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jeudi 7 janvier 2016

Pétale, mon beau pétale

Linnaeosicyos amara. Derrière ce doux nom se cache une plante plutôt singulière au sein de la grande famille des cucurbitacées (famille célèbre surtout pour ses courgettes, citrouilles et autres courges). Bien que ce groupe contienne près d’un millier d’espèces, L. amara est l’unique représentante de son genre. Elle est de plus une des plus rares cucurbitacées, et endémique des Caraïbes.

Une des particularités les plus étonnantes de cette plante réside dans l’apparence de ses fleurs. Attribut également rare, leurs pétales disposent de franges. Les petites fleurs blanches sont ainsi découpées en une myriade de filaments. En cumulant des dizaines d’heures d’observations, les chercheurs pensent avoir découvert le rôle de cette étrange apparence.


L'apparence tout à fait extra-ordinaire de la fleur en fait un petit bijoux. Crédit : Mitchell et al. 2015.


Comme beaucoup de fleurs, la pollinisation se fait grâce à des insectes. Des papillons sphingidés nocturnes, ou sphinx, semblent être les partenaires privilégiés de la plante. Les chercheurs ont observé que l’extension maximale de ses pétales coïncidait avec le pic de visite des papillons. Ainsi, la plante pourrait avoir trouvé la parade pour présenter aux insectes une surface qui semble large, critère visuellement attractif pour les papillons, tout en s’épargnant l’énergie de devoir développer des pétales complets.


Eumorpha labruscae, l'un des papillons sphinx observés en train de se nourrir sur la fleur, pendant cette étude. Crédit : Charlesjsharp

 

 

Référence :


Mitchell, T.C., Dötterl, S. & Schaefer, H. 2015. Hawk-moth pollination and elaborate petals in Cucurbitaceae: The case of the Caribbean endemic Linnaeosicyos amara. Flora, 216, 50-56.



Sophie Labaude

jeudi 31 janvier 2013

Les lions : ce que vous n'apprendrez pas dans les documentaires

Les lions font partie des animaux chouchous du public, et le nombre de documentaires à leur sujet en dit long. Souvent attendrissantes, parfois étonnantes, les images nous montrent la plupart du temps la vie d’une jolie petite troupe, entre naissances, parties de chasse trépidantes et batailles entre mâles dans la force de l’âge… Côté scientifique, les lions ne sont pas en reste non plus et ont fait l’objet d’un grand nombre de publications, dévoilant souvent d’autres vérités moins connues… et pourtant tout aussi intéressantes ! Un petit échantillon pour vous le prouver ?


 Attendrissante scène de famille entre un lionceau et son père (Source)



Les lions mangeurs d’hommes font parler les scientifiques


Si deux lions peuvent se targuer d’une sinistre célébrité, ce sont bien eux. « Le fantôme » et « les ténèbres », comme ils ont été surnommés, sont les héros des films « The Ghost and the Darkness » (1996), et « Bwana Devil » (1952), qui est tout de même le premier long métrage sorti en 3D couleur de l’histoire du cinéma. Ces films racontent l’histoire vraie de deux fauves qui ont créé la panique en 1898 lors de la construction d’une voix ferroviaire, en dévorant entre 30 et 130 travailleurs, selon les sources. Abattus par John Henry Patterson, qui a d’ailleurs écrit le livre « The Man-Eaters of Tsavo » (Les mangeurs d’hommes du Tsavo) ayant inspiré les films, les deux cadavres ont été conservés et l’occasion était trop belle pour les scientifiques de manquer de les étudier ! Plusieurs questions se posent : Les deux lions mangeaient-ils tous les deux les humains ? Etait-ce leur seule source de nourriture ? Combien de travailleurs avaient réellement été tués ? Des questions un peu farfelues étant donné que les lions sont décédés il y a plus d’un siècle… Si des macchabées pouvaient sortir de leur sommeil éternel pour nous raconter leurs derniers meurtres, ça se saurait ! Non ? Et pourtant… Les atomes qui forment le corps de nos lascars proviennent de leur nourriture. Or, en étudiant la composition en isotopes des différentes parties de leur corps, on peut déterminer à quelle espèce ces atomes ont été prélevés. En somme, vous êtes ce que vous mangez ! Et comme les différentes parties du corps ne se construisent pas toutes en même temps, la composition de nos dents et os permet de déterminer des régimes de longue durée, tandis que celle de nos poils renseigne de nos derniers repas. L’équipe de Yeakel (2009) a ainsi pu mette en évidence que les lions avaient un régime alimentaire classique avant de tourner mangeurs d’hommes, et qu’un des deux était deux fois plus avide de chair humaine que l’autre. Quand aux estimations, 35 hommes auraient été mangés, avec une marge (l’intervalle de confiance à 95% pour ceux à qui ça parle) allant de 4 à 72 victimes.


Les deux lions mangeurs d’hommes du Tsavo, de leurs petits noms « lion FMNH 23970 » (A) et « lion FMNH 23969 » (C). Le crâne du premier (B) présente, entre beaucoup d’autres défauts cités par les auteurs, une fracture de la canine inférieure droite et des incisives inférieures en moins. L’autre crâne (D) révèle une fracture de la carnassière supérieure qui provoque une exposition de la pulpe. Illustration issue de Yeakel et al. (2009).


D’autres articles scientifiques existent sur les lions mangeurs d’hommes. Certains font preuve d’un délicieux lyrisme quand il s’agit de décrire les sordides attaques des assassins. Baldus (2006) écrit ainsi à propos d’un lion ayant tué plus d’une trentaine de personnes en Tanzanie : « Parfois, il tuait deux personnes à l'intérieur d'une hutte, mais laissait toujours la seconde derrière, dans un cas sur le toit. […] L'animal a été signalé comme étant extrêmement prudent. Il se serait toujours déplacé à couvert, le plus souvent durant des nuits obscures et sans lune. […] Si le lion avait le temps, il faisait glisser sa victime plus loin pour dévorer le cadavre, y compris les intestins, mais en laissant la tête, les bras et les jambes » (traduction personnelle).

Certains chercheurs essayent de comprendre « pourquoi » les lions se mettent à manger des hommes. Toutes les pauvres bêtes des études que je viens de citer présentaient ainsi des problèmes dentaires (voir photo précédente)... Packer et al. (2005) propose plus simplement l’effet de l’augmentation de la densité humaine pour expliquer le nombre grandissant d’attaques depuis les années 1990, et nous présente une carte représentant la distribution de plus de 800 attaques depuis cette année là en Tanzanie… Eventuellement une idée des points chauds à éviter durant le prochain voyage touristique !
 
 Répartition des attaques de lions en Tanzanie depuis 1990 et nombre d’attaques par année. D’après la publication de Packer et al. (2005)

Des spermatozoïdes anormaux dans le Ngorongoro


En Tanzanie, le cratère du Ngorongoro se targue d’être une des plus grandes caldeiras du monde (un ancien volcan affaissé pour faire simple), avec un diamètre de plus de 20 Km ! Pour l’avoir foulé de mes propres pieds, je peux affirmer qu’il constitue sans conteste une réserve naturelle absolument magnifique, regorgeant d’une richesse faunistique éblouissante. En tant que cratère, l’écosystème qu’il abrite reste très fermé au milieu extérieur, ce qui constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Les lions du Ngorongoro sont très bien étudiés depuis de nombreuses années, à tel point qu’il n’est pas un lion dans le cratère qui n’ait pas sa fiche d’identité. Les chercheurs sont en effet capables d’identifier chaque individu, notamment grâce à des marques naturelles et les cicatrices de leurs faces et oreilles (Munson et al. 1996). Il faut dire que la particularité de l’endroit permet une étude inédite sur les effets de la consanguinité. En effet, les lions qui entrent dans le cratère sont bien rares, et n’ont simplement aucune chance de trouver un territoire libre, le cratère présentant la plus haute densité de lions d’Afrique (Heinsohn 1997). De plus, la population a subit en 1962 une hécatombe après l’invasion de la mouche Stomoxys calcitrans, aux morsures particulièrement affaiblissantes, réduisant la population à neuf femelles et un seul mâle (Packer et al. 1991). Après la migration de sept mâles venus de l’extérieur, plus aucune entrée n’a été enregistrée dans le cratère durant les 25 années suivantes, alors que la population est rapidement remontée en effectifs. Des simulations sur ordinateurs suggèrent même que la population pourrait avoir subit un autre goulot d’étranglement antérieur à 1962 (Packer et al. 1991). Une population en somme bien consanguine ! Et comme souvent, la consanguinité s’accompagne d’une perte de variabilité génétique et d’une augmentation d’anormalités physiologiques comparé à d’autres populations. Nos lions n’échappent pas à la règle, notamment dans certains traits affectant leur reproduction. Ils présentent ainsi une concentration en testostérone trois fois plus faible que leurs homologues du Serengeti (Wildt et al. 1987), une histo-morphologie des testicules affectée : moins de tubes séminifères (là où se forment les spermatozoïdes), moins de spermatides (les futurs spermatozoïdes) et moins de volume testiculaire (Munson et al. 1996), ainsi qu’un haut niveau d’anormalité des spermatozoïdes (Wildt et al. 1987). Entre tête trop grosse ou trop petite, double flagelle ou double tête et diverses déformations, ce sont au total 50% des spermatozoïdes qui sont affectés !
Quelques spermatozoïdes des lions du cratère du Ngorongoro : normal (a), surenroulement du flagelle (b), manque de mitochondrie (c), acrosome anormal et mauvaise disposition de la pièce intermédiaire (d), macrocéphalie avec acrosome anormal (e), microcéphalie avec manque de mitochondrie (f), flagelle tordu (g), et cou tordu avec résidu cytoplasmique (h). Photo issue de Wild et al. (1987).


Des lionnes à crinière et des mâles qui en sont dépourvus


La crinière du lion, cette magnifique couronne qui le proclame roi des savanes, est un des caractères sexuels secondaires des plus évidents pour différencier mâles et femelles. D’une longueur et d’une noirceur variables, elle renseigne même les congénères (et les scientifiques) sur d’autres paramètres. West et Packer (2002) ont ainsi pu montrer que le niveau de noirceur de la crinière donne une indication de l’état de nutrition du mâle, ainsi que de son niveau en testostérone, ce qui aurait une influence à la fois sur le choix des femelles (dans une troupe comptant plusieurs mâles, les femelles qui ont la possibilité de choisir leur amant se tourneront vers celui qui a la crinière la plus sombre), mais également sur la compétition entre mâles (mieux vaut éviter de se battre avec les mâles à crinière trop noire…). Les deux scientifiques ont également mis en évidence que la longueur de la crinière était un signal des succès au combat du mâle, et influencerait également la compétition entre mâles. En plus de ce rôle communicatif, la crinière est également variable selon les saisons, les années et les habitats.
Si la crinière est ainsi variable selon l’endroit, nulle particularité n’égale celle observée dans le parc du Tsavo. Tiens, ça ne vous dit rien ce nom ? Mais si, c’est de là que provenaient nos deux lascars mangeurs d’hommes ! Ce n’est pas pour rien si j’ai pris la peine d’afficher leur photo… Et si nos deux compères s’affichent sans crinière, ce n’est certainement pas parce qu’ils ont été scalpés. Comme de très nombreux lions du Tsavo, ils sont simplement dépourvus de crinière. Kays et Patterson (2002) ont voulu vérifier à quel point ce caractère était répandu. Ils se sont donc mis à attirer les lions grâce à des enregistrements d’un jeune buffle mourant. La technique pourrait paraitre un brin sadique mais elle est communément utilisée. Elle s’avère même être efficace pour réaliser des comptages de lions (Kiffner et al. 2007). Kays et Patterson ont ensuite donné un score à tous les lions qui se sont approchés, selon la disposition et l’importance de leur crinière. Résultat : aucun des 87 lions identifiés n’avait une crinière à proprement parler, et le score moyen atteignait 15, une crinière normale ayant pour valeur 81 (voir schéma ci-dessous)…

Une crinière normale et une crinière typique du Tsavo. Chaque légende correspond à une zone à laquelle les auteurs ont attribué des scores de 0 à 3 selon la longueur, la couleur et l’épaisseur de la crinière. Le score maximal (9 zones obtenant 3 scores de 3) est égal à 81. En moyenne, les lions du Tsavo obtiennent un score de 15. Image et données de Kays et Patterson (2002).

Photos de lions du Tsavo à crinière éparse ou inexistante (Kays et Patterson, 2002)

Les chercheurs essaient bien de donner des explications à cet étrange phénomène : l’importance de la végétation ou la chaleur pourraient donner l’avantage à des mâles dépourvus de crinières, si tant est que ce caractère (ou absence de caractère) ait évolué pour ses bénéfices et non par hasard. La présence d’une graine particulièrement collante à la crinière (Pupalia lappacea) pourrait également intervenir, les lions s’arrachant littéralement les poils en voulant les enlever… A noter que d’autres lions sans crinière existent, même s’ils sont nés avec : une perte intégrale de la crinière a par exemple déjà été observée des suites d’une castration.

Pour en finir avec la crinière, des photos et articles circulent actuellement sur le net faisant état de femelles avec une belle crinière. Si je n’ai pu trouver aucun article scientifique à ce sujet, l’info ne semble pas inventée. A vérifier donc ! En attendant, certaines photos restent assez convaincantes. Décidemment, même chez les lions c’est la révolution des genres !

Une lionne pourvue d’une crinière qui n’a rien à envier aux plus beaux mâles (Source)


Mœurs et morphologies inhabituels


A l’image des crinières, beaucoup de ce qu’on croit connaitre sur les lions n’est pas vrai pour tous les lions. De nombreuses variations comportementales, morphologiques, anatomiques ou encore physiologiques existent à l’état sauvage comme en captivité.
Commençons par la captivité. Saviez-vous qu’un lion élevé dans un zoo aura un cerveau plus petit qu’à l’état sauvage ? Une diminution comprise entre 3,5 et 10,5 % du volume crânien selon l’équipe de Yamaguchi (2006) qui s’est chargée de mesurer consciencieusement les crânes de 370 lions. Une différence qui serait bien due à la captivité en elle-même, et non aux conséquences de la consanguinité qu’elle implique souvent, puisqu’un lion né à l’état sauvage et élevé dans un zoo présentera également un cerveau plus petit. La consanguinité a pourtant bel et bien, elle aussi, des effets délétères. Prenez les lions blancs par exemple. Ces lions présentent un allèle mutant récessif qui leur confère une couleur allant du blond au blanc (il ne s’agit pas d’albinisme). Les adultes de ce type sont rares à l’état sauvage, d’autant plus qu’ils sont plus repérables par les proies et par les prédateurs lorsqu’ils sont lionceaux… Mais les humains sont avides de rareté (voyez ici), et on trouve des lions blancs à foison en captivité. Ce désir a un prix, et il est rude pour les lions. Dans un seul zoo par exemple ou des parents blancs ont donné naissance à 19 lionceaux, un seul a survécu jusqu’à l’âge adulte ! Parmi les autres, 4 sont mort-nés, 13 sont morts durant leur premier mois et le dernier a du être euthanasié à cause de son incapacité à saisir la nourriture. Une publication parue dans un journal vétérinaire (Scaglione et al. 2010) présente toutes leurs malformations à grand renfort de photos plutôt morbides… Entre troubles du comportement et multiples malformations au niveau du crâne, les effets de la consanguinité se font ressentir plus que jamais.

Le crâne d’un des lionceaux blancs présente ici une mâchoire atrophiée avec un biais d’alignement entre la mandibule (mâchoire inférieure) et l’incisive supérieure. Photo issue de Scaglione et al. (2010)

Toujours en captivité mais de manière un peu plus réjouissante, les lions du zoo d’Addis-Abeba (Ethiopie) présentent une apparence unique en son genre. A tel point qu’ils ressemblent aux lions de Barbarie ou aux lions du Cap, des sous-espèces qui ne sont aujourd’hui plus reconnues. Si Tefera (2003) avait consacré une publication à leur pure description (crinière très sombre et étendue, petit corps…), une étude très récente vient de mettre en évidence que cette population est distincte également du point de vue génétique (Bruche el al. 2012).

Un des fameux lions du zoo d’Addis-Abeba, en Ethiopie (Source)

A l’état sauvage, des variations de comportements sont observées entre les populations. Par exemple, les lionnes du Ngorongoro sont plus agressives que celles du Serengeti. L’étude de Heinsohn (1997) consistait à passer des enregistrements de rugissements de troupes de lionnes. Il a pu montrer qu’une troupe était capable de compter ses opposantes au son des rugissements, et qu’elle ne s’en approcherait qu’à condition que les rivales soient moins nombreuses. Sauf les lionnes du cratère du Ngorongoro qui réagissent à tous les coups, même lorsque leurs chances de vaincre l’adversaire sont faibles compte tenu de leur nombre. Cette agressivité pourrait s’expliquer par la difficulté de trouver un territoire dans le cratère : les lionnes qui en ont un le défendent alors coute que coute !
En ce qui concerne les variations d’apparence, j’ai évoqué les plus spectaculaires plus haut : crinières et blanc pelage ! Mais d’autres différences existent. Les lions du Ngorongoro sont par exemple plus gros qu’à l’extérieur du cratère (Heinsohn 1997). Dans la même catégorie, vous avez peut être croisé ces derniers temps sur le net les magnifique photos de lions noirs ! On parle de mélanisme, ce qui correspond à une très forte abondance de pigments noirs. Hé bien jusqu’à preuve du contraire, ces lions ne sont que pure invention ! Si vous en doutez, vous trouverez ici les célèbres photos avec leurs originales non retouchées. Mais maintenant que vous avez lu cet article, vous conviendrez sans doute qu’il n’est nul besoin d’invoquer des génies de Photoshop pour impressionner les foules : les lions disposent naturellement de leur florilège de particularités !

Un lion mélanique, qui n’existe que dans l’imagination de ses créateurs ! (Source)



Bibliographie


Baldus, R. D. 2006. A man-eating lion (Panthera leo) from Tanzania with a toothache. European Journal of Wildlife Research, 52, 59–62.

Bruche, S., Gusset, M., Lippold, S., Barnett, R., Eulenberger, K., Junhold, J., Driscoll, C. A. & Hofreiter, M. 2012. A genetically distinct lion (Panthera leo) population from Ethiopia. European Journal of Wildlife Research. DOI 10.1007/s10344-012-0668-5.

Heinsohn, R. 1997. Group territoriality in two populations of African lions. Animal behaviour, 53, 1143–7.

Kays, R. W. & Patterson, B. D. 2002. Mane variation in African lions and its social correlates. Canadian Journal of Zoology, 478, 471–478.

Kiffner, C., Waltert, M., Meyer, B. & Mühlenberg, M. 2007. Response of lions (Panthera leo LINNAEUS 1758) and spotted hyaenas (Crocuta crocuta ERXLEBEN 1777) to sound playbacks. African Journal of Ecology, 46, 223–226.

Munson, L., Brown, J.L., Bush, M., Packer, C., Janssen, D., Reiziss, S.M. & Wildt, D.E. 1996. Genetic diversity affects testicular morphology in free-ranging lions (Panthera leo) of the Serengeti Plains and Ngorongoro Crater. Journal of Reproduction and Fertility, 108, 11-15.

Packer, C., Pusey, A. E., Rowley, H., Gilbert, D. A., Martenson, J., & O’Brien, S. J. 1991. Case Study of a Population Bottleneck: Lions of the Ngorongoro Crater. Conservation Biology, 5, 219–230.

Packer, C., Ikanda, D., Kissui, B. & Kushnir, H. 2005. Lion attacks on humans in Tanzania. Nature, 436, 927-928.

Scaglione, F. E., Schröder, C., Degiorgi, G., Zeira, O., & Bollo, E. 2010. Cranial malformations in related white lions (Panthera leo krugeri). Veterinary pathology, 47, 1095–9.

Tefera, M. 2003. Phenotypic and reproductive characteristics of lions (Panthera leo) at Addis Ababa Zoo. Biodiversity and Conservation, 12, 1629–1639.

West, P. M. & Packer, C. 2002. Sexual selection, temperature, and the lion’s mane. Science, 297, 1339–43.

Wildt, D.E., Bush, M., Goodrowe, K.L., Packer, C., Pusey, A.E., Brown, J.L., Joslin, P. & O'Brien, S.J. 1987. Reproductive and genetic consequences of founding isolated lion populations. Nature, 329, 328–31.

Yamaguchi, N., Kitchener, A. C., Gilissen, E., & Macdonald, D. W. 2009. Brain size of the lion (Panthera leo) and the tiger (P. tigris): implications for intrageneric phylogeny, intraspecific differences and the effects of captivity. Biological Journal of the Linnean Society, 98, 85–93.

Yeakel, J. D., Patterson, B. D., Fox-Dobbs, K., Okumura, M. M., Cerling, T. E., Moore, J. W., Koch, P. L., & Dominy, N. J. 2009. Cooperation and individuality among man-eating lions. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 106, 19040–3.

Sophie Labaude

lundi 7 mai 2012

La spéciation selon King Kong

Une fois n’est pas coutume, partons de science fiction pour aborder l’évolution. Comment expliquer de façon ludique le principe de la spéciation dite allopatrique ? Je vais prendre un cas très intriguant, connu sous le nom d’évolution insulaire. Un phénomène qui est à l’origine du nanisme et du gigantisme de certaines créatures des îles…

Vous avez sans doute déjà vu ces images. Une troupe d’américains débarque sur une île du nom lugubre de Skull Island  (l’île du crâne), où une créature y est vénérée comme un dieu. Une créature qui a toute l’apparence d’un gorille… hormis la taille ! Et pour cause, il est littéralement géant. Alors que tout un chacun est subjugué par le film, les scientifiques dans l’âme ne pourront s’empêcher de se poser la question fatidique : mais comment est-ce possible ? Est-ce crédible ? Comment un gorille géant peut-il exister ?


King Kong en version 1933 et 2005


Evidemment, le roi Kong appartient à la science-fiction, et je doute fort qu’un jour il soit découvert un singe de sa taille. Néanmoins, s’il devait y avoir une explication plausible à la présence de Kong sur cette île (une explication qui ne ferait intervenir ni gorille mutant, ni expériences  de clonage ayant mal tourné et encore moins des petits hommes verts), elle pourrait se formuler en deux mots : spéciation allopatrique (du grec « allo » = différent, et « patrida » = patrie). Le principe est tout simple. Deux populations (ou groupes d’individus) d’une espèce sont séparées géographiquement, et ne peuvent donc plus se reproduire entre elles. Chacune de ces deux populations va donc évoluer en prenant des chemins différents, si bien qu’au final, ces deux populations vont former deux espèces différentes. Les îles se prêtent particulièrement bien au principe de cette spéciation. D’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’un des exemples les plus connus de Darwin, les pinsons, provienne d’une spéciation insulaire. Mais revenons à King Kong. Comment  diantre expliquer son existence ?

Localisation supposée de Skull Island (source)

Il y a plusieurs scénarios possibles, mais prenons le plus simple. Au départ, aucun singe géant sur aucune île. Mais une population de gorilles de taille tout à fait banale, et habitant encore plus banalement en Afrique, comme nos gorilles actuels. Cette population peut d’ailleurs ressembler fortement à nos gorilles actuels, même si elle est un peu plus vieille. Ce sont en fait leurs ancêtres. Et puis quelque part, plus à l’Est et à peu près à la même latitude, se trouve une île. Nos gorilles et l’île (Skull Island vous l’aurez deviné), sont séparés par un océan. Cet obstacle est infranchissable, sauf selon une probabilité tout juste suffisante à ce que quelques gorilles, un jour, le franchissent. Il peut s’agir par exemple de gorilles importés par les humains de l’île lors de leur arrivée par bateau. Toujours est-il qu’un jour, quelques gorilles d’Afrique sont parvenus sur cette île. Et qu’ont-ils fait alors ? Et bien comme tout le monde, en tentant de survivre, ils se sont adaptés aux conditions locales. Et leur taille a augmentée, au fil des générations. Il se peut que cela soit dû à une nourriture plus abondante, à des conditions météorologiques ou des pressions de prédation différentes… Et c’est ainsi qui naquit King Kong ! (d’ailleurs, si Kong semble le seul singe géant de l’île dans la dernière version cinématographique, sachez que le reste de la population est caché, puisqu’un film sorti en 1933 relate des aventures du fils de Kong !). Il est à noter que la petite taille de la population d’origine (une poignée d’individus) augmente la chance d’obtenir rapidement des changements assez impressionnants, même si ces changements ne sont pas adaptatifs, c'est-à-dire qu’ils n’augmentent pas forcement les chances de survie ou de reproduction des individus. Par exemple, s’il se trouve qu’un des individus qui arrivent sur l’île porte une mutation bizarre (concernant sa taille ou quoique ce soit d’autre), il risque de la répandre même si elle n’apporte aucun intérêt, tout simplement puisque cet individu sera à la racine de la nouvelle population qui va envahir l’île. On parle de goulot d’étranglement.

Les exemples de gigantisme ou de nanisme passionnent tant ils sont impressionnants. Je pourrais également vous citer les aventures de Gulliver et sa rencontre avec les Lilliputiens (des hommes minuscules), ou encore de leurs homologues géants et moins connus les Brobdingnagiens. Et puis les réalisateurs s’en donnent à cœur-joie pour créer des insectes gigantissimes ou des éléphants minuscules, comme dans la récente adaptation cinématographique du célèbre roman « L’île mystérieuse », de Jules Verne. Mais peut être que des exemples réels seraient plus parlants.

 
Les disproportions du film « Voyage au centre de la terre 2 » s’expliquent par l’évolution insulaire. Celle-là même qui a pu faire diminuer les Lilliputiens.

Et bien sachez que les éléphants de taille miniature ont bel et bien existé ! Ils peuplaient certaines îles méditerranéennes durant le Pléistocène et n’atteignaient pas un mètre de haut. Du côté des hommes aussi la fiction rejoint la réalité. L’homme de Florès, Homo floresiensis, habitant d’une île indonésienne il y a quelques dizaines de milliers d’années, mesurait également aux alentours d’un mètre de hauteur.  Si les îles sont des paradis de spéciation allopatrique, il convient également de prendre le terme d’île dans un sens plus large, c'est-à-dire tout environnement favorable à une espèce et séparé des autres environnements favorables par une barrière quelconque. Par exemple, pour une plante vivant exclusivement en altitude, chaque montagne est une île et chaque vallée joue le rôle d’un océan. Si l’on en revient aux hommes, le principe de nanisme insulaire peut alors expliquer la petite taille des populations pygmées, même si la spéciation (différenciation en deux espèces distinctes) ne s’est pas encore produite. Aucune île, mais un espace de vie séparé des autres hommes a permis cette évolution différente.

Reconstitution de l’éléphant nain de Sicile Elephas falconeri. Chaque île méditerranéenne abritait une espèce d’éléphant nain différente (source)
Reconstitution de deux cerfs nains du Pléistocène : Megaceros cretensis (à gauche), de l’île de Crête et Megaceros algarensis (au milieu) de Sardaigne, comparé à leur ancêtre continental présumé Megaceros verticornis (Benton et al. 2010)


Du côté des géants, nous pouvons trouver par exemple le rat de l’île Tenerife (qui fait partie des îles Canaries), éteint lui aussi, et qui devait atteindre un kilo. Ou tout simplement des tortues géantes qui peuplent plusieurs îles.

Enfin pour finir, sachez que la spéciation allopatrique est un phénomène très important dans la création de nouvelles espèces, mais que d’autres types de spéciation existent. Peut-être que l’exemple de Godzilla servira à les expliquer dans un prochain article !



Bibliographie


Benton, M. J., Csiki, Z., Grigorescu, D., Redelstorff, R., Sander, P. M., Stein, K., & Weishampel, D. B. 2010. Dinosaurs and the island rule : The dwarfed dinosaurs from Haţeg Island. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 293, 438-454.

Poulakakis, N., Mylonas, M., Lymberakis, P. & Fassoulas, C. 2002. Origin and taxonomy of the fossil elephants of the island of Crete (Greece): problems and perspectives. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 186, 163-183.

Van Heteren, A. H. 2012. The hominins of Flores: Insular adaptations of the lower body. Comptes Rendus Palevol, 11, 169-179.

Sophie

mercredi 14 mars 2012

La coopération : pourquoi pose-t-elle problème ?

D’innombrables exemples…

La coopération au sens très large (l’entraide entre plusieurs individus) est un caractère éminemment présent dans la nature, loin de concerner uniquement l’espèce humaine. Pour ceux qui ne seraient pas convaincus, et je doute qu’ils soient nombreux, sachez que l’on retrouve des actes de coopération chez tous les grands groupes d’organismes, indépendamment de leur complexité, et à tous les niveaux au sein d’un organisme.

Je ne parle pas de la coopération « grand public », vous savez ces vidéos qui font le tour de la planète où on voit un hippopotame bravant un féroce crocodile dans le but ultime de délivrer une antilope des dents acérées du monstre… Aussi attendrissantes que soient ces vidéos dont on donne des significations très anthropomorphiques, nul besoin d’invoquer ces soudains excès de bravoures au semblant altruiste pour parler de la coopération. Prenons plutôt quelques exemples des plus simples.




La plupart des animaux qui vivent dans des groupes sociaux coopèrent pour maints aspects de leur vie quotidienne. Prenez un groupe d’oiseaux en train de picorer, chacun va lever la tête relativement souvent pour s’assurer qu’aucun prédateur ne rode dans les parages. Chaque individu profite de la vigilance des autres du groupe, de telle façon qu’il n’a pas besoin d’être aussi vigilant que s’il était seul, et que malgré ça il serait averti plus rapidement de l’approche d’un prédateur.

Chez les chauves-souris vampire qui se nourrissent de sang, il arrive qu’un individu n’ait pas réussi à se procurer de la nourriture, et se trouve dans une situation critique pour sa santé. Qu’à cela ne tienne, il lui suffit de solliciter un de ses partenaires pour que celui-ci lui régurgite une partie de son propre repas. Il s’agit alors d’un acte que l’on peut qualifier d’altruiste, puisque le donneur doit payer un coût (le sang régurgité) et ne reçoit aucun bénéfice direct. Cependant, il pourrait arriver par la suite que cet individu ait à son tour besoin de nourriture, et qu’on lui rende la pareille.


Partage de sang chez les chauves-souris vampire [Source gauche, droite]


Dans une troupe de lionnes, une véritable coopération se met en place lors de la chasse. Au lieu de chasser chacune leur propre proie, elles réunissent leurs forces et se coordonnent pour attraper des proies plus grosses. Et au final, même si cette proie devra être partagée par l’ensemble du groupe, un individu y gagne plus que s’il devait chasser tout seul des proies forcement plus petites et moins faciles à attraper.

La liste des actes de coopération n’en finit pas. Elle concerne également d’autres règnes que les animaux. Les plantes peuvent par exemple coopérer en se prévenant par des signaux chimiques de l’attaque d’un herbivore. La coopération peut tout à fait concerner plusieurs espèces, comme ces stations de nettoyage sous-marines où des petits poissons (qui n’existent pas, non, non !) débarrassent leurs clients de leurs parasites en s’en nourrissant. J’ai également parlé d’une coopération au sein de l’organisme. Pensez à nos petites cellules qui coopèrent bravement pour faire fonctionner notre organisme !


Quelques exemples de coopération parmi les nombreux que compte le règne animal : défense contre les prédateurs chez le bœuf musqué [Source], épouillage chez les primates [Source], nombreuses espèces de poissons nettoyeurs [Source], partage de l’élevage des jeunes chez les suricates [Source]



La coopération et l’évolution


Tous les exemples cités précédemment vous auront sans doute convaincu d’une chose : la coopération semble apporter d’énormes bénéfices à ses acteurs, ce qui vous paraît tout à fait logique puisqu’elle est soumise à la sélection naturelle. Cependant, la coopération a très longtemps posé problème, et continue de faire cogiter les chercheurs. Car malgré cette intuition de logique, comprendre comment la coopération a pu apparaître et se développer est loin d’être une chose aisée.

Pour vous expliquer simplement, reprenons un des exemples précédents. Un oiseau est plus en sécurité au sein d’un groupe puisqu’il profite de la somme des vigilances de tous les individus du groupe. Lui-même participe à cette vigilance commune, en observant autour de lui. Comme toutes les activités, être vigilant prend du temps et de l’énergie. Il faut sans cesse relever la tête, faut faire gaffe aux torticolis et puis ça empêche de se goinfrer comme il faut. Mais si jamais cet oiseau décidait de ne pas participer à la vigilance collective, il aurait tout loisir de manger tranquillement et ça ne changerait pas grand-chose à sa sécurité au final, pour une paire d’yeux de moins… Vous venez d’assister à l’apparition du premier individu dit « tricheur » de la population, et c’est justement, précisément, ce qui pose problème dans l’établissement et le maintien de la coopération. Car cette tendance à la tricherie risque de se répandre dans la population et d’engloutir dans le même temps la coopération.

Il en est de même pour les chauves-souris. Imaginez un individu qui sollicite les autres quand il est affamé mais refuse de partager sa nourriture lorsqu’on le sollicite à son tour. Si on reprend le raisonnement très simple de la sélection naturelle, comme il aura les bénéfices de la nourriture des autres et ne payera aucun coût pour en fournir aux affamés, il aura un meilleur succès que les autres, grandira plus vite par exemple, vivra plus longtemps ou pourra consacrer plus d’énergie à sa reproduction, si bien qu’il engendrera plus de descendants qui partagent le caractère « égoïste », et la population s’en trouvera alors envahie.

Pour finir de vous convaincre, les humains sont excellents lorsqu’il s’agit d’envahir une population d’individus tricheurs. C’est pour cette raison que les sociétés basées sur l’échange de services, et où l’argent n’existe pas, ne sont souvent que des utopies. Je vais vous citer l’exemple formidable qui m’a permis de comprendre la théorie des jeux. Dans une ville, les gens ont le choix entre aller au travail en voiture ou en bus. Evidemment, moins il y a de voitures qui circulent, plus la route est dégagée et plus les véhicules sont rapides pour acheminer les habitants à leur lieu de travail. Mais la voiture reste quand même toujours plus rapide que le bus. Si tout le monde prenait le bus, les routes seraient bien dégagées et le trajet mettrait disons 15 minutes. Sauf qu’en voiture, il ne faut que 10 minutes… Du coup les petits malins commencent à prendre leur voiture, quitte à faire ralentir les bus, mais aussi les voitures ! Petit à petit, comme il est toujours plus rapide de prendre sa voiture, tout le monde va s’y mettre si bien qu’au final il faudra une demi-heure de route en voiture (les routes étant saturées !) et trois quarts d’heure pour les irréductibles écologistes et les gens sans permis qui prennent toujours le bus.


Pour comprendre ce graphique, prenez n’importe quelle personne prenant le bus (en orange). La courbe bleue étant en dessous (temps de trajet plus faible), cette personne aura toujours intérêt à prendre la voiture. D’où le point de stabilité atteint au moment où tout le monde prend sa voiture, alors que le trajet serait plus court si tout le monde coopérait pour prendre le bus.



Pour résumer, si tout le monde coopère en prenant le bus, chacun ne met que 15 minutes pour rejoindre son travail. Mais irrémédiablement, la tricherie va envahir la ville et les habitants devront subir au minimum les 30 minutes de voiture !

Vous comprenez où je veux en venir ? Même si les habitants auraient tous intérêt à prendre le bus, la population tendra naturellement vers l’opposé. De même que dans la nature. Dans une population où tout le monde coopère, il suffit qu’un individu tricheur apparaisse et qu’il profite de la coopération des autres sans en payer le coût pour que la population bascule vers une population de tricheurs ! D’où le problème du maintien de la coopération.

Le problème est encore plus pointu pour l’apparition de la coopération, et non son maintien. En effet, si on considère au départ une population totalement égoïste, où tout le monde ne s’occupe que de lui, comment la coopération pourrait se répandre ? Si un individu tout gentil apparaît spontanément dans la population, tout le monde profitera de lui et il aura un succès encore plus faible que les autres, donc aucune chance de répandre son caractère coopératif en engendrant plus de descendants.




La solution ?


Pourtant, la coopération existe bel et bien, et elle est très répandue. La question ne se pose plus quant à son intérêt, puisqu’on a vu qu’elle apportait nombre de bénéfices à ses acteurs. Mais son apparition, son évolution et son maintient ont soulevé depuis longtemps de nombreuses théories. Je ne vais pas ici les expliquer en détail, il faudra attendre d’autres articles. Cependant, il est trop cruel de vous tenir en haleine sans vous lâcher quelques bribes d’explications.

La sélection de parentèle, mise en lumière par Hamilton, est une des principales hypothèses quant à l’apparition de la coopération. Un individu avide de répandre ses gènes aura tout intérêt à aider ses enfants, parents, frères et sœurs qui portent une grande partie de ses gènes. D’ailleurs la coopération observée est souvent plus importantes entre individus apparentés, pour cette raison.

J’ai parlé plus haut de la théorie des jeux. C’est un thème qui sera abordé dans ce blog et qui apportera pas mal de réponses, notamment à propos du maintient de la coopération. Sachez seulement qu’un équilibre entre tricheurs et coopérateurs pourra s’établir. Les tricheurs peuvent également être évincés de la population, ou punis, et la coopération se maintient alors sous la menace. Encore une hypothèse qui fonctionne à merveille chez les humains : la menace d’une punition encourage très fortement la coopération.

Enfin, la sélection de groupe revient en force dans le thème de la coopération. Toutefois, il faut prendre ce concept avec une infinie précaution. Nous sommes loin de la théorie de la sélection de groupe de Wynne-Edwards (1962), qui a été très vivement critiquée notamment par Williams (1972), et finalement considérée comme fausse. Loin également de Lorenz (1963) qui l’invoquait pour expliquer l’agressivité (selon lui, les individus se battent entre eux dans le but d’éliminer les plus faibles…). Depuis, la sélection de groupe est un peu tabou parmi les biologistes. On n’ose pas en parler, les étudiants se font taper sur les doigts s’ils en font allusion… Mais elle refait surface comme une bête de l’ancien temps qui se réveillerait d’une longue hibernation… Bon bon j’avoue je m’égare ! En attendant un article dévoilant le mystère de la coopération, je vous laisse cogiter !




Bibliographie


Pour les impatients, les articles clés expliquant l’évolution de la coopération :

- Nowak, M.A. 2006. Five rules for the evolution of cooperation. Science, 314, 1560-1563.

- West, S.A., Griffin, A.S. & Gardner, A. 2007. Evolutionary explanations for cooperation, Review. Current Biology, 17, R661-R672.


Pour le “retour” de la nouvelle théorie de la sélection de groupe, voire le magazine « New Scientist » n°2824 (aout 2011)

dimanche 8 janvier 2012

Pris pour des pigeons? Telle est la question!

Si je vous dis que je vais vous raconter une histoire de pigeons, avec Darwin comme héros, la sélection comme énigme et la couleur comme indice...
Vous ne comprenez rien à ce que je veux dire? Alors lisez ce qui suit.


Un jour Darwin nous a parlé de pigeons…

Quand le célébrissime Charles Darwin nous a parlé de pigeons dans son oeuvre “On the origin of species”, c’était pour nous expliquer les nuances qu’il faut comprendre entre les notions de race et d’espèce. Il s’est intéressé au pigeon car cet animal a subi une sélection artificielle de longue date et son histoire est donc assez bien connue au travers de nombreux traités et écrits dans toutes les langues. Les pigeons étant des animaux domestiqués à la perfection, il mit en place son propre élevage avec le plus grands nombres de types de pigeon qu’il a pu rassembler à travers le monde (il n’a jamais confié le nombre exact dans son fameux ouvrage!). En guise de support empirique à ses hypothèses, il effectua une multitude des croisements. La question centrale qu’il se posait? Est-ce que toutes les variétés de pigeons qu’il avait pu réunir constituaient-elles des races différentes d’une même espèce ou alors étaient-elles issus de plusieurs espèces?
Ses observations ont fait état d’un nombre assez important de caractères profondément différents entre les variétés de pigeon: taille et forme du bec, largeur de la caroncule (petite excroissance charnue qui recouvre la base du bec), longueur du tarse, largeur de certains os, taille des plumes, présence de plumes aux pattes (oui oui, y’a des pigeons qui ont des plumes vraiment partout), etc.
La caroncule sur le bec du pigeon


Quand notre grand Charles a fait la liste de tous ces caractères, il a cru bon penser que des espèces différentes étaient à l’origine des spécimens qu’il avait devant les yeux. Qui n’aurait pas fait la même chose!


Quelques exemples en photos:
[Source]
[Source]
[Source]
[Source]

[Source]

Mais il n’en était pas à ses premières réflexions sur le sujet et la question le titillait. Il choisit un caractère d’étude particulier, la couleur, et il décida d’entreprendre des croisements afin d’affiner la réponse à sa question.
Et finalement... Vous voulez savoir à quelle conclusion il en est arrivé? Un peu de patience, vous le saurez bientôt… Enfin si vous lisez cet article jusqu’au bout!
Une sélection? Oui mais par les Hommes!
Les pigeons sauvages ont été depuis des millénaires domestiqués pour tout un tas de raison, économiques, sociales, culturelles, et culinaires!!!!
Une des fonctions du pigeon est celle du messager. On a tous entendu parler des fameux pigeons voyageurs. Et bien, certaines variétés de pigeons ont été spécifiquement élevés dans cette optique et ont été beaucoup utilisés et efficaces en temps de guerre.

Vaillant, pigeon de combat, c’est un dessin animé, mais faut pas négliger le rôle des piafs pendant la guerre quand même ! (http://www.toutlecine.com/images/film/0010/00106272-vaillant-pigeon-de-combat.html)


Pline indiquait que les romains payaient les pigeons un prix considérable selon leur généalogie et leur provenance pour s’en servir ensuite comme monnaie d’échange.
Le pigeon faisait aussi office de cadeau entre les pays, comme l’Iran ou le Touran qui faisaient parvenir des oiseaux très rares à l’Inde il y a quelques siècles.
Du temps de la 4ème dynastie égyptienne, il y a plus de 3000 ans avant notre ère, le pigeon était déjà inscrit au menu. Et malgré sa disparition de nos tables pendant quelques années à cause de l’image de saleté et vecteur de maladie qu’on lui collait (je vous rassure il n’y a aucun risque à manger du pigeon d’élevage), la culture culinaire du pigeon ne s’est pas perdue depuis les temps anciens puisque de nos jours encore, il constitue un met couramment dégusté.


De nos jours, en France, le pigeon est élevé d’une part pour des raisons culinaires, mais aussi pour de la compétition. En effet, des concours de pigeons voyageurs sont fréquemment organisés. Ces pigeons, bagués, subissent des entrainements de longues haleines comme vous pouvez vous en douter. Ce sont des sportifs avant tout !
Ainsi quelque soit la raison qui a poussé les hommes à mettre en place des élevages, ils ont, dans un objectif de rendement, d’amélioration de la qualité, ou encore de choix de caractères particuliers, exercé une sélection forte sur les populations de pigeons depuis des millénaires et dans nombreux pays du monde. Et selon le but de la sélection, des caractères différents pouvaient être sélectionnés artificiellement sur plusieurs générations, jusqu’à obtenir des individus proches de la perfection (la perfection est toute relative!).

Les couleurs ne se discutent pas…
Comme Darwin s’est intéressé au critère de la couleur, je vous propose de passer en revue les pigeons qu’on peut croiser de nos jours à Paris et d’en noter les couleurs…


Comme vous pouvez le voir sur ces photos, il y a des pigeons de couleurs très différentes… et encore ces photos ne sont pas réellement représentatives de la diversité de ce qu’on peut voir au détour d’une rue. Sur la place de la Contre Escarpe par exemple, devant Notre-Dame, ou encore, sur les toits de l’université de Jussieu !
Au milieu de toute cette diversité de motifs, on arrive à établir un classement approximatif mais qui sert néanmoins de base aux scientifiques qui étudient les pigeons.
Tout d’abord, il y a les pigeons tout blancs! Ceux là ne sont pas si fréquents que ça à Paris mais il est possible d’en observer si on fait bien attention. Les pigeons blancs sont assimilés aux colombes, symbole universel de paix. Il parait qu’il y a une région en Amérique du Sud, au Pérou il me semble, où la plupart des pigeons sont blancs. Et Nicobola m’a confié qu’ils sont aussi assez fréquents à Göteborg, en Suède. L’exact inverse de Paris et de Londres !
Après les pigeons blancs, il y a les pigeons gris clairs, qui ont deux barres noires/bleues à l’extrémité des ailes. Vous n’avez pas l’impression que ces pigeons là sont les plus fréquemment observes (ne serait-ce que sur les photos ci-dessus)? Encore un peu de patience et vous comprendrez pourquoi…
Ensuite, on trouve des pigeons gris tachetés avec du noir. Mais on voit aussi des pigeons noirs tachetés avec du gris. Quelle différence me direz-vous? Et bien la proportion de chaque couleur voyons! Les seconds donnent l’impression d’être plus foncés de ce fait. Dans les deux cas, les tâches forment un peu comme un damier sur la robe du pigeon.
Enfin, on a les pigeons …. Noirs ! Tout noir, de la tête à la pointe de la queue ! Ceux là sont facilement reconnaissables.

Un beau dégradé du blanc au noir...

Malgré les catégories que je viens de vous citer, il ne faut pas avoir l’esprit trop fermé, car la Nature est très originale et alors on trouve tous les intermédiaires possibles. Parfois même, un pigeon tout noir aura une ou deux plumes blanches sur chaque aile ou encore un pigeon tout blanc pourra avoir la tête toute noire !
Et un autre détail qu’il ne faut pas oublier…. Les nuances que je vous ai cité existent aussi dans les tons roux ! D’un roux plutôt blanc à un roux tout foncé en passant par les échiquiers blanc-roux et roux-blanc (regardez donc là dessous comme ils sont beaux).

Pour ceux qui se poseraient la question... Les couleurs chez les pigeons sont dues à des pigments particuliers qu'on appelle la mélanine. Cette molécule est la même que celle qui pigmente notre peau et notre poil. Il en existe deux types: l'eumélanine, qui est à l'origine de la couleur noire/brune, et la phéomélanine, qui est contenue dans la cellule et de la quantité de pigment total contenue, d'où la gamme de nuance de couleur de pigeon qu'on retrouve dans la Nature.


Alors … une ou plusieurs espèces ?
Trêves de suspens, il faut que je vous dise tout maintenant !
Darwin, suite à de longues réflexions et expérimentations en est arrivé à la conclusion que toutes les variétés de pigeons étaient différente races, mais de la même espèce. Ses arguments ? Et bien les voilà :
- Il aurait été difficile pour les hommes de domestiquer 7 ou 8 espèces différentes et de les faire se reproduire librement
- La domestication remonte à des temps anciens et dans des régions très variées et la sélection de caractères a eu le temps d’opérer de diverses façons sur l’espèce
- Ces espèces supposées ne sont connues nulle part à l’état sauvage et les espèces domestiques ne semblent jamais être revenues à l’état sauvage
- Les variétés présentent des « caractères très anormaux » par rapport aux autres espèces de colombidés mais en revanche elles présentent beaucoup de points communs avec les pigeons bisets
- Les couleurs bleues et les marques noires réapparaissent dans toutes les variétés qu’on les conserve pures ou qu’on les croise
- Les hybrides sont féconds

Un dessin des races issues du pigeon biset (http://www.ibri.org/Books/Pun_Evolution/Chapter3/fig3-06.jpg)

Ainsi, l’ensemble des variétés de pigeons seraient, selon Darwin, issus du pigeon biset, Columba livia à robe grise avec 2 barres bleues/noires à l’extrémité basse des ailes. Je vous en ai parlé tout à l’heure en vous décrivant les différentes couleurs de pigeon qu’on voyait à Paris. Effectivement un grand nombre des oiseaux qu’on voit tous les jours ressemblent comme deux gouttes d’eau au pigeon biset sauvage, alors qu’ils sont en fait des pigeons domestiqués. Le pigeon biset sauvage nicherait au bord des précipices (est-ce que ça n’aurait pas un lien avec leur aisance à voltiger entre les grands immeubles qu’on trouve en ville? A cogiter !) et serait doué d’un vol puissant. Il se pourrait que certains oiseaux sauvages persistent encore sur les côtes de la Méditerranée.
Voilà un pigeon qui aurait les caractéristiques du pigeon biset sauvage!


Différentes couleurs... Et alors?
Maintenant qu’on sait que tous ces piafs sont de la même espèce et pourquoi il y en a de différentes couleurs, je suis sûre que vous voulez savoir ce que ça change pour un pigeon d’être noir, gris, blanc, ou roux. Les chercheurs émettent beaucoup d’hypothèses à l’heure actuelle et sont en train de les vérifier une à une. Je vais vous présenter certaines de ces hypothèses :
-Selon la couleur, un pigeon ne serait pas attaqué de la même façon par les parasites. En effet, les observations montre que plus un pigeon est foncé et plus il porterait de parasite dans ces plumes. Mais ça n’affecterait pas son état de santé pour autant. On pourrait penser que c’est parce qu’il est plus résistant que les pigeons clairs, non ?! Vous vous demandez pourquoi les pigeons noirs sont plus parasités? Peut-être parce qu’ils fréquentent des lieux où les parasites sont plus denses, il s’agirait donc d’une différence de comportement entre les oiseaux clairs et sombres... La question reste à éclaircir!
-Les pigeons de couleur sombre seraient plus gros! Les chercheurs pensent que soit ils arriveraient à mieux se nourrir que les pigeons clairs (ils passent plus de temps à chercher à manger, ou alors c’est qu’ils ont une force de persuasion plus forte face aux petits moineaux dans la lutte pour les miettes de pain!), soit ils alloueraient la plus grande partie de l’énergie acquise par l’alimentation dans la croissance.
-Les pigeons les plus foncés semblent stocker plus de métaux lourds dans leurs plumes. Les chercheurs pensent qu’il y aurait un rapport avec les pigments présents dans leurs plumes (la mélanine est une molécule qui a beaucoup d’affinité pour certains métaux lourds) et peut-être aussi avec leur meilleur capacité à se nourrir (c’est logique que s’ils mangent plus, ils ingèrent plus de cochonnerie aussi!)
-Des études menées aux Etats-Unis ont montré que les pigeons qui avaient des plumes blanches étaient beaucoup plus soumis à leur prédateur naturel en milieu urbain que ceux qui étaient entièrement colorés. Une des hypothèses est qu’un plumage sombre permet de mieux se camoufler au milieu de la grisaille de la ville que les plumes blanches.
-Théoriquement, le taux de reproduction des mâles foncés devrait être plus important que celui des mâles blancs car le processus de production de la mélanine implique la production d’une hormone mâle, la testostérone. Cette hormone est connue pour son rôle dans la reproduction.
J’espère que maintenant, quand vous prendrez quelqu’un pour un pigeon, vous y réfléchirez à deux fois et surtout vous n’oublierez pas de penser à sa couleur ;)

Pour finir :

- Un petit court-métrage de Sylvain Chomet :
- Deux extraits d’une vidéo sur les pigeons à Paris proposé par Natural Movement et Anne Caroline Prévot Julliard (chercheur du Muséum National d’Histoire Naturelle) :
- L’Origine des Espèces disponible en ligne en version anglaise :
- Un site sur les pigeons dont Darwin a parlé (en anglais of course !) :
- Un site internet sur Charles Darwin et l’Evolution :
- Un article cousin de celui là, mais qui parle surtout des différentes morphologies de pigeon :

Biblio
-Darwin (1859) On the Origin of Species
-Johnson et Janiga (1995), The feral Pigeon, Oxford University Press
-Ducrest, Keller, Roulin (2008) Pleiotropy in the melanocortin system, coloration and behavioural syndromes, Trends in Ecology and Evolution, 23/9: 502-510.
-Karimi (2010) rapport de stage au laboratoire Ecologie et Evolution
-Jacquin, Lenouvel, Haussy, Ducatez, Gasparini (2011) Melanin-based coloration is related to parasite intensity and cellular immune response in an urban free living bird: the feral pigeon Columba livia, Journal of Avian Biology, 42/1:11-15.

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