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vendredi 22 mai 2020

A la poursuite des truites parasitées


Les premiers pas dans le monde de la science sont toujours une expérience inoubliable. Aujourd’hui, Perrine, une jeune étudiante, est invitée sur notre blog pour vous raconter son premier stage de terrain.


L’Ariège. Terre inconnue, mystérieuse, et lointaine, elle fut ma terre d’accueil pendant les trois mois d’été de l’année 2019. Ce n’est pas pour aller observer les ariégeois et leurs coutumes que je me suis déplacée si loin de la Nièvre mais bien pour pêcher des truites fario (Salmo truita). C’est donc à la Station d’Écologie Théorique et Expérimentale du CNRS (SETE) à Moulis que je débarquais par une magnifique journée d’été avec mon bagage d’étudiante agronome, pour participer à un projet scientifique incroyable.





Pêcher des truites, très bien, mais pour quoi faire ?


Les fédérations de pêche d’Occitanie se sont alertées ces dernières années quant à l’augmentation de la mortalité des truitelles (bébés truites). Cette mortalité semble directement liée à la présence de Tetracapsuloïde bryosalmonae, un parasite cnidaire des salmonidés (appelons-le plus simplement “le parasite” pour le reste de l’article), et qui provoque une maladie infectieuse : la maladie rénale proliférative, plus communément appelée PKD (pour l’anglais Proliferative Kidney Disease).

Le parasite prolifère et se multiplie dans les bryozoaires, des organismes aquatiques filtreurs formant des colonies sur différents substrats d’eau douce tels que des roches ou des algues. Quand les conditions sont propices, les bryozoaires infectés libèrent le parasite dans l’eau. Le parasite va ensuite pénétrer sous forme de spores à travers la peau et les branchies dans les muqueuses des truitelles, son second hôte. Il va atteindre les reins et la rate de l’alevin via la circulation sanguine, où il va continuer son développement. La truitelle libérera les spores du parasite en urinant, et ceux-ci pourront coloniser de nouveaux bryozoaires, et ainsi de suite.

Cycle de vie du parasite Tetracapsuloides bryosalmonae (reproduction : SLS Nadler, Küsnacht)

Seulement, chez les truites, le rein a une fonction dans le transport de l’oxygène. Lorsque le parasite s’y multiplie, le rein grossit, dysfonctionne, et peut causer la mort de la truitelle par asphyxie. Dans 10 à 90% des cas, la truitelle meurt (Sudhagar et al. 2020). Ce parasite était déjà connu des fédérations de pêche, mais jusqu’il y a quelques années, la mortalité des truitelles due à celui-ci était encore modérée. C’est l’augmentation de la mortalité des truitelles due au parasite qui a amené Simon Blanchet, chargé de recherche en Ecologie aquatique au CNRS, et Eloïse Duval sa doctorante à se pencher sur la question.

Leur projet de recherche s’attache à étudier la distribution, la dispersion, et les impacts du parasite sur les populations de truites fario et à comprendre les causes de cette soudaine hausse de la mortalité, qui met en péril la pérennité des populations sauvages de la région. Et j’ai eu la grande chance d’intégrer cette équipe et de les aider pendant quelques temps à faire avancer le projet.


Le protocole de recherche


Le projet est vaste et ambitieux : il s’agit de prélever et d’étudier des truitelles de près de 50 sites, ciblés par les fédérations de pêche, et répartis sur tout un tas de cours d’eau un peu partout en Occitanie !

La région Occitanie couvre une bonne partie du sud de la France (Source)


La truite fario est une espèce appartenant à la famille des salmonidés, grandissant en eau douce. Elle se reproduit entre novembre et février dans une eau fraîche entre 5° et 12°C. Après l’éclosion au printemps, les juvéniles commencent à se disperser et se déplacer vers l’aval des cours d’eau, vers des zones de la rivière adaptées à leur taille et besoins. Ils s’installent plutôt dans les radiers et les plats courants, des zones peu profondes avec un courant à vitesse moyenne.

En pêchant en été, nous pouvions donc cibler les truitelles âgées de moins d’un an, de taille inférieure à 10 cm, qui sont les plus susceptibles de développer la PKD. Ainsi sur chaque site nous échantillonnions environ 20 truitelles par pêche électrique, et nous faisions sur chacune d’entre elles différentes mesures.


Comment se déroule une journée de terrain ?


Chaque matin, nous vérifions que tout le matériel est présent dans le Ranger : la quantité à y entasser est FARIOMINEUSE (vous l’avez ??). Ensuite, une fois sur site, nous les stagiaires néophytes et les personnes expérimentées comme Simon, allons pêcher.

Avant de s’aventurer dans l’eau il faut s’équiper : Waders, chaussures à crampons antiglisse, épuisettes, seaux, anode, cathode et groupe électrogène. L’anode (le pôle négatif) est une sorte de perche dotée d’un anneau conducteur qui sera agitée dans l’eau par un membre de l’équipe, et la cathode (le pôle positif) est une « corde » qui baigne dans l’eau en permanence. A vrai dire, les waders sont devenus ma seconde peau pendant l’été. Adieu la sexytude, mais cela vaut mieux si vous ne voulez pas vous prendre une châtaigne. Car la pêche électrique n’a rien d’une petite baignade tranquille en eau douce et à la canne à pêche, cela peut être assez dangereux. Mais cela s’est toujours bien passé dans mon équipe, le COURANT passait bien entre nous.

Une pêche électrique se déroule à peu près ainsi : les épuisettiers (mot inventé pour l’occasion) se mettent de part et d’autre de la personne qui porte le groupe électrogène et l’anode, à l’affut des malheureux poissons. L’exercice n’est pas facile, les truitelles assommées sont emportées rapidement par le courant et me passent souvent sous le nez. Ou atterrissent plus volontiers dans l’épuisette de mes camarades.

Sur le terrain, on s'organise en différents postes de travail (Crédit : Pierre Girard)
La pêche électrique est quand même bien plus efficace que la pêche à la ligne ! (Crédit : Pierre Girard)


Aucune pêche ne se ressemble. De fait, chaque cours d’eau a ses caractéristiques propres : sa taille, la turbidité (degré de transparence) de l’eau, la vitesse et la force du courant, la structure et la texture du sol, la température et autres paramètres physico-chimiques, la composition de la végétation environnante… En conséquence, la difficulté à pêcher varie. Parfois nous mettons 15 minutes pour pêcher nos 20 truites et d’autres fois c’est la dèche, il nous faut 40 minutes pour en avoir à peine la moitié. Nous enregistrons d’ailleurs les caractéristiques physico-chimiques de chaque cours d’eau à l’aide d’une sonde et d’un thermomètre.

Une fois nos 20 truitelles capturées, elles sont chacune mises dans une bouteille d’eau, et puis elles vont y rester pour y faire pipi tranquillement. Oui j’ai bien dit faire pipi. Notre protocole se base sur la détection d’ADN environnemental (ADNe) : ceci consiste en la filtration de l’eau des bouteilles grâce à des pompes reliées à des portes-filtres montés à la main et … à l’huile de coude. L’ADN contenu dans la bouteille, rejeté par l’alevin lors de la miction (c’est le mot scientifique pour dire qu’on fait pipi, vous pourrez toujours le replacer lors d’un diner de famille assommant pour vous éclipser aux toilettes d’une manière élégante), va se déposer sur le filtre. Ensuite, lors des analyses de biologie moléculaire, on pourra isoler l’ADN du parasite si présent, grâce à une séquence connue de son génome.

Notre système de filtration d'ADNe (Crédits : Daniel Estrade)

Capture colorimétrique d'une truitelle anonyme par photographie (Crédit : Eloïse Duval)


Après le recueil de l’ADNe, des analyses complémentaires sont effectuées pour essayer d’établir des liens entre les caractères observables de l’individu (son phénotype), sa composition génétique (son génotype) et sa contamination et résistance au parasite. Chaque truite « filtrée » est anesthésiée, puis est prise en photo pour faire une analyse colorimétrique. Elle est ensuite mesurée, pesée, et se fait prélever un morceau de nageoire pelvienne (si si, ça repousse). La truitelle se remettra de ses aventures dans un seau « réveil » avant d’être relâchée. La journée finie nous rentrons avec nos échantillons d’ADNe, de nageoires, et nos mesures. Ces échantillons seront envoyés en laboratoire pour être analysés à la fin de la saison de pêche et ils permettront l’élaboration de statistiques quant à la distribution et l’impact du parasite sur l’ensemble des cours d’eau ciblés. 


Conclusion d’une stagiaire

 
Si trois mois de participation à ce projet scientifique ne m’auront pas transformée en pêcheuse aguerrie, j’aurai passé un été très enrichissant sur le plan scientifique et découvert les superbes paysages de l’Ariège sauvage. J’espère découvrir plus encore le monde de la recherche et pourquoi pas dans d’autres domaines de l’écologie.


Quelques photos de l'Ariège (si vous cherchez votre prochaine destination de vacances)


L’objectif à long terme pour l’équipe avec laquelle j’ai travaillé sera de proposer des solutions permettant de réduire le nombre de pertes parmi les rangs de truitelles, victimes de ce parasitisme qui gagne en puissance. “L’équipe poisson” de Moulis fait un travail formidable et j’espère que les travaux de recherche permettront aux fédérations de pêche d’Occitanie de mettre en place des solutions pérennes qui auront pour but de préserver ces petites truitelles. Affaire à suivre !


References :

  • Sudhagar, A.; Kumar, G.; El-Matbouli, M. The Malacosporean Myxozoan Parasite Tetracapsuloides bryosalmonae: A Threat to Wild Salmonids. Pathogens 2020, 9, 16.

Pour en savoir plus sur les projets de l’équipe et de le SETE : 


Perrine HUET


mercredi 18 novembre 2015

Aventures brésiliennes – A la découverte de l’Amazonie

Salut tout le monde ! Voici le second article qui parle de mon périple scientifique au Brésil (si vous n’avez pas lu le premier, c’est ici que ça se passe).
Après mon travail à l’herbier de Rio de Janeiro, je suis parti réaliser un travail similaire dans les herbiers de Belém. Là encore, de nombreux spécimens de la région et surtout, provenant de collectes locales.
Comme il s’agit du même travail qu’à Rio, je ne vais pas m’attarder dessus. Après Belem, je suis allé rejoindre d’autres chercheurs à Manaus… pour aller collecter des plantes au cœur de l’Amazonie.

Voilà. C'est la forêt. Plutôt chouette comme environnement de travail non ? 
Cet article va donc vous présenter le travail de terrain réalisé dans la forêt amazonienne. Mais d’abord, pourquoi aller échantillonner ? Le but ici, était de récolter les plantes du genre Crudia, afin d’avoir accès à du matériel « frais » c'est-à-dire non issu d’échantillons d’herbier. Pourquoi ? Eh bien je m’intéresse à développer des marqueurs moléculaires et pour ça, il me faut de l’ADN de bonne qualité. Pas de panique, j’explique. Pour étudier l’évolution des organismes et les relations de parenté qui existent entre eux, on réalise ce qu’on appelle des arbres phylogénétiques. Je ne vais pas re-décrire tout le principe en détail, c’est très bien expliqué là (autre lien vers un autre article du blog). Pour obtenir ces arbres, il est nécessaire d’utiliser des caractères, moléculaires ou morphologiques. Dans mon cas, les espèces du genre Crudia sont morphologiquement très proches et il est difficile de trouver des caractères assez variables pouvant être utilisés pour reconstruire les arbres. Je me suis donc tourné vers l’utilisation de caractères provenant des séquences d’ADN, nécessitant l’utilisation de marqueurs (voilà, on y arrive !). En biologie moléculaire, en tout cas en phylogénie, ce qu’on désigne par « marqueur » est une portion du génome. Peu importe la localisation dans le génome, ce qui nous intéresse ici n’est pas la fonction de cette portion d’ADN mais sa séquence d’ADN. Une fois cette séquence récupérée (par tout un tas de manipulations de laboratoires dont je vous fais grâce), on peut la comparer à d’autres, et en faisant ainsi, reconstruire les liens de parentés entre les êtres vivants. Jusqu’à maintenant, j’ai utilisé l’ADN récolté sur des échantillons d’herbier, car je n’ai pas eu l’occasion d’aller sur le terrain. Sauf que le problème, c’est que cet ADN est souvent dégradé ou altéré par un mauvais conditionnement (traitement par des produits conservateurs, chauffage excessif, insecticides, etc). Et il est difficile de travailler sur cet ADN pour développer de nouvelles techniques d’études. Une solution à cela est de travailler avec du matériel provenant d’échantillons « frais », qui n’ont pas ou peu été altérés par les processus de conservation et qui permettent d’obtenir de l’ADN de meilleure qualité. Et un moyen infaillible d’avoir accès à du matériel frais… c’est d’aller le chercher soit même. C’est pour cette raison que je suis parti faire du terrain en Amazonie. 

Collecte dans la Reserva Ducke

Les trois premiers jours de travail de terrain ont été menés dans la Reserva Ducke.

La reserva Ducke, c'est le gros carré vert pointé par la flèche rouge. [Source : GoogleMaps]

Cette réserve a été créée officiellement en 1959 suite à la demande d’Adolpho Ducke, qui avait repéré le potentiel de cette zone dès 1955. C’est un carré de 10 km par 10 km, qui renferme une zone de forêt humide sur terre ferme (littéralement, « floresta tropical úmida de terra firme » en portugais), ce qui signifie concrètement que les arbres n’ont jamais les pieds dans l’eau. De nombreuses études sont menées dans cette forêt et un grand nombre d’arbres et de plantes sont connus et référencés sur une carte, avec un numéro. Ce qui est bien pratique lorsqu’on cherche une espèce en particulier, comme c’est notre cas ici. 
L’équipe de travail était composé de Gleison, notre guide et grimpeur, Rafael, étudiant au doctorat, Giulia, étudiant en seconde année d’université en biologie, et moi-même. Alors, comment se déroule une journée de collecte sur le terrain ? C’est bien simple : on marche. Et on ouvre grands ses yeux pour ne rien louper, surtout pas les plantes qui nous intéressent ! Dans notre cas, une difficulté supplémentaire s’ajoute à notre recherche : les plantes que nous cherchons sont des arbres, entre 20 et 30 mètres de haut, avec les premières branches au-delà de 15 mètres. C’est pour cette raison que nous avions avec nous un guide grimpeur, qui allait chercher les branches à plus de 20 mètres de haut. Sans filet. La preuve.

Montée...

Coupage de branches (si si, il est là, cherchez bien !)...

Et descente ! 
Pendant que notre guide coupe les branches en hauteur, on ne reste pas inactif, au sol. Giulia cherche des plantules (= des jeunes arbres, de quelques dizaines de centimètres de haut), pour en étudier les racines, plus tard, en laboratoire, et en décrire le nombre de chromosomes. Je l’aide à déterrer les jeunes pousses. On cherche également à collecter des fruits pas trop abîmés par les décomposeurs du sol (=tous les arthropodes, champignons, qui se chargent de dégrader la matière organique), pour pouvoir réaliser des germinations en laboratoire (encore très pratique pour étudier les racines, par exemple). Une fois que les branches coupées par Gleison sont redescendues au sol, Rafael vérifie que ce sont bien les bonnes espèces qui ont été récoltées. Avoir des branches portant des fleurs est bien sûr un bonus si l’on veut identifier les espèces plus facilement, car je rappelle qu’en général, les descriptions d’espèces se basent surtout sur la morphologie des fleurs. Ensuite, chaque branche provenant du même arbre est mise dans un grand sac plastique, ce qui permet non seulement de faciliter le transport mais aussi de ne pas se mélanger entre les récoltes.
Voici quelques photos prises durant la journée, et qui montrent l’équipe à l’œuvre et l’environnement de forêt tropicale humide :

Au départ de notre collecte.

Les plantules prélevées...

... par Guilia...

... qui cherche avant tout des racines. Réussi !

Rafael identifie avec certitude les branches coupées par Gleison.

Pause photo !
Le soir venu, repos bien mérité ? Que nenni ! Il faut d’abord noter soigneusement quelles plantes ont été récoltées dans la journée, et surtout leur attribuer un numéro de collecte, qui nécessite une autorisation et un permis, déposé auprès des instances scientifiques brésiliennes. C’est Rafael qui se charge d’attribuer un tel numéro à chaque spécimen. Ensuite, les branches, feuilles, fleurs, fruits, sont mis sous presse provisoire (une petite presse mobile de voyage) pour y être conservés, avant d’être séchés une fois revenu au laboratoire. Mais ce n’est pas tout. Afin de conserver certaines parties des spécimens pour des études sur l’ADN, on utilise du Silicagel, ou gel de silice en bon français. On en trouve sous forme de petits sachets de perles transparentes dans les boites à chaussures. En recherche, on achète ces cristaux par seaux entiers. Cela permet de déshydrater les échantillons de feuilles en une journée tout au plus, sans utiliser de produits conservateurs, parce que les produits conservateurs ont en général un impact sur la qualité de l’ADN qui pourra être utilisé plus tard. 

Préparation de la presse.

Comment bien aplatir les rameaux à conserver. [Source : R.B. Pinto] 

Taille relative des fruits et d'une plantule de Hymenea. [Source : R.B. Pinto]

Un botaniste heureux. [Source : R.B. Pinto]
Et en petit bonus, une vidéo de la forêt, le soir, une fois revenu au camp. 


Une fois revenu au laboratoire, les échantillons sont mis sous presse et au séchoir. Il est vital de bien réaliser cette étape afin d’éviter tout problème de champignons, qui pourraient venir s’attaquer aux plantes coupées et les dégrader, spécialement dans des environnements tropicaux. En effet, à cause de l’humidité, dès que les plantes sont coupées, elles sont la proie des champignons. Un séchage rapide après la récolte garantit une meilleure conservation.

Les plantes sont pressées entre des planches de cartons, d'aluminium et de papier journal... [Source : G. Melilli]

... puis elles sont mises à sécher au dessus de lampes très chaudes. [Source : G. Melilli]
En bonus, des trucs archi cool aperçus dans la forêt :

Une chenille.

Une liane avec une forme trop cool.

Heliconia sp.

Un palmier en fruits.

Une fourmilière... ou termitière. Je ne suis pas allé mettre les doigts pour vérifier.

Une Angiosperme parasite !

Une résine qui sent trop bon quand on la fait brûler.

Un insecte qui pue. Surement un Coléoptère.

Un insecte qui mange une fourmis. Peut être une punaise.

Un joli papillon.

Probablement Calliandra sp.

Une vieille feuille (gauche) et une jeune feuille (droite) sur la même plante. La couleur plus foncée est due à la présence de composés secondaires protecteurs contre les UVs et les phytophages.

Une Annonaceae, probablement Guatteria sp.

Un insecte non identifié.

Une mini mini grenouille.

Une mante religieuse-feuille.

Hymenolobium sp. est un des plus grands arbres de la Reserva.

Swartzia sp.

Et pour finir, un toucan ! [Source : R.B. Pinto]

Collecte à Tupé

Après deux jours de repos, nous repartons pour une autre région de l’Amazonie, très différente de la zone de terre ferme où nous avons travaillé. En effet, il s’agit d’un environnement de type « igapò », qui désigne les zones de rivière bordées par le Rio Negro. Un point important à souligner ici : le Rio Negro est un affluent de l’Amazone, et comme son nom l’indique, les eaux de cette rivières sont noires et légèrement acides (attention hein, acide ne veut pas dire dangereux au point de faire fondre la coque des bateaux, c’est seulement que le pH se situe légèrement en dessous de 7). Et ça tombe vraiment bien pour nous, parce que les moustiques ne se développent pas dans les eaux acides… ça, ça nous facilite la tâche (parce que faire du terrain avec des bourdonnements continus dans les oreilles c’est vraiment désagréable croyez-moi). 

Pour vous donner une idée de l'environnement, voilà à quoi ça ressemble :

Le bateau à droite, c'est notre taxi.
En bateau en train de chercher des plantes.



Alors, comment s’organise une collecte de terrain dans un environnement proche de l’eau ? Tout d’abord, à la différence de la Reserva Ducke, nous n’allons pas dans un endroit spécifiquement réservé aux scientifiques, mais nous allons être hébergés chez des habitants locaux. De plus, le mode de déplacement privilégié est le bateau, même si c’est actuellement la saison sèche et que les eaux du fleuve sont au plus bas. Alors on laisse tomber les grosses bottes de marche, on enfile son maillot et on n’oublie pas ses sandales !
Le premier jour, la collecte se déroule de la façon suivante : nous scrutons le rivage depuis le bateau, parfois à l’œil nu, parfois à l’aide du zoom d’un bon appareil photo, parfois à l’aide de jumelles, pour reconnaître de loin les arbres qui semblent correspondre aux espèces recherchées. Car oui, ici, par de carte précise avec l’emplacement que chaque arbre, il faut chercher. Quand on cherche, on finit par trouver ! Une espèce de Crudia se trouvait non loin de la rivière. Oui, une seule espèce ça peut paraître peu, mais quand on a pour objectif de trouver un arbre précis dans ce type d’environnement, je vous assure que c’est assez proche de chercher une aiguille dans une botte de foin avec un bandeau sur les yeux et des moufles aux mains.

Petite parenthèse ici, concernant un fait remarquable observé chez toutes ces plantes proches des rivières et affluents de l’Amazone. Il faut savoir qu’ici, sous l’équateur, la température reste constante toute l’année, mais c’est la pluviométrie qui change beaucoup.

Variation de la pluviométrie et du niveau du fleuve au cours d'une année. [Source : Parolin 2009]
Le niveau du fleuve peut varier de 10 mètres en hauteur ! C’est à peu près la hauteur d’un immeuble de trois étages, pour vous donner une idée, ou bien la longueur d’un autobus. Et donc, pendant la saison des pluies, les arbres se retrouvent… les pieds dans l’eau. Et souvent même bien plus que les pieds ! Certains ont même le feuillage submergé… pendant plusieurs mois ! Il existe alors tout un tas d’adaptations morphologiques permettant à ces plantes de survire sous l’eau et même de tirer parti de cette submersion forcée. En effet, sous l’eau, il n’y a pas d’oxygène gazeux donc les racines de la plante sont en situation d’anoxie (absence totale d’oxygène. On pourrait penser que si on empêche un être vivant de respirer … il meurt. Mais pas toujours, et particulièrement, pas ici. Les plantes modifient à la fois leur métabolisme (entrée en dormance, utilisation des sucres stockés dans les racines pendant la période sèche) et leur morphologie (formation d’aérenchyme, un tissus très spongieux permettant aux gaz de circuler par diffusion plus efficacement dans certaines parties de la plante). Je ne vais pas lister tous les changements que subissent ces plantes, ça pourrait faire l’objet d’un article complet, mais si vous voulez plus d’informations sur le sujet vous pouvez consulter l’article de Parolin (2009), et comme c'est en libre accès, en plus c'est parfait.

Fin de la parenthèse, retournons à nos moutons. Enfin à notre collecte. Le soir venu, il faut encore une fois trier, étiqueter les échantillons et prélever ce que nous voulons garder pour conserver dans le Silicagel en vue d’extractions d’ADN futures. Cette fois, le travail se fait à la lampe torche car nous sommes rentrés après la nuit.

Les branches à mettre sous presse sont sélectionnées...
... puis des échantillons de feuilles sont conservés en gel de silice...
... et les échantillons sont enfin mis sous presse.
Le lendemain, encore une journée de collecte, entamée par une jolie pluie tropicale. On n’est pas fous, on a attendu que ça se calme…


Cette fois, la collecte s’est réalisée non pas aux abords directs du fleuve, mais plus profond dans la forêt environnante. Un terrain légèrement différent de ce que nous avions connu la veille, alternant entre une foret de type « terra firme » et des marécages et cours d’eau. Nous avons eu la chance de trouver une autre espèce de Crudia, différente de celle que nous avions trouvée le jour précédent. L’arbre dont nous avons prélevé des branches se trouvait surplombant une cascade (on en a profité pour faire trempette, c’est ça aussi la recherche, faut savoir se ménager de temps à autre). Cette deuxième récolte, assez inespérée, permettra à l’avenir d’avoir plus de données pour mes analyses. En effet, il aurait été possible de travailler sur une seule espèce pour développer des marqueurs moléculaires, mais en ayant deux espèces à disposition, je vais pouvoir prendre en compte la présence de la variabilité qui existe entre les espèces (ou tout du moins, entre ces deux là). 
Voilà, les aventures de terrain c’est fini pour aujourd’hui, et pour un petit moment, car dès à présent je repars vers le sud du Brésil pour assister à un congrès sur la morphologie des Légumineuses et travailler en laboratoire sur les échantillons récoltés au cours de mon périple !

Sources des photos : B. Domenech, excepté lorsque c'est précisé !

Article : Parolin, 2009. Submerged in darkness: adaptations to prolonged submergence by woody species of the Amazonian floodplains. Annals of Botany.


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