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lundi 1 juin 2020

Allergies saisonnières et sexisme botanique

Le printemps est là ! Pour moi, c’est synonyme d’activité de jardinage intense et d’observation des petites pousses qui sortent de terre… sans oublier la chasse aux insectes et autres bestioles qui daignent enfin montrer le bout de leurs pattes ! Mais pour d’autres personnes, c’est l’enfer car… les allergies au pollen sont de retour ! Nez qui coule, yeux rouges et gorge qui gratte, ça vous dit quelque chose ? Mais pourquoi observe-t-on ce phénomène particulièrement au printemps ? Pourquoi les allergies sont plus intenses en ville ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans cet article.

Est ce que vous ressemblez à ça au printemps ? (source)

D’abord, c’est quoi une allergie ?

Bien qu’étant docteur, je ne suis pas médecin, alors je vais m’en tenir à des explications assez simples sur le type d’allergies qui nous concerne ici (parce qu’il en existe plusieurs en réalité), à savoir, les allergies qui apparaissent au printemps.
Si on prend la définition d’une allergie donnée par Thomas H. McConnell en 2013, il s’agit d’une réaction immunitaire exagérée de la part de l’organisme face à un antigène étranger. Ici, quand on parle d’antigène, on entend tout élément extérieur au corps humain (un intrus, quoi) pouvant être à la base d’une réaction immunitaire. Je vous l’accorde, cette définition se mord la queue, mais vous allez comprendre, accrochez-vous.
Dans certains cas, lorsque le corps humain est exposé à une substance qui lui est étrangère (ce sont donc les antigènes ici), il peut réagir face à cette substance. Mais cette réaction n’est pas systématique et elle varie d’un individu à l’autre ; cette inégalité de réaction est probablement due à des facteurs génétiques, encore actuellement mal identifiés. Alors, que se passe-t-il concrètement dans notre organisme, lorsqu’un antigène y pénètre par inadvertance ?
Pour rendre la chose un peu plus simple à comprendre, imaginons que le corps humain est une boite de nuit où les entrées sont libres. Habituellement, les nouveaux arrivants peuvent entrer s’amuser sans problème mais ils sont surveillés à l’intérieur par des agents de sécurité (via des caméras) qui ont pour objectif de repérer les fauteurs de troubles. Arrive alors tout un gang d’individus aux cheveux oranges fluo : ils sont facilement reconnaissables par les agents de sécurité. Une fois à l’intérieur, ils malmènent un peu les autres participants et plombent un peu l’ambiance… ils sont alors maitrisés par les videurs de la boite de nuit, qui inscrivent leur signalement dans la salle des caméras. La semaine suivante, d’autres individus portant des cheveux orange fluo entrent à nouveau dans la fameuse boite de nuit. Cette fois ci, ils sont reconnus rapidement et les agents de sécurité décident d’appeler la police, les pompiers, et l’armée, ils déclenchent les lances à incendie à l’intérieur de la boite de nuit, et provoquent une évacuation d’urgence de l’ensemble du personnel. Alors qu’une simple intervention des videurs aurait suffi !
Ce que je viens de vous décrire ici, c’est un type d’hyper-réaction qu’on observe dans le cas des allergies. Nos videurs sont en réalité appelés des Lymphocytes B, et ils vont produire des anticorps spécifiques (la surveillance vidéo) dirigés contre les antigènes (les individus aux cheveux oranges) qui seront ainsi plus facilement reconnaissables par les mastocytes (les agents de sécurité) dont le rôle est de sonner l’alarme en cas d’intrusion. Dans notre organisme, cette sonnette d’alarme se concrétise par une libération d’une substance appelée histamine, qui va interagir avec différentes parties du corps pour engendrer des démangeaisons au niveau de la peau, une détresse respiratoire par contraction d’une partie des poumons ou encore la dilatation des vaisseaux sanguins, pouvant mener à des gonflements de certaines parties du corps… et plein d’autres symptômes tous plus réjouissants les uns que les autres. Ces réactions ont pour but en temps normal d’activer les éléments du système immunitaire qui auront pour but de faire disparaitre les antigènes de l’organisme.

Un schéma simplifié de la réaction allergique (source)

Et le pollen, dans tout ça ?
 
Chez les plantes à fleurs, le pollen est une particule produite par les étamines (la partie mâle de la fleur) et qui contient deux cellules qui serviront à la reproduction. Ces particules sont dispersées par les insectes volant (les abeilles par exemple), par l’eau ou par le vent : c’est ce dernier cas qui nous intéresse ici, car ce sont ces grains de pollens qui vont pouvoir se retrouver malencontreusement dans nos voies respiratoires. Les grains de pollen peuvent avoir des formes incroyablement variées (vous pouvez avoir un aperçu de la diversité sur ce site) et portent à leur surface des protéines et glycoprotéines qui sont caractéristiques de chaque espèce. Ainsi, les pollens sont très différents d’une espèce à l’autre, ce qui permet à chaque fleur de reconnaître spécifiquement le pollen de sa propre espèce.

Diversité du pollen (source)

 Pourquoi certaines personnes développent-elles des allergies au pollen ?

Maintenant, lorsque le grain de pollen, au lieu de se déposer sur la partie femelle d’une fleur, se retrouve aspiré par mégarde par un humain, que se passe-t-il ?
Chez les personnes non allergiques, le grain de pollen est simplement considéré comme une poussière comme les autres et évacué normalement avec les sécrétions nasales (comprendre : le truc gluant qui reste au fond du mouchoir lorsque vous vous mouchez. Désolé pour l’image). Chez les personnes allergiques, c’est là que ça se gâte.
Comme je le disais plus haut, les grains de pollen portent à leur surface des protéines. Or, une des choses que détecte particulièrement bien le système immunitaire, ce sont les protéines étrangères, car en général elles sont associées à la présence d’organismes pathogènes tels que les virus et les bactéries. Non seulement il va y avoir détection de ces protéines étrangères, mais surtout une hyper-réaction de la part du système immunitaire… qui mène à une réaction allergique.
De plus, il est possible que certaines personnes souffrent d’allergies croisées : elles ne sont pas réactives au pollen d’une seule plante, mais à plusieurs ! En effet, les différences entre les protéines portées par les grains de pollen sont parfois trop subtiles pour être détectées par le système immunitaire. Résultat ? Une personne peut être allergique au pollen de toutes les graminées… une famille comportant plus de 12000 espèces! Ca représente un potentiel allergène assez élevé.
Comme la plupart des plantes dans l’hémisphère nord fleurissent à la fin du printemps et au début de l’été, la période chaude est redoutée par les personnes sensibles qui développent souvent des allergies croisées et passent alors leur temps à éternuer ou à se gratter. Pas terrible quand on veut juste profiter du beau temps ! 

Les allergies saisonnières en ville

Des études scientifiques montrent que les allergies au pollen sont plus importantes dans les villes par rapport aux zones non-urbaines… alors que la quantité de pollen en général est plus importante dans l’air des campagnes que dans les zones urbanisées. Les personnes habitant en ville sont aussi plus susceptibles d’être allergiques aux espèces ornementales qu’aux espèces agricoles. A première vue, cela peut sembler étrange que les personnes vivant à l’extérieur des villes soient moins touchées par des allergies alors qu’elles sont exposées à de plus grandes quantité de pollen… Laissez-moi vous expliquer.
En ville, les surfaces végétalisées sont gérées artificiellement par les populations humaines, sauf dans des cas exceptionnels. Qu’il s’agisse d’un parc verdoyant ou d’une allée bordée de grands arbres, les plantes sont entretenues par une armée d’horticulteurs. Mais surtout, avant d’être mis en terre, ces plantes ont été choisies sur des critères répondant aux contraintes liées à l’urbanisme : être résistant à la pollution engendrée par le trafic automobile, ne pas produire trop de feuilles pour éviter de les ramasser à l’automne… et ne pas produire de fruits qui viennent tacher les trottoirs. Pour cela, on pratique le sexisme botanique : on sélectionne certaines espèces d’arbres dioïques (où les mâles et les femelles sont des individus séparés, un peu comme chez les humains) et on ne plante que des mâles ! On évite ainsi de se coltiner le ramassage des fruits laissés sur les trottoirs, car seuls les arbres femelles produisent des fruits. Quelle superbe idée, ça fait moins de travail pour tout le monde ! Oui mais… ce sont les arbres mâles qui produisent le pollen ! Donc en favorisant la proportion de mâles par rapport aux femelles, on va changer la quantité de pollen libéré dans l’air. C’est d’ailleurs ce que montre une étude espagnole qui a fait l’inventaire des plantes horticoles utilisées dans un parc de la ville de Grenade  (le parc Gracia Lorca). Résultat : le sex-ratio du Gingko biloba est à 80% en faveur des mâles ! 

Un lien entre le sexisme botanique et les allergies saisonnières ?

Pour terminer, accrochez-vous aux branches parce que là, je vais vous parler d’une hypothèse que je trouve un peu farfelue mais non dénuée d’intérêt. A prendre avec des pincettes donc !
Et si l’absence d’arbres femelles dans les villes accentuait les allergies saisonnières ? Thomas Leo Ogren a émis l’hypothèse que les fleurs femelles attireraient activement le pollen en suspension dans l’air, réduisant ainsi la quantité qui serait potentiellement inhalée par les êtres humains. Certains chercheurs pensent même que des forces électrostatiques interviennent dans le « piégeage » du pollen par les parties femelles de la fleur et ainsi augmentent les chances de rétention du pollen dans la fleur.
Pour réduire les allergies en ville, faudra-t-il donc accepter de voir les trottoirs parsemés de fruits çà et là ? L’avenir nous le dira !

Bibliographie
Bosch-Cano, F., Bernard, N., Sudre, B., Gillet, F., Thibaudon, M., Richard, H., ... & Ruffaldi, P. (2011). Human exposure to allergenic pollens: A comparison between urban and rural areas. Environmental research, 111(5), 619-625.
Cariñanos, P., Sánchez-Mesa, J. A., Prieto-Baena, J. C., Lopez, A., Guerra, F., Moreno, C., ... & Galan, C. (2002). Pollen allergy related to the area of residence in the city of Córdoba, south-west Spain. Journal of Environmental Monitoring, 4(5), 734-738.
Cariñanos, P., & Casares-Porcel, M. (2011). Urban green zones and related pollen allergy: A review. Some guidelines for designing spaces with low allergy impact. Landscape and urban planning, 101(3), 205-214.
Cariñanos, P., Casares-Porcel, M., & Quesada-Rubio, J. M. (2014). Estimating the allergenic potential of urban green spaces: A case-study in Granada, Spain. Landscape and urban planning, 123, 134-144.
Esch, R. E., & Klapper, D. G. (1989). Isolation and characterization of a major cross-reactive grass group I allergenic determinant. Molecular immunology, 26(6), 557-561.
Knox, B., & Suphioglu, C. (1996). Environmental and molecular biology of pollen allergens. Trends in Plant Science, 1(5), 156-164.
Law, S. E., Wetzstein, H. Y., Banerjee, S., & Eisikowitch, D. (2000). Electrostatic application of pollen sprays: effects of charging field intensity and aerodynamic shear upon deposition and germinability. IEEE Transactions on Industry Applications, 36(4), 998-1009.
McConnell, T. H. (2013). The nature of disease: pathology for the health professions. Lippincott Williams & Wilkins.
Middleton, E (1998). Allergy: Principles and practice. 5th ed. St Louis.
Ogren, T.L. (2015). Botanical sexism cultivates home-grown allergies. Scientific American (Blog)
Puc, M. (2003). Characterisation of pollen allergens. Annals of Agricultural and Environmental Medicine, 10(2), 143-150.
Vaknin, Y., Gan-Mor, S., Bechar, A., Ronen, B., & Eisikowitch, D. (2000). The role of electrostatic forces in pollination. In Pollen and pollination (pp. 133-142). Springer, Vienna.

vendredi 4 août 2017

La fleur ancestrale, une fleur comme on n’en fait plus

Article invité écrit par Laetitia Carrive, une des auteures de l'étude scientifique dont il est question ici.

Il y a à peine quelques jours, Boris parlait ici-même de « l’abominable mystère » que constituait, pour Darwin, l’origine de la diversité des plantes à fleurs (ou angiospermes pour le nom savant). Comment, à partir d’un ancêtre commun à toutes ces plantes, a-t-on obtenu la diversité immense de formes, de structures, de couleurs, d’odeurs, que nous observons actuellement dans la nature ? En peu de temps en plus, puisque ce groupe semble apparaître brutalement dans le registre fossile et l’on trouve des fossiles assez différents d’âges proches. Quel scénario pourrait donc raconter l’histoire de ces plantes et de leur apparente radiation si soudaine ? 

Échantillon de la diversité de morphologies florales dans vingt-cinq familles de plantes à fleurs. De gauche à droite puis de haut en bas : Plantaginaceae, Iridaceae, Apiaceae, Gentianaceae, Musaceae, Melastomataceae, Passifloraceae, Orobanchaceae, Nymphaeaceae, Poaceae, Xanthorrhoeaceae (croyez-en l’orthographe !), Crassulaceae, Sapindaceae, Saxifragaceae, Arecaceae, Boraginaceae, Asparagaceae, Asteraceae, Brassicaceae, Orchidaceae, Malvaceae, Apocynaceae, Ranunculaceae, Salicaceae, Convolvulaceae. Photos : Laetitia Carrive.


Alors ici je voudrais vous parler d'une étude toute neuve (et en libre accès ici !) qui vient s'ajouter à l'édifice des réponses à cette grande question de la diversité des plantes à fleurs et à laquelle j'ai eu la chance de participer. En fait, pour pouvoir raconter une histoire, il faut bien un point de départ. Et pour pouvoir dire « les angiospermes ont produit toute cette diversité grâce à tel ou tel événement, mécanisme ou processus », ça aiderait d’avoir une idée d’à quoi elles pouvaient bien ressembler au début de leur histoire. Voici donc la question à laquelle Hervé Sauquet, l’auteur principal de cette étude, s’est attaqué : à quoi ressemblait la fleur du dernier ancêtre commun de toutes les plantes à fleurs ? 

Un tout petit détour clarificateur sur cette idée de dernier ancêtre commun, il ne s’agit pas de la première fleur, comme on peut le lire parfois, mais de la fleur la plus récente dont descendent toutes les fleurs qu’on observe aujourd’hui. Il y a certainement eu des fleurs plus anciennes, mais on ne pourra jamais être sûrs d’avoir trouvé les premières. 

Le pourquoi du comment

Comme vous vous en doutez, s’il s’agit d’un abominable mystère depuis le milieu du dix-neuvième siècle, beaucoup de botanistes ont déjà réfléchi à cette question et déjà proposé des hypothèses. Certains ont proposé que les fleurs ancestrales aient ressemblé à des magnolias (photo plus bas), soient de grandes fleurs hermaphrodites dont les parties fertiles (les étamines et les carpelles, voir photos d’explications plus bas) sont portées par un genre de cône. D’autres ont pensé qu’elles étaient plutôt petites, à sexes séparés, avec un nombre variable de tépales, d’étamines et de carpelles, comme Amborella (photo ci-dessous), une plante néocalédonienne groupe-frère de toutes les autres plantes à fleurs actuelles. Elles auraient aussi pu ressembler aux fleurs des nénuphars (Nymphaeaceae, photo ci-dessous) ou du poivre (Piperaceae, photo plus bas). Chercher la morphologie d’une fleur parmi des espèces qui ont au moins 140 millions d’années de plus est problématique, puisque cela suppose que certaines fleurs actuelles seraient « plus primitives » que d’autres. Malgré cela il y a derrière toutes ces hypothèses des arguments sérieux, aussi bien au niveau paléontologique que morphologique. Mais aucune des hypothèses principales ne s’était particulièrement dégagée et les méthodes analytiques que l’on utilisait jusque récemment butaient sur certaines questions, notamment celle de l’hermaphrodisme (des étamines et des carpelles fonctionnels dans la même fleur ou des fleurs mâles et femelles séparées) et de l’organisation de ces fleurs ancestrales (Endress & Doyle, 2009). 

De gauche à droite : Amborella trichopoda (Amborellaceae), fleurs males (source, Wikimedia Commons), Piper cubeba (Piperaceae), inflorescence (sourceWikimedia Commons), Magnolia liliflora (Magnoliaceae), fleur (photo : Laetitia Carrive), et Nymphaea alba (Nymphaeaceae), fleur (photo : Laetitia Carrive). 


Photos de deux fleurs représentant les différents organes dont cet article parle selon que la fleur est différenciée ou non. À gauche : Potentilla neumanniana (Rosaceae) et à droite Anemone pratensis (Ranunculaceae). Photos : Laetitia Carrive.

Nous sommes maintenant à une époque où l’amélioration des techniques de séquençage d’ADN, l’augmentation de la puissance des ordinateurs et de la puissance des algorithmes permettent de produire des arbres de parenté – phylogénies – pour des groupes d’organismes de plus en plus grands. Parallèlement, l’avancée des technologies de l’information et de la communication permet la création de grandes bases de données participatives, multi-utilisateurs et délocalisées, accessibles depuis n’importe quel périphérique connecté à internet. Ces deux types de données (des grandes phylogénies, des grandes bases de données) sont les ingrédients de méthodes appelées méthodes probabilistes qui permettent de déterminer statistiquement, pour un caractère donné (la symétrie des fleurs, par exemple), l’état qu’avaient le plus probablement les différents ancêtres si l’on connait les relations de parenté et l’état de ce caractère dans la diversité actuelle. Une phylogénie très complète déjà publiée (Magallón et al, 2015) a servi de point de départ à beaucoup de nouvelles analyses phylogénétiques pour pouvoir tester plusieurs hypothèses sur l’âge des angiospermes et leurs relations de parenté. Par ailleurs, pendant plusieurs années, un immense jeu de données sur la morphologie des fleurs a été développé, couvrant presque toute la diversité (86% des familles, par exemple) et assemblé par une multitude de personnes, dont j’ai fait partie. Il a fallu ensuite des centaines d’analyses et des milliers d’heures de calculs pour évaluer l’incertitude pesant sur tous les différents résultats et s’assurer d’avoir des résultats cohérents et solides. 

Aux origines : l’ancêtre 

Et sans plus attendre, voici donc la reconstitution de l’ancêtre commun des plantes à fleurs :

À gauche, le diagramme floral, qui est une représentation formelle et normalisée très utilisée (parce que tous les botanistes ne sont pas des supers dessinateurs !), qui résume la plupart des résultats sur les différents états ancestraux ; à droite, une reconstitution en 3D de cet ancêtre, qui part des résultats du papier et laisse ensuite l’imagination de l’artiste compléter ce que l’on ne sait pas ou ce que l’on n’a pas étudié. Sur cette reconstitution en 3D, par exemple, ni la forme ni la couleur des différentes parties n’ont été étudiées. En revanche la symétrie radiaire (en « étoile »), la bisexualité de la fleur, le nombre de cycles et de pièces par cycle, la position de l’ovaire etc. sont bien des résultats des analyses. Et puis comme c’est beau la 3D, vous pouvez voir ici le modèle sous toutes ces coutures. Source du diagramme, source du modèle, Sauquet et al, 2017. 


Cette fleur était donc probablement hermaphrodite, était organisée en plusieurs cycles de tépales indifférenciés et libres (séparés, non-fusionnés), avait une symétrie radiaire, plus de six étamines organisées en cycles de trois (voir photo d’explications plus haut) et qui libéraient leur pollen vers le centre de la fleur, plus de cinq carpelles portés au-dessus du réceptacle, organisés en spirale. 

Beaucoup d’articles de presse et beaucoup de commentaires disent que cette fleur ressemble à un magnolia. Je vois là-dedans un peu de la vieille et fausse idée que les magnolias sont les « plus ancestrales » des fleurs, idée qui a malheureusement la peau bien dure. Sans doutes que la forme et la couleur des tépales de cette reconstitution ressemble un peu aux magnolias mais ce ne sont que des libertés artistiques. Et d’ailleurs d’autres y ont vu une ressemblance à d’autres fleurs, bien éparpillées dans la phylogénie (elle a aussi été comparée à un lys, un nymphéa, un lotus, une rose…). 

En réalité un des résultats les plus importants de cette étude est que cette fleur ne ressemble à aucune encore présente de nos jours. Autrement dit, tous les descendants qui ont survécu jusqu’à nous ont évolué d’une manière ou d’une autre par rapport à leur ancêtre commun pour au moins quelques-uns de la vingtaine de caractères étudiés. 

Une fleur comme on n’en fait plus, mais d’où viennent toutes les suivantes…

Voilà donc le point de départ de l’histoire des angiospermes. On se demande alors immédiatement comment, de cette fleur ancestrale, on a pu aboutir à la diversité actuelle et à la morphologie des grands groupes d’angiospermes, comme par exemple les Magnoliidae, les monocotylédones (dont Boris a déjà parlé sur ce blog), les eudicotylédones qui contiennent elles-mêmes le groupe immense des Pentapetalae. 

Exemples de représentants des quatre groupes dont je viens de parler : Magnolia stellata pour les Magnoliidae, Lilium martagon pour les Monocotylédones, Meconopsis grandis pour les Eudicotylédones et Dianthus furcatus pour les Pentapetaleae. Chacune de ces espèces est un exemple de morphologie courante dans ces groupes mais en aucun cas elles ne sont censées représenter une image des ancêtres reconstruits des groupes auxquelles elles appartiennent. Photos : Laetitia Carrive.

Les analyses d’états ancestraux ont donc également été effectuées pour quatorze autres nœuds de l’arbre des plantes à fleurs et donc une reconstitution de la fleur de quatorze sous-groupes a été effectuée selon la même méthodologie qu’indiqué plus haut. Voici un schéma simplifié des diagrammes floraux probables des ancêtres de certains de ces sous-groupes replacés sur une phylogénie simplifiée :

Diagrammes floraux reconstruits à partir des résultats d’états ancestraux pour quelques nœuds-clefs de l’arbre des angiospermes, représentés sur une phylogénie résumée. Source, Sauquet et al. 2017.

Au-delà du fait que ces ancêtres en eux-mêmes apportent des éléments de réponse aux questions que l’on pourrait se poser sur l’évolution des groupes qui descendent d’eux, ils représentent aussi des étapes sur les chemins menant de l’ancêtre des angiospermes aux fleurs actuelles, des genres de passages obligés. Il devient donc possible de proposer des scénarios qui expliquent le début de l’histoire des plantes à fleurs, les chemins qui mènent de l’ancêtre aux différents grands groupes. Il suffit, par exemple, de perdre des cycles entiers pour arriver à la fleur ancestrale des Magnoliidae ; de devenir unisexué et spiral pour ressembler à Amborella ; de perdre encore plus de cycles pour aboutir aux Monocotylédones ; ou de fusionner des cycles entre eux et de différencier des pétales et des sépales pour arriver aux Pentapetalae. Ces séries de changements hypothétiques pourraient servir de points de départ à des recherches avec d’autres approches (en évolution du développement et en paléontologie notamment), qui pourraient en retour rejeter, ou compléter et affiner notre connaissance des différents chemins qu’a pris l’évolution pour aboutir à cette si grande diversité. 

Cette semaine on a réalisé un grand pas vers une résolution de l’abominable mystère et j’espère que ce morceau d’histoire des plantes à fleurs est aussi excitant à découvrir que ça a été de participer à sa construction et de voir maintenant cette image en 3D un peu partout sur les sites de news scientifiques et de vulgarisation !

Bibliographie 

Sauquet, H. et al. The ancestral flower of angiosperms and its early diversification. Nat. Commun. 8, 16047 doi: 10.1038/ncomms16047 (2017).

Endress, P. K. & Doyle, J. A. Reconstructing the ancestral angiosperm flower and its initial specializations. Am. J. Bot. 96, 22–66 (2009).

Magallón, S., Gómez-Acevedo, S., Sánchez-Reyes, L. L. & Hernández-Hernández, T. A metacalibrated time-tree documents the early rise of flowering plant phylogenetic diversity. New Phytol. 207, 437–453 (2015).


Laetitia

Actuellement en thèse à la fac d’Orsay, je travaille aujourd’hui sur l’évolution de la fleur dans la famille du bouton d’or. Après plusieurs années à trainer dans une association naturaliste avec certains membres de l’équipe du bocal, j’ai effectué un master de systématique du muséum d’histoire naturelle. C’est lors de mes stages de master et du début de ma thèse, en travaillant avec Hervé Sauquet, que j’ai participé à l’assemblage du jeu de données morphologiques utilisé dans cette étude sur l’ancêtre des plantes à fleurs. 


jeudi 7 janvier 2016

Pétale, mon beau pétale

Linnaeosicyos amara. Derrière ce doux nom se cache une plante plutôt singulière au sein de la grande famille des cucurbitacées (famille célèbre surtout pour ses courgettes, citrouilles et autres courges). Bien que ce groupe contienne près d’un millier d’espèces, L. amara est l’unique représentante de son genre. Elle est de plus une des plus rares cucurbitacées, et endémique des Caraïbes.

Une des particularités les plus étonnantes de cette plante réside dans l’apparence de ses fleurs. Attribut également rare, leurs pétales disposent de franges. Les petites fleurs blanches sont ainsi découpées en une myriade de filaments. En cumulant des dizaines d’heures d’observations, les chercheurs pensent avoir découvert le rôle de cette étrange apparence.


L'apparence tout à fait extra-ordinaire de la fleur en fait un petit bijoux. Crédit : Mitchell et al. 2015.


Comme beaucoup de fleurs, la pollinisation se fait grâce à des insectes. Des papillons sphingidés nocturnes, ou sphinx, semblent être les partenaires privilégiés de la plante. Les chercheurs ont observé que l’extension maximale de ses pétales coïncidait avec le pic de visite des papillons. Ainsi, la plante pourrait avoir trouvé la parade pour présenter aux insectes une surface qui semble large, critère visuellement attractif pour les papillons, tout en s’épargnant l’énergie de devoir développer des pétales complets.


Eumorpha labruscae, l'un des papillons sphinx observés en train de se nourrir sur la fleur, pendant cette étude. Crédit : Charlesjsharp

 

 

Référence :


Mitchell, T.C., Dötterl, S. & Schaefer, H. 2015. Hawk-moth pollination and elaborate petals in Cucurbitaceae: The case of the Caribbean endemic Linnaeosicyos amara. Flora, 216, 50-56.



Sophie Labaude

lundi 1 juillet 2013

Prenez en de la graine !

Ce matin, j’ai reçu un mail qui disait ceci : « Salut ! Une amie m’a ramené une graine de Baobab de Madagascar. J’ai beau avoir tout essayé, rien n’y fait, pas de petit Baobab en vue… Comment cela se fait il ? Pourquoi, en revanche, quand je mets des lentilles à germer sur un coton humide, ces petites graines donnent des plantules au bout de quelques jours ? C’est injuste ! »
Aujourd’hui, comme vous aurez pu vous en douter, je vais tenter de répondre à cette question : pourquoi certaines graines germent elles en quelques jours quand d’autres restent tout simplement endormies ?
D’abord, rappelons-nous ce qu’est une graine. D’après l’Encyclopaedia Universalis, la graine correspond à « un organe de dissémination résultant de la transformation d'un ovule : après la fécondation, ou même sans accomplissement d'un processus sexuel (agamospermie), un embryon est formé dans le prothalle femelle (gamétophyte) ; dans un tissu entourant l'embryon, ou dans l'embryon lui-même, des réserves sont accumulées, que celui-ci consommera lors de la germination ; simultanément, les téguments ovulaires se transforment en une carapace mortifiée, plus ou moins dure et imperméable, protégeant l'embryon et les réserves. »
Oulala, que de mots compliqués dans cette définition ! On va reformuler ça de manière plus simple. Mais d’abord, souvenons-nous que nous avons tous, au moins une fois dans notre vie, observé de manière plus ou moins attentive une graine à la loupe. En général, cela se déroule au collège et la graine en question est un haricot coupé en deux… Voici une photo qui va raviver les souvenirs :

Une graine de haricot coupée en deux. Source

 Et pour plus de précisions, voici comment on arrive à la graine, en partant de la fleur, après fécondation :
Transformation de la fleur en fruit. Source
Transformation de la fleur en fruit. Source

D’après ces schémas, la graine est donc un ovule transformé, en général après fécondation (rappelons que la fécondation est l’union d’un gamète mâle et d’un gamète femelle), qui est protégé par le fruit (anciennement le pistil, avant fécondation). Il faut aussi savoir que dans la graine, une fois que les réserves auront été stockées, l’embryon formé après fécondation va cesser de se développer et va être très fortement déshydraté (parfois jusqu’à 95% de déshydratation !). Gardez ça en tête pour la suite.
Or donc, toutes les graines ne vont pas pouvoir germer de la même manière. Mais pourquoi cela ?
Pour qu’une graine germe, il faut qu’elle soit placée dans des conditions optimales de germination. Ainsi, si l’on veut s’amuser à faire germer des lentilles, il suffira de les humidifier et de les placer sur un coton humide… et quelques jours plus tard, on obtiendra une petite pousse verte.
Mais certaines graines ne poussent pas, même si on les arrose. Si elles ne donnent aucun signe d’activité, c’est parce qu’il n’y a pas eu ce que l’on appelle la levée de dormance. La dormance est une « absence de développement d’un bourgeon ou d’une graine malgré les conditions écologiques favorables. » Il s’agit en particulier d’une « stratégie adaptative pour passer la mauvaise saison. » [1]
En clair, même si la graine est disposée dans des conditions idéales de germination, elle ne germera pas, car il n’y aura pas eu un signal préalable déclenchant la germination.
Je m’explique. Prenons par exemple des graines bien connues des enfants des régions tempérées : les marrons, qui sont les graines du Marronnier d’Inde Aesculus hippocastanum .

Quelques marrons. Source

Les marrons sont produits à la fin de l’été et se retrouvent au sol au début de l’automne, où ils vont passer l’hiver enfouis sous les feuilles mortes (s’ils n’ont pas été mangés entre temps par les sangliers ou autres animaux). Ils germeront par la suite au printemps. Cela semble évident… mais pourtant, on ne voit pas de marrons germer avant l’hiver, ce qui semble logique puisque la plantule qui aurait sorti ses feuilles délicates en octobre ne ferait pas long feu en décembre… Quoi que, avec la météo actuelle, on pourrait se poser des questions… mais ceci est un autre sujet !
Eh bien, il existe une explication simple pour que la graine germe au « bon moment », c'est-à-dire après l’hiver : il est nécessaire que la graine ait subi une période de gel, ou tout du moins de froid continu, pour que la dormance soit levée et que la graine puisse germer. Sans cette période de gel, et même si la graine est placée dès l’automne dans des conditions optimales de croissance (redoux soudain, culture sous serre…), elle ne germera pas.
Bien évidement, s’il suffisait uniquement d’appliquer une période de gel pour faire sortir les graines de leur dormance, ça serait beaucoup trop simple… En effet, il existe plusieurs types de dormance.
Certaines graines ne possèdent même pas de phase de dormance : au contact de l’eau, les tissus de la graine vont s’imbiber puis l’embryon va utiliser les réserves pour grandir (une observation flagrante est l’augmentation de la taille de la radicule, qui va percer l’enveloppe de la graine).

Les autres graines sont soumises à une dormance qui peut être de plusieurs types [2] :
1) La dormance physiologique : elle est levée par des écarts de températures prolongés. C’est le cas chez un grand nombre de plantes à fleurs telles que les tomates, l’avoine, ou encore le tabac. C’est aussi le cas pour l’exemple que j’ai précédemment utilisé avec les marrons. Pour « tricher » avec de telles graines, on peut tout simplement les mettre au frigo un certain temps pour simuler l’hiver !
2) La dormance morphologique : cette fois, l’embryon n’est pas complètement fini dans la graine, c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate, même en présence de conditions optimales. L’embryon doit donc continuer à se développer alors même que la graine a été séparée de la plante mère : c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate même si la graine est située en conditions idéales.
3) La dormance physique : la graine est protégée par une enveloppe totalement imperméable… et donc l’eau ne peut pas atteindre les tissus internes et ne peut pas réhydrater l’embryon. Sans eau, pas de croissance possible ! Il est donc nécessaire d’avoir une action physique sur la graine pour que celle-ci puisse germer. Par exemple, il faut une abrasion mécanique (les tissus protecteurs de la graine doivent être dégradés par frottements, par broyage…) ou chimique (la graine peut être avalée par un animal et subir un traitement chimique acide dans l’estomac… pour ensuite ressortir de l’autre côté et être prête à germer !)
Bien évidement, il existe des intermédiaires entre ces trois catégories : dormance morpho-physiologique par exemple…

Concernant l’histoire de la graine de Baobab qui ne veut pas germer il est fort possible que la dormance de cette graine n’ait pas été levée. Dans les régions tempérées froides, c’est le froid qui est responsable de la levée de dormance… entre autres facteurs. Mais dans les régions tropicales chaudes, c’est plutôt la chaleur ! En effet, les graines vont avoir tendance à germer lorsqu’il fait le plus frais : une grosse période de chaleur est donc nécessaire pour lever la dormance.
En parlant de lever de dormance, savez vous que grâce à cette protection supplémentaire, on retrouve encore des graines qui ont plus de mille ans… et qui sont encore capables de germer ? C’est le cas des graines de Lotus Nelumbo nucifera, retrouvées dans des sédiments d’un ancien lac de Chine, qui ont été mises à germer… et qui ont poussé ! [3]
Fleur de Lotus Sacré. Source : photo perso
Graines de Lotus. Source

Pour avoir moi-même fait l’expérience, ces graines ne germent que si la protection externe est suffisamment abimée pour que l’eau puisse atteindre l’intérieur de la graine. Il s’agit ici d’une dormance physique, qui ne peut être levée que si la coque est abrasée par une action mécanique. Ainsi, les graines de Lotus retrouvées dans les sédiments ont été abrasées mécaniquement à l’aide de papier de verre pour que l’eau puisse pénétrer à l’intérieur. Rendez vous compte que pendant un millénaire, ces graines sont restées en sommeil en attendant de pouvoir redonner un organisme fonctionnel et complet !
C’est à cette occasion que l’on s’aperçoit que les végétaux nous réservent encore et toujours de nouvelles surprises !

Bibliographie
[1] Introduction à la botanique, G. Ducreux, ed. Belin, 2002
[2] Seed dormancy and the control of germination, W. E. Finch-Savage and G. Leubner-Metzger, New Phytologist (2006) 171:501–523

[3] Exceptional seed longevity and robust growth: ancient sacred Lotus from China, J. Shen-Miller, M.B. Mudgett, J.W. Schopf, S. Clarke, R. Berger, American Journal of Botany (1995) 82:1367-1380   
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