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lundi 19 mai 2014

Bdelloïdes, vedettes déchues dans l’ombre des tardigrades

Bravant des épreuves hautement mortelles pour l’homme, de la dessiccation extrême aux radiations ionisantes en passant par des températures glaciales, ces êtres s’affirment pleinement dans leur vie microscopique répandus aux quatre coins du monde. N’en déplaise aux tardigrades, pour une fois changeons de vedettes. Car il se pourrait bien que ces derniers soient détrônés dans leur toute-puissance par une créature oubliée de beaucoup, qui côtoie de très près nos oursons d’eau et qui présente des caractéristiques pour le moins déroutantes… J’ai nommé (avec tout le suspens que le titre n’a pas su garder)… les bdelloïdes !


Leur apparence peu banale rend les rotifères bdelloïdes encore plus intéressants (Source)


C’est quoi ça ?


Toujours la même histoire, les gens ne connaissent que les belles gueules, les choupis, les mignons-tout-plein. Alors forcément « tardigrade » ça sonne plus de cloches que « bdelloïdes ». J’avoue que les premiers sont adorables avec leur petit corps tout rond et leurs huit petites patounes qui s’agitent dans tous les sens… Non, non, non, revenons à nos bdelloïdes, ils sont pas mal non plus après tout, dans leur genre. Les bdelloïdes font partie des rotifères (pour les curieux, le dernier arbre phylogénétique suggéré se trouve à la fin de cet article), et ce sont bien des animaux malgré leur corps tout bizarroïde. Tout comme les tardigrades, ils sont microscopiques et on les trouve dans les milieux relativement humides, depuis des lacs et étangs jusqu’à des milieux terrestres riches en eau comme les mousses ou lichens. Mettons de côté leur intéressante morphologie pour cette fois, avec tout de même une petite illustration par l’image :


 

 

Le syndrome de la Belle-au-bois-dormant


Mon introduction promettait quand même des informations plus sensationnelles alors entrons dans le vif du sujet. Une des exceptionnelles qualités des bdelloïdes est leur capacité à dormir. Dès que les conditions rendent la survie fortement compromettante, ni une ni deux ils passent en mode mort-vivant, en arrêtant toute activité et en réduisant leur métabolisme à un tel point qu’il en devient indétectable. Lorsque le milieu s’assèche, ce qui est relativement courant dans la mousse par exemple, ils entrent dans un état d’anhydrobiose, se desséchant également, perdant 60% de leur volume et se transformant en une boule compacte et immobile. Et puis ils reprennent leur vie, tranquillement, une fois le milieu de nouveau humide. Cette capacité d’anhydrobiose est cependant partagée par de nombreux organismes vivant dans ces milieux à déshydratation fréquente.

Là où les bdelloïdes s’illustrent, c’est dans une autre forme de dormance. Quand la nourriture vient à manquer, plutôt que de mourir de faim, nos bestioles vont bouder dans leur coin en attendant que ça se passe, arrêtant au passage toute activité. Ils sont ainsi capables de survivre à une absence de nourriture plus longue que leur propre durée de vie (30 jours). Et si la disette dure 40 jours, 60% des individus seront capables de reprendre leur vie comme si de rien n’était et de se reproduire dans les quelques jours qui suivent le retour à la normale. Ainsi que l’ont souligné Ricci & Fontaneto dans leur superbe article de 2009, c’est comme si on mettait une centaine d’humains à la diète totale pendant 100 ans, et qu’une soixantaine survivaient jusqu’au bout, puis se goinfraient un petit coup et faisaient des gosses, l’air de rien…

Cette capacité illustre un phénomène assez étrange lorgné par beaucoup d’humains. Contrairement à d’autres organismes capables de dormance extrême, tels que des nématodes qui résistent également à la dessiccation (mais pas au manque de nourriture), les bdelloïdes, à l’instar des tardigrades, ne vieillissent pas quand ils dorment ! Tels des Belles-au-bois-dormant microscopiques, ils sont plongés dans un sommeil qui préservera leur jeunesse jusqu’à l’arrivée de leur prince charmant à eux.


Malgré les apparences, beaucoup de points communs entre ces deux créatures… Le bdelloïde, sous forme déshydratée, est tirée de la review de Ricci & 2009 (prise par Giulio Melone)


Encore mieux, il semblerait même que ces longues siestes obligatoires, qui nous apparaissent comme une contrainte à leur survie, soient en fait un véritable élixir de jouvence pour eux. Non contents d’en sortir tout frais à leur réveil, les études chez certaines espèces montrent que les mères ayant subi une dessiccation produisent une descendance avec une aptitude phénotypique plus élevée, autrement dit une descendance qui se porte mieux et qui vit plus vieux ! Probablement en cause une autre de leur délicieuses particularité, la capacité à réparer leur ADN (Gladyshev & Meselson 2008). Les épisodes de dormance étant source de dégâts dans leur matériel génétique, leur capacité à le régénérer est indispensable. Il semblerait cependant que ces processus de réparation aient également des effets bénéfiques sur des traits autres que la résistance à la dessiccation. A tel point que les bdelloïdes seraient presque dépendants de ces évènements de forte sécheresse : il a été montré que l’aptitude phénotypique des populations maintenues hydratée déclinait comparée à celles qui subissent des stress hydriques cycliques !

Ainsi protégés en boules compactes imperméables aux dangers extérieurs, les bdelloïdes  agissent comme des petites graines, jouant le rôle de propagules se dispersant dans tous les milieux, à tel point qu’ils sont abondants jusqu’en Antarctique et qu’on les trouve même dans des milieux montagneux au dessus de 4000 m (Sohlenius & Bostrom 2005 ; Fontaneto & Ricci 2006), du haut de leurs 450 espèces déjà décrites et probablement des centaines d’autres à découvrir.

Si vous n’êtes pas encore épatés par ces êtres microscopiques qui dominent déjà le monde, peut-être une petite information supplémentaire devrait faire son petit effet : chez les bdelloïdes, il n’y a que des filles !


Sans sexe, tout va bien 


Cette dernière caractéristique, qui n’en est pas moins extraordinaire, leur a valu leur qualification par le grand Maynard Smith (1986) de « Scandales évolutionnaires » ! En effet, les bdelloïdes constituent le groupe le plus large et le plus vieux (ils ont été trouvés dans de l’ambre vieille de 35 à 40 millions d’années) présentant des évidences de reproduction asexuée sur le long terme. Comme toutes les espèces du groupe la pratiquent, cette caractéristique est sans doute apparue chez un de leurs ancêtres à tous. Ainsi, on ne trouve que des femelles chez les bdelloïdes, qui produisent des filles par le phénomène de parthénogenèse. Si cette reproduction est bien connue chez beaucoup d’autres espèces (citons les pucerons par exemple), elle est généralement alternée avec des reproductions classiques avec des mâles. Mais pas chez les bdelloïdes. Le groupe ne contient aucun mâle et s’en sort pourtant très bien (une petite leçon à tirer ?).

(Source)

L’impact le plus important d’une absence de reproduction sexuée concerne leur matériel génétique : aucune occasion de mixer les ADN des pères et mères pour obtenir une diversité qui pourrait coller à celle observée. Qu’à cela ne tienne, les bdelloïdes ont plus d’un tour dans leur grand sac et disposent d’un mécanisme capable de générer de la diversité : la capacité suggérée d’effectuer du transfert horizontal de gènes ! Ils seraient ainsi capables, pendant leur processus de réparation de l’ADN, d’incorporer dans leur génome des gènes trouvés dans leur environnement. En somme ils font de la récupération à leur échelle et se bricolent un génome comme des grands !


Applaudissons les artistes


Pour résumer, nous avons des organismes capables de se reproduire sans sexe, de se diversifier sans se mixer entre eux, de moduler leur ADN, de survivre à des stress les plus extrêmes, d’arrêter de vieillir momentanément, et qui ont réussi à coloniser la planète entière (on trouve même des espèces marines !), tout ça en étant microscopiques et inconnus de tous ! Quand bien même il suffit de se baisser (et d’avoir une bonne loupe) pour en observer… J’espère que cet article leur aura apporté leur petit moment de gloire qu’ils méritent amplement !


Dernières suggestion phylogénétique de l’équipe Wey-Fabrizius et al. publiée en février dernier. De manière intéressante, les bdelloïdes, comparé à leurs frères acanthocéphales, ont une biologie complètement différente ! Ces derniers sont parasites obligatoires manipulateurs de leurs hôtes




Bibliographie


Vous retrouverez une grande partie de ces infos dans cette Review à la lecture particulièrement agréable :
  • Ricci, C. & Fontaneto, D. 2009. The importance of being a bdelloid : Ecological and evolutionary consequences of dormancy. Italian Journal of Zoology, 76, 240-249.

Et une autre mini-review plutôt portée sur l’aspect génétique :
  • Rice, W. & Friberg, U. 2007. Genomic clues to an ancient asexual scandal. Genome Biology, 8, 232



Sophie Labaude

dimanche 6 avril 2014

Petit guide de la résistance au froid, partie 2 : les plantes terrestres

Haha, bande de veinards ! Alors que l’Europe se réchauffe (enfin !) sous les rayons printaniers du soleil précoce, au Québec, c’est toujours l’hiver. Le vrai. Celui où les mots gèlent en sortant de la bouche. Et où tes sourcils restent figés lorsque tu fais la grimace, tellement ils sont plein de givre.
Bon, j’exagère… mais à peine. Pour preuve, une photo d’actualité :

Après la pluie, dans les Laurentides

Sophie vous a déjà parlé des mécanismes chez les animaux qui permettent de vivre par très basse température (voir ici). Mais la résistance à l’hiver s’observe aussi chez d’autres organismes qu’on trouve partout et qui, eux, ne peuvent pas se déplacer ou se rouler en boule pour échapper au froid ! Il s’agit des végétaux. Eh oui, vous vous imaginez, vous, passer six mois de l’année à des températures négatives, sans bouger une racine, et revivre au printemps comme si de rien n’était ? Ben voyons donc ! Et ça, tous les végétaux terrestres des milieux tempérés et nordiques (ou presque) sont capable de le faire : ils ont chacun leurs «  stratégies »  pour résister à l’hiver, c'est-à-dire, à survire à une période de froid intense accompagné de gel, et de continuer à vivre normalement après cette période.
Mais d’abord, pourquoi devrait-on résister à l’hiver ? C’est vrai ça, pourquoi les plantes ne continuent pas de pousser même par -30°C ? Après tout, elles sont là toute l’année, alors bon, quelques mois de plus ou de moins… Ah mais ça, c’était sans compter le problème du gel. Comme vous le savez certainement, en dessous de 0°C, l’eau gèle (oui bon, pas toujours), elle passe de l’état liquide à l’état solide. Or, les tissus des plantes terrestres sont très gorgés d’eau : entre l’eau nécessaire à la circulation des sèves, l’eau nécessaire aux réactions métaboliques comme la photosynthèse ou la respiration, les végétaux en sont pleins !  On considère que l’eau entre à 90% dans la composition d’une cellule végétale (Raven et al. 2013). Il est donc logique que si la température descend en dessous de zéro, ils vont geler parce qu’ils ne peuvent pas bouger…  Plus particulièrement, lorsque la température descend vers le point de congélation fatidique, on assiste à plusieurs phénomènes, (résumés par Beck et al. 2004) :

·      une augmentation de la viscosité membranaire (souvenez vous, une cellule vivante est délimitée par une membrane constituée d’une double couche de phospholipides, c'est-à-dire des lipides associés à des groupements phosphates), ce qui engendre une perturbation dans les transferts d’ions et autres molécules entre cellules. La viscosité est l’inverse de la fluidité : plus une membrane est fluide, plus les échanges entre le milieu intérieur et extérieur de la cellule sont rapides ; l’activité des protéines transmembranaires (c'est-à-dire les canaux régulateurs des flux au niveau de la membrane : comme au péage sur l’autoroute !)va être facilité par une plus grande fluidité. La fluidité membranaire influe sur tout un tas d’autres paramètres biologiques permettant la vie de la cellule.  Imaginez vous donc lorsque la membrane n’est plus fluide...

·     un métabolisme ralenti (forcément, si plus rien ne circule correctement, comment voulez vous que les informations/nutriments arrivent à l’heure et au bon endroit ?). De plus, certaines protéines essentielles à la bonne marche cellulaire (appelées les enzymes) possèdent un optimum de fonctionnement à une température bien déterminée : si cette température diminue, l’efficacité de ces protéines va diminuer aussi…

·     un décalage entre l’utilisation de l’énergie lumineux et le stockage de cette énergie (sous forme de sucres) : imaginez vous une centrale à vapeur dont on bouche la sortie, au bout d’un moment, si on chauffe toujours de la même manière, ça va péter… eh bien là c’est pareil : les photosystèmes (voir l’article sur l’automne ici) vont recevoir trop d’énergie et ne pourront pas la transférer aux molécules chargées de s’occuper de tout ce trop-plein (l’eau à moitié gelée empêche les réactions…)

Mais aussi, lorsque l’eau gèle, elle est source de stress hydrique pour les plantes. Attention, quand je parle de stress ici, ça ne concerne pas le stress de tout bon parisien qui se respecte à l’idée de rater son métro : en biologie, on parle de stress pour définir toute situation jugée négative pour le bon fonctionnement d’un organisme (par exemple, prédation, parasitisme, manque de nourriture, etc). Bref, lorsque l’eau gèle, elle n’est plus disponible pour les plantes en tant que ressource ! En clair, de l’eau gelée dans le sol, c’est comme pas d’eau du tout : la plante meurt de soif ! Et donc on observe les conséquences classiques du manque d’eau :

·      diminution du volume de protoplasme (= le milieu intracellulaire, pour faire simple) et formation de cristaux de glace à l’extérieur de la cellule (dans les parois rigides)
·         turgescence négative (la plante se « fane »)
·         concentration des solutés cellulaires : moins d’eau disponible mais la même quantité de molécules dans la cellule… un peu comme quand on laisse évaporer de l’eau de mer, on récupère le sel au final !
·         arrêt des processus métaboliques
·         changement de potentiel transmembranaire (phénomène très important chez les organismes, entre autre, cela permet la formation de l’influx nerveux chez les animaux). Le potentiel transmembranaire est la différence de charges électriques, présentes sous forme d’ions positifs et négatifs, de part d’autre de la membrane (dans et à l’extérieur de la cellule).
·         désintégration de la double couche phospholipidique membranaire

Autant dire qu’après tout ça, notre pauvre plante a bien du mal à fonctionner…  Mais alors, comment est-ce possible qu’à chaque printemps, les plantes retrouvent leurs belles couleurs vertes ? Voici les différentes méthodes, chez les plantes terrestres, pour continuer à exister même après un hiver rigoureux.

Stratégie d’évitement : je suis trop rapide pour le froid, je ne vois jamais l’hiver !

Certaines plantes ont ce que l’on appelle un cycle de vie annuel, c'est-à-dire qu’elles germent, se développent, grandissent, se reproduisent, engendrent des descendants et meurent en une seule année, sans jamais voir l’hiver. Les tomates (Solanum lycopersicon), par exemple, ou encore, les haricots verts (Phaseolus sp.), sont des espèces annuelles : on les sème et on les récolte au cours d’une seule année (si si, les tomates ne poussent pas en hiver, je vous assure, oui, même les tomates « bio » du supermarché). Une fois qu’elles ont donné des descendants, elles… meurent. Et les graines passent l’hiver dans le sol. Mais elles ne gèlent pas ? Non, car une graine est un organe de résistance hautement déshydraté et ne pourra germer que si la dormance est levée (voir cet autre article, décidément, on a réponse à tout sur ce blog).
Par voie de conséquence, les plantes annuelles n’ont donc aucun mécanisme de résistance contre le froid et le gel, tout simplement parce qu’elles ne le subissent pas directement.

Stratégie furtive : faites comme si je n’étais pas là !

Ça, c’est pour toutes les plantes qui se cachent sous terre pendant l’hiver. On a l’impression que la plante « meurt » mais en fait elle est juste enterrée bien tranquillement à l’abri du gel, et elle attend le redoux pour montrer le bout de son nez. Quelques exemples : les pommes de terre, mais aussi tous les « plantes à bulbes » ornementales : jacinthes, tulipes et autres crocus, ou encore des espèces bisannuelles comme la carotte. Il ne s’agit pas ici de graine, bien que les structures soient aussi en sommeil pendant l’hiver. Les plantes à bulbes vont avoir en général une saison de végétation au printemps, ce qui va leur permettre d’emmagasiner des réserves dans la partie souterraine (qui est une tige modifiée, voir l'article sur les monocotylédones) et d’avoir produit des fleurs et des graines avant l’arrivée de l’hiver. Pour les plantes bisannuelles comme les carottes, au cours de la première année de croissance, la plante emmagasine des réserves dans sa racine (c’est la grosse carotte orange qu’on retrouve dans nos assiettes). Lorsque l’hiver arrive, les parties aériennes meurent (c'est-à-dire les feuilles), ou tout du moins, deviennent très réduites, et la plante passe l’hiver bien tranquillement sous forme de racine dans le sol. Au printemps suivant, la plante utilise ses réserves présentes dans la racine pour donner des fleurs, qui produiront des graines… puis la plante finit par mourir lorsque l’hiver revient.

Organes souterrains de stockage chez les plantes [Source] (a) la carotte sauvage Daucus carota (b) bulbe d'oignon (c) bulbe de Crocus (d) rhizome d'Iris (e) racines tuberculeuses de Dahlia (f) tubercules de pomme de terre Solanum tuberosum

Stratégie de face-à-face : vas-y, l’hiver, même pas peur !

“Brace yourselves, winter is coming.”

On pourrait résumer l’adaptation des plantes au froid par cette petite phrase, tirée de la bien connue série Game of Thrones. En effet, un des mécanismes clés de la résistance des plantes au froid est la préparation à l’hiver. En particulier, une détection du raccourcissement des journées à l’aide des phytochromes (Beck et al 2007), mais aussi à l’aide de la détection de baisse de températures. Un phytochrome, qu’est ce que c’est ? Pour rester simple, disons que c’est une molécule organique complexe (voir là, sur le site du Missouri Botanical Garden) qui permet à la plante de détecter les variations dans l’intensité lumineuse, en termes de durée et de qualité. Ainsi, la plante va pouvoir détecter que les jours raccourcissent à la fin de l’été, par exemple.
Concernant la détection de baisse de températures, c’est une phytohormone (= une hormone végétale), l’acide abscissique abrégé en ABA, qui va induire de nombreuses réactions cellulaires.
Ainsi, Minami et al. (2004) ont montré le rôle prépondérant de l’ABA chez la mousse Physcomitrella patens. En plaçant des cellules de cette mousse en présence d’ABA à température ambiante, la résistance à une température négative suivant ce traitement était d’autant plus grande que les cellules étaient restées longtemps au contact de l’ABA. En clair, si on ajoute de l’ABA à température ambiante, la mousse passe en mode « esquimau » lorsqu’elle est contact du froid par la suite : elle supporte mieux le froid !

Physcomitrella patens [source]

Et donc, l’ABA va engendrer des modifications morphologiques à l’échelle de la cellule : grosse vacuole fragmentée en plus petites vacuoles (souvenez vous, la vacuole, c’est cette poche d’eau présente dans la cellule qui sert un peu à tout), épaississement de la paroi de la cellule… D’autres choses se passent à l’échelle moléculaire dans la cellule, pas forcément lié à l’action de l’ABA (d’après Beck et al. 2007):

·         changement dans la composition des lipides membranaires. Pour rappel, les membranes sont composées d’une double couche de lipides, plus ou moins mobiles et libres entre eux : avec le froid, il faut une membrane plus résistante !

·   atténuation de l’activité des photosystèmes (zones clés permettant à la plante d’utiliser l’énergie lumineuse), mais accroissement de la capacité à utiliser l’énergie lumineuse pour le transport cyclique des électrons et la phosphorylation (= réaction enzymatique impliquant la fixation d’un phosphate sur une molécule, afin d’augmenter son potentiel énergétique, entre autre… un peu comme charger une batterie de téléphone : il faut un apport d’énergie de l’extérieur pour qu’il puisse ensuite servir !). Autrement dit, le peu d’énergie reçu par la plante va être stocké un maximum sous forme de molécules organiques !

·    transition du métabolisme à base d’amidon vers un métabolisme dominé par les oligosaccharides, qui utilise les sucres simples (sucrose par exemple) comme cryoprotecteurs. En clair, en temps normal, la plante fait des réserves de sucres (qu’elle produit à l’aide de la photosynthèse) sous forme d’amidon (voir photo après). Sauf que cette organisation en loooongues chaines implique un risque de gel plus important. Du coup, la plante va stocker ses sucres, non plus en molécules complexes, mais en molécules simples, qui vont être mélangées à l’eau et empêcher celle-ci de geler.

Sucres simples comme le glucose ou le sucrose (en haut), sucres complexes comme l'amidon (en bas) [Source]

Toujours concernant les sucres, Minami et al. (2004) ont constaté que lors de la préparation à l’hiver, la quantité de sucres en solution dans les cellules augmente… mais pourquoi ? Eh bien le sucre agit comme un antigel. On sait en effet que plus une solution est concentrée en soluté, et plus on abaisse le point de congélation. C’est pour ça qu’on met du sel sur les routes : l’eau mélangée au sel a tendance à geler à plus basse température que 0°C. Et donc, dans notre cellule frigorifiée, les sucres en grandes quantités servent à protéger les protéines du gel – on rappelle que les protéines sont des structures très coûteuses en énergie, difficiles à mettre en place, et qu’il est important pour la plante de préserver.
A des niveaux plus aisément visibles, on observe que les plantes se préparent au froid par différents mécanismes : arrêt de croissance, sénescence des feuilles et parfois abscission (c'est-à-dire la séparation de la feuille et de la tige de manière naturelle et programmée – c’est le terme scientifique pour désigner la chute des feuilles - ces phénomènes sont surtout visibles chez les arbres) , formation des bourgeons et dormance. Ainsi, certains bourgeons spéciaux sont mis en place dès l’été : ce sont les seules structures qui resteront vivantes sur la plante pendant l’hiver, mais ces bourgeons seront en dormance. .
En particulier, lors du gel, des cristaux de glace peuvent se former dans les troncs des arbres (Parker 1963). Jusque là, pas de problème, car la sève ne circule pas en hiver : c’est au printemps, lors de la fonte des cristaux, que l’arbre va subir ce qu’on appelle la cavitation. La fonte des cristaux de glace va engendrer la formation de bulles d’air, qui vont bloquer la colonne d’eau formée entre les racines et le feuillage… c’est le principe des vases communicants : si la colonne d’eau est rompue, le transfert ne peut pas s’effectuer. Heureusement, des mécanismes de poussée racinaire et de traction foliaire assurent la mise en mouvement des bulles, voire la dissolution totale de celles-ci dans la sève.
Les bourgeons des arbres sont dormants pendant l’hiver, c'est-à-dire qu’ils n’ont quasiment plus d’activité de croissance. Ils ne peuvent recommencer leur croissance qu’après avoir subit un nombre prolongé de jours de gel et de froid : le retour des jours plus chauds après l’hiver permet la levée de dormance (j’ai déjà évoqué ce terme dans l’article sur les graines : c’est le même principe avec les bourgeons). Les bourgeons sont également protégés par des écailles pendant l’hiver : ces écailles vont tomber au printemps lorsque les bourgeons « explosent » : on parle de débourrage. C’est toute la difficulté pour l’arbre de ne pas redémarrer son activité juste au sortir de l’hiver, là où les jours sont doux mais où il peut encore geler. Si l’arbre n’a pas subit assez longtemps le froid à la fin de l’automne et au début de l’hiver, il est plus enclin à redémarrer précocement au sortir de l’hiver… et risque de geler en cas de chute brutale des températures. 

Et après ? Que faire lorsqu’on a subit six mois de gel intensif ?

Certaines plantes refusent d’attendre le dégel complet. Qu’à cela ne tienne, je vais faire fondre la neige qui me recouvre ! ben voyons donc, et la marmotte… enfin bref. Il s’avère qu’il existe bien certaines plantes qui pratiquent la thermogenèse. Kesako ? Comme son nom l’indique, c’est un processus de production de chaleur. C’est le cas du chou puant (de son nom scientifique Symplocarpus fœtidus), qui va faire fondre la neige qui l’entoure (Gibernau & Barabé, 2007) pour pointer sa fleur à la surface !

Symplocarpus foetidus au printemps [Source]

Pour faire simple, la chaleur est produite par la mitochondrie (autrement appelée centrale énergétique de la cellule : c’est là entre autre que se produit la respiration cellulaire). Et par la suite, la chaleur est dispersée dans l’environnement, à un tel niveau qu’elle fait fondre la neige aux alentours… Le chou puant peut ainsi faire augmenter sa propre température jusqu’à une trentaine de degrés ! En plus, la chaleur disperse l’odeur de charogne produite par la plante, ce qui attire les mouches, qui sont ses pollinisateurs attitrés.

Le mot de la fin

Fait que pour conclure, bah, les plantes, elles sont crissement bien adaptées au froid ! Mais ‘stie qu’y fait frette icitte, moi j’aimerai quand même retrouver un peu de printemps, j’ai pas autant de résistance au froid !!!

Bibliographie

Gibernau & Barabé. 2007. Des plantes à sang chaud. Pour la science, n°359 - septembre 2007. http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-des-fleurs-a-sang-chaud-19419.php 

Beck, Heim, Hansen. 2004. Plant resistance to cold stress: Mechanisms and environmental signals triggering frost hardening and dehardening. J. Biosci. 29(4), 449–459

Minami, Nagao, Arakawa, Fujikawa, Takezawa. 2006. Physiological and morphological alterations associated with development of freezing tolerance in the moss Physcomitrella patens. Cold hardiness in plants : molecular genetics, cell biology and physiology – ed. Chen et al. – p. 138

Beck, Fettig, Knake, Hartig, Bhattarai. 2007. Specific and unspecific responses of plants to cold and drought stress. J. Biosci. 32(3), 501-510

Parker. 1963. Cold Resistance in Woody Plants. Botanical Review. 29(2), pp. 123-201

Raven et al. 2013. Biology of plants. 8ème édition.

lundi 1 juillet 2013

Prenez en de la graine !

Ce matin, j’ai reçu un mail qui disait ceci : « Salut ! Une amie m’a ramené une graine de Baobab de Madagascar. J’ai beau avoir tout essayé, rien n’y fait, pas de petit Baobab en vue… Comment cela se fait il ? Pourquoi, en revanche, quand je mets des lentilles à germer sur un coton humide, ces petites graines donnent des plantules au bout de quelques jours ? C’est injuste ! »
Aujourd’hui, comme vous aurez pu vous en douter, je vais tenter de répondre à cette question : pourquoi certaines graines germent elles en quelques jours quand d’autres restent tout simplement endormies ?
D’abord, rappelons-nous ce qu’est une graine. D’après l’Encyclopaedia Universalis, la graine correspond à « un organe de dissémination résultant de la transformation d'un ovule : après la fécondation, ou même sans accomplissement d'un processus sexuel (agamospermie), un embryon est formé dans le prothalle femelle (gamétophyte) ; dans un tissu entourant l'embryon, ou dans l'embryon lui-même, des réserves sont accumulées, que celui-ci consommera lors de la germination ; simultanément, les téguments ovulaires se transforment en une carapace mortifiée, plus ou moins dure et imperméable, protégeant l'embryon et les réserves. »
Oulala, que de mots compliqués dans cette définition ! On va reformuler ça de manière plus simple. Mais d’abord, souvenons-nous que nous avons tous, au moins une fois dans notre vie, observé de manière plus ou moins attentive une graine à la loupe. En général, cela se déroule au collège et la graine en question est un haricot coupé en deux… Voici une photo qui va raviver les souvenirs :

Une graine de haricot coupée en deux. Source

 Et pour plus de précisions, voici comment on arrive à la graine, en partant de la fleur, après fécondation :
Transformation de la fleur en fruit. Source
Transformation de la fleur en fruit. Source

D’après ces schémas, la graine est donc un ovule transformé, en général après fécondation (rappelons que la fécondation est l’union d’un gamète mâle et d’un gamète femelle), qui est protégé par le fruit (anciennement le pistil, avant fécondation). Il faut aussi savoir que dans la graine, une fois que les réserves auront été stockées, l’embryon formé après fécondation va cesser de se développer et va être très fortement déshydraté (parfois jusqu’à 95% de déshydratation !). Gardez ça en tête pour la suite.
Or donc, toutes les graines ne vont pas pouvoir germer de la même manière. Mais pourquoi cela ?
Pour qu’une graine germe, il faut qu’elle soit placée dans des conditions optimales de germination. Ainsi, si l’on veut s’amuser à faire germer des lentilles, il suffira de les humidifier et de les placer sur un coton humide… et quelques jours plus tard, on obtiendra une petite pousse verte.
Mais certaines graines ne poussent pas, même si on les arrose. Si elles ne donnent aucun signe d’activité, c’est parce qu’il n’y a pas eu ce que l’on appelle la levée de dormance. La dormance est une « absence de développement d’un bourgeon ou d’une graine malgré les conditions écologiques favorables. » Il s’agit en particulier d’une « stratégie adaptative pour passer la mauvaise saison. » [1]
En clair, même si la graine est disposée dans des conditions idéales de germination, elle ne germera pas, car il n’y aura pas eu un signal préalable déclenchant la germination.
Je m’explique. Prenons par exemple des graines bien connues des enfants des régions tempérées : les marrons, qui sont les graines du Marronnier d’Inde Aesculus hippocastanum .

Quelques marrons. Source

Les marrons sont produits à la fin de l’été et se retrouvent au sol au début de l’automne, où ils vont passer l’hiver enfouis sous les feuilles mortes (s’ils n’ont pas été mangés entre temps par les sangliers ou autres animaux). Ils germeront par la suite au printemps. Cela semble évident… mais pourtant, on ne voit pas de marrons germer avant l’hiver, ce qui semble logique puisque la plantule qui aurait sorti ses feuilles délicates en octobre ne ferait pas long feu en décembre… Quoi que, avec la météo actuelle, on pourrait se poser des questions… mais ceci est un autre sujet !
Eh bien, il existe une explication simple pour que la graine germe au « bon moment », c'est-à-dire après l’hiver : il est nécessaire que la graine ait subi une période de gel, ou tout du moins de froid continu, pour que la dormance soit levée et que la graine puisse germer. Sans cette période de gel, et même si la graine est placée dès l’automne dans des conditions optimales de croissance (redoux soudain, culture sous serre…), elle ne germera pas.
Bien évidement, s’il suffisait uniquement d’appliquer une période de gel pour faire sortir les graines de leur dormance, ça serait beaucoup trop simple… En effet, il existe plusieurs types de dormance.
Certaines graines ne possèdent même pas de phase de dormance : au contact de l’eau, les tissus de la graine vont s’imbiber puis l’embryon va utiliser les réserves pour grandir (une observation flagrante est l’augmentation de la taille de la radicule, qui va percer l’enveloppe de la graine).

Les autres graines sont soumises à une dormance qui peut être de plusieurs types [2] :
1) La dormance physiologique : elle est levée par des écarts de températures prolongés. C’est le cas chez un grand nombre de plantes à fleurs telles que les tomates, l’avoine, ou encore le tabac. C’est aussi le cas pour l’exemple que j’ai précédemment utilisé avec les marrons. Pour « tricher » avec de telles graines, on peut tout simplement les mettre au frigo un certain temps pour simuler l’hiver !
2) La dormance morphologique : cette fois, l’embryon n’est pas complètement fini dans la graine, c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate, même en présence de conditions optimales. L’embryon doit donc continuer à se développer alors même que la graine a été séparée de la plante mère : c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate même si la graine est située en conditions idéales.
3) La dormance physique : la graine est protégée par une enveloppe totalement imperméable… et donc l’eau ne peut pas atteindre les tissus internes et ne peut pas réhydrater l’embryon. Sans eau, pas de croissance possible ! Il est donc nécessaire d’avoir une action physique sur la graine pour que celle-ci puisse germer. Par exemple, il faut une abrasion mécanique (les tissus protecteurs de la graine doivent être dégradés par frottements, par broyage…) ou chimique (la graine peut être avalée par un animal et subir un traitement chimique acide dans l’estomac… pour ensuite ressortir de l’autre côté et être prête à germer !)
Bien évidement, il existe des intermédiaires entre ces trois catégories : dormance morpho-physiologique par exemple…

Concernant l’histoire de la graine de Baobab qui ne veut pas germer il est fort possible que la dormance de cette graine n’ait pas été levée. Dans les régions tempérées froides, c’est le froid qui est responsable de la levée de dormance… entre autres facteurs. Mais dans les régions tropicales chaudes, c’est plutôt la chaleur ! En effet, les graines vont avoir tendance à germer lorsqu’il fait le plus frais : une grosse période de chaleur est donc nécessaire pour lever la dormance.
En parlant de lever de dormance, savez vous que grâce à cette protection supplémentaire, on retrouve encore des graines qui ont plus de mille ans… et qui sont encore capables de germer ? C’est le cas des graines de Lotus Nelumbo nucifera, retrouvées dans des sédiments d’un ancien lac de Chine, qui ont été mises à germer… et qui ont poussé ! [3]
Fleur de Lotus Sacré. Source : photo perso
Graines de Lotus. Source

Pour avoir moi-même fait l’expérience, ces graines ne germent que si la protection externe est suffisamment abimée pour que l’eau puisse atteindre l’intérieur de la graine. Il s’agit ici d’une dormance physique, qui ne peut être levée que si la coque est abrasée par une action mécanique. Ainsi, les graines de Lotus retrouvées dans les sédiments ont été abrasées mécaniquement à l’aide de papier de verre pour que l’eau puisse pénétrer à l’intérieur. Rendez vous compte que pendant un millénaire, ces graines sont restées en sommeil en attendant de pouvoir redonner un organisme fonctionnel et complet !
C’est à cette occasion que l’on s’aperçoit que les végétaux nous réservent encore et toujours de nouvelles surprises !

Bibliographie
[1] Introduction à la botanique, G. Ducreux, ed. Belin, 2002
[2] Seed dormancy and the control of germination, W. E. Finch-Savage and G. Leubner-Metzger, New Phytologist (2006) 171:501–523

[3] Exceptional seed longevity and robust growth: ancient sacred Lotus from China, J. Shen-Miller, M.B. Mudgett, J.W. Schopf, S. Clarke, R. Berger, American Journal of Botany (1995) 82:1367-1380   
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