle une peine de coeur (absence du partenaire) influencerait l’état affectif, autrement dit l’humeur, des poissons. Ce qui implique de vérifier d’abord que les poissons peuvent préférer un partenaire plutôt qu’un autre, et ce qui implique aussi de savoir mesurer objectivement leur état affectif, un critère souvent vu comme une mesure très subjective ! Pas facile… Mais pas de panique, nos chercheurs ne manquent pas de ressources.


Etape 1 : le coup de foudre


Chez les cichlidés, et notamment pour les femelles, c’est la taille qui compte ! Quand elle a le choix, madame préfère les grands mâles. Pour s’en convaincre, il suffit de placer une femelle dans un aquarium à trois compartiments séparés d’une grille, avec un mâle de chaque côté. On mesure alors le temps passé par la femelle à proximité de chaque mâle, un bon indicateur de sa préférence. Le choix est souvent plutôt marqué : les femelles passent en moyenne 70% de leur temps à côté de l’heureux élu, et cette préférence se retrouve lorsque le test est répété plusieurs fois.


La femelle est placée au centre et a le choix entre deux mâles placés de chaque côté. Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Etape 2 : romance… ou chagrin d’amour


S’apparier avec son mâle préféré conduit-il à un couple qui fonctionne mieux qu'un mariage forcé ? Eh bien oui ! Il suffit de laisser la moitié des femelles rejoindre l’élu de leur coeur, et de… hmm… forcer l’autre moitié à rester avec celui qu’elles n’ont pas choisi. Le résultat est sans appel. Les femelles sont plus investies dans la relation quand elles ont pu choisir leur partenaire : elles pondent plus rapidement, passent plus de temps à surveiller leurs oeufs, ce qui conduit à plus de descendants. Sans compter qu’il y a moins de querelles de couples ! Les démonstrations agressives envers le partenaire sont moins nombreuses. Bref, le couple se porte mieux quand madame peut former un couple avec le mâle de son choix.

En haut : agressivité au sein du couple pour des femelles placées avec leur mâle préféré (en orange) ou avec leur mâle non préféré (en bleu). En bas : succès de reproduction selon le mâle qu'on a laissé à la femelle. Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Etape 3 : le bonheur est dans la boîte… ou pas !


Maintenant qu’on sait que les dames cichlidés choisissent un mâle aboutissant à un couple qui fonctionne bien, il s’agit de savoir si la séparation avec l’élu pourrait modifier son état affectif. Pour ça, les chercheurs ont commencé par une tâche étonnante : ils ont pris d’autres femelles (des individus tout frais histoire de pas biaiser les résultats) et leur ont appris... à ouvrir des boîtes ! Des petites boîtes avec un couvercle blanc ou noir, placées à gauche ou à droite de l’aquarium, et qui contenaient ou non une friandise (un ver de vase, rien de plus délicieux). Pour chaque femelle, la combinaison (aléatoire) était toujours la même : par exemple, la boîte blanche était toujours à gauche et contenait toujours la friandise, tandis que la boîte noire, toujours à droite, était vide. Elles ont ainsi appris qu’une des deux boîtes, facilement reconnaissable à sa couleur et sa position, valait le coup de se donner la peine de l’ouvrir, et l’autre non.





Etape 4 : Verre à moitié vide ou à moitié plein ?


Le génie d’apprendre à des poissons à ouvrir des boîtes, c’est que les chercheurs disposent maintenant d’un moyen de mesurer de manière tout à fait objective leur état émotionnel ! Pour savoir si un individu est plutôt dans un bon jour ou un mauvais jour, c’est à dire s’il (ou elle dans notre cas) est d’humeur plutôt optimiste ou pessimiste, il suffit de lui présenter un signal ambigu : une boîte grise, en plein milieu de l’aquarium ! Les optimistes l’ouvriront rapidement en espérant y trouver une friandise, les pessimistes seront bien moins pressés de faire l’effort de dépenser de l’énergie pour une boîte qu’ils imaginent probablement vide.

Pour en revenir à nos femelles, un fois leur apprentissage terminé, on leur propose donc une série de boîtes : d’abord une positive (avec friandise) puis une négative, histoire de leur rafraîchir la mémoire, puis une ambigüe (la fameuse boîte grise), puis encore une positive, une négative, et une positive pour la fin histoire qu’elles restent motivées à la prochaine session de tests. Chaque femelle est testée trois fois : tout d’abord avec une autre femelle de chaque côté, puis un mâle de chaque côté. Ces deux tests permettent de déterminer un état affectif de base des femelles, et le deuxième test permet également à la femelle de choisir un mâle. Lors du dernier test, un des deux mâles est retiré (l’élu de son coeur, ou l’autre). A chaque fois, les chercheurs mesurent le temps que les femelles mettent avant d’ouvrir la boîte. Verdict : les femelles qui ont été privées de leur mâle préféré étaient significativement plus pessimistes : elles mettaient plus de temps à se décider à ouvrir la boîte grise, démontrant un état affectif négatif !

Temps que les femelles mettent à ouvrir les boîtes ambigües selon le contexte (neutre ou en présence du mâle préféré ou du mâle non préféré). Les femelles à qui on a retiré leur mâle préféré (en bleu, à droite) sont plus longues à ouvrir les boîtes que dans les contextes neutres, une mesure interprétée comme du pessimisme ! Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Cette étude suggère pour la première fois un attachement émotionnel d’un animal à son partenaire. Elle pose aussi sur la question de la fonction adaptative d’un tel attachement : il pourrait s’agir d’un mécanisme ayant évolué car il permet, comme chez l’humain, de renforcer les liens du couple. Parce que c’est bien connu : il faut qu’ils vécussent heureux pour qu’ils eussent beaucoup d’enfants !


Référence

Laubu C, Louâpre P, Dechaume-Moncharmont F-X. 2019. Pair-bonding influences affective state in a monogamous fish species. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 20190760. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2019.0760



Sophie Labaude

lundi 7 mars 2016

Qui s’assemble… finit par se ressembler !

Article VIP par l'auteur même du papier publié dans Science advances ! C'est Chloé, auteur invitée exceptionnelle, qui nous raconte sa superbe expérience à l'origine du papier.  


Avez-vous déjà remarqué que les conjoints se ressemblent souvent beaucoup lorsqu’ils se connaissent depuis longtemps ? On a appris récemment que chez l’humain, le système immunitaire des conjoints finit par se ressembler. Mais qu’en est-il de leur comportement ? Cette question fait l’objet d‘un débat en raison de résultats globalement variés. Il faut dire que pour tester ça correctement, il faudrait former arbitrairement des couples composés de partenaires ayant des personnalités contrastées et observer ce qu’ils deviennent. Bref, ça serait pas très éthique… (cela dit ça n’empêche pas des sites de rencontres de se livrer à quelques expériences…) En attendant, la question reste en suspense… chez l’humain ! Mais une étude sur une autre espèce monogame pourrait éclairer cette question d’un jour nouveau. 

L’avantage d’être avec un partenaire similaire a été observé chez de nombreuses espèces monogames où les partenaires se partagent les soins aux jeunes, telles que les mésanges charbonnières ou les diamants mandarins. Chez ces espèces, les partenaires qui se ressemblent sur le plan comportemental se coordonnent de manière plus efficace pour s’occuper de leur progéniture et ont ainsi un meilleur succès reproducteur que les couples dont les partenaires sont différents. Être d’accord sur l’éducation des enfants rend forcément les choses plus simples. Du fait de cet avantage, les individus devraient chercher un partenaire qui leur ressemble pour se mettre en couple. Cette hypothèse est d’ailleurs souvent suggérée pour expliquer la similarité au sein des couples. Néanmoins, trouver un partenaire similaire peut prendre beaucoup (beaucoup, beaucoup) de temps, sans aucune garantie de succès ! Plutôt que de risquer de rester célibataire faute d’avoir trouvé chaussure à son pied, il pourrait être plus efficace pour l’individu de se contenter d’un partenaire disponible même si pas forcément idéal, et de tenter ensuite de s’arranger de la situation…



Le cichlidé zébré, Amatitlania siquia, est un poisson originaire d’Amérique Centrale, très étudié pour ses stratégies de reproduction (on vous en parlait ici). Il forme des couples stables dans lesquels le mâle et la femelle défendent ensemble (et de manière passablement agressive, en témoignent mes doigts attaqués) un territoire sur lequel ils construisent ensuite leur nid (une cavité dans le sol ou sous une pierre) et élèvent leur progéniture. Pour garantir le succès de leur reproduction, les parents ont besoin de défendre efficacement ce nid et leurs jeunes contre les menaces que représentent de plus gros poissons, mais aussi d'autres individus de l’espèce. C’est là qu’intervient la nécessité de coordination : la tâche s’avèrera bien plus difficile si, pendant que madame s’échine à faire décamper le prédateur, monsieur est en train de bercer les œufs. Rien de mieux qu’une attaque synchronisée pour faire déguerpir au plus vite le malotru…


Couple de cichlidés zébrés en train de construire leur nid sous une pierre. La femelle, reconnaissable à sa coloration orangée sur les flancs (à droite) déblaie le nid à l’aide du mâle (à gauche). © Chloé Laubu


Jusqu’à présent, la communauté scientifique des écologistes comportementaux admettait que la similarité au sein des couples découlait d’un choix actif des partenaires, qui s’apparient en suivant la maxime « qui se ressemble s’assemble ». Cependant, les résultats que nous avons publiés pourraient bien compléter cette théorie.

Pour évaluer si des partenaires mal assortis au départ étaient capables de finalement s’accorder, nous avons formé des couples qui étaient composés de partenaires aux profils comportementaux très contrastés ou, au contraire, aux profils comportementaux très similaires. Pour cela, chaque individu avait au préalable passé des tests de comportement : leur agressivité face à un intrus pour défendre leur territoire, leur tendance à explorer un nouvel environnement, ou encore leur crainte face à un aliment nouveau ont ainsi été examinés. Si nous avons « forcé » les individus à se mettre en couple avec des congénères au profil comportemental bien précis, ils avaient tout de même le choix entre plusieurs individus ayant ces mêmes types de profil. Une fois les couples bien formés et installés dans un aquarium privé histoire de leur donner l’intimité nécessaire pour une ponte plus sereine, (24h leur était laissés pour s’approprier les lieux), l’activité de défense du nid face à un intrus était réévaluée pour chaque partenaire, ainsi que leur succès reproducteur (nombre de jeunes et rapidité à se reproduire).


Couple de cichlidés zébrés (à droite) défendant son nid contre un prédateur de leurs œufs (à gauche). © Laubu & Dechaume-Moncharmont


Comme attendu, les couples initialement très similaires ont eu un meilleur succès reproducteur que les couples dépareillés. Mais c’est du côté des couples mal-assortis que le résultat est intriguant. Nous avons en effet montré que les partenaires infortunés parvenaient finalement à s’accorder, adoptant des comportements plus similaires après l’appariement. Mais cette convergence au sein des couples est loin d’être un commun accord : c’est le partenaire le moins agressif qui fait tous les efforts pour s’ajuster à son partenaire agressif. En outre, plus les partenaires avaient convergé, plus leur succès reproducteur était important. Non seulement, ils avaient plus de petits que les couples qui avaient peu convergé, mais ils atteignaient même un nombre de jeunes équivalent à celui des couples initialement similaires. Un résultat qui s’apparente sans doute plus à une flexibilité comportementale qu’à un changement de personnalité, puisque l’intérêt n’est pas d’être agressif en tant que tel, mais surtout d’être similaire à son partenaire.

Voilà donc un résultat qui pourrait rassurer ceux qui ne trouvent pas l’âme sœur ou qui pensent être trop différents de leur partenaire, comme le cichlidé zébré, vous pouvez toujours essayer de converger !


© Chloé Laubu


 

Référence


C. Laubu, F-X. Dechaume-Moncharmont, S. Motreuil, C. Schweitzer. Mismatched partners that achieve post-pairing behavioral similarity improve their reproductive success. Sci. Adv. 2, e1501013 (2016).




Chloé Laubu (avec la complicité de Sophie Labaude)

samedi 6 juin 2015

Les Poissons N'Existent Pas depuis 4 ans !

Chères lectrices et lecteurs, scientifiques chevronnés ou débutants, passionnés et/ou curieux, bonsoir !

Juste une petite note pour vous remercier de nous suivre depuis maintenant quatre ans ! Eh oui, ce blog fête aujourd’hui ses quatre années d’existence sur la toile et presque autant au sein du café des sciences.

Joyeux anniversaire les Poissons ! [source]

Quelques chiffres : nous avons dépassé les 10.000 vues par mois entre avril et mai 2015, c’est énooorme, on est fiers et c’est grâce à vous ! En grande majorité, nos lecteurs se trouvent en France, puis viennent les Etats-Unis, le Canada, la Belgique, l’Algérie, la Russie et d’autres.

Les trois articles les plus consultés sont les lions avec plus de 20.000 vues, la diversité des monocotylédones avec environ 10.000 vues, puis le suicide des lemmings avec presque 8.000 vues. Il semblerait qu’un grand nombre de nos lecteurs ait un petit faible pour les animaux à poils. Mais on ne manque pas, et ça continuera encore longtemps, de consacrer des articles à tous les merveilleux organismes, faune méconnue, flore et microbes qui nous entourent, pour le meilleur et pour le pire.

Le mot clé le plus utilisé pour arriver sur notre blog est, sans surprise, le mot « poisson » suivi par le mot « lion » puis « éléphant de mer ». Le nom du blog « les poissons n’existent pas » arrive en quatrième position.

Mais bien plus intéressant, nous récoltons aussi beaucoup de visites de personnes qui, visiblement, cherchent des choses assez étranges sur le net… Il semblerait que nous constituons un doctissimo alternatif en matière de bizarreries : « pénis avec nœud », « ver solitaire ou fausse couche? » ou « maladie testicules géantes ». Certaines personnes se posent des questions vraiment étranges : « comment bien mesurer de la longueur des intestins de lion », « crotte de nez au microscope », « est que l'homme sera capable de faire de la photosynthèse comme l'élysia », « mon cichlidé se couche sur le côté », « combien coûte un vrai lion »… Pour d’autres, on se demande quand même ce qu’ils cherchent : « éléphant de mer faisant caca », « concombre de mer bisous », « crotte la lame », « poisson porc ». On vous épargne toutes les recherches interdites aux mineurs ! Restent quand même quelques-unes qui nous rappellent pourquoi on est là : « raconte-moi l'évolution des êtres vivants », « est ce que les mollusques font partie des poissons » :)

Ce blog a beaucoup évolué depuis sa création, tant au niveau du fond que de la forme, en espérant vous procurer toujours plus de plaisir et de découvertes pendant le temps que vous passez ici. Nous suivons toujours le principe de « peer-review » avant de publier nos articles : cela implique une relecture d’au moins deux membres de ce blog, tout ça dans le but de vous fournir des articles de qualité, à la fois scientifiquement justes et agréables à lire !

De notre côté, nous prenons toujours autant de plaisir à partager avec vous les connaissances du monde des chercheurs, sur des sujets qui nous passionnent ou qui excitent notre curiosité. Et on est très heureux de voir que vous appréciez et que vous êtes de plus en plus fidèles.

En attendant nos prochains articles, on vous retrouve dès maintenant sur notre compte twitter ou notre page Facebook. Merci encore, et continuez à nous lire !


Les Poissons (qui n’existent pas !)

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