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lundi 27 avril 2015

Entourloupes naturalistes : les flamants



Ceci n’est pas un flamant rose. Dans cette série d’articles justement bien nommée « entourloupes naturalistes », je vous propose de découvrir la vérité sur des animaux que l’on confond trop souvent, au grand dam des passionnés ou initiés qui connaissent la vérité.


Un flamant pas rose ?


Vos yeux ne vous trompent pas, la photo ci-dessus représente bien un flamant, et sa belle couleur rose ne fait aucun doute. Si c’est donc bien un flamant qui est rose, ce n’est pourtant pas un flamant rose. Avant de vous faire tourner en bourrique plus longtemps, voici deux choses que vous devez savoir. La première, c’est qu’il existe plusieurs espèces de flamants à travers le monde, et qu’elles arborent toutes différentes teintes de couleur rose. La deuxième, c’est que « flamant rose » est un nom vernaculaire, qui désigne l’une de ces espèces.

Les noms vernaculaires sont les petits noms, bien moins barbares que les noms scientifiques en latin, que l’on donne à des espèces. Souvent inspirés des caractéristiques de l’animal, ces noms peuvent alors parfois être ambigus, et passer comme une simple précision de l’apparence de la bestiole. Par exemple, vous visualisez sans doute ce qu’est une baleine bleue. Même si beaucoup d’autres espèces de baleines sont bleues, le terme « baleine bleue » évoque une espèce bien particulière. C’est la même chose chez les flamants. Le terme « flamant rose » est le nom usuel donné à l’espèce Phoenicopterus roseus. Cette espèce est la plus répandue, et paradoxalement, c’est une des moins roses ! Le fait est qu’en France, c’est la seule espèce naturellement présente. Ne connaissant que ces flamants, c’est donc tout à fait logiquement, en raison de leur couleur notoirement rare dans la nature, que les Français les ont surnommés flamants roses. Les anglo-saxons l’appellent plus justement « greater flamingo », littéralement « le plus grand flamant », en rapport à sa plus grande taille par rapport aux autres espèces.


Un flamant rose (à gauche), particulièrement peu rose à côté de son voisin flamant nain. Dans la colonie française de flamants roses en Camargue, un couple de flamants nains, probablement échappé d’un zoo, s’invite souvent pour la reproduction (Crédits Tifaeris)


Un flamant, des flamants


A l’heure actuelle, pas moins de six espèces de flamants sont reconnues : le flamant rose (Phoenicopterus roseus), le flamant des Caraïbes (Phoenicopterus ruber), le flamant du Chili (Phoenicopterus chilensis), le flamant nain (Phoeniconaias minor), le flamant de James (Phoenicoparrus jamesi) et le flamant des Andes (Phoenicoparrus andinus). Les deux derniers se retrouvent exclusivement en Amérique du Sud, tandis que les quatre autres ont des aires de répartition variables, et qui se recouvrent, sur tout le bassin méditerranéen, l’Afrique et l’Asie.

Toutes les espèces possèdent les mêmes caractéristiques morphologiques, et ont des comportements très proches. Je vous renvoie vers un de mes précédents articles pour découvrir ces créatures étonnantes. Cependant, les différences de taille, de couleur des plumes ou du bec, rendent la distinction des espèces relativement facile.


Comme un air de famille chez ces six espèces. De gauche à droite et de haut en bas : flamant rose (Crédits), flamant des Caraïbes (Crédits), flamant du Chili (Crédits), flamant nain (Crédits), flamant de James (Crédits) et flamant des Andes (Crédits).



Tous les flamants vivent en groupes, dans des zones humides où ils se nourrissent grâce à leur bec si particulier. Celui-ci, fonctionnant un peu comme les fanons des baleines, dispose de peignes leur permettant de filtrer l’eau et de récupérer algues et petits invertébrés. De leur alimentation, les flamants extraient un pigment rose qui rend leur plumage si caractéristique : les caroténoïdes.


Petit aperçu de nos six espèces de flamants (Crédits Nicolle)

 

 

Des flamants roses pas toujours roses


On ne vous y trompera plus : un flamant qui est rose n’est pas forcément un flamant rose. Hé bien sachez aussi qu’un flamant qui n’est pas rose peut tout à fait être un flamant rose ! C’est le cas notamment des jeunes. A l’instar des poussins de poule dont la couleur est pour le moins différente de l’adulte, les petits flamants roses arborent un duvet blanc à la sortie de l’œuf. Au bout de quelques jours, la couleur va plutôt tirer sur le gris. La taille adulte atteinte, les juvéniles se distinguent encore très bien des adultes par leur couleur. Il faudra attendre quelques années avant qu’ils puissent arborer les jolies teintes roses et blanches qui les caractérisent, attributs non négligeables pour séduire les partenaires.


Un jeune flamant quelques heures après la sortie de l’œuf (Crédits)

Ce flamant gris est bien un flamant rose, pas encore rose ! (Crédits Pescalune)


Enfin, pour finir de tordre le cou aux flamants qui sont tous des flamants roses ou aux flamants roses qui sont tous roses… sachez qu’on peut même trouver des flamants roses… noirs ! En avril de cette année, un de ces énergumènes a même été observé à Chypre. Cette coloration, qui reste pour le moins inhabituelle et très rare, pourrait être due à une particularité génétique provoquant une hyperpigmentation des plumes : le mélanisme. Bien que ce ne soit pas la première fois qu’un flamant rose noir est observé, nul ne sait s’il s’agit d’individus différents, ou du même individu vu à plusieurs endroits ! Voyez plutôt la vidéo ci-dessous. Quant à la photo du début de l’article, je vous laisse deviner à quelle espèce il appartient !





Retrouvez d'autres histoires de flamants sur ce blog :


Sophie Labaude

lundi 20 octobre 2014

Quand ils ont trop froid, les flamants roses meurent… de faim

1985. L’hécatombe. Dans un des plus beaux endroits de France, la Camargue indomptable, se déroule une tragédie sans précédents. Le froid extrême touche de plein fouet les populations sauvages, venant à bout même des animaux capables de migrer. Subissant deux semaines consécutives de températures négatives allant jusque -10°C, la population de flamants roses, la seule à se reproduire en France, subit alors de pertes considérables : près de 3000 cadavres sont recensés.

Photo d'archive de 1985 qui montre la tristesse de la rigueur de l'hiver, avec nombre de cadavres de flamants gisant sur une Camargue en proie au gel (Source)


2012. Nouvelle vague de froid alors même que le destin m’a conduit en Camargue pour étudier les flamants roses. Quelques jours après mon arrivée, c’est avec ironie que j’ai l’occasion de les observer de beaucoup plus près, et en beaucoup moins vivants… Le climat a encore frappé : on compte 1500 morts parmi les rangs des 20 000 individus hivernant en France. A la Tour du Valat, centre de recherche qui étudie les flamants de longue date, les macchabées roses s’entassent. Les gens nous ramènent les animaux qu’ils trouvent, ou nous appellent pour qu’on vienne les chercher. Malgré la tristesse de la situation, l’esprit scientifique grattouille sous le crâne : on a envie de comprendre.

Avec des collègues du centre et en collaboration avec d’autres personnes de Montpellier, on se lance alors dans une investigation. Objectif : déterminer la cause de la mortalité des flamants. Car si le froid mordant est un candidat évident, son impact peut être moins direct qu’il n’y parait.

Les corps s'entassent, on les stocke sous de gros bacs qui jouent le rôle de congélateurs "grâce" aux températures extérieures négatives. Ne pas se fier au soleil !

Avec la quantité de cadavres à disposition, on recrute une armada de volontaires (un grand merci au passage !) qui nous aide à mesurer chaque individu. Quelques candidats seront étudiés de plus près : on les mesure sous toutes les coutures, du bec jusqu’au bout des pattes. On leur arrache des plumes pour les compter et les mesurer. On utilise des appareils pour évaluer la couleur de leur peau et de leur plumage, on les pèse… Des centaines de données qui vont pouvoir être utilisées pour modéliser les dépenses énergétiques des flamants, grâce à un modèle développé par nos autres collaborateurs américains. Ce modèle astucieux fabrique un individu fictif numérique à partir des données moyennes qu’on lui donne (morphologie, physiologie, comportement, et tout un tas de paramètres). Puis on renseigne au modèle le climat subit par les animaux (température, vent, humidité, etc.) et on obtient les dépenses minimales nécessaires aux bestioles pour conserver leur homéothermie, autrement dit pour garder le sang chaud. Très rapidement on observe ce que l’on soupçonnait : les vagues de froid augmentent drastiquement les dépenses énergétiques de nos flamants. Se maintenir au chaud lorsqu’il fait froid, même si on est bien pourvus en plumes, ça coûte de l’énergie !

Un spectrophotomètre est utilisé pour mesurer la lumière renvoyée par les plumes et la peau des jeunes et des adultes. Autrement dit, on mesure leur couleur, qui joue un rôle dans la thermorégulation en modulant la quantité de rayons du soleil qui sont renvoyés.

Se pourrait-il que les flamants soient morts de faim, après avoir épuisé toute leur énergie ? Pour en avoir le cœur net, je monte dans un train direction Strasbourg, avec une valise pleine de flamants morts et l’espoir qu’ils ne décongèlent pas trop vite (pour ceux qui se posent la question, l’odeur du flamant décongelé est absolument abjecte !). Là-bas, avec d’autres collègues du CNRS, les flamants sont découpés avec la précision d’une boucherie fine, les morceaux sont pesés, et ils sont ensuite réduits en poudre. Littéralement. La technique peut paraitre un tantinet barbare mais elle permet de procéder à des dosages précis de la composition biochimique des animaux. En l’occurrence, le ratio lipides/protéines permet de donner une idée sur l’état des réserves de l’animal. Plus ce ratio est élevé, plus la bestiole se porte bien. En revanche, lorsqu’un individu n’a plus accès à la nourriture, il puise dans ses réserves en consommant d’abord ses lipides, ce qui fait diminuer ce ratio. 

Après investigation, mes flamants voyageurs présentaient un ratio proche de celui observé chez d’autres oiseaux dans une phase de jeûne avancée. Autrement dit, ils avaient faim, très faim ! Toutes les données se recoupent alors. Les carcasses étaient exceptionnellement légères, et les dosages suggèrent que toutes les ressources étaient épuisées, en parallèle du modèle qui nous dit que les flamants ont fait face à une demande sévèrement accrue en énergie. Alors pourquoi n’ont-ils pas simplement mangé plus s’ils avaient tant besoin d’énergie ? C’est la dernière clé de l’énigme. 

Les artémies, minis crustacés aquatiques, constituent un des mets favoris des flamants. Ils passent des heures le bec plongé dans l'eau à filtrer ces créatures à la manière d'une baleine et de ses fanons.


En France, comme pour beaucoup d’autres pays nordiques, des oiseaux de toutes trempes migrent à l’approche de l’hiver. Contrairement aux idées reçues, ce mouvement qui se fait généralement vers le sud n’est pas une réponse à l’incapacité des oiseaux à faire face à des températures plus faibles. D’ailleurs, notre modèle montre que les températures hivernales, même en période de vague de froid, induisent des dépenses énergétiques qui sont certes importantes mais qui restent plus faibles que celles requises par la reproduction. Ce qui fait partir les oiseaux, généralement, c’est la nourriture qui se fait rare. Insectes et petites bêtes en tous genres, y compris les minuscules crustacés aquatiques dont se nourrissent les flamants… la nature se dépeuple quand vient la fin de l’année. Les flamants roses sont d’ailleurs des migrateurs partiels : une partie de la population s’en va vers l’Afrique, terre d’abondance, une fois la période de reproduction terminée. Beaucoup restent en France cependant, et notamment les plus jeunes pour qui la probabilité de survie est plus importante s’ils restent sur place. Les ressources sont certes plus restreintes, mais généralement suffisantes pour eux, et constituent un obstacle bien moins insurmontable que de traverser des milliers de kilomètres avec tous les dangers que cela implique. Mais en période de vague de froid, on change la donne : la plupart des plans d’eau où se nourrissent les flamants sont alors congelés ! La nourriture n’était donc tout simplement pas accessible pour les animaux, qui avaient d’ores et déjà épuisé trop de réserves pour entreprendre avec succès une migration. C’est ainsi que se résout le mystère : les flamants roses, en pleine vague de froid, sont en fait morts de faim.


http://jeb.biologists.org/content/217/20/3700Bibliographie 
(et avec grande fierté, mon premier article tout fraichement publié !) :

Deville, A.-S., Labaude, S., Robin, J.-P., Béchet, A., Gauthier-Clerc, M., Porter, W., Fitzpatrick, M., Mathewson, P. & Grémillet, D. 2014. Impacts of extreme climatic events on the energetics of long-lived vertebrates: the case of the greater flamingo facing cold spells in the Camargue. The Journal of Experimental Biology, 214, 3700-3707.

+ le petit bonus du journal


Sophie Labaude

mercredi 4 septembre 2013

Les vacances d’une écologue : objectif flamants

La douce torpeur estivale des blogs vient d’être gentiment bousculée par l’inévitable : c’est la rentrée ! L’occasion de reprendre le chemin du travail ou des bancs de l’université, et bien sûr sa plume virtuelle pour de nouvelles épopées scientifiques. Mais que peuvent-bien faire les bloggeurs de leur été ? Nous allons vous conter les récits de nos aventures scientifiques ou naturalistes estivales, chacun son tour, pour se remettre tranquillement dans le bain tout en gardant un petit coin de l’esprit en vacances…
 
Dans des temps immémoriaux (l’année dernière…) j’avais coutume d’étudier un des animaux les plus étranges, le flamant rose. Je leur avais consacré tout un article pour dépeindre leurs cocasseries multiples (par ici). Et même si depuis je suis passée à autre chose, on n’abandonne pas si facilement ces créatures extravagantes. Et c’est ainsi que, durant l’été, j’ai pu m’incruster dans un évènement très attendu en Camargue : le baguage des flamants roses.
 
(Source)
 

Petite mise en contexte. En France, les flamants roses ne se reproduisent que dans une seule colonie, sur un petit ilot au cœur de la Camargue. Protégés de tous les côtés, personne ne peut s’en approcher à l’exception de quelques rares privilégiés qui les étudient. Une tour d’observation est construite juste en face de l’ilot, et on y accède camouflés sous un espèce de mini-tank flottant. La reproduction se passe tranquillement, avec des observations presque quotidiennes qui permettent de lire des bagues et de déterminer quels individus sont présents et s’ils se reproduisent. Les bagues en question sont composées d’un code alpha-numérique propre à chaque individu, et lisible jusqu’à 300m. On peut ainsi connaître l’histoire de nos flamants : âge, longévité, reproduction, dispersion… Une mine d’informations bien précieuse pour les chercheurs ! C’est pour cette raison que, chaque année, une armée de volontaires se réunit pour l’évènement ultime, le baguage des jeunes flamants.
 
Vue du ciel de la colonie et de la tour d’observations
 
Observation depuis la tour : les bagues sont parfaitement lisibles
 
 
Comme seuls les V.I.P. (quelques 200 personnes tout de même…) sont invités à participer à cet évènement, voici en exclusivité le récit d’une poignée d’heures palpitantes.
 
Il est 5h, la nuit est encore bien noire quand une ribambelle de véhicules quitte le centre de recherches biologiques de la Tour du Valat. Malgré l’heure matinale, la plupart des gens sont bien réveillés. L’effet de l’excitation probablement, mais il faut dire que les dizaines de moustiques et leurs bzz-bzz provocateurs y sont aussi pour quelque chose. On est en Camargue tout de même ! La foule a rendez-vous sur la digue. Tout le monde est bien rodé, la réunion obligatoire de la veille ayant permis d’assurer une organisation optimale. Les participants sont répartis dans plusieurs équipes, chacune ayant une couleur de t-shirt différente. Le premier défi une fois arrivés est de repérer son chef d’équipe dans l’agitation et l’obscurité. Le départ s’effectue peu après 5h30. Chaque équipe part à tour de rôle sur deux digues différentes, les jeunes flamants se trouvant quelque part entre ces deux digues. C’est ainsi que 200 personnes se mettent en marche, accompagnées cette année du grondement sourd de l’orage et d’une multitude d’éclairs déchirant le ciel et accompagnant le timide lever du soleil.
 
Réunion par équipes avant le grand départ
Ambiance particulière entre orage et soleil cette année
 
Les jeunes flamants, qui sont encore tout gris et qui heureusement ne savent pas voler, sont tous regroupés en une « crèche », gardée par quelques adultes. Le but de la manœuvre est de les encercler, et les guider vers un entonnoir se terminant par deux enclos. Les chefs d’équipe jouent du talkie-walkie pour synchroniser tout le monde. Une fois les équipes en place, le rabattage commence. En même temps que la pluie. L’étau humain se ressert petit à petit sur le groupe de flamants qui se met en mouvement, avec la même apparence d’unité qu’un banc de poissons. Les adultes s’envolent assez rapidement, ajoutant l’éclat rouge de leurs ailes au ciel déjà magnifique. Cette année, l’étang est particulièrement sec. Un avantage dans le sens où les gens n’ont pas les pieds dans l’eau, hormis les malchanceux des premières équipes qui pataugent dans une boue noire, odorante et particulièrement avide de capturer les chaussures mal attachées… En revanche, la sécheresse a également une autre conséquence : les flamants courent beaucoup plus vite ! Une fois le groupe en mouvement, la synchronisation du rabattage devient primordiale.
 
Mise en place des équipes et rabattage, une chaîne humaine de très grande ampleur
 
Le jour est maintenant totalement levé, les flamants sont en passe de rentrer dans l’entonnoir. Les premiers arrivés se rendent compte du traquenard et tentent de faire demi-tour, les suivants leur foncent dedans sans comprendre, l’inévitable se produit : un tas de flamants. Un enchevêtrement de cous, de pattes et de corps, tout le monde est à terre dans un chaos assez effrayant. Il faut intervenir rapidement. On s’écarte, on relève rapidement les jeunes, heureusement tout le monde va bien. Une partie du groupe est déjà rentré dans l’enclos, les autres sont autorisés à déguerpir. Sur 3000 poussins présents, seuls 800 seront bagués.
 
 
Derniers instants du rabattage : on laisse une grande partie de la crèche s’échapper
 
 
Un petit répit dans l’organisation, quelques minutes à s’autoriser l’observation hypnotique de ces 800 êtres étranges tournant en rond, à présent séparés dans deux grands enclos. Et déjà les chefs d’équipes appellent leurs soldats. Chacun connait son poste et son rôle précis. Dans les grands enclos, des personnes sont chargées d’attraper les flamants et de les passer dans des minis enclos propres à chaque équipe. Les animaux sont ensuite passés de mains en mains, tour à tour bagués, mesurés (aile et tarse) et pesés. Des plumes sont prélevées, elles permettront de déterminer le sexe de chaque individu grâce à une analyse génétique. D’autres prélèvements sont effectués, sur un nombre plus restreint d’individus, pour des expériences à part. Des prises de sang par exemple, ou des prélèvements cloacaux. Et puis depuis l’année dernière, des expériences de comportements sont mises en place sur les jeunes durant le baguage. Certains individus passent ainsi des tests de personnalité. La partie la plus drôle consiste à placer le flamant par terre, sur le dos, et à chronométrer le temps qu’il met pour se relever. Si certains sont très réactifs et obligent les observateurs à leur courir après, d’autres semblent paralysés par cette position inhabituelle et restent bêtement posés au sol, cou et pattes tendus, parfaitement immobiles. Le test du crayon, qui consistait à provoquer l’agressivité des jeunes en approchant un crayon de leur tête, a été abandonné cette année. L’année dernière, les flamants se souciaient bien plus de pincer les gens qui les portaient que le crayon…
 
La moitié des poussins rabattus sont dans cet enclos, un deuxième contenant les 400 autres poussins
Prélèvement de plumes pour le sexage
Test de comportement : se relever quand on est sur le dos. Ce n’est pas gagné…
 
Chaque flamant ayant passé toutes les étapes obligatoires de son parcours, et éventuellement les dernières étapes optionnelles, est alors relâché dans l’entonnoir. La plupart sont épuisés par les évènements, et s’en vont tranquillement, s’allongeant parfois au sol quelques secondes avant d’avoir la force de partir. Les jeunes trop épuisés sont conduits dans une infirmerie, spécialement conçue à l’écart de l’agitation générale pour leur donner le répit nécessaire avant de reprendre la direction de la crèche.
 
Les flamants sont relâchés un par un au fur et à mesure
 
 
Huit cent flamants plus tard, c’est au tour des humains de remballer. Les enclos sont démontés, en quelques minutes, au grand dépit des personnes qui ont mis toute leur énergie et plusieurs semaines à les monter avant le baguage (croyez-moi, j’en ai fait partie !). Il n’est même pas 10h quand tout le monde reprend la direction des voitures, n’ayant en tête que le petit-déjeuner offert à quelques kilomètres de là en attendant le traditionnel grand banquet qui clôture l’évènement.
 
On casse tout et on remballe, le petit-déjeuner nous attend !
 
 
Ainsi se termine une des épopées les plus grandioses de mon été. Si vous souhaitez en savoir plus sur le baguage et tout ce qui concerne les flamants en Camargue, allez faire un tour sur ce site : http://flamingoatlas.org/
Vous y trouverez toutes les photos de toutes les années de baguages, de nombreuses informations, ainsi que la possibilité de… parrainer un flamant ! Mieux encore, le baguage a été filmé il y a quelques années, et la vidéo est disponible en ligne : http://youtu.be/ZZqyYB_VT9Y
 
 
Sophie Labaude
 
Crédits photo : Tour du Valat.

jeudi 12 juillet 2012

Vie et mœurs du Phénix

Et dans la douce lumière de l’aurore apparut, surgissant du désert impitoyable, le Phénix flamboyant, inspirant paix et sérénité sous ses ailes pourpres… Inexorablement, il s’en était allé se consumer à l’abri des regards, dans le feu du sable africain, pour renaitre de ses cendres, plus fier que jamais.

Flamant glissant tel une ombre dans le coucher de soleil. Source


D’aucuns auront reconnu ici le flamant rose, symbole du Phénix dans l’Egypte ancienne, dont il pourrait avoir inspiré le mythe. Cet oiseau immense disparaissait dans le désert, dans des contrées trop hostiles pour les humains, pour réapparaitre quelques mois plus tard. Une immortalité qui n’est qu’apparente, puisqu’il n’allait pas renaître mais bien faire naitre, dans des colonies de reproduction longtemps restées mystérieuses. Son nom de genre, Phoenicopterus, signifie « ailes pourpres », tandis que son complément d’espèce, « roseus », accentue encore sa particularité si rare dans le monde animal, sa couleur exceptionnelle. De tout temps le flamant rose a fasciné, tant par son apparence que par son mode de vie, et aujourd’hui encore des hommes s’attachent à les protéger coûte que coûte.

Pourtant, à force de les étudier depuis 6 mois, ils commencent à revêtir à mes yeux un costume non pas fier et mystérieux, mais tirant plutôt sur le comique… Leurs mœurs si particulières et leur apparence cocasse ne peuvent nous laisser indifférents, surtout quand ils mettent toute leur énergie à se donner en spectacle devant nos yeux.

L'étrange bec du flamant lui sert à filtrer l'eau pour en extraires des petits organismes, crustacés, mollusques, insectes, etc. Source : Wikipédia.


Nul oiseau n’a son pareil dans le monde animal. Si vous n’aviez jamais vu de flamant de votre vie, voilà comment l’on pourrait vous le dépeindre : son corps ressemble à celui d’une grosse oie, perché sur des pattes immenses et fines comme des brindilles. Son cou, semblable à s’y méprendre à la trompe d’un éléphant, est terminé par une tête minuscule, prolongée par un bec tordu qui semble monté à l’envers, lui donnant un étrange air antipathique. Non content de se faire remarquer par cette morphologie atypique, le flamant fait également en sorte d’être rose ! Et pas n’importe comment, grâce à sa nourriture qui contient les pigments parfaits pour une belle teinte bonbon. En parlant de manger, le flamant n’a pas non plus choisit la facilité. En dépit de sa taille relativement impressionnante, il a choisit de se nourrir d’organismes aquatiques quelques 1000 fois plus petits que lui… D’ailleurs, dans la catégorie hybride, il a piqué la technique des baleines grâce à un filtrage qui ressemble fort à leurs fanons. La tête plongée dans l’eau, il avance en faisant des mouvements de balanciers de son cou. Une technique plus comique encore consiste à planter son bec dans l’eau, et à tourner autour en piétinant le sol, un peu à la manière d’un gars bourré qui veut se donner le tournis en tournant autour de sa bouteille… En résulte des étranges cercles imprimés dans la vase, qui pourraient faire croire aux plus fous d’entre-nous à une invasion d’êtres venus d’ailleurs. Au final, qui sait ?

Alors que l'eau de l'étang s'est évaporée, d'étranges cercles se dessinent où le flamant a piétiné pour faire sortir les organismes minuscules dont il se nourrit. Crédit Jean Roche / naturepl.com


Le flamant rose, qu’il soit mâle ou femelle, est un animal très coquet. Il est vrai, les hommes lui fournissent chaque année une belle ribambelle de bagues. Mais en ce qui concerne le maquillage, l’animal le fabrique lui-même. Ha, si les femmes savaient faire ça… Ils possèdent une glande dite uropygienne, qui fabrique une substance avec laquelle ils se lustrent le plumage. Après vérification, il s’avère que la substance en question fait ressortir leur belle couleur rose ! Patiemment, ils se frottent le bec avec et s’astiquent les plumes avec soin. Ai-je précisé que la glande se situe au niveau de leur croupion ?

Chaque été la colonie française de flamants roses, située en Camargue, subit une opération de baguage qui permet un suivi de la population. Une partie des poussins de l'année (qui devront attendre encore 2 ou 3 ans pour avoir le beau plumage rose caractéristique) auront donc droit à une bague métale et une autre en PVC avec un identifiant unique. Cette année, 800 bagues sont prévues. Crédits : Tour du Valat.


La toilette des flamants roses est aussi impressionnante qu’extravagante. Alors qu’il se balade tranquillement les pattes dans l’eau, sans aucun signe avant-coureur, l’animal semble perdre le contrôle de ses muscles et se laisse littéralement tomber dans l’eau. Il se met alors à se dandiner dans tous les sens avec la grâce d’un hippopotame en rut, et balançant violement sa tête en arrière à tel point qu’il semble s’en déboiter les cervicales. Et comme si de rien n’était, il se relève et reprend tranquillement sa route, ses yeux ronds comme des billes aux aguets.

Il existe 6 espèces de flamants, qui ont toutes les mêmes comportements étranges et burlesques... Comme ces flamants des Caraïbes (Phoenicopterus ruber) en pleine baignade. Sources : photo 1, photo 2.


Comme beaucoup d’oiseaux, quand s’en vient le temps des amours, le flamant rose se met à danser. Rien à voir avec la gracieuse parade de certains oiseaux exotiques. La première fois que j’ai assisté au spectacle, je n’ai tout simplement pas pu m’empêcher d’éclater de rire. Tout commence avec une poignée d’individus, qui se mettent subitement à tourner la tête par à-coups, gauche, droite, gauche, droite, à s’en donner le torticolis (vidéo chez le flamant des Andes). D’autres se joignent à l’euphorie générale, et tout en marchant, un groupe de plusieurs dizaines d’individus se forme, qui continuent frénétiquement à tortiller de la tête. Quand tout d’un coup, ils ouvrent grand les ailes, puis les replient aussi vite et font semblant de se nettoyer. Puis la parade reprend, les yeux écarquillés, la tête n’en finissant plus de tourner…


" ♪ Tu me fais tourner la têteuuuh... ♪♫ "
Début de la parade des flamants (Source)

L'ouverture des ailes lors de la parade... Aussi brutale qu'éphémère. Source : Crédit : M. Watson / www.ardea.com


Ces oiseaux, comme s’ils ne se remarquaient pas assez individuellement, se reproduisent en colonies. En France, ce sont des milliers de couples agglutinés sur un tout petit ilot. Le nid ressemble à un pâté de sable fait par un enfant. Le flamant qui couve en déborde de partout, et ses pattes trop grandes sont coincées en arrière. Malgré leur proximité, les individus sont agressifs et les prises de bec, au sens propre, interviennent en permanence. Pourtant, les flamants ne pourraient se passer de la compagnie des autres. Ce sont des grands froussards. A titre d’exemple, un seul petit ballon d’enfants (oui, ballon !), a créé il y a quelques années une panique sur la colonie camarguaise, provoquant l’abandon de près de 4000 œufs !

Poussin, nids et colonie de flamants de l'étang du Fangassier (Camargue). Sources : redbubble, travelpod et Tour du Valat


Mais malgré tous leurs côtés pour le moins singuliers, je ne peux nier que les flamants roses restent un objet d’étude fascinant. Je suis obligée d’avouer que je me suis attachée à ces étranges animaux, à force d’observations quotidiennes face à la seule colonie de reproduction française où les premiers instants des poussins sont simplement émouvants, avec des parents aussi doux qu’ils y paraissent quand ils nourrissent leur petit dont seule la tête émerge de l’aile parentale.



Pour en savoir plus :

Amat, J. A., Rendón, M. A., Rendón-martos, M., & Pérez-gálvez, A. 2011. Greater flamingos Phoenicopterus roseus use uropygial secretions as make-up. Behavioral Ecology, 665-673.

Gallet, E. 1949. Les flamants roses de Camargue. Payot, Lausanne.

Johnson, A. R. & Cézilly, F. 2007. The Greater Flamingo. T & AD Poyser, London.


Film "Les ailes pourpres : le mystère de flamants" (Walt Disney, 2008)




Sophie
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