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lundi 3 septembre 2018

Camargue requiem - Partie 1 : L’aventure des chantiers bénévoles de la réserve

Il est 23h. La nuit noire est déchirée par des éclairs diffus, le tonnerre gronde au loin. Derrière mon volant, je ne peux réprimer un sourire : cinq ans après ma dernière visite, c’est la Camargue qui m’accueille, à sa façon !




L’aventure dans laquelle je m’embarque est bien différente de la dernière fois. S’il fallait être VIP pour participer au baguage des jeunes flamants, dont je vous contais le récit à l’époque, tout le monde est cette fois invité, et même encouragé, à participer à ces vacances améliorées et utiles que sont les chantiers bénévoles !

En Camargue, la SNPN (Société nationale de protection de la nature) organise chaque année des chantiers ouverts à ses adhérents au cours desquels les bénévoles s’attèlent à différents travaux. Le descriptif est succinct, mais difficile d’y résister : deux semaines au cœur de la réserve, des matinées de travail pour des après-midis de découvertes de la région à travers de multiples activités, un logement en gîte avec les autres bénévoles… tout ça pour une quarantaine d’euros d’adhésion et frais de dossier, trente pour les étudiants ! En termes de vacances utiles, on ne fait pas mieux. C’est donc sans savoir exactement à quoi m’attendre que je suis repartie sur ces terres déjà chargées de mes souvenirs de jeunesse.

Lundi matin, 8h30. J’arrive au gîte de Salin de Badon. Je découvre une grande bâtisse perdue en pleine campagne. Quelques bénévoles sont arrivés la veille, on sympathise rapidement. On sera une dizaine à vivre ici pour les deux prochaines semaines. Les encadrants arrivent également, des personnes qui travaillent sur place toute l’année. Le briefing nous met rapidement dans l’ambiance : décontractée ! Pas de chichis, on se tutoie, les blagues sont de rigueurs.




Le gîte de Salin de Badon, lieu de vie des bénévoles


Le dur labeur des bénévoles


Le soleil tape déjà très fort – canicule oblige – quand nous partons sur le terrain. Au programme, pose de ganivelles le long des chemins de la réserve. Il s’agit de dissuader les promeneurs d’aller piétiner la flore si typique des milieux humides camarguais. La salicorne, c’est sacré ! Le travail est physique, on creuse des trous avec des gravières, on plante des piquets, on les encoche pour y poser des renforts, on déroule les ganivelles que l’on attache solidement au tout après leur avoir donné de bons coups de masse… La récompense après quelques heures : la plage, au bout du chemin ! A peine les outils posés, on s’y précipite tous de bon cœur. Je profite du chemin du retour pour enliser la voiture de la réserve dans le sable. Sinon on aurait pu s’ennuyer !

Ganivelles en cours de montage au cœur de la réserve, à quelques pas du phare de la Gacholle


Si les ganivelles nous occupent une bonne partie du séjour, plusieurs matinées sont consacrées à d’autres travaux. Celui qui nous laissera le plus vif souvenir, c’est sans doute l’arrachage de la jussie. En dépit de son nom flatteur, référence au botaniste français Bernard de Jussieu, cette plante aquatique du genre Ludwigia est un fléau. Envahissante, elle se multiplie rapidement et jusqu’à envahir littéralement les zones aquatiques. Pour s’en débarrasser, il faut se jeter à l’eau. Munis de wadders (vous savez, ces grandes bottes qui montent jusque sous les bras et qui ont le don de vous dépouiller instantanément de toute grâce), appuyés sur une barque (même pas pour nous la barque ! c’est pour y mettre la jussie !), nous pénétrons dans la roubine. Qui n’a pas été dans une roubine ne peut pas comprendre… Il s’agit d’un petit canal, environ 2m de large, dont l’eau est pour ainsi dire stagnante. D’ailleurs, il n’est rempli qu’à 40% d’eau (partie haute), les 60% restant étant constitués de vase. Vase qui fait des bulles quand on marche dedans. Du moins quand on tente de marcher, car sitôt le pied posé, celui-ci est immédiatement capturé par la chose, emprisonné avec une force insoupçonnée. Force est d’avouer, au début, on panique ! Tout plantés que l’on est au milieu de la roubine, on voit déjà nos dernières heures arriver par une noyade inévitable dans une eau fétide. Ha oui, je n’ai pas précisé, les bulles qui sortent de la vase, ce ne sont pas des bulles de savon parfumées à la rose. Non, non. C’est autre chose. Tu mémorises le truc le plus puant que tu aies senti ? C’est pire. Bref, passé le cap de la panique et du dégoût, on y prend goût ! Hop on arrache des poignées de plantes, on te balance ça dans la barque, on se prend au passage des éclaboussures de vase (les racines sont profondes !), on en a plein les cheveux, plein le visage… Avantage n°1 : c’est finalement très drôle ! Avantage n°2 : quand on se prend l’averse du siècle sur la tête juste après être sortis de la roubine, on est contents d’être rincés !


L'impitoyable jussie ! (Crédits : Philweb)


Dernier grand chantier auquel nous avons participé : la création d’un observatoire, une plateforme située le long de la route et depuis laquelle les curieux pourront observer la magnifique faune du plus vaste étang de Camargue : le Vaccarès. Avec ses 12 km de long et ses 6 500 hectares, il constitue un lieu incontournable pour nombre d’oiseaux, y compris les flamants roses. Un des grands avantages des chantiers bénévoles à mon sens réside dans la façon dont sont considérés les bénévoles. Si nous venons apporter nos petites mains, nous repartons aussi avec de l’expérience en plus. Les encadrants ont en effet à cœur de nous faire tester par nous même les outils, les techniques, même si ça veut parfois dire perdre un peu de temps. Un stage de bricolage pour débutants !


N'est-il pas magnifique notre observatoire ?
Il manque encore la rampe d'accès et les barrières de sécurité et il sera parfait !


Après l’effort, le réconfort !


Pendant les chantiers, les bénévoles ne travaillent que le matin. Ce qui laisse pas mal de temps pour vaquer à d’autres occupations. Manger par exemple ! Le gîte est fourni, mais les bénévoles s’occupent de leur popotte. On s’organise comme en colonie : des menus prévus à l’avance, des courses pour tout le monde et un planning pour la semaine avec des commis de cuisine et de vaisselle pour chaque jour. Le temps de rentrer du terrain, de cuisiner et de manger, il est souvent 15h passé. Rebelotte pour le soir avec des diners aux alentours de 22h ! Horaires de vacances en somme. Il faut dire que s’il n’y avait pas un réveil le matin, on s’y croirait…

Plusieurs activités sont prévues par la SNPN, et offertes aux bénévoles. Au programme, une visite d’Arles et ses monuments accompagnés par une guide rien que pour nous, une balade à cheval version camarguaise (cheval camarguais, selle camarguaise, paysages camarguais au milieu de taureaux camarguais), la visite d’une expo naturaliste à la Capelière (le centre d’informations de la SNPN) et une sortie naturaliste pour observer les oiseaux. Sans compter les activités qu’on s’organise nous-même : marché à Arles, après-midi plage, joutes nautiques, courses camarguaises dans les arènes, et bien sûr des balades dans la réserve. Le gîte constitue le point de départ de trois sentiers naturalistes agrémentés d’observatoires, autant dire qu’il y a de quoi profiter ! Pour les mordus d’ornithologie comme pour les amoureux des petites bêtes, la Camargue c’est un peu le paradis. Je vous en donnerai un petit aperçu dans mon prochain article !


A cheval, nous voyons arriver le troupeau de taureaux. Pas peur !


Au bout d'un chemin accessible depuis notre gîte, un observatoire


Les deux semaines sont trop vite écoulées, et il est déjà temps de repartir. Bronzés, musclés, les poumons remplis d’air frais, l’appareil photo bien garni et des souvenirs plein la tête, on se dit qu’on reviendrait bien l’année prochaine pour remettre ça !





Quelques prérequis indispensables si vous souhaitez vous lancer l’année prochaine :

  • Il est préférable d’aimer la nature. Toute la nature. Y compris les moustiques, les taons, ou encore les chauves-souris dont le niveau sonore est inversement proportionnel à leur taille et qui ont élu domicile derrière les volets des chambres…
  • Il faut savoir se satisfaire du nécessaire. Un peu d’eau fraiche… seulement si on n’a pas oublié de remplir les bidons avec de l’eau potable, à quelques kilomètres du gîte ! Internet, le réseau téléphonique et toutes ces autres futilités, c’est au petit bonheur la chance. 
  • Ne pas avoir peur de se salir. Et accepter de ne pas sentir la rose après la douche. L’eau courante vient de la roubine, celle-là même dont je parlais plus haut (en témoigne son odeur ! N’essayez pas de vous rincer la bouche avec après vous être lavé les dents ! Regrets immédiats…), mais l’odeur s’équilibre bien avec celle du savon en général. 
  • Aimer les gens. Eh bien oui, même si on est à des kilomètres de la ville la plus proche, il va bien falloir supporter les autres bénévoles. Y compris leurs ronchonnements au réveil, leur réticence à faire la vaisselle, leurs préférences alimentaires qui contraignent les menus, et leur humour qui varie à mesure que le soleil tape ! 
  • Ne pas craindre les grands espaces. La Camargue, c’est immense, et très plat. Vision panoramique garantie à des kilomètres à la ronde, de quoi se sentir tout petit !


Les risques à accepter si vous décidez quand même de vous lancer :

  • Gros risque d’émerveillement quant à la foisonnante biodiversité de la Camargue et ses paysages magnifiques. Sensation immédiate de liberté au milieu de ces espaces immenses. Des oiseaux et des insectes à n’en plus savoir donner de la tête. Retour difficile en perspective
  • Changements physiques à prévoir : risque certain de revenir avec une surcharge musculaire et une légère coloration dorée de la peau (un conseil pour bien s’en rendre compte : prévoir de porter le même short plusieurs jours d’affilé les jours de grand beau temps. Effet jambes bicolores garanti !)
  • Des fous-rires pour des broutilles (le soleil tape !), de la bonne humeur, des rencontres avec des personnes passionnées, du partage entre les bénévoles venus de tous horizons… Il y a le risque d’apprendre à cuisiner de l’houmous ou de la ratatouille, de découvrir des styles de musique dont tu ne soupçonnais pas l’existence, d’échanger des astuces et bons plans sur un tas de choses…
  • L’envie irrépressible de remettre ça pour une nouvelle année !



Pour plus d’informations :


La suite de mes aventures en Camargue :





lundi 27 avril 2015

Entourloupes naturalistes : les flamants



Ceci n’est pas un flamant rose. Dans cette série d’articles justement bien nommée « entourloupes naturalistes », je vous propose de découvrir la vérité sur des animaux que l’on confond trop souvent, au grand dam des passionnés ou initiés qui connaissent la vérité.


Un flamant pas rose ?


Vos yeux ne vous trompent pas, la photo ci-dessus représente bien un flamant, et sa belle couleur rose ne fait aucun doute. Si c’est donc bien un flamant qui est rose, ce n’est pourtant pas un flamant rose. Avant de vous faire tourner en bourrique plus longtemps, voici deux choses que vous devez savoir. La première, c’est qu’il existe plusieurs espèces de flamants à travers le monde, et qu’elles arborent toutes différentes teintes de couleur rose. La deuxième, c’est que « flamant rose » est un nom vernaculaire, qui désigne l’une de ces espèces.

Les noms vernaculaires sont les petits noms, bien moins barbares que les noms scientifiques en latin, que l’on donne à des espèces. Souvent inspirés des caractéristiques de l’animal, ces noms peuvent alors parfois être ambigus, et passer comme une simple précision de l’apparence de la bestiole. Par exemple, vous visualisez sans doute ce qu’est une baleine bleue. Même si beaucoup d’autres espèces de baleines sont bleues, le terme « baleine bleue » évoque une espèce bien particulière. C’est la même chose chez les flamants. Le terme « flamant rose » est le nom usuel donné à l’espèce Phoenicopterus roseus. Cette espèce est la plus répandue, et paradoxalement, c’est une des moins roses ! Le fait est qu’en France, c’est la seule espèce naturellement présente. Ne connaissant que ces flamants, c’est donc tout à fait logiquement, en raison de leur couleur notoirement rare dans la nature, que les Français les ont surnommés flamants roses. Les anglo-saxons l’appellent plus justement « greater flamingo », littéralement « le plus grand flamant », en rapport à sa plus grande taille par rapport aux autres espèces.


Un flamant rose (à gauche), particulièrement peu rose à côté de son voisin flamant nain. Dans la colonie française de flamants roses en Camargue, un couple de flamants nains, probablement échappé d’un zoo, s’invite souvent pour la reproduction (Crédits Tifaeris)


Un flamant, des flamants


A l’heure actuelle, pas moins de six espèces de flamants sont reconnues : le flamant rose (Phoenicopterus roseus), le flamant des Caraïbes (Phoenicopterus ruber), le flamant du Chili (Phoenicopterus chilensis), le flamant nain (Phoeniconaias minor), le flamant de James (Phoenicoparrus jamesi) et le flamant des Andes (Phoenicoparrus andinus). Les deux derniers se retrouvent exclusivement en Amérique du Sud, tandis que les quatre autres ont des aires de répartition variables, et qui se recouvrent, sur tout le bassin méditerranéen, l’Afrique et l’Asie.

Toutes les espèces possèdent les mêmes caractéristiques morphologiques, et ont des comportements très proches. Je vous renvoie vers un de mes précédents articles pour découvrir ces créatures étonnantes. Cependant, les différences de taille, de couleur des plumes ou du bec, rendent la distinction des espèces relativement facile.


Comme un air de famille chez ces six espèces. De gauche à droite et de haut en bas : flamant rose (Crédits), flamant des Caraïbes (Crédits), flamant du Chili (Crédits), flamant nain (Crédits), flamant de James (Crédits) et flamant des Andes (Crédits).



Tous les flamants vivent en groupes, dans des zones humides où ils se nourrissent grâce à leur bec si particulier. Celui-ci, fonctionnant un peu comme les fanons des baleines, dispose de peignes leur permettant de filtrer l’eau et de récupérer algues et petits invertébrés. De leur alimentation, les flamants extraient un pigment rose qui rend leur plumage si caractéristique : les caroténoïdes.


Petit aperçu de nos six espèces de flamants (Crédits Nicolle)

 

 

Des flamants roses pas toujours roses


On ne vous y trompera plus : un flamant qui est rose n’est pas forcément un flamant rose. Hé bien sachez aussi qu’un flamant qui n’est pas rose peut tout à fait être un flamant rose ! C’est le cas notamment des jeunes. A l’instar des poussins de poule dont la couleur est pour le moins différente de l’adulte, les petits flamants roses arborent un duvet blanc à la sortie de l’œuf. Au bout de quelques jours, la couleur va plutôt tirer sur le gris. La taille adulte atteinte, les juvéniles se distinguent encore très bien des adultes par leur couleur. Il faudra attendre quelques années avant qu’ils puissent arborer les jolies teintes roses et blanches qui les caractérisent, attributs non négligeables pour séduire les partenaires.


Un jeune flamant quelques heures après la sortie de l’œuf (Crédits)

Ce flamant gris est bien un flamant rose, pas encore rose ! (Crédits Pescalune)


Enfin, pour finir de tordre le cou aux flamants qui sont tous des flamants roses ou aux flamants roses qui sont tous roses… sachez qu’on peut même trouver des flamants roses… noirs ! En avril de cette année, un de ces énergumènes a même été observé à Chypre. Cette coloration, qui reste pour le moins inhabituelle et très rare, pourrait être due à une particularité génétique provoquant une hyperpigmentation des plumes : le mélanisme. Bien que ce ne soit pas la première fois qu’un flamant rose noir est observé, nul ne sait s’il s’agit d’individus différents, ou du même individu vu à plusieurs endroits ! Voyez plutôt la vidéo ci-dessous. Quant à la photo du début de l’article, je vous laisse deviner à quelle espèce il appartient !





Retrouvez d'autres histoires de flamants sur ce blog :


Sophie Labaude

lundi 20 octobre 2014

Quand ils ont trop froid, les flamants roses meurent… de faim

1985. L’hécatombe. Dans un des plus beaux endroits de France, la Camargue indomptable, se déroule une tragédie sans précédents. Le froid extrême touche de plein fouet les populations sauvages, venant à bout même des animaux capables de migrer. Subissant deux semaines consécutives de températures négatives allant jusque -10°C, la population de flamants roses, la seule à se reproduire en France, subit alors de pertes considérables : près de 3000 cadavres sont recensés.

Photo d'archive de 1985 qui montre la tristesse de la rigueur de l'hiver, avec nombre de cadavres de flamants gisant sur une Camargue en proie au gel (Source)


2012. Nouvelle vague de froid alors même que le destin m’a conduit en Camargue pour étudier les flamants roses. Quelques jours après mon arrivée, c’est avec ironie que j’ai l’occasion de les observer de beaucoup plus près, et en beaucoup moins vivants… Le climat a encore frappé : on compte 1500 morts parmi les rangs des 20 000 individus hivernant en France. A la Tour du Valat, centre de recherche qui étudie les flamants de longue date, les macchabées roses s’entassent. Les gens nous ramènent les animaux qu’ils trouvent, ou nous appellent pour qu’on vienne les chercher. Malgré la tristesse de la situation, l’esprit scientifique grattouille sous le crâne : on a envie de comprendre.

Avec des collègues du centre et en collaboration avec d’autres personnes de Montpellier, on se lance alors dans une investigation. Objectif : déterminer la cause de la mortalité des flamants. Car si le froid mordant est un candidat évident, son impact peut être moins direct qu’il n’y parait.

Les corps s'entassent, on les stocke sous de gros bacs qui jouent le rôle de congélateurs "grâce" aux températures extérieures négatives. Ne pas se fier au soleil !

Avec la quantité de cadavres à disposition, on recrute une armada de volontaires (un grand merci au passage !) qui nous aide à mesurer chaque individu. Quelques candidats seront étudiés de plus près : on les mesure sous toutes les coutures, du bec jusqu’au bout des pattes. On leur arrache des plumes pour les compter et les mesurer. On utilise des appareils pour évaluer la couleur de leur peau et de leur plumage, on les pèse… Des centaines de données qui vont pouvoir être utilisées pour modéliser les dépenses énergétiques des flamants, grâce à un modèle développé par nos autres collaborateurs américains. Ce modèle astucieux fabrique un individu fictif numérique à partir des données moyennes qu’on lui donne (morphologie, physiologie, comportement, et tout un tas de paramètres). Puis on renseigne au modèle le climat subit par les animaux (température, vent, humidité, etc.) et on obtient les dépenses minimales nécessaires aux bestioles pour conserver leur homéothermie, autrement dit pour garder le sang chaud. Très rapidement on observe ce que l’on soupçonnait : les vagues de froid augmentent drastiquement les dépenses énergétiques de nos flamants. Se maintenir au chaud lorsqu’il fait froid, même si on est bien pourvus en plumes, ça coûte de l’énergie !

Un spectrophotomètre est utilisé pour mesurer la lumière renvoyée par les plumes et la peau des jeunes et des adultes. Autrement dit, on mesure leur couleur, qui joue un rôle dans la thermorégulation en modulant la quantité de rayons du soleil qui sont renvoyés.

Se pourrait-il que les flamants soient morts de faim, après avoir épuisé toute leur énergie ? Pour en avoir le cœur net, je monte dans un train direction Strasbourg, avec une valise pleine de flamants morts et l’espoir qu’ils ne décongèlent pas trop vite (pour ceux qui se posent la question, l’odeur du flamant décongelé est absolument abjecte !). Là-bas, avec d’autres collègues du CNRS, les flamants sont découpés avec la précision d’une boucherie fine, les morceaux sont pesés, et ils sont ensuite réduits en poudre. Littéralement. La technique peut paraitre un tantinet barbare mais elle permet de procéder à des dosages précis de la composition biochimique des animaux. En l’occurrence, le ratio lipides/protéines permet de donner une idée sur l’état des réserves de l’animal. Plus ce ratio est élevé, plus la bestiole se porte bien. En revanche, lorsqu’un individu n’a plus accès à la nourriture, il puise dans ses réserves en consommant d’abord ses lipides, ce qui fait diminuer ce ratio. 

Après investigation, mes flamants voyageurs présentaient un ratio proche de celui observé chez d’autres oiseaux dans une phase de jeûne avancée. Autrement dit, ils avaient faim, très faim ! Toutes les données se recoupent alors. Les carcasses étaient exceptionnellement légères, et les dosages suggèrent que toutes les ressources étaient épuisées, en parallèle du modèle qui nous dit que les flamants ont fait face à une demande sévèrement accrue en énergie. Alors pourquoi n’ont-ils pas simplement mangé plus s’ils avaient tant besoin d’énergie ? C’est la dernière clé de l’énigme. 

Les artémies, minis crustacés aquatiques, constituent un des mets favoris des flamants. Ils passent des heures le bec plongé dans l'eau à filtrer ces créatures à la manière d'une baleine et de ses fanons.


En France, comme pour beaucoup d’autres pays nordiques, des oiseaux de toutes trempes migrent à l’approche de l’hiver. Contrairement aux idées reçues, ce mouvement qui se fait généralement vers le sud n’est pas une réponse à l’incapacité des oiseaux à faire face à des températures plus faibles. D’ailleurs, notre modèle montre que les températures hivernales, même en période de vague de froid, induisent des dépenses énergétiques qui sont certes importantes mais qui restent plus faibles que celles requises par la reproduction. Ce qui fait partir les oiseaux, généralement, c’est la nourriture qui se fait rare. Insectes et petites bêtes en tous genres, y compris les minuscules crustacés aquatiques dont se nourrissent les flamants… la nature se dépeuple quand vient la fin de l’année. Les flamants roses sont d’ailleurs des migrateurs partiels : une partie de la population s’en va vers l’Afrique, terre d’abondance, une fois la période de reproduction terminée. Beaucoup restent en France cependant, et notamment les plus jeunes pour qui la probabilité de survie est plus importante s’ils restent sur place. Les ressources sont certes plus restreintes, mais généralement suffisantes pour eux, et constituent un obstacle bien moins insurmontable que de traverser des milliers de kilomètres avec tous les dangers que cela implique. Mais en période de vague de froid, on change la donne : la plupart des plans d’eau où se nourrissent les flamants sont alors congelés ! La nourriture n’était donc tout simplement pas accessible pour les animaux, qui avaient d’ores et déjà épuisé trop de réserves pour entreprendre avec succès une migration. C’est ainsi que se résout le mystère : les flamants roses, en pleine vague de froid, sont en fait morts de faim.


http://jeb.biologists.org/content/217/20/3700Bibliographie 
(et avec grande fierté, mon premier article tout fraichement publié !) :

Deville, A.-S., Labaude, S., Robin, J.-P., Béchet, A., Gauthier-Clerc, M., Porter, W., Fitzpatrick, M., Mathewson, P. & Grémillet, D. 2014. Impacts of extreme climatic events on the energetics of long-lived vertebrates: the case of the greater flamingo facing cold spells in the Camargue. The Journal of Experimental Biology, 214, 3700-3707.

+ le petit bonus du journal


Sophie Labaude

mercredi 4 septembre 2013

Les vacances d’une écologue : objectif flamants

La douce torpeur estivale des blogs vient d’être gentiment bousculée par l’inévitable : c’est la rentrée ! L’occasion de reprendre le chemin du travail ou des bancs de l’université, et bien sûr sa plume virtuelle pour de nouvelles épopées scientifiques. Mais que peuvent-bien faire les bloggeurs de leur été ? Nous allons vous conter les récits de nos aventures scientifiques ou naturalistes estivales, chacun son tour, pour se remettre tranquillement dans le bain tout en gardant un petit coin de l’esprit en vacances…
 
Dans des temps immémoriaux (l’année dernière…) j’avais coutume d’étudier un des animaux les plus étranges, le flamant rose. Je leur avais consacré tout un article pour dépeindre leurs cocasseries multiples (par ici). Et même si depuis je suis passée à autre chose, on n’abandonne pas si facilement ces créatures extravagantes. Et c’est ainsi que, durant l’été, j’ai pu m’incruster dans un évènement très attendu en Camargue : le baguage des flamants roses.
 
(Source)
 

Petite mise en contexte. En France, les flamants roses ne se reproduisent que dans une seule colonie, sur un petit ilot au cœur de la Camargue. Protégés de tous les côtés, personne ne peut s’en approcher à l’exception de quelques rares privilégiés qui les étudient. Une tour d’observation est construite juste en face de l’ilot, et on y accède camouflés sous un espèce de mini-tank flottant. La reproduction se passe tranquillement, avec des observations presque quotidiennes qui permettent de lire des bagues et de déterminer quels individus sont présents et s’ils se reproduisent. Les bagues en question sont composées d’un code alpha-numérique propre à chaque individu, et lisible jusqu’à 300m. On peut ainsi connaître l’histoire de nos flamants : âge, longévité, reproduction, dispersion… Une mine d’informations bien précieuse pour les chercheurs ! C’est pour cette raison que, chaque année, une armée de volontaires se réunit pour l’évènement ultime, le baguage des jeunes flamants.
 
Vue du ciel de la colonie et de la tour d’observations
 
Observation depuis la tour : les bagues sont parfaitement lisibles
 
 
Comme seuls les V.I.P. (quelques 200 personnes tout de même…) sont invités à participer à cet évènement, voici en exclusivité le récit d’une poignée d’heures palpitantes.
 
Il est 5h, la nuit est encore bien noire quand une ribambelle de véhicules quitte le centre de recherches biologiques de la Tour du Valat. Malgré l’heure matinale, la plupart des gens sont bien réveillés. L’effet de l’excitation probablement, mais il faut dire que les dizaines de moustiques et leurs bzz-bzz provocateurs y sont aussi pour quelque chose. On est en Camargue tout de même ! La foule a rendez-vous sur la digue. Tout le monde est bien rodé, la réunion obligatoire de la veille ayant permis d’assurer une organisation optimale. Les participants sont répartis dans plusieurs équipes, chacune ayant une couleur de t-shirt différente. Le premier défi une fois arrivés est de repérer son chef d’équipe dans l’agitation et l’obscurité. Le départ s’effectue peu après 5h30. Chaque équipe part à tour de rôle sur deux digues différentes, les jeunes flamants se trouvant quelque part entre ces deux digues. C’est ainsi que 200 personnes se mettent en marche, accompagnées cette année du grondement sourd de l’orage et d’une multitude d’éclairs déchirant le ciel et accompagnant le timide lever du soleil.
 
Réunion par équipes avant le grand départ
Ambiance particulière entre orage et soleil cette année
 
Les jeunes flamants, qui sont encore tout gris et qui heureusement ne savent pas voler, sont tous regroupés en une « crèche », gardée par quelques adultes. Le but de la manœuvre est de les encercler, et les guider vers un entonnoir se terminant par deux enclos. Les chefs d’équipe jouent du talkie-walkie pour synchroniser tout le monde. Une fois les équipes en place, le rabattage commence. En même temps que la pluie. L’étau humain se ressert petit à petit sur le groupe de flamants qui se met en mouvement, avec la même apparence d’unité qu’un banc de poissons. Les adultes s’envolent assez rapidement, ajoutant l’éclat rouge de leurs ailes au ciel déjà magnifique. Cette année, l’étang est particulièrement sec. Un avantage dans le sens où les gens n’ont pas les pieds dans l’eau, hormis les malchanceux des premières équipes qui pataugent dans une boue noire, odorante et particulièrement avide de capturer les chaussures mal attachées… En revanche, la sécheresse a également une autre conséquence : les flamants courent beaucoup plus vite ! Une fois le groupe en mouvement, la synchronisation du rabattage devient primordiale.
 
Mise en place des équipes et rabattage, une chaîne humaine de très grande ampleur
 
Le jour est maintenant totalement levé, les flamants sont en passe de rentrer dans l’entonnoir. Les premiers arrivés se rendent compte du traquenard et tentent de faire demi-tour, les suivants leur foncent dedans sans comprendre, l’inévitable se produit : un tas de flamants. Un enchevêtrement de cous, de pattes et de corps, tout le monde est à terre dans un chaos assez effrayant. Il faut intervenir rapidement. On s’écarte, on relève rapidement les jeunes, heureusement tout le monde va bien. Une partie du groupe est déjà rentré dans l’enclos, les autres sont autorisés à déguerpir. Sur 3000 poussins présents, seuls 800 seront bagués.
 
 
Derniers instants du rabattage : on laisse une grande partie de la crèche s’échapper
 
 
Un petit répit dans l’organisation, quelques minutes à s’autoriser l’observation hypnotique de ces 800 êtres étranges tournant en rond, à présent séparés dans deux grands enclos. Et déjà les chefs d’équipes appellent leurs soldats. Chacun connait son poste et son rôle précis. Dans les grands enclos, des personnes sont chargées d’attraper les flamants et de les passer dans des minis enclos propres à chaque équipe. Les animaux sont ensuite passés de mains en mains, tour à tour bagués, mesurés (aile et tarse) et pesés. Des plumes sont prélevées, elles permettront de déterminer le sexe de chaque individu grâce à une analyse génétique. D’autres prélèvements sont effectués, sur un nombre plus restreint d’individus, pour des expériences à part. Des prises de sang par exemple, ou des prélèvements cloacaux. Et puis depuis l’année dernière, des expériences de comportements sont mises en place sur les jeunes durant le baguage. Certains individus passent ainsi des tests de personnalité. La partie la plus drôle consiste à placer le flamant par terre, sur le dos, et à chronométrer le temps qu’il met pour se relever. Si certains sont très réactifs et obligent les observateurs à leur courir après, d’autres semblent paralysés par cette position inhabituelle et restent bêtement posés au sol, cou et pattes tendus, parfaitement immobiles. Le test du crayon, qui consistait à provoquer l’agressivité des jeunes en approchant un crayon de leur tête, a été abandonné cette année. L’année dernière, les flamants se souciaient bien plus de pincer les gens qui les portaient que le crayon…
 
La moitié des poussins rabattus sont dans cet enclos, un deuxième contenant les 400 autres poussins
Prélèvement de plumes pour le sexage
Test de comportement : se relever quand on est sur le dos. Ce n’est pas gagné…
 
Chaque flamant ayant passé toutes les étapes obligatoires de son parcours, et éventuellement les dernières étapes optionnelles, est alors relâché dans l’entonnoir. La plupart sont épuisés par les évènements, et s’en vont tranquillement, s’allongeant parfois au sol quelques secondes avant d’avoir la force de partir. Les jeunes trop épuisés sont conduits dans une infirmerie, spécialement conçue à l’écart de l’agitation générale pour leur donner le répit nécessaire avant de reprendre la direction de la crèche.
 
Les flamants sont relâchés un par un au fur et à mesure
 
 
Huit cent flamants plus tard, c’est au tour des humains de remballer. Les enclos sont démontés, en quelques minutes, au grand dépit des personnes qui ont mis toute leur énergie et plusieurs semaines à les monter avant le baguage (croyez-moi, j’en ai fait partie !). Il n’est même pas 10h quand tout le monde reprend la direction des voitures, n’ayant en tête que le petit-déjeuner offert à quelques kilomètres de là en attendant le traditionnel grand banquet qui clôture l’évènement.
 
On casse tout et on remballe, le petit-déjeuner nous attend !
 
 
Ainsi se termine une des épopées les plus grandioses de mon été. Si vous souhaitez en savoir plus sur le baguage et tout ce qui concerne les flamants en Camargue, allez faire un tour sur ce site : http://flamingoatlas.org/
Vous y trouverez toutes les photos de toutes les années de baguages, de nombreuses informations, ainsi que la possibilité de… parrainer un flamant ! Mieux encore, le baguage a été filmé il y a quelques années, et la vidéo est disponible en ligne : http://youtu.be/ZZqyYB_VT9Y
 
 
Sophie Labaude
 
Crédits photo : Tour du Valat.
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