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lundi 20 octobre 2014

Quand ils ont trop froid, les flamants roses meurent… de faim

1985. L’hécatombe. Dans un des plus beaux endroits de France, la Camargue indomptable, se déroule une tragédie sans précédents. Le froid extrême touche de plein fouet les populations sauvages, venant à bout même des animaux capables de migrer. Subissant deux semaines consécutives de températures négatives allant jusque -10°C, la population de flamants roses, la seule à se reproduire en France, subit alors de pertes considérables : près de 3000 cadavres sont recensés.

Photo d'archive de 1985 qui montre la tristesse de la rigueur de l'hiver, avec nombre de cadavres de flamants gisant sur une Camargue en proie au gel (Source)


2012. Nouvelle vague de froid alors même que le destin m’a conduit en Camargue pour étudier les flamants roses. Quelques jours après mon arrivée, c’est avec ironie que j’ai l’occasion de les observer de beaucoup plus près, et en beaucoup moins vivants… Le climat a encore frappé : on compte 1500 morts parmi les rangs des 20 000 individus hivernant en France. A la Tour du Valat, centre de recherche qui étudie les flamants de longue date, les macchabées roses s’entassent. Les gens nous ramènent les animaux qu’ils trouvent, ou nous appellent pour qu’on vienne les chercher. Malgré la tristesse de la situation, l’esprit scientifique grattouille sous le crâne : on a envie de comprendre.

Avec des collègues du centre et en collaboration avec d’autres personnes de Montpellier, on se lance alors dans une investigation. Objectif : déterminer la cause de la mortalité des flamants. Car si le froid mordant est un candidat évident, son impact peut être moins direct qu’il n’y parait.

Les corps s'entassent, on les stocke sous de gros bacs qui jouent le rôle de congélateurs "grâce" aux températures extérieures négatives. Ne pas se fier au soleil !

Avec la quantité de cadavres à disposition, on recrute une armada de volontaires (un grand merci au passage !) qui nous aide à mesurer chaque individu. Quelques candidats seront étudiés de plus près : on les mesure sous toutes les coutures, du bec jusqu’au bout des pattes. On leur arrache des plumes pour les compter et les mesurer. On utilise des appareils pour évaluer la couleur de leur peau et de leur plumage, on les pèse… Des centaines de données qui vont pouvoir être utilisées pour modéliser les dépenses énergétiques des flamants, grâce à un modèle développé par nos autres collaborateurs américains. Ce modèle astucieux fabrique un individu fictif numérique à partir des données moyennes qu’on lui donne (morphologie, physiologie, comportement, et tout un tas de paramètres). Puis on renseigne au modèle le climat subit par les animaux (température, vent, humidité, etc.) et on obtient les dépenses minimales nécessaires aux bestioles pour conserver leur homéothermie, autrement dit pour garder le sang chaud. Très rapidement on observe ce que l’on soupçonnait : les vagues de froid augmentent drastiquement les dépenses énergétiques de nos flamants. Se maintenir au chaud lorsqu’il fait froid, même si on est bien pourvus en plumes, ça coûte de l’énergie !

Un spectrophotomètre est utilisé pour mesurer la lumière renvoyée par les plumes et la peau des jeunes et des adultes. Autrement dit, on mesure leur couleur, qui joue un rôle dans la thermorégulation en modulant la quantité de rayons du soleil qui sont renvoyés.

Se pourrait-il que les flamants soient morts de faim, après avoir épuisé toute leur énergie ? Pour en avoir le cœur net, je monte dans un train direction Strasbourg, avec une valise pleine de flamants morts et l’espoir qu’ils ne décongèlent pas trop vite (pour ceux qui se posent la question, l’odeur du flamant décongelé est absolument abjecte !). Là-bas, avec d’autres collègues du CNRS, les flamants sont découpés avec la précision d’une boucherie fine, les morceaux sont pesés, et ils sont ensuite réduits en poudre. Littéralement. La technique peut paraitre un tantinet barbare mais elle permet de procéder à des dosages précis de la composition biochimique des animaux. En l’occurrence, le ratio lipides/protéines permet de donner une idée sur l’état des réserves de l’animal. Plus ce ratio est élevé, plus la bestiole se porte bien. En revanche, lorsqu’un individu n’a plus accès à la nourriture, il puise dans ses réserves en consommant d’abord ses lipides, ce qui fait diminuer ce ratio. 

Après investigation, mes flamants voyageurs présentaient un ratio proche de celui observé chez d’autres oiseaux dans une phase de jeûne avancée. Autrement dit, ils avaient faim, très faim ! Toutes les données se recoupent alors. Les carcasses étaient exceptionnellement légères, et les dosages suggèrent que toutes les ressources étaient épuisées, en parallèle du modèle qui nous dit que les flamants ont fait face à une demande sévèrement accrue en énergie. Alors pourquoi n’ont-ils pas simplement mangé plus s’ils avaient tant besoin d’énergie ? C’est la dernière clé de l’énigme. 

Les artémies, minis crustacés aquatiques, constituent un des mets favoris des flamants. Ils passent des heures le bec plongé dans l'eau à filtrer ces créatures à la manière d'une baleine et de ses fanons.


En France, comme pour beaucoup d’autres pays nordiques, des oiseaux de toutes trempes migrent à l’approche de l’hiver. Contrairement aux idées reçues, ce mouvement qui se fait généralement vers le sud n’est pas une réponse à l’incapacité des oiseaux à faire face à des températures plus faibles. D’ailleurs, notre modèle montre que les températures hivernales, même en période de vague de froid, induisent des dépenses énergétiques qui sont certes importantes mais qui restent plus faibles que celles requises par la reproduction. Ce qui fait partir les oiseaux, généralement, c’est la nourriture qui se fait rare. Insectes et petites bêtes en tous genres, y compris les minuscules crustacés aquatiques dont se nourrissent les flamants… la nature se dépeuple quand vient la fin de l’année. Les flamants roses sont d’ailleurs des migrateurs partiels : une partie de la population s’en va vers l’Afrique, terre d’abondance, une fois la période de reproduction terminée. Beaucoup restent en France cependant, et notamment les plus jeunes pour qui la probabilité de survie est plus importante s’ils restent sur place. Les ressources sont certes plus restreintes, mais généralement suffisantes pour eux, et constituent un obstacle bien moins insurmontable que de traverser des milliers de kilomètres avec tous les dangers que cela implique. Mais en période de vague de froid, on change la donne : la plupart des plans d’eau où se nourrissent les flamants sont alors congelés ! La nourriture n’était donc tout simplement pas accessible pour les animaux, qui avaient d’ores et déjà épuisé trop de réserves pour entreprendre avec succès une migration. C’est ainsi que se résout le mystère : les flamants roses, en pleine vague de froid, sont en fait morts de faim.


http://jeb.biologists.org/content/217/20/3700Bibliographie 
(et avec grande fierté, mon premier article tout fraichement publié !) :

Deville, A.-S., Labaude, S., Robin, J.-P., Béchet, A., Gauthier-Clerc, M., Porter, W., Fitzpatrick, M., Mathewson, P. & Grémillet, D. 2014. Impacts of extreme climatic events on the energetics of long-lived vertebrates: the case of the greater flamingo facing cold spells in the Camargue. The Journal of Experimental Biology, 214, 3700-3707.

+ le petit bonus du journal


Sophie Labaude

dimanche 6 avril 2014

Petit guide de la résistance au froid, partie 2 : les plantes terrestres

Haha, bande de veinards ! Alors que l’Europe se réchauffe (enfin !) sous les rayons printaniers du soleil précoce, au Québec, c’est toujours l’hiver. Le vrai. Celui où les mots gèlent en sortant de la bouche. Et où tes sourcils restent figés lorsque tu fais la grimace, tellement ils sont plein de givre.
Bon, j’exagère… mais à peine. Pour preuve, une photo d’actualité :

Après la pluie, dans les Laurentides

Sophie vous a déjà parlé des mécanismes chez les animaux qui permettent de vivre par très basse température (voir ici). Mais la résistance à l’hiver s’observe aussi chez d’autres organismes qu’on trouve partout et qui, eux, ne peuvent pas se déplacer ou se rouler en boule pour échapper au froid ! Il s’agit des végétaux. Eh oui, vous vous imaginez, vous, passer six mois de l’année à des températures négatives, sans bouger une racine, et revivre au printemps comme si de rien n’était ? Ben voyons donc ! Et ça, tous les végétaux terrestres des milieux tempérés et nordiques (ou presque) sont capable de le faire : ils ont chacun leurs «  stratégies »  pour résister à l’hiver, c'est-à-dire, à survire à une période de froid intense accompagné de gel, et de continuer à vivre normalement après cette période.
Mais d’abord, pourquoi devrait-on résister à l’hiver ? C’est vrai ça, pourquoi les plantes ne continuent pas de pousser même par -30°C ? Après tout, elles sont là toute l’année, alors bon, quelques mois de plus ou de moins… Ah mais ça, c’était sans compter le problème du gel. Comme vous le savez certainement, en dessous de 0°C, l’eau gèle (oui bon, pas toujours), elle passe de l’état liquide à l’état solide. Or, les tissus des plantes terrestres sont très gorgés d’eau : entre l’eau nécessaire à la circulation des sèves, l’eau nécessaire aux réactions métaboliques comme la photosynthèse ou la respiration, les végétaux en sont pleins !  On considère que l’eau entre à 90% dans la composition d’une cellule végétale (Raven et al. 2013). Il est donc logique que si la température descend en dessous de zéro, ils vont geler parce qu’ils ne peuvent pas bouger…  Plus particulièrement, lorsque la température descend vers le point de congélation fatidique, on assiste à plusieurs phénomènes, (résumés par Beck et al. 2004) :

·      une augmentation de la viscosité membranaire (souvenez vous, une cellule vivante est délimitée par une membrane constituée d’une double couche de phospholipides, c'est-à-dire des lipides associés à des groupements phosphates), ce qui engendre une perturbation dans les transferts d’ions et autres molécules entre cellules. La viscosité est l’inverse de la fluidité : plus une membrane est fluide, plus les échanges entre le milieu intérieur et extérieur de la cellule sont rapides ; l’activité des protéines transmembranaires (c'est-à-dire les canaux régulateurs des flux au niveau de la membrane : comme au péage sur l’autoroute !)va être facilité par une plus grande fluidité. La fluidité membranaire influe sur tout un tas d’autres paramètres biologiques permettant la vie de la cellule.  Imaginez vous donc lorsque la membrane n’est plus fluide...

·     un métabolisme ralenti (forcément, si plus rien ne circule correctement, comment voulez vous que les informations/nutriments arrivent à l’heure et au bon endroit ?). De plus, certaines protéines essentielles à la bonne marche cellulaire (appelées les enzymes) possèdent un optimum de fonctionnement à une température bien déterminée : si cette température diminue, l’efficacité de ces protéines va diminuer aussi…

·     un décalage entre l’utilisation de l’énergie lumineux et le stockage de cette énergie (sous forme de sucres) : imaginez vous une centrale à vapeur dont on bouche la sortie, au bout d’un moment, si on chauffe toujours de la même manière, ça va péter… eh bien là c’est pareil : les photosystèmes (voir l’article sur l’automne ici) vont recevoir trop d’énergie et ne pourront pas la transférer aux molécules chargées de s’occuper de tout ce trop-plein (l’eau à moitié gelée empêche les réactions…)

Mais aussi, lorsque l’eau gèle, elle est source de stress hydrique pour les plantes. Attention, quand je parle de stress ici, ça ne concerne pas le stress de tout bon parisien qui se respecte à l’idée de rater son métro : en biologie, on parle de stress pour définir toute situation jugée négative pour le bon fonctionnement d’un organisme (par exemple, prédation, parasitisme, manque de nourriture, etc). Bref, lorsque l’eau gèle, elle n’est plus disponible pour les plantes en tant que ressource ! En clair, de l’eau gelée dans le sol, c’est comme pas d’eau du tout : la plante meurt de soif ! Et donc on observe les conséquences classiques du manque d’eau :

·      diminution du volume de protoplasme (= le milieu intracellulaire, pour faire simple) et formation de cristaux de glace à l’extérieur de la cellule (dans les parois rigides)
·         turgescence négative (la plante se « fane »)
·         concentration des solutés cellulaires : moins d’eau disponible mais la même quantité de molécules dans la cellule… un peu comme quand on laisse évaporer de l’eau de mer, on récupère le sel au final !
·         arrêt des processus métaboliques
·         changement de potentiel transmembranaire (phénomène très important chez les organismes, entre autre, cela permet la formation de l’influx nerveux chez les animaux). Le potentiel transmembranaire est la différence de charges électriques, présentes sous forme d’ions positifs et négatifs, de part d’autre de la membrane (dans et à l’extérieur de la cellule).
·         désintégration de la double couche phospholipidique membranaire

Autant dire qu’après tout ça, notre pauvre plante a bien du mal à fonctionner…  Mais alors, comment est-ce possible qu’à chaque printemps, les plantes retrouvent leurs belles couleurs vertes ? Voici les différentes méthodes, chez les plantes terrestres, pour continuer à exister même après un hiver rigoureux.

Stratégie d’évitement : je suis trop rapide pour le froid, je ne vois jamais l’hiver !

Certaines plantes ont ce que l’on appelle un cycle de vie annuel, c'est-à-dire qu’elles germent, se développent, grandissent, se reproduisent, engendrent des descendants et meurent en une seule année, sans jamais voir l’hiver. Les tomates (Solanum lycopersicon), par exemple, ou encore, les haricots verts (Phaseolus sp.), sont des espèces annuelles : on les sème et on les récolte au cours d’une seule année (si si, les tomates ne poussent pas en hiver, je vous assure, oui, même les tomates « bio » du supermarché). Une fois qu’elles ont donné des descendants, elles… meurent. Et les graines passent l’hiver dans le sol. Mais elles ne gèlent pas ? Non, car une graine est un organe de résistance hautement déshydraté et ne pourra germer que si la dormance est levée (voir cet autre article, décidément, on a réponse à tout sur ce blog).
Par voie de conséquence, les plantes annuelles n’ont donc aucun mécanisme de résistance contre le froid et le gel, tout simplement parce qu’elles ne le subissent pas directement.

Stratégie furtive : faites comme si je n’étais pas là !

Ça, c’est pour toutes les plantes qui se cachent sous terre pendant l’hiver. On a l’impression que la plante « meurt » mais en fait elle est juste enterrée bien tranquillement à l’abri du gel, et elle attend le redoux pour montrer le bout de son nez. Quelques exemples : les pommes de terre, mais aussi tous les « plantes à bulbes » ornementales : jacinthes, tulipes et autres crocus, ou encore des espèces bisannuelles comme la carotte. Il ne s’agit pas ici de graine, bien que les structures soient aussi en sommeil pendant l’hiver. Les plantes à bulbes vont avoir en général une saison de végétation au printemps, ce qui va leur permettre d’emmagasiner des réserves dans la partie souterraine (qui est une tige modifiée, voir l'article sur les monocotylédones) et d’avoir produit des fleurs et des graines avant l’arrivée de l’hiver. Pour les plantes bisannuelles comme les carottes, au cours de la première année de croissance, la plante emmagasine des réserves dans sa racine (c’est la grosse carotte orange qu’on retrouve dans nos assiettes). Lorsque l’hiver arrive, les parties aériennes meurent (c'est-à-dire les feuilles), ou tout du moins, deviennent très réduites, et la plante passe l’hiver bien tranquillement sous forme de racine dans le sol. Au printemps suivant, la plante utilise ses réserves présentes dans la racine pour donner des fleurs, qui produiront des graines… puis la plante finit par mourir lorsque l’hiver revient.

Organes souterrains de stockage chez les plantes [Source] (a) la carotte sauvage Daucus carota (b) bulbe d'oignon (c) bulbe de Crocus (d) rhizome d'Iris (e) racines tuberculeuses de Dahlia (f) tubercules de pomme de terre Solanum tuberosum

Stratégie de face-à-face : vas-y, l’hiver, même pas peur !

“Brace yourselves, winter is coming.”

On pourrait résumer l’adaptation des plantes au froid par cette petite phrase, tirée de la bien connue série Game of Thrones. En effet, un des mécanismes clés de la résistance des plantes au froid est la préparation à l’hiver. En particulier, une détection du raccourcissement des journées à l’aide des phytochromes (Beck et al 2007), mais aussi à l’aide de la détection de baisse de températures. Un phytochrome, qu’est ce que c’est ? Pour rester simple, disons que c’est une molécule organique complexe (voir là, sur le site du Missouri Botanical Garden) qui permet à la plante de détecter les variations dans l’intensité lumineuse, en termes de durée et de qualité. Ainsi, la plante va pouvoir détecter que les jours raccourcissent à la fin de l’été, par exemple.
Concernant la détection de baisse de températures, c’est une phytohormone (= une hormone végétale), l’acide abscissique abrégé en ABA, qui va induire de nombreuses réactions cellulaires.
Ainsi, Minami et al. (2004) ont montré le rôle prépondérant de l’ABA chez la mousse Physcomitrella patens. En plaçant des cellules de cette mousse en présence d’ABA à température ambiante, la résistance à une température négative suivant ce traitement était d’autant plus grande que les cellules étaient restées longtemps au contact de l’ABA. En clair, si on ajoute de l’ABA à température ambiante, la mousse passe en mode « esquimau » lorsqu’elle est contact du froid par la suite : elle supporte mieux le froid !

Physcomitrella patens [source]

Et donc, l’ABA va engendrer des modifications morphologiques à l’échelle de la cellule : grosse vacuole fragmentée en plus petites vacuoles (souvenez vous, la vacuole, c’est cette poche d’eau présente dans la cellule qui sert un peu à tout), épaississement de la paroi de la cellule… D’autres choses se passent à l’échelle moléculaire dans la cellule, pas forcément lié à l’action de l’ABA (d’après Beck et al. 2007):

·         changement dans la composition des lipides membranaires. Pour rappel, les membranes sont composées d’une double couche de lipides, plus ou moins mobiles et libres entre eux : avec le froid, il faut une membrane plus résistante !

·   atténuation de l’activité des photosystèmes (zones clés permettant à la plante d’utiliser l’énergie lumineuse), mais accroissement de la capacité à utiliser l’énergie lumineuse pour le transport cyclique des électrons et la phosphorylation (= réaction enzymatique impliquant la fixation d’un phosphate sur une molécule, afin d’augmenter son potentiel énergétique, entre autre… un peu comme charger une batterie de téléphone : il faut un apport d’énergie de l’extérieur pour qu’il puisse ensuite servir !). Autrement dit, le peu d’énergie reçu par la plante va être stocké un maximum sous forme de molécules organiques !

·    transition du métabolisme à base d’amidon vers un métabolisme dominé par les oligosaccharides, qui utilise les sucres simples (sucrose par exemple) comme cryoprotecteurs. En clair, en temps normal, la plante fait des réserves de sucres (qu’elle produit à l’aide de la photosynthèse) sous forme d’amidon (voir photo après). Sauf que cette organisation en loooongues chaines implique un risque de gel plus important. Du coup, la plante va stocker ses sucres, non plus en molécules complexes, mais en molécules simples, qui vont être mélangées à l’eau et empêcher celle-ci de geler.

Sucres simples comme le glucose ou le sucrose (en haut), sucres complexes comme l'amidon (en bas) [Source]

Toujours concernant les sucres, Minami et al. (2004) ont constaté que lors de la préparation à l’hiver, la quantité de sucres en solution dans les cellules augmente… mais pourquoi ? Eh bien le sucre agit comme un antigel. On sait en effet que plus une solution est concentrée en soluté, et plus on abaisse le point de congélation. C’est pour ça qu’on met du sel sur les routes : l’eau mélangée au sel a tendance à geler à plus basse température que 0°C. Et donc, dans notre cellule frigorifiée, les sucres en grandes quantités servent à protéger les protéines du gel – on rappelle que les protéines sont des structures très coûteuses en énergie, difficiles à mettre en place, et qu’il est important pour la plante de préserver.
A des niveaux plus aisément visibles, on observe que les plantes se préparent au froid par différents mécanismes : arrêt de croissance, sénescence des feuilles et parfois abscission (c'est-à-dire la séparation de la feuille et de la tige de manière naturelle et programmée – c’est le terme scientifique pour désigner la chute des feuilles - ces phénomènes sont surtout visibles chez les arbres) , formation des bourgeons et dormance. Ainsi, certains bourgeons spéciaux sont mis en place dès l’été : ce sont les seules structures qui resteront vivantes sur la plante pendant l’hiver, mais ces bourgeons seront en dormance. .
En particulier, lors du gel, des cristaux de glace peuvent se former dans les troncs des arbres (Parker 1963). Jusque là, pas de problème, car la sève ne circule pas en hiver : c’est au printemps, lors de la fonte des cristaux, que l’arbre va subir ce qu’on appelle la cavitation. La fonte des cristaux de glace va engendrer la formation de bulles d’air, qui vont bloquer la colonne d’eau formée entre les racines et le feuillage… c’est le principe des vases communicants : si la colonne d’eau est rompue, le transfert ne peut pas s’effectuer. Heureusement, des mécanismes de poussée racinaire et de traction foliaire assurent la mise en mouvement des bulles, voire la dissolution totale de celles-ci dans la sève.
Les bourgeons des arbres sont dormants pendant l’hiver, c'est-à-dire qu’ils n’ont quasiment plus d’activité de croissance. Ils ne peuvent recommencer leur croissance qu’après avoir subit un nombre prolongé de jours de gel et de froid : le retour des jours plus chauds après l’hiver permet la levée de dormance (j’ai déjà évoqué ce terme dans l’article sur les graines : c’est le même principe avec les bourgeons). Les bourgeons sont également protégés par des écailles pendant l’hiver : ces écailles vont tomber au printemps lorsque les bourgeons « explosent » : on parle de débourrage. C’est toute la difficulté pour l’arbre de ne pas redémarrer son activité juste au sortir de l’hiver, là où les jours sont doux mais où il peut encore geler. Si l’arbre n’a pas subit assez longtemps le froid à la fin de l’automne et au début de l’hiver, il est plus enclin à redémarrer précocement au sortir de l’hiver… et risque de geler en cas de chute brutale des températures. 

Et après ? Que faire lorsqu’on a subit six mois de gel intensif ?

Certaines plantes refusent d’attendre le dégel complet. Qu’à cela ne tienne, je vais faire fondre la neige qui me recouvre ! ben voyons donc, et la marmotte… enfin bref. Il s’avère qu’il existe bien certaines plantes qui pratiquent la thermogenèse. Kesako ? Comme son nom l’indique, c’est un processus de production de chaleur. C’est le cas du chou puant (de son nom scientifique Symplocarpus fœtidus), qui va faire fondre la neige qui l’entoure (Gibernau & Barabé, 2007) pour pointer sa fleur à la surface !

Symplocarpus foetidus au printemps [Source]

Pour faire simple, la chaleur est produite par la mitochondrie (autrement appelée centrale énergétique de la cellule : c’est là entre autre que se produit la respiration cellulaire). Et par la suite, la chaleur est dispersée dans l’environnement, à un tel niveau qu’elle fait fondre la neige aux alentours… Le chou puant peut ainsi faire augmenter sa propre température jusqu’à une trentaine de degrés ! En plus, la chaleur disperse l’odeur de charogne produite par la plante, ce qui attire les mouches, qui sont ses pollinisateurs attitrés.

Le mot de la fin

Fait que pour conclure, bah, les plantes, elles sont crissement bien adaptées au froid ! Mais ‘stie qu’y fait frette icitte, moi j’aimerai quand même retrouver un peu de printemps, j’ai pas autant de résistance au froid !!!

Bibliographie

Gibernau & Barabé. 2007. Des plantes à sang chaud. Pour la science, n°359 - septembre 2007. http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-des-fleurs-a-sang-chaud-19419.php 

Beck, Heim, Hansen. 2004. Plant resistance to cold stress: Mechanisms and environmental signals triggering frost hardening and dehardening. J. Biosci. 29(4), 449–459

Minami, Nagao, Arakawa, Fujikawa, Takezawa. 2006. Physiological and morphological alterations associated with development of freezing tolerance in the moss Physcomitrella patens. Cold hardiness in plants : molecular genetics, cell biology and physiology – ed. Chen et al. – p. 138

Beck, Fettig, Knake, Hartig, Bhattarai. 2007. Specific and unspecific responses of plants to cold and drought stress. J. Biosci. 32(3), 501-510

Parker. 1963. Cold Resistance in Woody Plants. Botanical Review. 29(2), pp. 123-201

Raven et al. 2013. Biology of plants. 8ème édition.

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