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jeudi 18 avril 2019

Étonnants chétognathes et gnathifères, va falloir s’y faire !

Il est facile de se laisser fasciner par les choses étranges. Un phénomène météorologique bizarre, une rue à l’ambiance particulière dans une vieille ville, un plat atypique dont on n’est pas sûr qu’on osera y goûter ou pas, ou un animal tordu... Eh ben comme de par hasard ici on va parler d’animaux tordus ! Et souvent avec ces animaux, le problème c’est de savoir où ils se trouvent dans l’arbre de la vie. Un exemple classique que beaucoup connaissent c’est l’ornithorynque, ce mammifère atypique qui a des points communs avec beaucoup d’animaux différents. Lors de sa découverte savoir de quel animal il était le plus proche n’était pas évident. Mais à force de recherches on a compris que c’était bien un mammifère, différent de nous ou des kangourous, mais quand même plus proche de nous que des lézards et oiseaux (qui pondent aussi des œufs comme l’ornithorynque). Notre cher mammifère aquatique à bec a cette chance, justement, d’être un mammifère, et beaucoup de gens travaillent sur ces animaux. Mais qu’en est-il des groupes plus lointains de nous ? Les vers marins ou autres insectes ? Eh bien beaucoup de ces organismes sont encore mystérieux et on ne sait pas où les placer dans la classification animale, mais comme avec l’ornithorynque avec le temps on va y arriver (j’en ai parlé iciici ou ici). Et récemment un des groupes les plus énigmatiques est probablement en train de trouver sa place bien au chaud au sein de l’arbre du vivant : Les chétognathe (à prononcer kétognate) !

Voici un chaetognathe, y’en a qui disent que ça ressemble à une flèche… Source : ceci n'est (vraiment) pas une b**e 

Les dents de la mer, version spéciale plancton


Bon, déjà c’est quoi un chétognathe ? Comme je l’ai déjà brièvement expliqué ici (zoo au plancton) ce sont des vers marins planctoniques. Ça veut dire que s’il y a trop de courant, pouf, ils se font emporter. Des organismes planctoniques il y en a beaucoup, et les chétognathes sont parmi les prédateurs les plus terribles sur la planète Terre… car ils chassent le copépode (dont je parle aussi dans mon article sur le plancton) ! D’autres amis planctoniques très, très, très abondants dans les eaux, mais aussi très agiles. Les chétognathes sont donc aussi parmi les plus communs et les plus efficaces des prédateurs. Corps effilé en forme de flèche (on les appelle aussi vers sagittaires ce qui signifie "vers flèches"), organes sensoriels perfectionnés, réflexes affûtés, et des mâchoires aux dents acérées pouvant injecter du venin. S’ils faisaient plusieurs mètres au lieu de quelques millimètres (voir centimètres pour les plus grands), ils seraient dignes d’un film d’horreur. En effet, si terribles qu’ils soient il est plus probable que vous en ayez avalé en buvant la tasse en mer, que l’inverse. Ces animaux omniprésents dans les mers et océans sont pourtant relativement peu connus et comme l’a dit Darwin, même aujourd’hui ils restent « remarquables par (…) l’obscurité de leurs affinités et par leur abondance inouïe dans les mers intertropicales et tempérées. ». 

Le cauchemar des copépodes, la tête du chétognathe, toutes dents écartées ! Source :  que vous avez de grandes dents !

3… 2… 1… Bor**l  classificatoire !


Le problème de la relation de parenté (phylogénie) des chétognathes avec les autres animaux est assez similaire, à leur échelle évolutive, à celui des ornithorynques. Ils ont des caractères qui ressemblent à ceux de différents groupes, allant des insectes à nous. Lorsqu’ils étaient étudiés uniquement sur la base des caractère morphologiques, leur développement embryonnaire semblait si proche du nôtre qu’ils ont été placé dans ce grand groupe appelé « deutérostomiens » (en rapport avec le développement justement, j’ai parlé en détails de ces animaux ici) qui donc comprends les vertébrés (nous, entre autres) mais aussi les étoiles de mer (exemple : Brusca et Brusca 2003). Puis quand on a étudié leur génome, on a commencé à les placer avec cet autre grand groupe, les « protostomiens » qui contiennent les mollusques et les insectes (et plein d’autres groupes très étranges). Et là aussi ce n’était pas si simple, car les résultats semblaient indiquer qu’ils étaient plus proches des Spiralia (aussi parfois appelés Lophotrochozoa selon les gens, pour que ce soit plus simple), qui comprennent les vers de terre et les mollusques (exemple : Matus et al. 2006). Mais d’autres recherches on aussi trouvé qu’ils étaient plus proches des ecdysozoaires (j’en ai parlé ici : histoire de mue) qui contiennent les insectes et autres bêtes à plein de pattes (exemple : Paps et al. 2009). On a aussi pensé que les chétognathes étaient simplement le groupe le plus proche des autres protostomiens (dans le jargon, on parle de groupe frère), c’est-à-dire qu’ils forment leur propre lignée (résumé par exemple chez Dun et al. 2014). Bref, déjà si vous avez tenu jusque-là je vous félicite, et pour vous récompenser, voici un arbre qui récapitule tout ça, vous allez voir j’ai juste mis les chétognathes partout…

Comme vous le voyez les chétognathes ont beaucoup voyagé dans la phylogénie, va falloir me démêler tout ça ! Sources : chétognatheOrnithorynque,  Polypterus (vertébré qui n'existe pas)Acanthaster (étoile de mer),  squille (la "crevette" jolie mais pas sympa), Popoillon, Nématode (ver rond. Voilà, l'es scientifiques ont pas trouvé mieux pour les décrire), Dugesia (ver plat qui louche. Là par contre c'est moi qui les appelle comme ça), ver de terreest-ce un cargo ? 

Encore des présentations de vers étranges…


Mais récemment, trois études scientifiques sont venues apporter des indices sur la position des chétognathes, qui trouveraient enfin leur place au chaud dans la phylogénie des animaux, et ces études semblent concorder ! Ce qu’il y a de plus convainquant c’est que ces trois études utilisent trois méthodes différentes : l’étude des gènes « architectes » de la morphologie des animaux, la comparaison des gènes pour faire une phylogénie, et la réinterprétation d’un fossile pourtant bien connu. Je ne vais pas tourner autour du pot longtemps, vu que ces trois études vont vous donner la réponse, les chétognathes seraient proches des… gnathifères !!! Mais oui mais oui ! Mes petits bébés chouchous avec les Micrognathozoa dedans ! Comment ça j’ai raté une étape de vulgarisation ? Faut expliquer ce que sont les gnathifères ? Ah oui ! Allez c’est parti, ça m’fait plaisir, je le fais rien que pour vous…

Déjà « gnathifère » signifie « qui porte des mâchoires » tiens tiens… Comme les chétognathes et leurs mâchoires soyeuses. Ils sont formés de trois groupes (taxons) : les gnathostomulides et les Micrognathozoa (mes chouchous sur lesquels j’ai travaillé !) dont je parle dans cet article : petits vers et les rotifères dont Sophie a déjà parlé ici. Ce sont des animaux aquatiques microscopiques qu’on trouve un peu partout sur la planète : dans le sol ou dans les mers. Ils ont des petites mâchoires qui leurs servent à plein de choses comme gratter les bactéries, chasser ou aspirer l’intérieur des cellules de plantes. Dans ce groupe, ce sont les rotifères les plus communs, et ceux qui ont la plus grande diversité de modes de vie, eux on les trouve partout partout ! Il y en a même probablement dans la terre de vos plantes de maison. Les gnathostomulides et les Micrognathozoa sont par contre plus rares. Les gnathostomulides se trouvent dans certains environnements marins vaseux, et les Micrognathozoa seulement dans certains cours d’eau douce d’une île du Groenland et d’une île australe. Mais les gnathifères ont été regroupés pas juste parce-qu’ils sont petits, mous et qu’ils ont des mâchoires, mais aussi parce-que la microstructure de leurs mâchoires est similaire entre ces trois taxons. En effet elles sont composées de bâtonnets qui, lorsqu’on les coupes et qu’on les regardes au microscope électronique, ont un intérieur sombre et un extérieur clair. Par ailleurs, les gnathifères possèdent très souvent une partie centrale de leurs mâchoires en forme de pince. Cependant comme ils sont souvent tout petits, et qu’à part les rotifères ils sont assez rares, il a fallu du temps pour qu’on arrive à avoir du matériel génétique pour confirmer que c’était bien un groupe naturel, appelé groupe monophylétique, et c’était bien le cas (Laumer et al. 2015) !

(N'hésitez pas à cliquer pour agrandir ! Ces animaux ne mordent pas ! Enfin si, mais pas en photo.) Présentation des différents gnathifères et leurs mâchoires. Sources : Gnathostomulida, Gnathostomula paradoxa, Micrognathozoa, Limnognathia maerskianimalmâchoires, Rotifera, Testudinella patina, animal, mâchoires.

La structure générale et la microstructure interne des mâchoires d’un gnathifère constituées de bâtonnets avec l’intérieur sombre et l’extérieur clair (Gnathostomula paradoxa), d’après Herlyn et Ehlers, 1997.

Un secret partagé entre les rotifères et les chétognathes


La première étude à mettre les pieds dans le plat quant à la relation de parenté entre les chétognathes et les gnathifères c’est celle de Fröbius et Funch en 2017 (tout ça est relativement récent donc). Funch c’est quand même un des deux types qui a décrit les Micrognathozoa… Cette étude est une des premières à s’intéresser à la répartition des « gènes Hox » chez le rotifère Brachionus manjavacas. Les gènes Hox, c’est les gènes qui permettent la mise en place des différentes parties du corps d’avant en arrière chez les animaux. Autant dire qu’ils sont importants pour le développement embryonnaire. On  les utilise souvent pour mieux comprendre l’évolution entre différents taxons. Si une partie exprime les mêmes gènes Hox chez deux animaux différents, on va supposer qu’ils ont la même origine évolutive (jusqu’à preuve du contraire). C’est pour ça que beaucoup de chercheurs comparent l’expression des gènes Hox chez différents animaux pour pouvoir faire des hypothèses sur quelles parties de leur corps ont la même origine évolutive. Et qu’ont fait Fröbius et Funch à votre avis ? Ben ils n’ont pas comparé l’expression de ces gènes entre gnathifères (enfin ils ont regardé chez un rotifère quand même). Oh je ne leur jette pas la pierre, les gnathifères et les chétognathes c’est des animaux difficiles à manipuler en laboratoire (on est loin de l’organisme modèle docile sous la pipette hein). Par contre ils ont trouvé quelque chose d’assez intriguant quand même. En étudiant quels gènes Hox du rotifère B. manjavacas étaient présents dans son génome ils en ont trouvé un qui avait été déjà été décrit dans le génome des chétognathes, le gène MedPost. Et comme les gènes Hox sont importants pour le développement, on estime que le partage de la présence d’un même gène Hox est un argument fort a priori pour regrouper deux organismes. Par ailleurs ils ont quand même décrit l’expression de ces gènes Hox chez B. manjavacas ce qui offre des informations importantes pour les prochains travaux qui s’intéresseront à cette problématique. Cependant je reviendrai plus tard sur les critiques qu’on peut émettre. Reste que c’est une découverte très intéressante et qu’on espère que les prochaines études fouilleront un peu plus de ce côté-là.



(Cliquez pour agrandir) Résumé des différents gènes Hox qu’on retrouve chez les Spiralia. Remarquez surtout les gènes MedPost que l’on ne trouve que chez les chétognathes et les rotifères. Remarquez aussi qu’il manque du monde, j’ai nommé les Micrognathozoa et les gnathostomulides… Source Fröbius et Funch 2017


Encore des phylogénies !


L’autre étude encore plus récente de Martélaz et al. publiée en 2019 est celle qui place les chétognathes plus sérieusement dans la phylogénie grâce à la comparaison des séquences moléculaires. Pour ce faire, ils ont échantillonné plein de chétognathes, une dizaine d’espèces, ce qui est assez rare pour être signalé. Malheureusement, l’échantillonnage reste relativement faible en ce qui concerne les gnathostomulides, les rotifères et les Micrognathozoa (haha je rigole, il n’y a qu’une espèce de Micrognathozoa de toutes façons, je vous ai bien eu !). Et ils trouvent que les chétognathes sont proches (donc groupe frère) des gnathifères (et même dans certains de leurs arbres ils les trouvent dedans !). Voilà qui vient confirmer les résultats de l’étude précédente, qui rapprochait les rotifères des chétognathes ! Ce qu’il y a d’intéressant dans tout ça et sur quoi je n’ai pas encore insisté, c’est que le groupe [chétognathes + gnathifères] (on va dire gnatifères au sens large) sont le groupe frère du reste des spiraliens. Ce qui veut dire que comprendre leur évolution, c’est mieux comprendre l’évolution des spiraliens, vu que c’est un groupe qui s’est formé au début de leur évolution. Et comme les spiraliens c’est un des groupes animaux parmi les plus importants en termes d’espèces et de diversité, c’est aussi important pour comprendre l’évolution des animaux en général ! Ça met ces groupes, jusque-là souvent vus simplement comme des « groupes chelous », sur l’avant de la scène zoologique !

Résumé des relations de parentés entre les Spiralia et les chétognathes tels que résumés par Martélaz et al. 2019. Sources : chétognathe,  Micrognathozoa, Rotifera, Gnathostomulida Sterrer et Sørensen 2014, Gastrotricha,, Dugesia (ver plat)ver de terreescargot 

l’Ami Amiskwia rejoint le club


La dernière découverte de cette histoire est paléontologique cette fois-ci et provient d’une étude effectuée par Vinther et Parry et publiée récemment, en mars 2019. Ici les auteurs s’intéressent à un fossile qui a longtemps embêté les paléontologues : Amiskwia sagittiformis. Tiens, « sagittiformis » veut justement dire en forme de flèche, comme les chétognathes ! En effet, les scientifiques ont vite rapproché cet animal des chétognathes grâce à la présence de nageoires latérales, ce qui à vrai dire, ne court pas les rues chez les animaux ! Le problème c’est que cette bête a deux tentacules et pas de mâchoires, et ça, c’est pas très très chétognathe… Voyez plutôt : 


Vue d’artiste d’Amiskwia sagittiformis remarquez les deux trucs noirs à l’avant on va y revenir… L’animal faisait 2-3cm. source : ver fossile chelou

Cependant, quand je dis que les chétognathes n’ont pas de tentacules, certains du genre Spadella, ont des petites antennes tentacules trop mimi ! Mais mieux, Shu et al. en 2017 ont redécrit un chétognathe fossile, Protosagitta, en l’affublant de tentacules à l’avant de la tête (cependant Vinther et Parry pensent qu’en fait c’est pas un fossile de Protosagitta que Shu et al. ont trouvé mais... d’Amiskwia…) ! Ok et les mâchoires alors ?   Ben les deux structures noires que vous voyez dans la tête d’Amiskwia ont été redécrites par Vinther et Parry justement comme des structures symétriques en formes de mâchoires. Mais ça ressemble pas aux dents acérées des chétognathes me direz-vous ! Non, par contre ça ressemble un peu aux mâchoires des gnathifères. Ces auteurs vont encore plus loin. Amiskwia et les chétognathes ne seraient pas juste groupe frère des gnathifères ! C’en seraient ! Même qu’ils seraient plus proches des rotifères que des Micrognathozoa et des gnathostomulides... Cependant je resterais assez prudent sur ces conclusions, puisque les caractères qu’ils ont utilisé dans leur analyse sont assez mal renseignés pour les Micrognathozoa et les gnathostomulides. Reste que placer Amiskwia proche des gnathifères ne semble pas absurde vu les structures décrites. Donc ça ferait d’une pierre deux coup, on place les chétognathes et en bonus ce fossile mystérieux !

Le fossile d’Amiskwia et l’interprétation de ses mâchoires. Evident non ? Moi, comme d’hab’, j’fais confiance aux paléontologues... Source : Vinther et Parry 2019.

Conclusion critique du zoologiste un peu trop enthousiaste


Mais vous ne croyiez pas que j’allais laisser passer tout ça facilement alors que j’ai quand même travaillé sur les pauvres et délaissés gnathifères ? Un des problèmes c’est que justement les gnathifères sont très peu étudiés, alors il y a très peu de données sur le sujet et peu de chercheurs se sont intéressés à ce groupe. En tant que morphologiste déjà soyons clair, ça ne me dérange pas que les chétognathes soient groupe frère des gnathifères (même si bon, les chétognathes sont tellement chelous qu’on les mettrait n’importe où, ça ne me choquerait pas). Déjà l’étude de Fröbius et Funch est très intéressante et je suis relativement convaincu par le gène MedPost partagé par les chétognathes et les rotifères, cependant, les spiraliens sont des organismes dont le génome évolue très, mais alors très vite (ou le nôtre évolue lentement ?), et particulièrement pour les petites bêtes comme les gnathifères et d’autres spiraliens qui sont tout aussi riquiquis (les gastrotriches par exemple dont je parle ici). Toute conclusion doit donc être prise avec des pincettes (ou des petites mâchoires) tant qu’on ne regarde pas plus de spiraliens, et dans ce cas notamment les gnathostomulides et les Micrognathozoa. 

Bon, ça c’est des remarques générales, mais là je vais rentrer dans les détails, mais c’est trop tentant. Puis le but de la science c’est aussi de pouvoir être critique bon sang ! Ce qui m’ennuie un peu avec ces études aussi c’est l’utilisation du nom « Gnathifera » justement. Les gnathifères c’est bien défini, c’est des organismes avec des mâchoires formées de tubules et d’une partie en forme de pince. Que les chétognathes en soient groupe frère pourquoi pas, mais dire que ce sont des gnathifères c’est autre chose, parce-que ça laisse penser que les mâchoires des chétognathes et des gnathifères ont la même origine évolutive. Or d’après mon humble avis, rien n’est moins sûr en l’état actuel des connaissances. Déjà la structure des mâchoires des chétognathes est différente de celle des gnathifères, je vous laisse juger :

Section d’une dent de chétognathe à gauche. Elles sont formées d’une forme de pulpe plutôt que de petit tube, tubes que vous pouvez voir à droite où l’on voit une section de mâchoires de gnathostomulide. Les deux images sont des sections de mâchoires vues au microscope électronique à transmission. Source : Bone et al. 1983 et Herlyn et Ehlers, 1997

L’autre truc c’est que les mâchoires c’est quelque chose qui apparaît très souvent chez les animaux. Mais vraiment très souvent. Une vague ressemblance et une position proche dans la phylogénie ne suffit pas à pouvoir dire qu’elles ont une même origine évolutive. Puis ça dépend aussi ce qu’on appelle mâchoires ! Certaines chez les rotifères ne servent pas à mâcher mais de piston pour aspirer de l’eau (et des proies) ! Certaines comme chez les gnathostomulides semblent plus servir à gratter les bactéries ! Ou chez certains vers plats, voire même chez les chétognathes, elles servent à attraper !



Diversité des mâchoires chez les animaux. En haut à gauche, les mâchoires d’une terrible eunice, une annélide, source : ver ouille, en haut à droite, un schéma des mâchoires d’un mollusque : Puncturella noachina source : Vortsepneva et al. 2014. En bas à gauche, les cinq dents des mâchoires bizarres des oursins. L’organe est plus joliment appelé « lanterne d’Aristote » source : mâchoires poétiques. Et en bas à droite les mâchoires d’un ver plat, Cheliplana. Ces mâchoires sont sur le nez et pas autour de la bouche ! Ils les sortent et s’en servent pour amener la proie à la bouche ! Source : Uyeno et Kier 2010.

Le dernier argument qui me fait douter du fait que les mâchoires des chétognathes et des gnathifères ont la même origine c’est leur position ! Déjà, les dents des chétognathes ne sont pas à l’intérieur du pharynx, contrairement aux gnathifères, ensuite les gnathifères ont quasiment toujours une partie centrale en forme de pince, et les gens qui travaillent dessus pensent qu’elle a la même origine évolutive pour tous les gnathifères. Or les chétognathes n’ont pas cette partie non plus. Pour Amiskwia c’est un peu plus compliqué. Les mâchoires (supposées, c’est un fossile quand même) d’Amiskwia sont bien dans le pharynx, par contre, il n’a pas encore été montré qu’elles étaient attachées entre elles pour former une pince. Une homologie avec les mâchoires de gnathifères est donc plus probable mais pourrait être mieux étayée. Mais qui sait, peut-être qu’on trouvera d'autres fossiles qui vont clarifier tout ça ? 

Comparaison des différentes mâchoires des gnathifères en vue ventrale et supposément apparentés. Les mâchoires sont en rouges et les parties centrales en forme de pince (supposée avoir la même origine évolutive) sont en mauve. L’appareil digestif est en bleu. Profitez en bien, ça m’a pris un temps monstre à faire cette figure ! Rotifera : Dicranophorus et Gnathostomulida : Gnathostomaria 

Alors les chétognathes proches des gnathifères ? Il semble bien que oui, ils ne sont plus orphelins comme avant ! Hourra ! Mais de là à penser que leur mâchoires sont les même que celles des gnathifères, je ne pense pas ! Comme quoi ce n’est pas parcequ’ils sont placés dans la phylogénie que tous les mystères sont résolus ! Si les chétognathes perdent un peu de leur romantique mystère phylogénétique (je pense ce que je veux ok ?) ce sont toujours des organismes étranges, tout comme les gnathifères, dont leur rapprochement créé un groupe encore plus étrange ! Si c’est pas pour me plaire ça !!! Va y avoir des choses à résoudre en zoologie entre tout ça mes amis !


Sources :

Bone Q., Ryan KP. Et Pulsford AL. 1983. The structure and composition of the teeth and grasping spines of chaetognaths. Journal of the Marine Biological Association of the United Kingdom. 63(4) p929-939. https://doi.org/10.1017/S0025315400071332  

Brusca RC et Brusca GJ. 2003. Invertebrate, 2nd Edition. Sinauer Associates, Inc. ISBN13: 9780878930975

Dunn CW., Giribet G., Edgecombe GD., et Hejnol A. 2014. Animal Phylogeny and Its Evolutionary Implications. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics. 45:371-395. https://doi.org/10.1146/annurev-ecolsys-120213-091627

Fröbius AC. et Funch P. 2017. Rotiferan Hox genes give new insights into the evolution of metazoan bodyplans. Nature Communication. 8(9). https://doi.org/10.1038/s41467-017-00020-w

Herlyn H. et Ehlers U. 1998. Ultrastructure and function of the pharynx of Gnathostomula paradoxa (Gnathostomulida). Zoomorphology. 117:135–145. https://doi.org/10.1007/s004350050038

Laumer CE., Bekkouche N., Kerbl A., Goetz F., Neves RC., Sørensen MV., Kristensen RM., Hejnol A., Dunn CW., Giribet G. et Worsaae K. 2015. Spiralian phylogeny informs the evolution of microscopic lineages. Current Biology. 5(15). https://doi.org/10.1016/j.cub.2015.06.068

Martélaz F., Peijnenburg KTCA., Goto T., Satoh N. et Rokhsar DS. 2019. A New Spiralian Phylogeny Places the Enigmatic Arrow Worms among Gnathiferans. Current Biology. https://doi.org/10.1016/j.cub.2018.11.042

Matus DQ., Copley RR., Dun CW., Halanych KM., Martidale MQ. Et Telford MJ. 2006. Broad taxon and gene sampling indicate that chaetognaths are protostomes. Current Biology. 16(15), PR575-R576. https://doi.org/10.1016/j.cub.2006.07.017

Paps J., Baguñà J et Ruitort M. 2009. Bilaterian Phylogeny: A Broad Sampling of 13 Nuclear Genes Provides a New Lophotrochozoa Phylogeny and Supports a Paraphyletic Basal Acoelomorpha. Molecular Biology and Evolution, 26(10):2397–2406. https://doi.org/10.1093/molbev/msp150

Shu D., Conway-Morris S., Han J., Hoyal Cuthill JF.,  Zhang Z., Cheng M. et Huang H. 2017. Multi-jawed chaetognaths from the Chengjiang Lagerstätte (Cambiran Series 2, Stage 3) of Yunnan, China. Palaeontology. 60(6) p763-772. https://doi.org/10.1111/pala.12325

Uyeno TA. et Kier William. 2010. Morphology of the Muscle Articulation Joint Between the Hooks of a Flatworm (Kalyptorhynchia, Cheliplana sp.). Biological Bulletin. 218 p169-180. https://doi.org/10.1086/BBLv218n2p169

Vinther J., et Parry LA. 2019. Bilateral Jaw Elements in Amiskwia sagittiformis Bridge the Morphological Gap between Gnathiferans and Chaetognaths. Current biology. 29, 1–8. https://doi.org/10.1016/j.cub.2019.01.052

Vortsepneva E., Ivanov D., Purschke G. et Tzetlin A. 2014. Fine Morphology of the Jaw Apparatus of Puncturella noachina (Fissurellidae, Vetigastropoda). Journal of Morphology. 275 p775–787. https://doi.org/10.1002/jmor.20259

Nicobola

jeudi 16 avril 2015

C’est pas la taille qui compte : une histoire de petits vers méconnus

Au cours de mes recherches pour ma thèse, j’ai été amené à parcourir la littérature d’un certain nombre de groupes d’animaux. Ceux qui ont déjà lu certains de mes articles doivent bien avoir compris que ces animaux sont toujours bizarres ou méconnus. Dernièrement je suis tombé en fascination pour de tous petits animaux, les gastrotriches dont je vous ai parlé ici (histoire de vers microscopiques) ou là (les artistes minuscules). Certains gastrotriches ont plus spécialement attiré mon attention, un groupe appelé les Chaetonotida, ou chétonotides (prononcer kétonotides). Ce groupe est extrêmement commun. Pour l’anecdote le premier que j’ai vu (au microscope) je l’ai trouvé dans mon jardin en île de France. Ils vivent dans les milieux aquatiques ou humides et peuvent être extrêmement nombreux. La plupart des chétonotides se retrouve surtout dans les eaux douces, parfois en très grande concentration. Ils peuvent être minuscules, moins d’un dixième de millimètres pour certains, et sont souvent ornementés d’écailles et d’épines très complexes. Mais malgré leur omniprésence ils sont très peu étudiés. On ne connait quasiment rien de leurs écologie ou cycle de vie. La plupart des travaux sur ces animaux se sont limités à des descriptions taxonomiques (descriptions d’espèces) où à des travaux écologiques portant toujours sur la même espèce (Lepidodermella squamata) ou sur « Chaetonotus sp. », ce qui désigne plus ou moins la moitié des chétonotides… Heureusement quelques chercheurs se sont quand même penchés sur la biologie de ces animaux pas faciles à étudier (un dixième de millimètre, quand même, c’est difficile à manipuler !). Et comme on peut toujours s’y attendre avec les trucs peu étudiés, ils nous révèlent plein d’histoires rigolotes. 

Lepidodermella, le chétonotide « modèle ». Remarquez l’agencement des écailles ! (Source: gastrotriche top-modèle


Alors déjà un gastrotriche chétonotide, c’est quoi, et comment ça vit ? Tous les gastrotriches ont une ciliation ventrale, des espèces de « poils » cellulaires qui, quand ils battent à l’unisson, créent un mouvement. C’est d’ailleurs pour ça qu’on les appelle des gastrotriches, du grecque « gastro » : ventre et « tricho » : poil. Les gastrotriches utilisent donc cette ciliation ventrale pour se déplacer en rampant au fond de l’eau, ou parfois, quand le « cœur » (inexistant) leur en dit, nager. Mais les gastrotriches ne bougent pas seulement grâce à leurs cils et ont aussi des muscles (malgré leur taille riquiqui). Leurs muscles les plus puissants sont présents dans leur pharynx, qui est un tube, et quand les muscles du pharynx vont se contracter, le volume à l’intérieur du pharynx va augmenter et l’eau va être aspirée. Ainsi ils vont se nourrir en « suçant » (aspirant) tout ce qui leur plait et qu’ils auront préalablement goûté avec leurs cils sensoriels faciaux. Jusque-là rien de bien impressionnant me direz-vous, vous aussi vous pouvez aspirer des trucs. Oui mais à ces dimensions l’eau ne se comporte plus comme le liquide que l’on connait mais plutôt comme de la mélasse super épaisse. Maintenant ouvrez un pot de miel, mettez-y la bouche, et aspirez ça comme vous le feriez avec un flan. Si vous y arrivez c’est probablement que vous avez des super pouvoirs de gastrotriches (essayez de nager avec vos poils maintenant pour confirmer ça). De cette manière nos minuscules chétonotides peuvent aspirer le contenu des cellules végétales qu’ils trouvent, voici une vidéo parlante :


Remarquez la précision et la « puissance » avec laquelle le gastrotriche absorbe sa nourriture. Si ce ne sont pas de vrais petits monstres…


Ok, une manière originale de se nourrir. Enfin pas tant que ça, des animaux suceurs avec un pharynx musculeux, il y en a beaucoup, je ne vais pas rentrer dans les détails (Nielsen 2003). Aussi, il semble que parfois les chétonotides aspirent une cellule sans la casser et se retrouvent avec une cellule vivante d’une euglène (un organisme unicellulaire commun en eau douce) qui se balade joyeusement dans leur intestin. Seulement voilà, un gastrotriche c’est petit, et une euglène, pour un truc qui n’est constitué que d’une cellule c’est gros, et du coup on a des gastrotriches à l’air pas très finnot qui se retrouvent avec une (voire même plusieurs !) euglène qui fait à peu près un dixième de leur taille dans le bide. L’euglène en plus a l’air de bien profiter de la vie dans cet environnement et ne se prive pas de mouvements. C’est un peu comme si vous promeniez avec un chat agité dans le ventre. Ces observations ont été faites très récemment et publiées seulement cette année, en 2015 (Kisielewska et al. 2015). Autant dire qu’au vu des connaissances faibles qu’on a des gastrotriches et des euglènes, ben on a encore moins idée de comment s’organise cette association. L’euglène est-elle un parasite ? Est-ce juste une « erreur » du gastrotriche (bien que ça ait été observé plusieurs fois) ? Simplement une proie longue à digérer ? Ou est-ce que les gastrotriches en tirent un quelconque avantage ? Aucune réponse n’est encore possible, et ce mystère reste à éclaircir.

La présence de trois euglènes encombrantes vivantes dans l’intestin d’un gastrotriche ! Source :  Kisielewska et al 2015.

Des mystères, des mystères, plein de mystères ! Mais ce n’est pas fini ! Quelles autres histoires les gastrotriches nous réservent-ils ? Au fond des eaux douces, dans la faune microscopique, il y a toute une clique de compères qui se balade. Un des grands compagnons du gastrotriche, c’est le rotifère. Plus précisément le bdelloïde. Sophie en a parlé ici (minuscules super-héroïnes) , et elle vous a expliqué que depuis plusieurs millions d’années, le bdelloïde se reproduit sans sexe. On n’a que des femelles clonales et aucun mâle ne semble exister. D’une les mâles n’ont jamais été trouvés, mais aussi, récemment, l’étude du génome d’un bdelloïde montre qu’il n’y a aucune trace de reproduction sexuée. Considérant la diversité du groupe et son âge évolutif, c’est un cas unique chez les animaux, les groupes à reproduction strictement asexuée sont souvent plus restreints que les bdelloïdes, qui sont omniprésents sur la Terre entière. Au même titre, pendant très longtemps, les mâles n’ont jamais été trouvés chez les chétonotides, et c’était écrit noir sur blanc dans les bouquins universitaires, là où l’on trouve les connaissances souvent gravées dans le marbre : « les chétonotides ne présentent que des femelles et se reproduisent de manière assexuée » (Hyman 1951). Après tout pourquoi pas, s’ils vivent dans le même milieu que les bdelloïdes, on peut penser que les même causes entraînent les même conséquences (mais il ne faut jamais penser ça en biologie évolutive, voyez la suite).

C’était sans compter sur nos faibles connaissances sur ce groupe. Car il y a de cela déjà quelques décennies, dans les années 80, des mâles ont été trouvés chez les chétonotides. Des mâles ? Ouais, enfin des mâles/femelles, des individus hermaphrodites, comme l’escargot. Des gastrotriches avec à la fois des œufs et du sperme. Mais alors comment se fait-il que les testicules des chétonotides nous aient échappés pendant plus de cent ans ? C’est que ces, petits, petits cachotiers n’en n’ont pas en permanence, et après cette découverte, leur cycle de vie a enfin pu être élucidé. L’espèce la plus étudiée est Lepidodermella squamata, un gastrotriche aux délicates écailles, pourtant élevé en culture pendant des décennies. Cependant un auteur fut surpris un jour de trouver des testicules dans ces animaux. Et après quelques études, il résolu enfin le mystère. Chaque Lepidodermella naît femelle. Puis elle va invariablement déposer quatre œufs issus d’une reproduction asexuée. Une fois cette tâche accomplie, madame va devenir un monsieur (tout en restant madame en même temps, vous me suivez ?) et va se voir pousser des testicules tout en gardant des œufs. La modalité de reproduction est encore inconnue (est-ce que les animaux s’accouplent ? Se fécondent eux même ? Qui sait, ce sperme ne sert peut-être à rien) ? Alors les gens ont commencé à se douter qu’il n’y avait pas que Lepidodermella qui faisait ça, à cause d’un certain nombre de mentions dans la littérature à propos de testicules dégénérés chez d’autres chétonotides. Puis un type, en 2001 (Weiss 2001), relativement récemment donc, a enfin décidé de chercher sérieusement des testicules chez les autres chétonotides, et Eurêka ! Il en a toujours trouvé chez toutes les espèces étudiées ! En gros c’était là, sous nos yeux, fallait juste chercher… Il y a de cela 15 ans, avant que cet auteur ne cherche vraiment des organes mâles, on n’avait donc aucune idée du cycle de vie de ces animaux omniprésents dans les milieux d’eau douce… Et permettez-moi de rajouter que ce mode de reproduction (parthénogenèse/reproduction asexuée obligatoire suivie d’un hermaphrodisme simultané c'est-à-dire mâle et femelle en même temps), semble être unique chez les animaux !

Ici la preuve de la présence simultanée de sperme et d’œufs chez un gastrotriche chétonotide (les flèches rouges indiquent le sperme et les bleues les œufs). Source : Weiss 2001.

Donc, les chétonotides sont petits et difficiles à étudier, si petits qu’on n’a compris leur sexualité que relativement tard. Soit. Mais à part le mode de vie d’un type d’organismes, il est bon de connaître la diversité du groupe auquel il appartient. Comme je vous l’ai dit les chétonotides possèdent de minuscules, nombreuses et parfois complexes écailles. Elles ne sont pas seulement complexes dans leur forme mais aussi dans leur organisation. Toutes les écailles ne sont pas identiques, et on va retrouver des écailles différentes sur le corps de l’animal. C’est important car cette organisation complexe des écailles ainsi que leur diversité, est le moyen le plus utile pour les scientifiques de reconnaître les différentes espèces de chétonotides. Jusqu’ici tout va bien, et avec un bon microscope il n’est pas difficile d’identifier un chétonotide. Seulement un problème a été soulevé lors d’une autre étude sur Lepidodermella (notre chétonotide « modèle »). En effet, la comparaison d’animaux clones (dont on était sûr qu’ils n’étaient pas le produit d’une reproduction sexuée) a montré qu’entre différents clones, on pouvait trouver de la variation dans l’organisation des écailles ! « Oui bon, y’a des variations entre jumeaux et c’est pas un drame » me direz-vous, mais chez Lepidodermella, le nombre de cellules est fixe. Pas de variation dans l’arrangement cellulaire possible donc ! C’est toujours le même nombre et arrangement d’un individu à l’autre.  Pire encore, cette variation entre écailles se retrouve aussi entre chaque côté de l’animal ! En gros cela signifie qu’il y a parfois une asymétrie entre les écailles d’un côté et de l’autre. Ce problème n’est pas anodin car les chétonotides sont déjà un « bordel  taxonomique ». En effet, une étude récente a montré que le genre Chaetonotus était tellement mal défini qu’on le retrouvait partout dans l’arbre évolutif des chétonotides (Kånneby et al. 2012). Pour faire simple, tout comme les poissons, « Chaetonotus n’existe pas ». Alors imaginez quelle dimension prend ce problème si on remarque que toute notre classification se basait sur un caractère qui varie entre individus génétiquement identiques… On peut apercevoir un énorme casse-tête taxonomique pointer le bout de son nez. Et pour des organismes si nombreux et omniprésents, ce n’est pas un problème anodin.

Illustration de l’asymétrie que l’on peut trouver sur les écailles ventrales de Lepidodermella au niveau des flèches. Source Amato et Weiss 1982.

Après ce petit tour des mystères qu’on trouve chez nos petits et adorables chétonotides, on comprend l’ampleur notre ignorance concernant la biodiversité qui nous entoure, et c’est bien la raison pour laquelle le sujet des « vers étranges » est intarissable. C’est là que se trouvent les derniers territoires inexplorés de la zoologie, et ils sont vastes. Ici c’était un aperçu très rapide de quelques problèmes qui existent avec les chétonotides, mais j’ai passé sous silence la moitié des gastrotriches : les « macrodasyides » ! Alors au final la question que l’on peut se poser est : est-ce parce qu’on ne les étudie pas que ces organismes nous cachent tant de mystères et qu’ils semblent si uniques, ou est-ce à l’inverse parce qu’ils sont uniques et si étranges, et donc qu’ils sont difficiles à étudier, qu’on ne les connait pas ? Comme souvent en biologie, la réponse se trouve probablement quelque part entre les deux.

Pour finir deux photos de jolis gastrotriches chétonotides semi planctoniques un peu moins communs que ceux qu’on a l’habitude de voir, parce que les photos de publis en noir et blanc, ben c’est pas joli ! Donc en haut Neogossea voigti et en bas, Stylochaeta fusiformis. Si vous voulez d’autres photos allez voir ici, sur le site de cet habile photographe : photographe patient.


Et la bibliographie :

Sur le pharynx suceur (notamment chez les animaux en général) :

-Nielsen C. 2013. The triradiate sucking pharynx in animal phylogeny. Invertebrate Zoology, 132(1), 1-13.

Sur les Euglènes :

-Kisielewska G., Kolicka M. et Zawierucha K. 2015. Prey or parasite? The first observations of live Euglenida in the intestine of Gastrotricha. European Journal of Protistology 51, 138–141.

Sur les Gastrotriches hermaphrodites :

-Hummon M. R. 1986. Reproduction and Sexual Development in a Fresh-Water Gastrotrich. 4. Life History Traits and the Possibility of Sexual Reproduction. Transactions of the American Microscopical Society,  105(2), 97-109.

-Hyman L. H. 1951. The Invertebrates: Acanthocephala, Aschelminthes and Entoprocta, The pseudocoelomate Bilateria, Volume II. 

-Weiss M. J. 2001. Widespread Hermaphroditism in Freshwater Gastrotrichs. Invertebrate Biology, 120(4),308-341.

Sur les écailles et la taxonomie tordue :

-Amato A. J. et Weiss M. R. 1982. Developmental Flexibility in the Cuticular Pattern of a Cell-Constant Organism, Lepidodermella squammata (Gastrotricha). Transactions of the American Microscopical Society, 101(3), 229-240.

-Kånneby T., Todaro M. A. et Jondelius U. 2012. Phylogeny of Chaetonotidae and other Paucitubulatina (Gastrotricha: Chaetonotida) and the colonization of aquatic ecosystems. Zoologica scripta, 42(1), 88–105.




lundi 26 mai 2014

Les plus petits artistes du monde.

La délicatesse est dans le détail et le détail est dans le minutieux. Encore une fois je vais tenter de vous emmener dans le monde des petits animaux (et comparses). Je vais évoquer certains exemples dont j’ai déjà parlé mais aussi de nouveaux.

Le monde des animaux microscopiques, encore peu exploré, est celui du mystère comme je l’ai expliqué en long, en large et en travers dans un article précédent. Mais c’est aussi un monde d’une délicate beauté. Il est souvent difficile de réaliser à quel point des organismes si petits peuvent développer, voir même utiliser des structures aussi complexes. Et dans ce rôle il n’y a pas seulement les animaux, je vais dévier un peu de mon monde favori pour parler aussi d’autres organismes minuscules qui valent le détour.

Dans cet article je vais éviter de trop approfondir (notamment parce qu’on ne connait pas bien la fonction de tous ces organes). L’idée de cet article est plus esthétique que scientifique !

Vis-à-vis des animaux microscopiques il y a deux sortes de gens : ceux qui connaissent les rotifères et ceux qui ne les connaissent pas. Toute personne qui a pris un microscope et y a déposé un peu de terre de son jardin aura remarqué ces délicats petits animaux. Ils sont un peu les stars du microscope. Mais en dehors des naturalistes possédant cet outil, ils ne sont à peu près connus de personne. Pour faire simple, un rotifère c’est un animal mesurant généralement moins d’un millimètre, pourvus de petites mâchoires et de cils permettant la locomotion et/ou la prise de nourriture, situés uniquement à l’avant de l’animal. Leurs mâchoires généralement constituées de sept pièces masticatrices sont souvent des structures fragiles et pleines de détails. Ils se déplacent aussi grâce à une couronne de cils qui battent de concert. Le battement de ces cils ressemble à un mouvement de vagues reflétant la lumière du microscope dans une magnifiquedanse.

Commençons avec quelques photos de rotifères eux même :

Floscularia, vivant dans un tube. Remarquez les cils qui permettent à l’animal de se nourrir.  (Source: Floscularia)

Filinia longiseta avec ses appendices incroyablement longs : le corps ne fait que 120µm… (Source, Filinia)

Polyarthra major, le rotifère qui s’échappe en sautant. Remarquez les détails des « rames », ces structures en forme de plumes à longeant le corps vers la gauche et tendues en avant vers la droite ! (Source : Polyarthra

Bon voilà pour un très rapide tour des rotifères. Mais ce n’est pas fini, je vous ai parlé de leur mâchoires, en voici encore un aperçu succin. Ces minuscules structures demandent d’être étudiées avec la microscopie électronique pour qu’elles puissent révéler tous leurs secrets.

Sophie a évoqué les bdelloïdes dans son dernier article. Ces derniers cachent beaucoup de surprises, mais Sophie ne vous a pas tout dévoilé (sinon elle aurait pu écrire un livre !), voici leurs mâchoires :

Réalisez juste le niveau de détails par rapport à la taille de l’organe ! Mâchoires (appelées « trophi ») de Philodinavus paradoxus. Chez les bdélloides, elles servent généralement à mastiquer les particules de matière organique. (Source : Philodinavus)

Dans le genre mâchoires terrifiantes :

Les mâchoires de Lindia deridderae, un rotifère prédateur chassant d’autres micro-animaux, incluant d’autres rotifères… (source : Lindia deridderae

Et dans le genre mâchoires improbables :

Les mâchoires de Lindia elsae (même genre que le précédent, pourtant les mâchoires sont très différentes). A quoi peuvent bien servir ces deux spirales asymétriques et dentés à l’arrière des mâchoires ? (Source : Lindia elsae

Et pour les curieux qui en veulent encore et aimeraient observer plus d’improbables petites mâchoires de l’enfer, vous pouvez consulter cette très chouette base de données : mâchoires de rotifères

Toujours pas convaincus ? Plusieurs rotifères ont gagné le concours de photographiemicroscopique 2013 d’Olympus (une compagnie de microscopie), en voici par exemple une magnifique illustration avec les rotifères à « lorica » (ce qui signifie armure) :

Des rotifères autour d’une algue. En bleu la lorica, et en rouge les cils. (Source : rotifères stars)

Et puis parce qu’il faut toujours finir avec ça si on peut, un planche d’Haeckel sur les rotifères : 

Ca se passe de commentaires. Pour le nom des différentes espèces, vous pouvez aller voir ici : source.

Mais il n’y a pas que les rotifères qui ont des mâchoires complexes, mon petit chouchou, le Micrognathozoa (quelques infos , ou ) n’est pas en reste non plus :

Ces mâchoires sont considérées comme les plus complexes chez les animaux microscopiques, jusqu’à plus de trente sous parties ont été dénombrées. (Source : les mâchoires de mon chouchou)

Vis-à-vis des animaux microscopiques il y a trois sortes de gens : ceux qui ne connaissent pas les rotifères, ceux qui les connaissent, et ceux qui s’intéressent même à d’autres trucs encore moins connus !  Comme l’a très bien souligné Sophie, si l’injustice fait que peu de gens connaissent les rotifères, les gastrotriches sont encore moins célèbres, quand bien même ils comptent parmi les animaux les plus abondants de la planète (cf encore mon précédent article). Pourtant ils font partis des plus coquets des animaux, ornementés d’écailles, d’épines, de tubes tous dessinées avec des structures insoupçonnables. Si certains manquent d’esthétique, d’autres révèlent leur beauté une fois placés au microscope.

L’épineux Thaumastoderma vu en microscopie optique. Mais attendez de voir les détails de ces épines… (Source : l'adorable Toto)

Les  épines de Thaumastoderma vues de plus près au microscope électronique à balayage. En fait « Thaumastoderma » signifie « peau surprenante » et on comprend ici pourquoi… D’autant plus que chaque épine mesure environ 10µm.  (Source : Toto le coquet)

L'épineux Acanthodasys avec ses épines et ses écailles. Microscopie confocale à balayage laser, avec auto fluorescence de la cuticule. Photo prise par mes soins.

La partie antérieure de l’étrange Lepidodasys. « Lepido » signifiant écailles, on comprend bien que les écailles sont un caractère important de ce petit monstre. Chacune ne mesure que 10µm. Photo prise par mes soins.

Le hérisson microscopique : Chaetonotus. Les plus longues épines sont coudées et possèdent elles-mêmes des petites épines. Certaines semblent même attachées à des muscles. L’animal mesure une centaine de micromètres au total (un dixième de millimètre). Photo prise par mes soins.

Encore plus mystérieux que les gastrotriches, il y a les loricifères (hop, je vous invite encore une fois à revenir sur mon article précédent). Découverts récemment, et particulièrement difficiles à récolter (il faut les chercher pour les trouver), ces animaux, comptant parmi les plus petit au monde, sont ornementés de structures improbables! Allant même jusqu’à présenter des différences entre mâles, femelles et différents stades de vie. Malheureusement, prendre (et trouver) une photo mettant correctement en valeur les ornementations de ces animaux est difficile, et seul des dessins rendent justice à ces maîtres du détail.

Photo au microscope optique d’un loricifère. Interpréter ensuite ces animaux n’est pas aisé, les dessins rendent donc mieux justice à la finesse de ces animaux. (Source : ver feu d'artifice

Dessin interprétatif de Titaniloricus inexpectatovus. Bien sûr, ne tenez pas compte des légendes, mais elles illustrent bien le niveau de détail de ces animaux. (Source : Gad, 2005

Dessin de Pliciloricus enigmaticus un peu plus stylisé cette fois ci. (Source : dessins de loricifères)


Les foraminifères sont des organismes très souvent microscopiques. Cette fois-ci, ce ne sont pas des animaux, mais des eucaryotes (organismes à noyau cellulaire) unicellulaires. Ces cellules vivent dans une coque, appelée test. Et la cellule en son centre étends des filaments, ou tentacules cellulaires, plus correctement appelés pseudopodes. Déjà complexe comme organisation… Mais le plus magnifique ce sont les formes que peuvent avoir ces tests. Comme des petites coquilles de mollusques microscopiques percées de trous. Microscopiques ? Pas toujours. Ces animaux, aussi unicellulaires soient-ils (difficile de faire plus unicellulaires qu’unicellulaire) peuvent former des tests de plusieurs centimètres. Dans le fossile, on en connait même atteignant une dizaine de centimètres ! Ils forment alors les nummulites, les « roches à pièces » (pensez à la numismatique, le fait de collectionner des pièces). Certains contemporains, atteignent jusqu’à 20 cm, ce qui les place parmi les plus gros organismes unicellulaires. En fait, ces cellules géantes, atteignant ceci dit difficilement le millimètre, sont souvent plus grosses que les animaux que j’ai présentés plus haut, mais leurs formes valent le détour.

Une collection de différents foraminifères observés au microscope électronique à balayage. (Source : collection de foraminifères)


Elphidium crispum, ce genre de foraminifères est relativement commun. (Source : Elphidium) 



Bien évidement Haeckel est encore passé par là. (Source : Haeckel et les forams


Il est parfois un peu dur de comprendre quel est le rôle de si magnifiques ornementations chez les organismes microscopiques. A part le scientifique, qui peut les voir ? Leurs congénères peut-être, mais lorsque l’on est si petit, on ne doit pas voir grand choses quand bien même on a des yeux. Et si ce n’est pas esthétique, à quoi servent des épines si détaillées, des mâchoires si complexes lorsque l’on mesure un dixième de millimètre ? Alors, est-ce simplement un caprice de la nature ? Un cadeau pour les curieux ? Ou simplement qu’à ces dimensions, ça ne compte pas tellement ? J’ai passé sous silence un grand nombre d’autres organismes animaux, ou unicellulaires, mais ce n’était qu’un aperçu très succin des incroyables formes que prennent certains organismes microscopiques !


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