Les vacances des scientifiques… à quoi ça peut bien ressembler ? Sophie
vous en a donné un aperçu en vous contant ses aventures en Camargue. De mon
côté, les vacances n’étaient pas au programme de l’été, mais ce n’est pas pour
autant que l’aventure n’était pas au rendez-vous !
Si vous vous fiez à notre page de présentation, depuis un peu plus de 10 mois je travaille sur les
tourbières, et plus particulièrement les tourbières du Jura. Cette année
l’hiver a été très froid et plutôt long. Encore plus en altitude. Les
tourbières du Jura sont restées sous la neige assez longtemps après la hausse
des températures au mois de mars. Il a fallu encore plus de temps pour que
l’activité reprenne dans cet écosystème qui s’était mis en veille tout l’hiver.
Quelle activité ? Celle des micro-organismes dont je vous ai très
brièvement parlé là. Et c’est à ces petits
amis qui ont pris leur temps pour se réveiller que je m’intéresse. C’est eux ma
raison de me lever tous les matins depuis quelques mois. Et c’est encore eux
qui ont accaparé mon attention tout cet été ! L’objectif de l’été est de
prélever des carottes de tourbe pour ensuite faire des analyses et un suivi des
communautés microbiennes en laboratoire afin de connaître l’effet du
réchauffement climatique sur les bactéries et sur la capacité de stockage du
carbone par les tourbières.
Le site expérimental sur lequel
on prélève est situé à Frasne dans une réserve naturelle régionale et
nationale. Plusieurs espèces protégées s’y développent comme la Drosera et l’Andromède.
Drosera rotundifolia (source) |
Andromeda polifolia (source) |
Mais pour que les chercheurs
puissent faire avancer la science, un accord a été passé entre les responsables
de la réserve et un groupe de laboratoire de recherche de façon à ce que le
site soit classé Observatoire des Sciences de l’Univers, c’est-à-dire que les
scientifiques ont l’autorisation d’y mettre en place des expériences afin de
répondre à de grandes questions environnementales. Grâce à cet accord, en 2008,
le laboratoire Chrono-environnement a pu mettre en place le ponton et un plan
expérimental pour étudier l’effet du réchauffement climatique sur les
tourbières. Ce plan expérimental (comme on peut le voir sur le schéma
ci-dessous) est constitué de 12 placettes dont certaines sont mises sous serre
grâce à un système appelé Open-Top-Chamber et qui permet d’appliquer un
réchauffement moyen de 2 degrés, ce qui correspond à un réchauffement plausible
à moyen terme. Ce site expérimental est unique en France mais il a été
reproduit en Pologne et en Sibérie afin d’obtenir des données sur un gradient
latitudinal. Ainsi si mes expériences sont concluantes, il faudrait les
réitérer dans les 2 autres pays !
Schéma du site expérimental des tourbières de Frasne |
Et voilà, c’est pour mes amis
(bactéries, champignons et autres compères) des tourbières que je me suis levée
à 5h le vendredi 28 juin dernier et que je suis partie en vadrouille sur les
sentiers perdus de la Franche-Comté, plus précisément du côté de la ville de
Frasne.
Carte du site, © V.Jassey |
Accompagnée de deux stagiaires et d’une
ingénieure du labo (notre Mac Gyver à nous !), on décolle à la première
heure. Après presque 3h de route à passer de petites villes en villages, c’est
vers 9h du matin que nous arrivons aux abords de la tourbière du Forbonnet. Là,
il nous faut enfiler bottes et chaussures de marche, pantalon imperméable,
prévoir parapluie et crème solaire (on ne sait jamais à quel temps on aura droit,
même en plein été), emporter nos sacs remplis de flacons et pots en tout genre,
couteaux de taille conséquente, sachets isothermes, glacière, et nous armer de
toute notre motivation et de notre humour sans lequel une journée de
terrain ne serait pas une journée de terrain !
Panorama du site (quand il fait beau!!!) |
C’est parti !
Presqu’à l’image d’Indiana Jones,
on brave quelques pontons glissants (la faute à la pluie de la veille), souches
et branches d’arbres traîtres et on se démène pendant un peu plus de 20 minutes
au beau milieu d’une forêt de pins en tentant de ne pas s’embourber dans la
tourbe ! C’est qu’elle a faim la tourbe. Dès qu’on relâche notre attention
ne serait-ce qu’une seconde, elle ne perd pas une occasion d’aspirer un pied,
voire plus (quand elle a de l’appétit, ça peut aller jusqu’à la cuisse !)…
De mon expérience, la sensation n’est absolument pas désagréable. On se
laisserait presque prendre à ce doux massage si seulement les membres en cours
d’aspiration ne commençaient pas à se refroidir très rapidement. La tourbe,
surtout après un hiver long et froid, est à une température moyenne de 10°C et
plus on s’enfonce, plus c’est froid. Donc, il ne faut pas s’endormir sur nos
lauriers…. euh sur nos pins !
A gauche, vous pouvez voir la forêt de pins dans laquelle on a du évoluer pour arriver au but et à droite, un petit aperçu de ce dans quoi il nous est arrivé de plonger nos pieds |
Arrivés sur notre ponton
expérimental et sans plus attendre, on se répartit les tâches : qui
prélève, qui annote, qui prend les photos, et qui vérifie les capteurs. La
meilleure partie, c’est le prélèvement biensûr ! A chaque campagne, le
mode de prélèvement doit être adapté à ce qu’on veut étudier sur les
échantillons. Dans mon cas, j’ai besoin de carottes de 10*10*15 cm de profondeur
(photo plus bas). D’autres avant moi n’ont prélevé que des échantillons de
sphaignes (c’est la mousse qui pousse préférentiellement sur ces tourbières et
que l’on voit sur la photo de la carotte), ou encore que des échantillons sur
les 3 premiers centimètres de profondeur. Mes carottes vont servir à mettre en
place plusieurs expériences au laboratoire, et comme ce coup-ci je travaille
sur les bactéries, il faut que le prélèvement se fasse de façon la plus stérile
possible. C’est pour ça que les pots s’apprêtant à recevoir les carottes ont
été lavés à l’alcool, il en est de même pour les couteaux servant à trancher la
tourbe. Et entre chaque prélèvement, les couteaux sont aussi stérilisés à
l’alcool.
Pour prélever sur chacune des 12
placettes, je dois descendre du ponton et marcher à même la tourbe, qui ne perd
pas une seconde pour s’enfoncer en m’emporter avec elle. Deux solutions se
présentent à moi : soit je reste en permanence en mouvement, mais cela
rend complexe le découpage et le prélèvement des carottes, soit je me sers du
Peatsurf, autrement dit le surf des tourbières ! Je suis sûre que vous
vous demandez ce que c’est…. Je vous préviens, vous allez être déçu par la
simplicité de l’idée. Le peatsurf n’est rien de plus qu’un couvercle de
poubelle sur lequel on monte quand on a besoin de marcher sur la tourbière. Il
nous permet de mieux répartir notre poids au sol et donc de ne pas nous
enfoncer et de rester au sec (ou presque). Cette idée de notre Mac Gyver tient
du système D mais c’est suffisamment simple, judicieux et efficace pour être
validé par quiconque doit prélever sur les tourbières.
Une belle photo de mon peatsurf! |
Pour chaque placette, il a fallu,
avant-tout, trouver une zone représentative de l’ensemble de la placette, puis
découper la carotte au couteau aux dimensions souhaitées (10*10 cm en surface)
sur une profondeur minimum de 15 cm. A partir de là, on abandonne les couteaux
et on passe en mode manuel. Il faut alors plonger les mains dans la tourbe
(avec des gants lavés à l’alcool pour rester dans des conditions les plus
stériles possibles) pour en sortir la carotte (photo ci dessous à gauche) d’à peu près 3 kilos saturée en
eau. Une fois la carotte prélevée, on en profite pour collecter
un échantillon d’eau au fond du trou (photo ci dessous à droite) laissé pour y analyser les bactéries
présentes.
Autant vous dire qu’entre la
position assez inconfortable, l’instabilité du peatsurf et la température
plutôt rafraichissante de la tourbe, on fait en sorte d’être efficace pour ne
pas avoir à y revenir 2 fois. En un peu moins de 3h, tous les prélèvements sont
faits et les échantillons stockés en glacière. Il ne reste plus qu’à rapporter
tout ça en laboratoire.
Là où c’est moins drôle, c’est
que les expériences prévues sur ses échantillons doivent se faire à Paris. Donc
après avoir remballé nos affaires, fait le chemin inverse au milieu de la forêt
de pins, des souches, de la tourbe et sur les pontons glissants, et repris la
voiture en direction de la gare la plus proche, j’enchaîne avec 3h de train
chargée de plus de 30 kilos de tourbe et une valise de matériel de laboratoire. Arrivée à 21h à Gare de Lyon, je
retrouve les traditionnels problèmes de métro qui retardent mon arrivée au
laboratoire où je dois stocker mes échantillons en chambre froide jusqu’au
lendemain. Mais après beaucoup de patience, à 23h mes échantillons sont enfin
au frais. Ils vont pouvoir passer 24h au calme, et moi je dois traverser Paris
pour rentrer chez moi, dormir quelques heures et me reposer une journée tout au
plus avant de revenir m’occuper de mes petits amis des tourbières.
Et donc, dimanche matin, 9h, au
laboratoire BIOEMCO, à Créteil, nous sommes 3 pour faire face à ces 30 kg de
tourbe et d’eau. Mes deux acolytes, un chercheur et une post-doctorante, se
sont aussi armés de leur humour et de leur réserve de café, car ils savent que
la journée va être longue. Et ce n’est pas peu dire…. Nous avons fini à 2h30 …
du matin, presque sans avoir fait de pause.
Comme tout chercheur en biologie
le sait, le vivant n’attend pas, il continue son cycle, son évolution quoi
qu’il se passe. C’est à nous de nous plier à ses contraintes et pas le
contraire. Mais ces fameuses contraintes, c’est cela qui nous forge de
merveilleux souvenirs. Et dire que de simples bactéries sont capables de déclencher
de monstrueux fous rires à n’en plus finir.
Pour tout vous avouez, les jours
suivants n’ont pas été de tout repos et loin d’être faciles. L’ensemble des
expériences que j’avais prévues a duré 1mois et demi en continu et il m’en
reste quelques bribes à finir jusque fin octobre. Mais je n’échangerai pour
rien au monde ces vacances d’écologue contre des vacances à Bora-Bora !
Battle
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