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lundi 7 mars 2016

Qui s’assemble… finit par se ressembler !

Article VIP par l'auteur même du papier publié dans Science advances ! C'est Chloé, auteur invitée exceptionnelle, qui nous raconte sa superbe expérience à l'origine du papier.  


Avez-vous déjà remarqué que les conjoints se ressemblent souvent beaucoup lorsqu’ils se connaissent depuis longtemps ? On a appris récemment que chez l’humain, le système immunitaire des conjoints finit par se ressembler. Mais qu’en est-il de leur comportement ? Cette question fait l’objet d‘un débat en raison de résultats globalement variés. Il faut dire que pour tester ça correctement, il faudrait former arbitrairement des couples composés de partenaires ayant des personnalités contrastées et observer ce qu’ils deviennent. Bref, ça serait pas très éthique… (cela dit ça n’empêche pas des sites de rencontres de se livrer à quelques expériences…) En attendant, la question reste en suspense… chez l’humain ! Mais une étude sur une autre espèce monogame pourrait éclairer cette question d’un jour nouveau. 

L’avantage d’être avec un partenaire similaire a été observé chez de nombreuses espèces monogames où les partenaires se partagent les soins aux jeunes, telles que les mésanges charbonnières ou les diamants mandarins. Chez ces espèces, les partenaires qui se ressemblent sur le plan comportemental se coordonnent de manière plus efficace pour s’occuper de leur progéniture et ont ainsi un meilleur succès reproducteur que les couples dont les partenaires sont différents. Être d’accord sur l’éducation des enfants rend forcément les choses plus simples. Du fait de cet avantage, les individus devraient chercher un partenaire qui leur ressemble pour se mettre en couple. Cette hypothèse est d’ailleurs souvent suggérée pour expliquer la similarité au sein des couples. Néanmoins, trouver un partenaire similaire peut prendre beaucoup (beaucoup, beaucoup) de temps, sans aucune garantie de succès ! Plutôt que de risquer de rester célibataire faute d’avoir trouvé chaussure à son pied, il pourrait être plus efficace pour l’individu de se contenter d’un partenaire disponible même si pas forcément idéal, et de tenter ensuite de s’arranger de la situation…



Le cichlidé zébré, Amatitlania siquia, est un poisson originaire d’Amérique Centrale, très étudié pour ses stratégies de reproduction (on vous en parlait ici). Il forme des couples stables dans lesquels le mâle et la femelle défendent ensemble (et de manière passablement agressive, en témoignent mes doigts attaqués) un territoire sur lequel ils construisent ensuite leur nid (une cavité dans le sol ou sous une pierre) et élèvent leur progéniture. Pour garantir le succès de leur reproduction, les parents ont besoin de défendre efficacement ce nid et leurs jeunes contre les menaces que représentent de plus gros poissons, mais aussi d'autres individus de l’espèce. C’est là qu’intervient la nécessité de coordination : la tâche s’avèrera bien plus difficile si, pendant que madame s’échine à faire décamper le prédateur, monsieur est en train de bercer les œufs. Rien de mieux qu’une attaque synchronisée pour faire déguerpir au plus vite le malotru…


Couple de cichlidés zébrés en train de construire leur nid sous une pierre. La femelle, reconnaissable à sa coloration orangée sur les flancs (à droite) déblaie le nid à l’aide du mâle (à gauche). © Chloé Laubu


Jusqu’à présent, la communauté scientifique des écologistes comportementaux admettait que la similarité au sein des couples découlait d’un choix actif des partenaires, qui s’apparient en suivant la maxime « qui se ressemble s’assemble ». Cependant, les résultats que nous avons publiés pourraient bien compléter cette théorie.

Pour évaluer si des partenaires mal assortis au départ étaient capables de finalement s’accorder, nous avons formé des couples qui étaient composés de partenaires aux profils comportementaux très contrastés ou, au contraire, aux profils comportementaux très similaires. Pour cela, chaque individu avait au préalable passé des tests de comportement : leur agressivité face à un intrus pour défendre leur territoire, leur tendance à explorer un nouvel environnement, ou encore leur crainte face à un aliment nouveau ont ainsi été examinés. Si nous avons « forcé » les individus à se mettre en couple avec des congénères au profil comportemental bien précis, ils avaient tout de même le choix entre plusieurs individus ayant ces mêmes types de profil. Une fois les couples bien formés et installés dans un aquarium privé histoire de leur donner l’intimité nécessaire pour une ponte plus sereine, (24h leur était laissés pour s’approprier les lieux), l’activité de défense du nid face à un intrus était réévaluée pour chaque partenaire, ainsi que leur succès reproducteur (nombre de jeunes et rapidité à se reproduire).


Couple de cichlidés zébrés (à droite) défendant son nid contre un prédateur de leurs œufs (à gauche). © Laubu & Dechaume-Moncharmont


Comme attendu, les couples initialement très similaires ont eu un meilleur succès reproducteur que les couples dépareillés. Mais c’est du côté des couples mal-assortis que le résultat est intriguant. Nous avons en effet montré que les partenaires infortunés parvenaient finalement à s’accorder, adoptant des comportements plus similaires après l’appariement. Mais cette convergence au sein des couples est loin d’être un commun accord : c’est le partenaire le moins agressif qui fait tous les efforts pour s’ajuster à son partenaire agressif. En outre, plus les partenaires avaient convergé, plus leur succès reproducteur était important. Non seulement, ils avaient plus de petits que les couples qui avaient peu convergé, mais ils atteignaient même un nombre de jeunes équivalent à celui des couples initialement similaires. Un résultat qui s’apparente sans doute plus à une flexibilité comportementale qu’à un changement de personnalité, puisque l’intérêt n’est pas d’être agressif en tant que tel, mais surtout d’être similaire à son partenaire.

Voilà donc un résultat qui pourrait rassurer ceux qui ne trouvent pas l’âme sœur ou qui pensent être trop différents de leur partenaire, comme le cichlidé zébré, vous pouvez toujours essayer de converger !


© Chloé Laubu


 

Référence


C. Laubu, F-X. Dechaume-Moncharmont, S. Motreuil, C. Schweitzer. Mismatched partners that achieve post-pairing behavioral similarity improve their reproductive success. Sci. Adv. 2, e1501013 (2016).




Chloé Laubu (avec la complicité de Sophie Labaude)

mercredi 4 septembre 2013

Les vacances d’une écologue : objectif flamants

La douce torpeur estivale des blogs vient d’être gentiment bousculée par l’inévitable : c’est la rentrée ! L’occasion de reprendre le chemin du travail ou des bancs de l’université, et bien sûr sa plume virtuelle pour de nouvelles épopées scientifiques. Mais que peuvent-bien faire les bloggeurs de leur été ? Nous allons vous conter les récits de nos aventures scientifiques ou naturalistes estivales, chacun son tour, pour se remettre tranquillement dans le bain tout en gardant un petit coin de l’esprit en vacances…
 
Dans des temps immémoriaux (l’année dernière…) j’avais coutume d’étudier un des animaux les plus étranges, le flamant rose. Je leur avais consacré tout un article pour dépeindre leurs cocasseries multiples (par ici). Et même si depuis je suis passée à autre chose, on n’abandonne pas si facilement ces créatures extravagantes. Et c’est ainsi que, durant l’été, j’ai pu m’incruster dans un évènement très attendu en Camargue : le baguage des flamants roses.
 
(Source)
 

Petite mise en contexte. En France, les flamants roses ne se reproduisent que dans une seule colonie, sur un petit ilot au cœur de la Camargue. Protégés de tous les côtés, personne ne peut s’en approcher à l’exception de quelques rares privilégiés qui les étudient. Une tour d’observation est construite juste en face de l’ilot, et on y accède camouflés sous un espèce de mini-tank flottant. La reproduction se passe tranquillement, avec des observations presque quotidiennes qui permettent de lire des bagues et de déterminer quels individus sont présents et s’ils se reproduisent. Les bagues en question sont composées d’un code alpha-numérique propre à chaque individu, et lisible jusqu’à 300m. On peut ainsi connaître l’histoire de nos flamants : âge, longévité, reproduction, dispersion… Une mine d’informations bien précieuse pour les chercheurs ! C’est pour cette raison que, chaque année, une armée de volontaires se réunit pour l’évènement ultime, le baguage des jeunes flamants.
 
Vue du ciel de la colonie et de la tour d’observations
 
Observation depuis la tour : les bagues sont parfaitement lisibles
 
 
Comme seuls les V.I.P. (quelques 200 personnes tout de même…) sont invités à participer à cet évènement, voici en exclusivité le récit d’une poignée d’heures palpitantes.
 
Il est 5h, la nuit est encore bien noire quand une ribambelle de véhicules quitte le centre de recherches biologiques de la Tour du Valat. Malgré l’heure matinale, la plupart des gens sont bien réveillés. L’effet de l’excitation probablement, mais il faut dire que les dizaines de moustiques et leurs bzz-bzz provocateurs y sont aussi pour quelque chose. On est en Camargue tout de même ! La foule a rendez-vous sur la digue. Tout le monde est bien rodé, la réunion obligatoire de la veille ayant permis d’assurer une organisation optimale. Les participants sont répartis dans plusieurs équipes, chacune ayant une couleur de t-shirt différente. Le premier défi une fois arrivés est de repérer son chef d’équipe dans l’agitation et l’obscurité. Le départ s’effectue peu après 5h30. Chaque équipe part à tour de rôle sur deux digues différentes, les jeunes flamants se trouvant quelque part entre ces deux digues. C’est ainsi que 200 personnes se mettent en marche, accompagnées cette année du grondement sourd de l’orage et d’une multitude d’éclairs déchirant le ciel et accompagnant le timide lever du soleil.
 
Réunion par équipes avant le grand départ
Ambiance particulière entre orage et soleil cette année
 
Les jeunes flamants, qui sont encore tout gris et qui heureusement ne savent pas voler, sont tous regroupés en une « crèche », gardée par quelques adultes. Le but de la manœuvre est de les encercler, et les guider vers un entonnoir se terminant par deux enclos. Les chefs d’équipe jouent du talkie-walkie pour synchroniser tout le monde. Une fois les équipes en place, le rabattage commence. En même temps que la pluie. L’étau humain se ressert petit à petit sur le groupe de flamants qui se met en mouvement, avec la même apparence d’unité qu’un banc de poissons. Les adultes s’envolent assez rapidement, ajoutant l’éclat rouge de leurs ailes au ciel déjà magnifique. Cette année, l’étang est particulièrement sec. Un avantage dans le sens où les gens n’ont pas les pieds dans l’eau, hormis les malchanceux des premières équipes qui pataugent dans une boue noire, odorante et particulièrement avide de capturer les chaussures mal attachées… En revanche, la sécheresse a également une autre conséquence : les flamants courent beaucoup plus vite ! Une fois le groupe en mouvement, la synchronisation du rabattage devient primordiale.
 
Mise en place des équipes et rabattage, une chaîne humaine de très grande ampleur
 
Le jour est maintenant totalement levé, les flamants sont en passe de rentrer dans l’entonnoir. Les premiers arrivés se rendent compte du traquenard et tentent de faire demi-tour, les suivants leur foncent dedans sans comprendre, l’inévitable se produit : un tas de flamants. Un enchevêtrement de cous, de pattes et de corps, tout le monde est à terre dans un chaos assez effrayant. Il faut intervenir rapidement. On s’écarte, on relève rapidement les jeunes, heureusement tout le monde va bien. Une partie du groupe est déjà rentré dans l’enclos, les autres sont autorisés à déguerpir. Sur 3000 poussins présents, seuls 800 seront bagués.
 
 
Derniers instants du rabattage : on laisse une grande partie de la crèche s’échapper
 
 
Un petit répit dans l’organisation, quelques minutes à s’autoriser l’observation hypnotique de ces 800 êtres étranges tournant en rond, à présent séparés dans deux grands enclos. Et déjà les chefs d’équipes appellent leurs soldats. Chacun connait son poste et son rôle précis. Dans les grands enclos, des personnes sont chargées d’attraper les flamants et de les passer dans des minis enclos propres à chaque équipe. Les animaux sont ensuite passés de mains en mains, tour à tour bagués, mesurés (aile et tarse) et pesés. Des plumes sont prélevées, elles permettront de déterminer le sexe de chaque individu grâce à une analyse génétique. D’autres prélèvements sont effectués, sur un nombre plus restreint d’individus, pour des expériences à part. Des prises de sang par exemple, ou des prélèvements cloacaux. Et puis depuis l’année dernière, des expériences de comportements sont mises en place sur les jeunes durant le baguage. Certains individus passent ainsi des tests de personnalité. La partie la plus drôle consiste à placer le flamant par terre, sur le dos, et à chronométrer le temps qu’il met pour se relever. Si certains sont très réactifs et obligent les observateurs à leur courir après, d’autres semblent paralysés par cette position inhabituelle et restent bêtement posés au sol, cou et pattes tendus, parfaitement immobiles. Le test du crayon, qui consistait à provoquer l’agressivité des jeunes en approchant un crayon de leur tête, a été abandonné cette année. L’année dernière, les flamants se souciaient bien plus de pincer les gens qui les portaient que le crayon…
 
La moitié des poussins rabattus sont dans cet enclos, un deuxième contenant les 400 autres poussins
Prélèvement de plumes pour le sexage
Test de comportement : se relever quand on est sur le dos. Ce n’est pas gagné…
 
Chaque flamant ayant passé toutes les étapes obligatoires de son parcours, et éventuellement les dernières étapes optionnelles, est alors relâché dans l’entonnoir. La plupart sont épuisés par les évènements, et s’en vont tranquillement, s’allongeant parfois au sol quelques secondes avant d’avoir la force de partir. Les jeunes trop épuisés sont conduits dans une infirmerie, spécialement conçue à l’écart de l’agitation générale pour leur donner le répit nécessaire avant de reprendre la direction de la crèche.
 
Les flamants sont relâchés un par un au fur et à mesure
 
 
Huit cent flamants plus tard, c’est au tour des humains de remballer. Les enclos sont démontés, en quelques minutes, au grand dépit des personnes qui ont mis toute leur énergie et plusieurs semaines à les monter avant le baguage (croyez-moi, j’en ai fait partie !). Il n’est même pas 10h quand tout le monde reprend la direction des voitures, n’ayant en tête que le petit-déjeuner offert à quelques kilomètres de là en attendant le traditionnel grand banquet qui clôture l’évènement.
 
On casse tout et on remballe, le petit-déjeuner nous attend !
 
 
Ainsi se termine une des épopées les plus grandioses de mon été. Si vous souhaitez en savoir plus sur le baguage et tout ce qui concerne les flamants en Camargue, allez faire un tour sur ce site : http://flamingoatlas.org/
Vous y trouverez toutes les photos de toutes les années de baguages, de nombreuses informations, ainsi que la possibilité de… parrainer un flamant ! Mieux encore, le baguage a été filmé il y a quelques années, et la vidéo est disponible en ligne : http://youtu.be/ZZqyYB_VT9Y
 
 
Sophie Labaude
 
Crédits photo : Tour du Valat.

mercredi 17 octobre 2012

La personnalité dans le monde animal

Il est un constat assez simple quand on observe les animaux : certains comportements paraissent évidents dans des situations précises. On s’attend ainsi à ce qu’un zèbre prenne la fuite face à un lion, à ce qu’un rat-taupe creuse des galeries, ou encore qu’un animal territorial se montre agressif face à ses concurrents. Mais un autre constat est aussi assez évident : on observe une variabilité dans le comportement des individus. Par exemple, certains zèbres vont faire face au lion, essayer de lui donner des coups de sabots tandis que d’autres seront déjà loin. Pourquoi une telle variabilité ? Plusieurs explications possibles. Un comportement peut être lié à l’état de l’animal (faim,  état reproducteur, etc.). Typiquement, un herbivore qui a un jeune va être plus enclin à faire face aux prédateurs pour défendre sa progéniture. L’âge de l’individu peut également modifier son comportement, celui-ci gagnant en expérience et en assurance. Evidemment, des variations entre individus peuvent également être invoquées, telles qu’une variabilité génétique ou épigénétique.
 
Parallèlement, une autre cause liée à tous ces facteurs peut expliquer les différences comportementales entre deux individus : leur personnalité.


Qu’est-ce que la personnalité animale ?


La personnalité est un concept bien connu chez l’être humain. Untel est plus timide ou plus extraverti, untel est de nature optimiste, untel ne peut pas tenir en place et a besoin de découvrir le monde tandis que son frère jumeau préfère geeker sur son ordinateur toute la journée… Est-ce le même genre de « personnalité » dont on parle dans le règne animal ? Hé bien, oui. En quelque sorte. Si vous avez eu des animaux de compagnie, vous vous en êtes rendu compte vous-même. L’un était joueur, l’autre de nature tranquille, le dernier enfin était un froussard…

Les propriétaires d’animaux domestiques l’ont tous remarqué : les différences comportementales sont flagrantes entres les individus. L’un est facétieux ou curieux, l’autre est un froussard, le plus vieux est grincheux et son frère est joueur… (Source)

La personnalité chez les animaux a longtemps fait débat, notamment depuis l’époque où les animaux étaient considérés comme inférieurs aux humains puisque contrairement à ces derniers, ils ne possédaient pas d’âme. Cependant, depuis quelques années, c’est un peu le concept à la mode en écologie comportementale.
 
La personnalité, ou tempérament, a de multiples définitions (voir Réale et al. 2007). Je la définirais ainsi dans cet article : la personnalité d’un animal fait référence à ses propres tendances émotionnelles affectant son comportement de manière constante dans le temps et dans différents contextes. La fin de la phrase est très importante, puisque c’est par la constance que les chercheurs reconnaissent la personnalité.

Prenons un exemple. L’agressivité fait partie des traits de personnalité les plus classiquement étudiés. Si nous voulons mettre en évidence la personnalité chez une espèce de poisson (« poisson » lato sensu pour ne pas tâcher le titre du blog !) pour ce trait, nous pourrions placer devant eux un miroir (le miroir simule la présence d’un congénère), et compter pendant un temps déterminé le nombre de tentatives de morsures. Si on observe une différence entre individus (certains mordent beaucoup et d’autres peu), c’est une bonne piste, mais ça ne suffit pas pour parler de personnalité : il faut une constance dans le temps. On va alors répéter l’expérience après quelques jours, avec les mêmes individus. Si les individus les plus agressifs lors de la première expérience sont également les plus agressifs lors de la deuxième expérience, la personnalité se précise. Mais il faut également considérer la constance « dans différents contextes ». On peut ainsi modifier l’environnement ou l’intrus : par exemple en mettant des vidéos à la place des miroirs, qui montrent des individus de plus ou moins grosses tailles, les individus les plus agressifs face aux petits concurrents doivent également être les plus agressifs face aux gros concurrents pour qu’on puisse parler proprement de personnalité.

Le miroir est souvent utilisé pour simuler la présence d’un congénère et déclencher l’agressivité. Parmi les autres techniques : des vidéos montrant des congénères (agressifs ou non), des leurres simulant des congénères ou des objets indésirables, ou encore des individus réels séparés de l’individu focal par une vitre, éventuellement teintée d’un côté pour éviter une réponse de la part des individus non étudiés, et donc une influence sur le comportement du poisson focal (Source).


Dans l’étude de la personnalité, cinq grands types de traits sont souvent considérés : la timidité-témérité, l’exploration, l’activité, la sociabilité et l’agressivité (Réale et al. 2007).

On peut aller encore plus loin : il a été montré chez plusieurs espèces qu’il existait des corrélations entre plusieurs traits de personnalité. Par exemple, chez certaines espèces, les individus les plus explorateurs sont également les plus actifs et les plus enclins à prendre des risques. On parle alors de syndrome de personnalité.


Syndrome de personnalité mis en évidence par David et al. 2011 chez le diamant mandarin Taeniopygia guttata. Les différents traits (réaction à un signal, néophobie, exploration et activité) présentent des corrélations positives ou négatives. Par exemple, une forte corrélation négative existe entre néophobie et activité, ce qui veut dire que les individus les plus actifs sont aussi ceux qui ont le moins peur des objets nouveaux.



Le diamant mandarin Taeniopygia guttata est un des oiseaux les plus utilisés pour les tests comportementaux en laboratoire (Source)

 
Enfin, sachez que la personnalité a été mise en évidence chez un très grand nombre d’espèces appartenant à tous les groupes, y compris chez des invertébrés (voir Wray et al. 2011 pour un exemple chez l’abeille).


Conséquences de la personnalité


La personnalité des individus a évidement un impact sur de nombreuses variables : efficacité d’approvisionnement, dispersion, comportement anti-prédateur, comportement sexuel, grégarisme, etc. Elle affecte donc à la fois la survie et le succès reproducteur des individus.

Par exemple, la personnalité de deux partenaires peut avoir un impact sur leur succès reproducteur. Schuett et ses collaborateurs (2011) ont ainsi mis en évidence, chez le diamant mandarin Taeniopygia guttata, que l’aptitude phénotypique de la descendance (leur capacité à survivre et laisser des descendants viables, pour faire simple) augmente lorsque les parents ont une personnalité similaire. De même, il a été montré chez la mésange charbonnière Parus major que les couples formés d’individus de personnalités proches ont un meilleur succès reproducteur (Both et al. 2005).
 
Au cours de mon master, j’ai eu la chance de faire un stage sur la personnalité d’un poisson, le cichlide zébré Amatitlania nigrofasciata, et j’aimerais clôturer cet article en vous racontant un peu cette expérience. L’animal est d’un naturel fort agressif, et sa taille modeste ne l’empêchait pas outre mesure de s’en prendre à moi par d’infâmes tentatives de morsures lorsque j’avais la gentillesse de nettoyer les aquariums… Par ailleurs, c’était assez fréquent de retrouver des petits squelettes flottant à la surface, signe d’un drame nocturne dans les aquariums… Au cours de la reproduction, ces poissons forment des couples monogames, où les deux partenaires s’occupent de défendre le nid et les jeunes. Quand il ne leur prend pas l’envie de les dévorer…


Le cichlidé zébré Amatitlania nigrofasciata (Source)


De ces constats, on peut suggérer que l’agressivité doit jouer un rôle important dans la défense du nid. On a donc voulu savoir si madame ne préférait pas un mâle agressif à titre de bon garde du corps. Pour cela, on a placé la femelle dans un aquarium où, de chaque côté, se trouvait un mâle. L’un des mâles avait un miroir pour se défouler sur son reflet et montrer à la femelle à quel point il était agressif…



Dispositif expérimental de l’expérience. La femelle se trouve au milieu et les mâles de chaque côté. Les séparations opaques forment un petit labyrinthe qui permet à la femelle de visiter les deux mâles tout en empêchant ces derniers de se voir. De plus, la femelle ne peut ainsi en voir qu’un seul mâle à la fois. Les tubes en PVC forment une cachette propice au dépôt d’œufs, et donc améliorent le territoire du mâle, l’incitant à le défendre.

L’expérience n’a pas du tout fonctionné : le mâle ne s’occupait pas trop du miroir à vrai dire. Comment booster son agressivité naturelle ? L’idée est venue rapidement de la douleur de la morsure infligée par un des mâles qui défendait des œufs… Le mâle doit se sentir « chez lui » pour avoir un comportement territorial agressif. On a alors laissé les mâles avec une madame pendant quelques jours, histoire qu’il se fasse à sa maison, et on a répété l’expérience (en enlevant les mesdames). Cette fois, le mâle au miroir s’est littéralement défoulé dessus, pensant défendre sa maison et sa future petite famille, et la femelle a pu apprécier son agressivité et la comparer avec celle inexistante du mâle passif de l’autre bout de l’aquarium. Il faut préciser que seul ce caractère pouvait être pris en compte par la femelle : les mâles étaient de taille égale (on sait que chez cette espèces les femelles préfèrent les gros mâles), leur territoire était strictement identique et une vitre la séparait de ces messieurs pour éviter le passage d’odeurs ou d’interactions physiques. Résultats de la manip ? Bingo ! Les femelles ont en moyenne passé bien plus de temps à zieuter le mâle agressif que son congénère passif !


Un des résultats de la manipulation : on voit que la femelle passe en moyenne plus de temps du côté du mâle agressif (mâle avec le miroir).


La personnalité peut donc être un des critères sur lesquels se basent les femelles (ou les mâles le cas échéant) pour choisir leur partenaire sexuel. D’ailleurs, ce n’est pas une découverte : on savait par exemple que, chez le guppy Poecilia reticulata (un autre poisson), les femelles montrent une préférence envers les mâles les plus téméraires (Godin & Dugatkin 1996 ; Pomiankowski 1997). Hé bien oui, chez les poissons comme chez tous les animaux, il n’y a pas que l’apparence qui compte !



Bibliographie


Both, C., Dingemanse, N.J., Drent, P.J. & Tinbergen, J.M. 2005. Pairs of extreme avian personalities have highest reproductive success. Journal of Animal Ecology, 74, 667–674.

David, M., Auclair, Y. & Cézilly, F. 2011. Personality predicts social dominance in female zebra finches, Taeniopygia guttata, in a feeding context. Animal Behaviour, 81, 219–224.

Godin, J.G.J. & Dugatkin, L.A. 1996. Female mating preference for bold males in the guppy, Poecilia reticulata. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 93, 10262-10267.

Pomiankowski, A. 1997. Sexual selection: Rebels with a cause. Current Biology, 7, R92-R93.

Réale, D., Reader, S.M., Sol, D., McDougall, P.T. & Dingemanse, N.J. 2007. Integrating animal temperament within ecology and evolution. Biological reviews of the Cambridge Philosophical Society, 82, 291–318.

Schuett, W., Dall, S.R.X. & Royle, N.J. 2011. Pairs of zebra finches with similar 'personalities' make better parents. Animal Behaviour, 81, 609-618.

Wray, M.K., Mattila, H.R. & Seeley, T.D. 2011. Collective personalities in honeybee colonies are linked to colony fitness. Animal Behaviour, 81, 559–568.


Sophie Labaude
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