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mercredi 12 juin 2019

Chagrin d’amour et pessimisme : des poissons broient du noir quand leur bien-aimé disparaît

Ha l’amour… Ce sentiment si unique qui fait dans nos coeurs la pluie et le beau temps... On voit la vie en rose lorsque l’être aimé est tout près, et on se met à broyer du noir quand il est hors de portée. Et de manière plus générale, la qualité d’une relation amoureuse chez les humains se reflète sur l’état affectif - ou l’humeur - des deux partenaires. C’est prouvé ! Un tel mécanisme renforcerait l’engagement des deux partenaires dans la relation, et permettrait donc au couple de durer. Mais les humains ne sont pas la seule espèce à s’engager dans des relations longue durée ! Il serait donc logique que ce lien existe aussi chez d’autres espèces, notamment celles dont l’élevage des jeunes nécessite des soins de la part des deux parents, et donc un couple solide pendant cette période.


Couple de cichlidés zébrés, Amatitlania siquia. Crédits : Chloé Laubu

Pour montrer ça, il y a un modèle biologique qui est tout trouvé : le cichlidé zébré ! Il s’agit d’un petit ostéichthyen (pour rester dans l’air du temps, nous emploierons le vulgaire sobriquet de “poisson”), originaire d’Amérique du sud, qui nous avait déjà permis d’aborder le concept de personnalité animale (par ici) et même de convergence de personnalité (les amoureux qui finissent par se ressembler, par là). Ces travaux viennent d’une équipe de chercheurs de Dijon, et j’avais même interviewé Chloé Laubu (a.k.a. ma super ancienne collègue), l’auteure principale du papier que je m’apprête à vous présenter. Elle était alors au coeur de ladite expérience. Voici donc la vidéo où elle récapitule plein de concepts (Spoiler alert!! A regarder après l’article si vous préférez garder le suspense jusqu’au bout).





Reprenons. Le but de l’expérience est de vérifier l’hypothèse selon laquelle une peine de coeur (absence du partenaire) influencerait l’état affectif, autrement dit l’humeur, des poissons. Ce qui implique de vérifier d’abord que les poissons peuvent préférer un partenaire plutôt qu’un autre, et ce qui implique aussi de savoir mesurer objectivement leur état affectif, un critère souvent vu comme une mesure très subjective ! Pas facile… Mais pas de panique, nos chercheurs ne manquent pas de ressources.


Etape 1 : le coup de foudre


Chez les cichlidés, et notamment pour les femelles, c’est la taille qui compte ! Quand elle a le choix, madame préfère les grands mâles. Pour s’en convaincre, il suffit de placer une femelle dans un aquarium à trois compartiments séparés d’une grille, avec un mâle de chaque côté. On mesure alors le temps passé par la femelle à proximité de chaque mâle, un bon indicateur de sa préférence. Le choix est souvent plutôt marqué : les femelles passent en moyenne 70% de leur temps à côté de l’heureux élu, et cette préférence se retrouve lorsque le test est répété plusieurs fois.


La femelle est placée au centre et a le choix entre deux mâles placés de chaque côté. Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Etape 2 : romance… ou chagrin d’amour


S’apparier avec son mâle préféré conduit-il à un couple qui fonctionne mieux qu'un mariage forcé ? Eh bien oui ! Il suffit de laisser la moitié des femelles rejoindre l’élu de leur coeur, et de… hmm… forcer l’autre moitié à rester avec celui qu’elles n’ont pas choisi. Le résultat est sans appel. Les femelles sont plus investies dans la relation quand elles ont pu choisir leur partenaire : elles pondent plus rapidement, passent plus de temps à surveiller leurs oeufs, ce qui conduit à plus de descendants. Sans compter qu’il y a moins de querelles de couples ! Les démonstrations agressives envers le partenaire sont moins nombreuses. Bref, le couple se porte mieux quand madame peut former un couple avec le mâle de son choix.

En haut : agressivité au sein du couple pour des femelles placées avec leur mâle préféré (en orange) ou avec leur mâle non préféré (en bleu). En bas : succès de reproduction selon le mâle qu'on a laissé à la femelle. Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Etape 3 : le bonheur est dans la boîte… ou pas !


Maintenant qu’on sait que les dames cichlidés choisissent un mâle aboutissant à un couple qui fonctionne bien, il s’agit de savoir si la séparation avec l’élu pourrait modifier son état affectif. Pour ça, les chercheurs ont commencé par une tâche étonnante : ils ont pris d’autres femelles (des individus tout frais histoire de pas biaiser les résultats) et leur ont appris... à ouvrir des boîtes ! Des petites boîtes avec un couvercle blanc ou noir, placées à gauche ou à droite de l’aquarium, et qui contenaient ou non une friandise (un ver de vase, rien de plus délicieux). Pour chaque femelle, la combinaison (aléatoire) était toujours la même : par exemple, la boîte blanche était toujours à gauche et contenait toujours la friandise, tandis que la boîte noire, toujours à droite, était vide. Elles ont ainsi appris qu’une des deux boîtes, facilement reconnaissable à sa couleur et sa position, valait le coup de se donner la peine de l’ouvrir, et l’autre non.





Etape 4 : Verre à moitié vide ou à moitié plein ?


Le génie d’apprendre à des poissons à ouvrir des boîtes, c’est que les chercheurs disposent maintenant d’un moyen de mesurer de manière tout à fait objective leur état émotionnel ! Pour savoir si un individu est plutôt dans un bon jour ou un mauvais jour, c’est à dire s’il (ou elle dans notre cas) est d’humeur plutôt optimiste ou pessimiste, il suffit de lui présenter un signal ambigu : une boîte grise, en plein milieu de l’aquarium ! Les optimistes l’ouvriront rapidement en espérant y trouver une friandise, les pessimistes seront bien moins pressés de faire l’effort de dépenser de l’énergie pour une boîte qu’ils imaginent probablement vide.

Pour en revenir à nos femelles, un fois leur apprentissage terminé, on leur propose donc une série de boîtes : d’abord une positive (avec friandise) puis une négative, histoire de leur rafraîchir la mémoire, puis une ambigüe (la fameuse boîte grise), puis encore une positive, une négative, et une positive pour la fin histoire qu’elles restent motivées à la prochaine session de tests. Chaque femelle est testée trois fois : tout d’abord avec une autre femelle de chaque côté, puis un mâle de chaque côté. Ces deux tests permettent de déterminer un état affectif de base des femelles, et le deuxième test permet également à la femelle de choisir un mâle. Lors du dernier test, un des deux mâles est retiré (l’élu de son coeur, ou l’autre). A chaque fois, les chercheurs mesurent le temps que les femelles mettent avant d’ouvrir la boîte. Verdict : les femelles qui ont été privées de leur mâle préféré étaient significativement plus pessimistes : elles mettaient plus de temps à se décider à ouvrir la boîte grise, démontrant un état affectif négatif !

Temps que les femelles mettent à ouvrir les boîtes ambigües selon le contexte (neutre ou en présence du mâle préféré ou du mâle non préféré). Les femelles à qui on a retiré leur mâle préféré (en bleu, à droite) sont plus longues à ouvrir les boîtes que dans les contextes neutres, une mesure interprétée comme du pessimisme ! Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Cette étude suggère pour la première fois un attachement émotionnel d’un animal à son partenaire. Elle pose aussi sur la question de la fonction adaptative d’un tel attachement : il pourrait s’agir d’un mécanisme ayant évolué car il permet, comme chez l’humain, de renforcer les liens du couple. Parce que c’est bien connu : il faut qu’ils vécussent heureux pour qu’ils eussent beaucoup d’enfants !


Référence

Laubu C, Louâpre P, Dechaume-Moncharmont F-X. 2019. Pair-bonding influences affective state in a monogamous fish species. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 20190760. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2019.0760



Sophie Labaude

lundi 16 mars 2015

A l’école des embryons : connaitre ses ennemis avant de naitre

La grande barrière de corail. Ce nom nous évoque un endroit magique, grouillant de vie, où des espèces animales et végétales de toutes les couleurs et aux formes les plus extravagantes se meuvent dans un ballet poétique et apaisant. Pourtant, au cœur de cet éden, les lois de la nature sont aussi de mise. Tout n’est pas que quiétude, les habitants de cette étrange forêt doivent faire face à des menaces.

 
Les barrières de corail sont l’équivalent marin des forêt tropicales, une explosion de vie d’une infinie richesse (Source)

Rappelez-vous ces images saisissantes. Un couple de poissons-clowns, une anémone en guise de maison, et des rejetons par milliers qui sont déjà chouchoutés alors qu’ils sont encore dans les œufs. Soudain, une ombre… Un prédateur surgit, dévore la famille, ne laissant qu’un œuf et le papa complètement désœuvré. A l’éclosion, ce père attentif emmène Némo, son fils unique, à l’école de la mer où il va pouvoir apprendre à reconnaitre et éviter les monstres sanguinaires qui ont dévoré sa famille. Et bien que la scène découle de l’imagination débordante des scénaristes de Pixar, tout n’est pas complètement improbable. Car des chercheurs australiens viennent tout juste de mettre en évidence que les bébés poissons-clowns étaient capables d’apprendre à reconnaitre leur prédateurs. Mais mieux que Némo, ils le font avant d’être sortis de leur œuf ! 


Après que le reste de la famille se soit fait croqué sous ses yeux, Marins, le papa de Némo, est particulièrement soucieux de la sécurité de son fils ! (Source)

Depuis longtemps, on sait qu’un animal attaqué va libérer des substances chimiques, et que ces substances vont être utilisées par les autres animaux comme des signaux d’alarmes. Les chercheurs pensent que ces substances auraient pour rôle de base une fonction immunitaire, puis qu’elles auraient été utilisées secondairement en tant que signaux d’alarme. Ainsi, en détectant ces signaux, un individu pourrait avoir connaissance de la présence d’un prédateur sur les lieux, et décamper fissa avant de lui aussi se faire croquer. Sauf que quand il n’y a pas d’autre victime autour pour fournir les signaux d’alarme, il vaut tout de même mieux se carapater avant de devenir la source de ces signaux ! Si le prédateur n’est pas visible, une alternative serait de réagir… à son odeur. 

Comme l’odeur de prédateur est très variable selon son espèce, sa reconnaissance, contrairement à celle des signaux d’alarme, n’est pas souvent innée : les individus doivent apprendre à la reconnaitre. Ainsi, en observant ses congénères se faire dévorer, ou en les observant paniquer, beaucoup d’animaux apprennent à associer l’odeur du prédateur avec l’idée de menace. Dans le monde corallien, connaitre l’odeur de ses ennemis permet de choisir son habitat en limitant les risques de se faire grignoter. 


Pseudochromis fuscus est l’un des prédateurs des œufs et jeunes poissons clowns. Il a été utilisé dans cette étude pour fournir son odeur (Source)

En revenant à notre famille (ou ce qu’il en reste) de poissons-clowns, on comprend bien que les rejetons risquent de devoir rencontrer des prédateurs très tôt dans leur vie. En partant de ce principe, une équipe de chercheurs travaillant en Australie a voulu savoir si les embryons avaient déjà les capacités de réagir aux signaux d’alarme, mais aussi d’apprendre à reconnaitre leurs prédateurs.

Après avoir substitué leur ponte à des parents poissons-clowns, ils ont exposé les œufs aux fameux signaux d’alarme. Pour les obtenir, ils ont simplement écrasé les œufs de quelques-uns de leurs frères et sœurs… Pour rendre compte de la réaction des embryons, ils ont mesuré le rythme cardiaque, qui montre chez de nombreuses espèces de poissons une corrélation avec la réponse anti-prédateur. Le résultat est pour le moins impressionnant : les embryons sont tout à fait capables de réagir aux signaux d’alarme pas plus tard que 6 jours après la fertilisation ! Et même si les larves sortent de l’œuf une poignée de jours plus tard, à cette échelle, ce sont encore des embryons qui n’ont pas fini d’être formés.

 
Résumé schématique du test d'apprentissage. Sans association avec le signal d'alarme, l'odeur de prédateur provoque une réaction due à la nouveauté, qui disparait avec le temps.


Pour tester leur capacité d’apprentissage, les chercheurs ont plongé les embryons dans de l’eau propre, ou contenant de l’odeur de prédateur, avec ou non le signal d’alarme. Le lendemain, tous les embryons ont subi un ajout d’odeur de prédateur (voir schéma ci-dessus). Hé bien exactement comme les chiens de Pavlov associaient le son de la cloche à l’arrivée de la nourriture, nos embryons apprennent à associer l’odeur de prédateur à une menace imminente ! Les embryons qui ont été plongés dans une eau avec le signal d’alarme couplé à l’odeur de prédateur réagissaient ensuite, par association, à la seule odeur de prédateur. Mieux encore : leur réaction était de la même intensité que celle qu’ils avaient eu au contact du signal d’alarme. De leur côté, ceux qui avaient été exposés simplement à l’odeur de prédateur ou à de l’eau de mer n’avaient qu’une réaction limitée due à l’introduction d’une odeur étrangère, réaction qui disparaissait donc le jour suivant. Les embryons de poissons-clowns sont donc non seulement capables de développer un système olfactif fonctionnel très tôt, mais peuvent également utiliser ce dernier dans un processus d’apprentissage qui pourrait plus tard leur sauver la vie ! 

Les poissons clowns sont connus pour être fidèles aux espèces d’anémones dans lesquels ils ont grandi. Cette capacité pourrait elle aussi découler d’un apprentissage olfactif de leur environnement natal. Quant à la reconnaissance des prédateurs, elle est bien pratiques quand ils quittent le nid familiale et doivent se choisir une nouvelle place pour vivre : tant qu’à faire, autant qu’elle soit dépourvue de prédateurs ! 


Amphiprion melanopus, le modèle de cette étude (Source)


Bibliographie 


Atherton, J.A. & McCornick, M.I. 2015. Active in the sac: damselfish embryos use innate recognition of odours to learn predation risk before hatching. Animal Behaviour, 103, 1-6. 


Sophie Labaude
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