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vendredi 27 mars 2015

Avez-vous déjà vu un ver zombie pénis non-nain mangeur d’os de baleines (avec aussi une histoire de harem) ?

Rencontre avec l’étrange Osedax


Derrière ce titre un peu brouillon se cache une histoire bien particulière. Laissez-moi déjà vous faire une introduction sur Osedax, notre protagoniste. Osedax est un « ver siboglinide », découvert en 2002, vivant dans les ossements de baleines mortes et se nourrissant de ces os. Mais le plus incroyable dans tout ça ? C’est qu’ils n’ont pas de bouche ni d’appareil digestif ! Comment diable font donc ces vers pour manger des os s’ils n’ont même pas une mâchoire digne d’une hyène ? Ils y vont en douceur, en dissolvant les os grâce à de l’acide. Soit, ils dissolvent les os, mais après, on peut penser qu’il faut bien les absorber avec un système digestif, ces os ! Et bien il se trouve qu’Osedax fait partie d’un des groupes de vers les plus bizarres, ces fameux « Sibloglinidae ». Je les ai mentionnés dans un article précédent (histoires de phylogénie animale). Pour rappel, les Sibloglinidae sont des vers vivant très souvent dans les profondeurs. Ces animaux n’ont pas de système digestif mais un « trophosome », un organe rempli de bactéries symbiotiques. Si, en général, les animaux sont maîtres dans l’art d’explorer de nombreuses formes lors de leur évolution, ils sont relativement (très) limités quand il s’agit d’exploiter leur environnement chimique. A l’inverse, les bactéries sont des virtuoses dans ce domaine et peuvent aisément tirer de l’énergie d’à peu près n’importe quoi : les minéraux, le souffre et même l’oxygène et la lumière (ce sont d’ailleurs d’anciennes bactéries très modifiées qui assurent ces fonctions dans nos propres cellules pour l’oxygène, ou pour la lumière, chez les plantes). Les siboglinides quant à eux sont des virtuoses dans l’utilisation de bactéries pour digérer et/ou utiliser par exemple le sulfure d’hydrogène des sources hydrothermales profondes, le bois coulé, et dans le cas d’Osedax les ossements. Utiliser des bactéries plutôt qu’un encombrant appareil digestif semble donc être une stratégie avantageuse pour les siboglinides qui prospèrent pépères là où très peu d’autres animaux y arrivent. Cette stratégie écologique particulière par rapport aux autres animaux s’accompagne d’un changement extrême de morphologie (à moins que ce soit l’inverse, bref). 


Des vers Siboglinides « connus » : Riftia, colonisant les sources hydrothermales abyssales. Source: vers bien au chaud.


Mais pourquoi Osedax est-il si spécial ?


Les siboglinides appartiennent au groupe des annélides, des vers annelés dont j’ai parlé moult fois tant ils sont divers d’un point de vue écologique et évolutif (la plupart des articles que j’ai écrit sur ce blog les mentionnent, et surtout  j’y consacre évidement des articles détaillés sur mon autre blog : Annélides). Les siboglinides ont subi un des retournements de situation les plus importants en zoologie. Si vous ne vous en souvenez pas, y’a toujours cet article : histoires de phylogénie. Pour vous le rappeler brièvement, les annélides possèdent très généralement des segments, et avec chaque segment, il y a répétition des organes vitaux. Chez certains siboglinides, seule la partie arrière présente ces segments, la large majorité du corps n’étant apparemment qu’un segment géant unique. Cette morphologie a trompé les zoologistes qui ont mis des décennies pour trouver la partie segmentée et enfin réaliser que c’étaient des annélides. Le problème chez Osedax, c’est qu’il a carrément perdu son cul (sans anus hein, je vous rappelle qu’on n’a pas de système digestif dans la famille étrange des siboglinides), et donc cette partie segmentée ne se retrouve plus. Et à la place, notre ami peut se targuer d’avoir un étrange système rappelant des racines. Oui, un ver à racines ! Ces racines possèdent des bactéries et c’est là que la digestion et l’absorption de l’os va se produire. En se ramifiant, Osedax s’assure aussi d’augmenter le volume d’os sur lequel il va pouvoir se faire un gueuleton (sans gueule encore). 

Tout ça est bien beau, mais le titre promettait du pénis ! C’est quand qu’on y vient ?… Soyez encore un peu patients, d'abord, on va parler de harem !


Voilà enfin notre ami l’Osedax avec son système de racines. Source: belle Osedax.

Et des Osedax grignotant leur os. Source : les festin de l'Osedax.


Les femelles Osedax sont des coquines…


Bon, notre ver à racines, mangeur d’os de baleine et sans tube digestif est en plus impliqué dans une histoire de harem ? Ça commence à bien faire dans le bizarre. Lors de la première découverte de ce ver, seulement des femelles ont été trouvées (tous les individus matures avaient des œufs mais n’avaient pas de sperme). Mais les scientifiques n’ont cependant pas tardé à trouver le mâle, qui est tout petit et qui vis dans le long, chaud et agréable tube qui se situe autour de la femelle. Et pas seul le coquin ! On peut trouver plusieurs mâles dans un tube, formant ainsi ce fameux harem. Mais du coup le mâle il est nain comment ? Déjà il peut être très très nain quand même, jusqu’à 100 000 fois moins large que la femelle, un record ! Mais pour continuer dans le subtile et la délicatesse de l’Osedax, les mâles sont des bébés avec de gros testicules… Oui, ce sont des larves qui ont arrêté de se développer mais possèdent quand même des testicules lorsqu’ils sont à un stade morphologiquement juvénile, du moins juvénile chez les autres annélides. Pour résumer, une femelle Osedax, c’est un animal qui passe sa vie étalée dans sa propre bouffe, couverte de petits garçons précoces avec qui elle fornique quand elle en a envie (bravo l’anthropomorphisme hein !). Pas dure la vie d’une Osedax ! Pas dure ? Oui, une fois qu’on a trouvé un os à ronger ! Ce qui n’est pas chose facile, ce n’est pas comme si les squelettes de baleines couvraient les fonds océaniques (et ça ne risque pas d’aller en s’arrangeant) ! L’os de baleine est une ressource rare, un îlot perdu au milieu du vaste fond abyssal.

Il est supposé qu’en général dans le règne animal, les mâles nains se rencontrent chez les animaux qui forment de petites populations étalées et vivant sur des ressources rares. C’est exactement ce qu’on retrouve chez Osedax. Alors c’est quoi l’avantage ? Il est communément accepté que le facteur principal soit la compétition pour les ressources. Quand la bouffe est rare, autant que le mâle ne mange pas ce qui est déjà bien assez rare pour la femelle, et qu’il se concentre sur la reproduction. Mais est-ce si simple ? Si ça l’était, il faudrait plutôt avoir toujours des mâles nains, comme ça il y a bien plus de ressources ! Ben c’est que quand même, dans la plupart des cas, malgré ce qu’en dirait une hypothétique féministe extrémiste, le mâle ça peut servir (du moins évolutivement). Et avant de rentrer dans cette discussion, laissez-moi enfin vous parler de pénis.



Illustration montrant le mâle nain (dwarf male) d’Osedax (avec quelques détails sur sa morphologie) . Source : la vie de l'Osedax.


Et la nouveauté dans tout ça ?


Ah enfin ! Récemment, juste avant Noël 2014, une nouvelle espèce d’Osedax a été décrite. Ce n’est plus tellement chose rare, 10 espèces ont été décrites depuis leur découverte. Forcément, quand on sait où chercher, on trouve. On en trouve tellement que des traces fossiles d’Osedax ont même été mises en évidence dans des ossements d’oiseaux marins éteints ! Mais la star de cet article, cette toute dernière espèce décrite, s’appelle Osedax priapus, « priapus » en référence à Priapos le Dieu grecque, personnification de la procréation et du phallus. Ce nom fait ici référence à une particularité du mâle. La femelle d’Osedax priapus, elle, a tout ce qu’il y a de plus normal pour une femelle Osedax, elle est juste plus petite que la moyenne. Tout ce qu’il y a de plus normal ? Presque : elle n’a pas de harem. Ennuyeux, non ? Ben c’est parce qu’elle ne pourrait pas contenir de mâles dans son tube, ces derniers n’étant pas nains ! Bon sang, venons-en au fait : ce sont en quelque sorte eux même des pénis. Ils vivent dans leur propre tube (victoire contre l’oppression des femelles Osedax sur les mâles !) et s’étendent grandement pour pouvoir féconder les femelles voisines. Un des spécimens mesuré passe de 2mm contracté à 15mm décontracté. Un allongement par sept fois et demi, une bonne érection donc (pour les anglophones, je vous laisse penser à des jeux de mots : « bone eater worm », soyez créatifs). En fait, à part le coté très phallique de ce mâle, c’est un Osedax typique à première vue, très similaire à une femelle.


Le mâle d’Osedax priapus en vrai (oui oui c’est juste un ver, c’est l’histoire qui est intéressante !), d’après Greg Rouse. Source : le mâle pénis.


Et un dessin du mâle d’Osedax priapus avec des détails anatomiques. Source : dessine moi un Osedax.


Osedax priapus est-il juste une exception évolutive phallique ?


Et en réalité c’est la présence de ce mâle « géant » (proportionnellement aux mâles des autres espèces)  qui a fait de la description d’Osedax priapus une découverte intéressante, le caractère phallique de ce mâle y étant lié. Alors, qu’est-ce que ça a de si incroyable ? Ceux qui ont des habitudes en biologie évolutive diront simplement que l’ancêtre des Osedax devait présenter des mâles de taille normale, qu’Osedax priapus a gardé ce caractère, mais que dans l’ensemble des autres Osedax, les mâles sont devenus nains.  Et pour tester cette hypothèse intuitive, les auteurs ont produit une phylogénie, une classification évolutive, pour être sûr que les Osedax se divisaient d’un côté en Osedax priapus, et de l’autre, en l’ensemble des Osedax avec des mâles nains. Et bien ce n’est pas ce qu’ils ont conclus. Contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre, Osedax priapus s’est retrouvé en plein milieu de l’arbre des Osedax. Et ça signifie qu’un des ancêtres d’Osedax priapus avait bel et bien des mâles nains. 

En quoi est-ce incroyable ? Premièrement à un moment ou à un autre, un des ancêtres des Osedax avait des mâles de forme normale vu que c’est ce qu’on retrouve chez les autres siboglinides, la majorité des annélides et même des animaux…  Une fois cette « évidence » établie, on suppose donc que l’ancêtre des Osedax a « acquis » les mâles nains. Soit. Mais souvenez-vous, c’est un évènement drastique : le mâle ne se développe plus complètement, ce n’est qu’une larve (arrêtez les féministes extrêmes, je ne dis pas que les hommes sont des larves, en plus là c’est littéral). On pourrait donc s’attendre avec l’évolution que les gènes de développement responsables de la forme adulte du mâle, de par leur inutilisation au fil des générations, se dégradent (depuis Darwin, il est supposé qu’un organe inutilisé se dégrade, pas seulement parce qu’on ne l’utilise pas (lamarckisme), mais parce que la sélection naturelle n’agit plus dessus). Il semble donc impossible de revenir à un état précédent. Surtout que là on parle de passer d’un plan d’organisation à un autre, y’a quand même une métamorphose entre une larve et un adulte d’Osedax, ce qui implique un remaniement total du corps ! Cette idée de l’irréversibilité de l’évolution est appelée « loi de Dollo », qui stipule que statistiquement il est improbable que l’évolution puisse revenir en arrière. Mais là c’est le cas, alors on fait quoi ? La théorie de l’évolution c’est pourri ? On invite les créationnistes à venir boire un café à la fac ? Bien sûr que non, comme d’habitude ce n’est pas si simple. Premièrement seuls les mâles sont nains chez Osedax. Les femelles ont toujours leur « grande » taille avec tous leurs caractères.  Ces gènes sont donc toujours présents chez la femelle, suggérant qu’ils seraient seulement inactivés chez le mâle. Pensez-y, nous avons bien des tétons : c’est le même problème. Tout caractère présent chez la femelle l’est potentiellement chez le mâle pour peu que ces caractères ne soient pas sur un chromosome sexuel (or en plus, tous les animaux n’ont pas de chromosomes sexuels).


Les deux différentes possibilités de l’évolution de la forme/taille du mâle chez Osedax. Les implications sont discutées dans l’article. Les changements sont représentés par les flèches rouges, les mâles sont en bleu et les femelles sont en rouge (oui c’est cliché mais on parle de vers là !). Schéma réalisé par mes soins.


Et si tout cela n’était pas aussi tordu que ça en a l’air ?


Ok, très bien, pourquoi pas, mais quand même, pourquoi passer d’un mâle nain à un mâle de taille plus importante ? Si c’était avantageux d’avoir des mâles nains, pourquoi se trouer le c… ah non, y’en a pas… pourquoi s’embêter à revenir sur l’ancien plan d’organisation, aussi possible cela soit-il ? Ben j’ai fait mon cachotier et y’a quelques détails sur lesquels je n’ai pas assez insisté, voir pas mentionné du tout ! Premièrement les femelles d’Osedax priapus sont parmi les plus petites des Osedax. Ensuite même si ce ne sont pas des mâles nains à proprement parler (de pauvres larves), les mâles font quand même seulement un tiers de la taille de la femelle ! Ils sont donc petits (mais pas vraiment nains/larvaires !). Plusieurs explications, un peu toutes liées peuvent justifier cette évolution. Osedax priapus n’est trouvé que sur de petits os, il est possible que ce soit un spécialiste d’un environnement éphémère où une reproduction plus rapide serait avantageuse, d’où notamment une petite taille pour le mâle comme la femelle. De plus la taille réduite de ces vers permettrait une compétition moins importante entre mâles et femelles. Bref, je ne vais pas rentrer dans les détails et il vous reste à lire la publication originale. Aussi, pour encore nuancer cette affaire, oui le mâle ressemble à une femelle, mais quand même, pas tout à fait, et il garde des traces de son passé de larve. Déjà la taille toujours réduite, mais aussi la position de la vésicule séminale, où le sperme est gardé. Chez les mâles nains la vésicule séminale se trouve à l’avant de l’animal. Et bien chez le mâle d’Osedax priapus c’est aussi le cas. Ce qui est bien pratique lorsqu’on est un pénis géant enraciné et qu’on doit s’étendre de son trou pour féconder les demoiselles alentour ! Conséquence ? Au lieu des quatre tentacules (plus exactement palpes) antérieurs des femelles, les mâles n’en ont que deux, parce que vous comprenez, il en faut de la place pour leur bel organe ! En gros, le mâle d'Osedax priapus est contraint par son passé évolutif, on parle de contrainte phylogénétique.




Et une conclusion pour dire qu’on ne peut pas trop conclure…


Alors que nous apprend toute cette histoire ? Déjà que si vous avez été surpris par le mode de reproduction d’Osedax, c’est peut-être qu’on a pas l’habitude d’entendre ce genre de chose du côté des mammifère.. Mais aussi, et surtout, qu’en biologie évolutive il est dur de faire de bonnes règles et de prévoir ce qu’il va se passer. Une annélide normale, c’est un ver avec plein de segments, un tube digestif, des mâles et des femelles de même taille, souvent fouissant dans le sable ou la vase. Là on a un ver sans segments ni tube digestif, vivant dans des os et avec un mâle aux origines évolutives naines, mais qui se retrouve être bien plus grand que ses compères. L’étonnement premier de cette réversion évolutive (un mâle ancestralement nain, qui prend une taille « raisonnable ») s’estompe bien vite lorsqu’on étudie le problème en profondeur. Aussi incroyable que ce soit :
  • génétiquement ce n’est pas impossible  
  • le mâle reste un faux géant (un tiers de la femelle, elle même plus petite que la moyenne, et une paire de tentacules manquante)
  • l’écologie, encore très inexplorée, des Osedax pourrait nous expliquer plus en détails cette tendance évolutive.

Encore une fois, l’évolution des êtres vivants (et surtout des vers, juste parce que ils sont mes chouchous) nous réserve bien des surprises…


Pour finir, juste pour le fun ! L’expression « ver zombie » du titre vous a peut-être laissé perplexe, mais c’est simplement parce qu’ils mangent des os. Source : ver zombie.




Sources :



L’article original :
Rouse G. W., Wilson N. G., Worsaae K. et Vrjienhoek R. C. 2015. A dwarf male reversal in Bone-eating worms. Current biology, 236-241. 

La description originale du genre Osedax :
Rouse G. W., Goffredi S. K. et Vrjienhoek R. C. Bone-eating marine worms with dwarfmales. Science, 305, 668-671.

Un des bouquins qui discute des modalités évolutives de l’apparition des mâles nains :
Ghiselin M. T. 1974. The economy of nature and the evolution of sex. University of California press, Berkeley.

Et pour les Anglophones qui veulent aller plus loin :
A propos d’unfossile d’Osedax mangeur d’os d’oiseaux 

Pour aller encore plus loin et pour montrer que les modes de reproduction chez les animaux sont très variés, il y a cette vidéo de dirty biology que vous avez probablement déjà vu: à quoi sert un pénis ?





samedi 15 février 2014

Le naturalisme, un 6eme sens ?

Article écrit à 6 mains, par Nicobola, Boris et Aurélide.

 « Joyeux anniversaire ! »
  
Source

Cette phrase, on l’entend au moins une fois par an. Et qui dit anniversaire dit… oui, gâteau, on sait Donald, tu as toujours faim. Oui, fiesta, on sait Nico, tu aimes faire la bringue !!! Mais surtout… oui Aurélide, tu as raison : les cadeaux !
Souvenez-vous, quand vous étiez petits, ouvrant de grands yeux devant l’amoncellement de présents… Dès lors que vous aviez repéré un emballage qui vous semblait prometteur, plusieurs choix s’offraient à vous. Certains palpaient le papier cadeau, tandis que d’autres secouaient les boites mystérieuses pour essayer d’en deviner le contenu… d’autres encore se précipitaient et arrachaient l’emballage d’un coup sec pour révéler ce qui y était dissimulé !
Mais que viennent faire les cadeaux d’anniversaire sur ce blog ? Eh bien, comme les enfants qui cherchent à deviner ce qui se cache sous les emballages, les naturalistes utilisent différentes techniques pour chercher à savoir ce qu’ils ont entre les mains en faisant intervenir l’ensemble des cinq sens.

Nous allons vous présenter ici comment identifier les êtres vivants qui nous entourent à l'aide de tous les moyens que nous avons à notre disposition, sans avoir besoin d'appareils technologiques perfectionnés.

La vue :

Commençons avec le sens que nous utilisons le plus en tant que primates : la vue.
La majorité des critères qu’on utilise pour distinguer les espèces entre elles sont des critères que l’on peut observer. C’est bien pour ça que tous les guides naturalistes utilisent largement des illustrations et des descriptions visuelles. Cependant les formes et les couleurs ne sont pas les seules caractéristiques visibles des êtres vivants : d’autres indices visuels auxquels on pense moins peuvent nous aider grandement à l’identification de certains animaux, comme le mouvement (déplacement, comportement) ou les traces qu’ils peuvent laisser dans leur environnement ! Voici quelques exemples :

Il existe dans les mares une diversité insoupçonnée car la plupart du temps quasiment invisible tant les animaux sont minuscules. On trouve dans ces mares trois taxons de crustacés majoritaires : les cladocères (dont font partie les daphnies), les copépodes et les ostracodes. Il est parfois difficile de différencier ces tous petits animaux à l’œil nu. Evidemment l'identification est facilitée par l’utilisation d’une loupe. Pourtant, plusieurs autres caractères peuvent permettre de les différencier sans avoir besoin de matériel optique, ni de devoir connaitre la morphologie très précise des espèces. Les cladocères nagent en battant des antennes par petits bonds verticaux tandis que les copépodes nagent horizontalement par à-coups successifs aussi grâce à leurs antennes. Quant aux ostracodes, ils ont plutôt tendance à rester au fond et nagent avec leurs pattes de manière continue. Voilà comment l’observation de leur mouvement peut aider à identifier des organismes.

 Copépodes :
Daphnies :
Ostracodes :


Anecdotes de Nicobola à propos de petites bêbêtes méconnues :

Un autre petit exemple - qui me tient à cœur car j’ai travaillé dessus - ce sont les Limnodriloidinae, qui font partie d'un taxon plus large dit des « clitellates ». Les clitellates contiennent entre autres les sangsues et les vers de terre. Rien de bien appétissant là dedans. On trouve en grand majorité dans ce groupe des petits vers à la limite du microscopique, très difficiles à différencier. En pratique on les colore et on observe au microscope leurs organes génitaux (oui les scientifiques sont des pervers). Plus particulièrement, ce sont des caractères tels que « l’entonnoir spermatique » ou la « vasa deferentia » que l’on observe. Cependant mon chef, lui, pouvait reconnaître les vers vivants (voir même morts) presque toujours au niveau du genre sous une loupe binoculaire ! Pour vous dire, les gens qui savent faire ça dans le monde doivent se compter sur les doigts d’une main. Son secret ? La forme générale certes mais aussi, le mouvement des individus lorsque ceux-ci sont encore vivants. Par exemple les Enchytraeidae (de petits vers blancs très communs dans le sol, comme le ver grindal pour les aquariophiles) ont une carapace plus rigide, leurs mouvements seront donc en général plus lents et moins souples. Les individus du genre Pristina, qu’on trouve souvent dans les mares, sont bien plus actifs et vont se promener un peu partout.

Voici un exemple, un ver du genre Pristina :


Un jour mon chef m’a envoyé en Afrique du Sud chercher (entre autres) ces fameux Limnodriloidinae. Mais comment reconnaître les Limnodriloidinae ? « Facile ! » me dit-il, « Ils sont rouges (comme beaucoup d’autres) et ils s’enroulent sur eux même et explorent les alentours avec leur tête. » Drôle de comportement ! Ca n’a pas raté ! J’en ai trouvé qui répondaient à cette description, que j’ai filmé, identifié comme ce groupe grâce à la vidéo, puis confirmé grâce à la morphologie de l’appareil génital plus tard et au final grâce à l’ADN aussi. Voici une vidéo pour vous convaincre (probablement la plus intéressante que vous n’ayez jamais vue !) :



C'est au tour d'Aurélide de prendre la parole !


Dans un tout autre contexte, on nous apprend en forêt à faire la différence entre des traces de différents animaux, par exemple entre un chevreuil ou un renard. Vous avez aussi peut-être appris à différencier leurs empreintes de pas sur le sol ou à détecter leurs crottes et autres déjections. Vous pouvez par ailleurs lire cet article de Taupo. Mais mis à part les mammifères craintifs qui sortent principalement la nuit, il existe une myriade d’animaux difficiles à trouver dont les traces sont parfois les seules choses qui trahissent leur présence.

Dans beaucoup d’environnements, on peut aussi utiliser le critère des traces pour identifier des animaux. Si vous allez régulièrement à la plage, vous avez sûrement dû voir des pêcheurs chercher des vers pour appâter leurs hameçons à l’aide d’une pelle ou d’une bêche : ils s'en vont chercher des vers marins fouisseurs. Ça n’a peut-être pas l’air, mais finalement, c’est très simple d'en trouver quand on sait ce qu’il faut regarder.
L’arénicole (Arenicola marina) est un ver psammivore, c'est-à-dire qu’il se nourrit de particules accrochées aux grains de sable. Concrètement, il avale plein de sable puis l’estomac fait le tri. Ça leur donne un rôle hyper important puisqu’ils nettoient le sable! Et tout comme les vers de terre, ils laissent des turricules à la surface du sol. Ils aspirent le sable par la bouche ce qui crée une petite dépression à la surface du sol au dessus de leur tête, et de l’autre côté, ils expulsent le sable nettoyé sous forme de tortillon. On peut donc savoir dans quelle direction il est enfoui.
Pas besoin ici d'avoir le ver sous les yeux pour savoir duquel il s’agit !



A gauche : turritule en forme de cœur (St Valentin oblige) laissée par une arénicole (photo prise par nos soins). A droite, schéma de l’arénicole dans son terrier (la tête est à gauche où elle aspire le sable, à gauche, elle expulse), source.
D’autres annélides telles que la célèbre Lanice conchilega (de la famille des Terebellidae parce qu’elles sont très belles) se nourrissent en récoltant les particules fines à l’aide de leurs tentacules. Pour se protéger, elles construisent un tube à partir de débris de coquillages ou de grains de sable agglomérés par du mucus. Seule une petite partie du tube sort du sable et à l’extrémité de celui-ci, des débris de plus petite taille sont utilisés pour construire un panache porte-tentacules. En effet, le ver pose ses tentacules sur chacune de ces extensions qui lui permettent de récupérer la nourriture sur une distance plus longue. Il est assez difficile de sortir l’animal de son tube (il faut un outil pour creuser et être rapide), mais la simple présence de sa construction nous confirme qu’il est bel et bien là.
Puisque des images sont parfois plus parlantes qu’un long discours, voici la partie apparente du tube de la lanice. Si vous y prêtez attention, vous devriez pouvoir en voir assez facilement sur les plages sableuses à marée basse.

Tube de Lanice conchilega sur lequel on discerne bien les morceaux de coquillages grossiers pour la partie principale du tube et les morceaux plus fins pour le panache porte-tentacules. Source


L’ouïe :

Après le sens de la vue, c'est souvent celui de l'ouïe qui est le plus sollicité : en effet, nous l’utilisons pour communiquer dans la vie de tous les jours mais également avec des gens situés à l’autre bout du monde. La nature elle-même n’est pas silencieuse et de nombreux sons peuvent être émis, entendus et décryptés.
Les sons que nous pouvons entendre en nous baladant sont de différents types. Les premiers, sont les sons émis par les animaux pour communiquer entre eux. Il peut s’agir des chants d’alerte « attention, nous ne sommes pas seuls », des chants de parade nuptiale « approche et regarde comme je suis beau gosse », de la communication plus courante entre plusieurs individus (« j’ai faim », « attention intrus »…). Et c’est grâce à ces chants qu’on peut reconnaître les oiseaux de loin, sans avoir besoin de les voir ni de les déranger. Mais il existe aussi les sons liés à l’écologie des bêtes. Un oiseau qui picore dans l’écorce des arbres nous permet, rien qu'à l'oreille, de différencier les espèces. Ainsi, le pic noir et le pic vert ne produisent pas le même son lorsqu'ils martèlent le tronc des arbres pour trouver leur nourriture.


Sources : et
En dehors des oiseaux dont beaucoup de monde sait reconnaître le chant, il est tout à fait possible de reconnaître les différents grands groupes d’insectes (mouches, coléoptères, guêpes etc.) par le son qu’ils produisent. Par exemple le bourdonnement des gros coléoptères est assez typique. Ne vous est-il jamais arrivé lors d’une soirée d’été de laisser la fenêtre ouverte et d’entendre un gros bourdonnement qui vous surprend ? Puis de voir virevolter un gros coléoptère brunâtre ?
Mais pensez surtout à un insecte que vous reconnaissez tout de suite au son du vol. Bien sûr ! Le moustique ! Un compagnon indésirable des chaudes nuits d’été. Vous connaissez probablement tellement bien ce bruit que vous n’avez aucun doute sur son émetteur. Bon, mais si le vol est une des manières d’émettre un son, il y a aussi des insectes qui « chantent ». On parle communément de « chant », mais il s'agit en fait de stridulation : un son produit par le frottement de deux surfaces. Par exemple vous saurez tout de suite faire la différence entre un criquet et une cigale rien qu'en les entendant ! D’ailleurs ce sont deux insectes très différents. Si du point de vue évolutif la cigale est proche de la punaise, le criquet, lui, est proche du grillon. Du coup il est assez facile de différencier les deux stridulations, écoutez plutôt :

Grillon : http://iainpetrie.typepad.com/files/grass1.mp3
Criquet : http://www.grammas-tales.com/stuart/cricket2.wav

Chez le grillon ce sont les ailes de la première paire (rappelons que les insectes ont généralement deux paires d’ailes) qui vont se frotter l’une contre l’autre. Alors que chez le criquet, c’est la dernière paire de pattes (celles qui servent à sauter) qui se frotte contre la deuxième paire d’ailes. Deux mécanismes très différents pour des insectes pourtant proches. Il n’est alors pas étonnant que le son produit soit différent. Les experts de ces groupes d’insectes, les orthoptéristes, se basent énormément sur ces « chants » pour distinguer les différentes espèces. On peut d’ailleurs trouver des CD avec les stridulations de différentes espèces pour s’aider et apprendre. Mieux encore, la décomposition de la stridulation des criquets a même déjà été utilisée pour faire des classifications !

Mais il n’y a pas que les criquets et les grillons qui stridulent ! Par exemple le longicorne aussi le fait, mais contrairement à eux, il ne le fait pas pour la drague mais lorsqu’il est inquiet, regardez et surtout écoutez cet exemple (vous pourrez en plus profiter du bourdonnement typique des coléoptères) :

Cette stridulation est quant à elle provoquée par le frottement des deux premiers segments du thorax (la partie du milieu des insectes qui relie la tête et l’abdomen).
Hormis ces quelques cas, d’autres animaux peuvent être reconnus grâce au son et plus particulièrement grâce aux ultrasons. C’est le cas des chauves-souris. Pour se déplacer, certaines émettent des ultrasons en permanence. Mais pour les entendre, il faut un appareil permettant d’amplifier le son et de le transformer à une fréquence audible pour l'humain. Chaque espèce de chauve-souris émet un son différent, qui permet avec un peu d’expérience de les identifier ! Voici un lien vers le site de VigieNature (dépendant du MNHN) qui explique comment faire, si vous vous sentez l'âme d'un explorateur nocturne.

Le toucher :

Ce sens est moins utilisé par les naturalistes lors de leurs séances d'identification. Cependant certaines personnes sont plus "tactiles" que d'autres et utilisent beaucoup le toucher pour percevoir leur environnement. Le naturaliste peut aussi utiliser ce sens. Alors pourquoi empêcher les enfants de toucher tous les organismes croisés dans la nature ? Il faudrait presque les y encourager, du moment que cela ne porte préjudice ni à l'organisme étudié, ni à l'observateur !

La parole est à Nicobola ! Anecdote directement sortie des tiroirs pour vous !

Il y a un ver bien connu des étudiants, c’est la nereis. C’est un ver très commun notamment dans la vase et le sable. Elle appartient à la famille des Nereidae. Il existe plusieurs espèces très semblables qui peuvent notamment se différencier grâce au nombre d’yeux, de tentacules et de palpes (des appendices sur la tête). Certains se reconnaissent au comportement comme Platynereis qui vit dans un tube. Une autre méthode pour en identifier certains est la texture. Lors d’un stage d’été, je me rappelle avoir farfouillé dans la vase à la recherche de vers. Le professeur à côté de moi m’indique alors qu’il y a probablement deux espèces : une molle, la nereis commune (Hediste diversicolor) et une autre nereis plus ferme, la Perinereis. Et cette méthode fonctionnait bien. Alors je ne peux pas vous assurer que ça fonctionne seulement sur les Perinereis mais voilà au moins une méthode pour savoir qu’on a bien à faire à deux espèces différentes !

A gauche une Perinereis (source), à droite, Nereis ou Hediste  (source). Ouais, ce sont des vers, et les différencier dans la vase est encore pire…

En mer aussi on trouve beaucoup d’animaux dont la forme est assez dure à interpréter, ce qui n'aide pas l'identification ! En effet, certains organismes forment plus des masses informes qu’autre chose (c’est surtout l’impression qu’on peut avoir lorsque nous sommes débutant). Ceci arrive plus souvent chez les animaux qui vivent fixés et filtrent les particules en suspension dans l’eau, notamment les éponges (d'autres infos sur les éponges ici et ici) et les ascidies. Cependant ce serait un peu simpliste car les ascidies et les éponges sont des organismes très différents : l’ascidie est proche de nous évolutivement parlant (par rapport, par exemple à l’abeille) alors que les éponges sont probablement les organismes animaux les plus éloignés de nous (enfin, peut-être pas… allez voir ici ! L’éponge est constituée d'un ensemble de canaux et de cavités soutenus dans certains cas par de petites « spicules », une forme de squelette en kit constitué de petites « épines » non attachées entre elles. Tandis que très schématiquement, une ascidie peut être comparée à un sac semi-rigide ponctué de deux trous qui correspondent à des siphons : un pour aspirer l’eau et un autre pour la rejeter (si vous voulez voir ça de plus près, ici, une vidéo faite par nos soins). Elle a aussi une « tunique » assez rigide qui la protège.
Si les deux peuvent grossièrement être confondues à l’œil nu, au toucher la différence devient plus évidente. Premièrement par un toucher superficiel : l’éponge est spongieuse bien sur ! Elle est molle et va se déformer et reprendre doucement sa forme après avoir été pressée. L’ascidie est plus rigide, elle va se déformer mais va donner une impression bien plus ferme et glissante ! Puis elle va très vite reprendre sa forme. Ensuite en pressant plus fort et en dehors de l’eau, l’éponge va rejeter de l’eau partout autour de la zone que l’on presse contrairement à l’ascidie qui ne va la rejeter que par deux orifices, les siphons. Un dernier indice tactilement plus dérangeant, les éponges avec des spicules peuvent être irritantes ! En effet, en les pressant les spicules vont rentrer dans la peau et gratter ! La douleur elle même est donc un moyen d’identifier une éponge !

A gauche une ascidie coloniale (source), à droite une éponge encroûtante (source)… Le moyen le plus sûr de ne pas confondre est de toucher !

En parlant de douleur et d’identification, voici une autre anecdote : il m’est arrivé une fois de chercher des organismes sur des pontons flottants. En effet, le ponton flottant est toujours immergé mais accessible facilement. On y trouve fixés des animaux que l’on ne rencontre habituellement  qu’en plongée. Dans une de mes folies aventurières, j’ai voulu y jeter un coup d’œil de très près. Je m’y suis donc rendu à la nage mais malheureusement n’y voyais que des algues (le courant était fort et il était difficile de bien voir ce qu’il y avait). Puis le courant m’a poussé sur le ponton, l’épaule entrant en contact avec ces algues… Premier contact, ça brûle ! Je n’y fais pas trop gaffe… Deuxième contact, ça brûle vraiment ! Eurêka ! Ce n'étaient pas des algues mais des Hydrozoaires ! Parce que si ça brûle c’est que c’est un cnidaire ! La famille des méduses et coraux qui ont des cellules urticantes très spécifiques ! Leur forme « végétale » quant à elle, est plutôt commune aux hydrozoaires ! Je décidais donc d’en prendre sur le bord de plage et cette fois-ci, grâce à ma vue j’ai pu confirmer ma supposition et identifier ça comme un joli Tubularia !

Dans le remous des vagues dur d’imaginer que ce magnifique animal… est un animal ! (Source)

A mon tour, à mon tour ! Deux mots avant que Boris ne reprenne la parole après les anecdotes passionnantes de Nico.

Pour continuer dans le domaine du « toucher marin », un petit exemple avec deux petits poissons (oulalalala, j’ai osé prononcer le mot interdit). Il y a quelques années maintenant, j’ai fait un stage sur la faune littorale marine dans lequel j’ai appris énormément sur la biologie, le comportement, ou l’anatomie des bestioles qui composent ces écosystèmes. Comme plusieurs de mes collègues stagiaires, on avait beaucoup de mal à se rappeler la différence entre les blennies et gobies. A part le célèbre argument « parce que je le sais », difficile de mettre des mots sur les différences même si en regardant sur des photos, ce ne sont pas les bêtes les plus mimétiques du monde.
Les confusions étaient surtout due à la biologie de ce type de poisson, les deux espèces étant de petites tailles et se posant préférentiellement sur le fond, dans les recoins ou les flaques. Mais au final, lorsqu’on les touche, pas de doute. Tandis que la blennie est lisse car dépourvue d’écailles (ou écailles rudimentaires), le gobie a des écailles qui lui confèrent un toucher bien plus rugueux. Facile hein ? (Encore faut-il pouvoir les attraper, et alors là, bon courage).

A gauche : Parablennuis gattorugine (une blennie, photo faite par nos soins), à droite, Gobius paganellus (un gobie, source).


Place à la botanique ! Au tour de Boris de parler !

On peut également différencier les plantes à l’aide du toucher. Un premier exemple qui me vient à l’esprit et qui vous parlera très facilement, c’est l’ortie (Urtica dioica) qui est bien connue pour les douleurs qu’elle provoque. Cependant, d’autres plantes présentent des caractéristiques moins douloureuses qui peuvent être identifiées rien qu'avec le toucher. Entre autre, la grande consoude (Symphytum officinale) qui possède sur la tige et les feuilles des poils rugueux très facilement identifiables les yeux fermés :
Source
D’autres plantes comme celles de la famille des Geraniaceae (les géranium) ou les Lamiaceae (où l’on retrouve la menthe, le romarin…) possèdent des poils plus ou moins duveteux et soyeux. Je me souviens, lors d’un stage, je devais apprendre à différencier le Geranium rotundifolium du Geranium molle au stade de plantule, et pour cela, nous n’avions à notre disposition que les tiges poilues. Il a bien fallut que j’utilise ce que j’avais sous la main pour faire la différence entre les deux ! Car ces deux espèces n’ont pas les mêmes poils sur la tige : le G. molle est plus poilu que le G. rotundifolium.
D’autres plantes, comme les Poaceae, s’identifient assez bien rien qu’en passant la main dessus. Ainsi, la houlque laineuse (Holcus lanatus) et le dactyle aggloméré (Dactylis glomerata) peuvent être confondus lorsqu’ils ne sont pas encore en fleur. Pour les différencier, il suffit de passer les doigts sur la tige : la houlque est beaucoup plus douce au toucher que le dactyle.

A gauche le dactyle (source), à droite la houlque (source)
En hiver, la plupart des arbres de nos régions perdent leurs feuilles (on dit que le feuillage est caduc). Seuls les troncs nus restent accessibles pour le naturaliste… mais tout n’est pas perdu, loin de là ! Il est très facile d’identifier les écorces au toucher. Une écorce lisse sera associée au hêtre (Fagus sylvatica) ou au charme (Carpinus betulus) tandis qu’une écorce rugueuse sera associée au chêne (Quercus robur)… Bien évidement, les informations récoltées à l’aide du sens du toucher sont à mettre en relation avec d’autres informations obtenues à l’aide des autres sens pour une identification complète.

Écorce rugueuse du chêne pubescent à gauche (source) et écorce lisse du hêtre (source)

L’odorat :

Après la vue, l'ouïe, le toucher vient l'odorat. Le naturaliste peut être amené à utiliser ce sens bien plus souvent que dans la vie de tous les jours, notamment avec les organismes qu’il peut manipuler. Par exemple beaucoup de plantes et d’animaux rejettent des odeurs particulières pour attirer ou repousser d’autres organismes.

Aurélide a la parole :

Pour reprendre dans les anecdotes littorales, je me souviens d’une sortie à marée basse lors de ce stage sur la faune marine (dont j’ai parlé un peu plus haut). Notre maître de stage nous a appelés, Nico et moi, vers un banc de sable et nous a demandé de sentir, sans se pencher, sans s’approcher du sol, sans creuser, juste là, tous les trois à sniffer l’air. En quelques instants, l’odeur est parvenue à nos narines. Une odeur infecte d’œuf pourri, c’était atroce (et non, ce n’était pas une blague de mauvais goût). Il ne s’agissait pas de matière en décomposition, mais d’un annélide qui porte TRÈS BIEN son nom : Phylo foetida. Un moyen désagréable mais très simple de repérer et identifier la bête.
(D’ailleurs, Nico a fait l’amère expérience de se retrouver avec un de ces vers sous son lit. Les stagiaires avaient trouvé bon de lui faire cette mauvaise blague. Pour le coup, on ne pourra pas mentionner la célèbre phrase « aucun animal n’a été maltraité dans ce tournage », désolés…)

Après cette anecdote malodorante, voici un peu de douceur avec Boris :

Evidemment, on peut reconnaître certaines fleurs à leur parfum : le lys (Lilium sp.), la rose (Rosa canina) et tant d’autres que l’on trouve chez le fleuriste. Cependant, les fleurs ne sont pas les seuls organes odorants. Parfois, elles ne sentent rien, ou bien ne sont même pas présentes. Il faut donc chercher d’autres parties de la plante qui possèdent des critères odorants.
C’est le cas par exemple de la mélisse (Melissa officinalis), qui ressemble beaucoup à la menthe odorante (Mentha suaveolens)… tant qu’elle ne porte pas de fleurs. Il suffit de froisser alors les feuilles de la mélisse entre ses doigts pour se rendre compte qu’elle libère un parfum rappelant celui du citron ! Rien à voir avec la menthe…
A gauche la mélisse (source), à droite la menthe (source).
Le géranium herbe-à-robert (Geranium robertianum) quant à lui est facilement identifiable grâce à l’odeur détestable qu’il répand lorsque ces feuilles sont coupées, ce qui permet de l’identifier facilement parmi d’autres espèces de géranium.
S’il vous arrive de vous promener en bordure de mer, vous avez peut être rencontré cette plante : l’ajonc d’europe (Ulex europaeus), à ne pas confondre avec le genêt à balais (Cytisus scoparius). Bien que ces deux plantes possèdent une morphologie différente, elles ont des fleurs très semblables. Un critère odorant à coup sûr pour trancher est de froisser la fleur entre ses doigts : si elle libère une odeur de noix de coco, c’est que vous avez un ajonc en face de vous !
A gauche du genet (source), à droite de l’ajonc (source).
Une autre plante qui pousse au printemps sur le bord des chemins pourrait passer inaperçue… si elle ne produisait pas une odeur caractéristique dès lors que ses feuilles sont tranchées : il s’agit de l’Alliaire (Allaria petiolata) qui émet une forte odeur d’ail dès que ses feuilles sont coupées. Aucun doute possible alors quant à l’identité de la plante…


Le goût :

Eh oui ! On peut utiliser ce sens pour l'identification des organismes ! Même si on l'utilise tous les jours lorsque l’on mange, il est rarement sollicité pour d'autres raisons. S’il est assez rare d’identifier les animaux par le gout dans un cadre naturaliste (cela signifierait les tuer en général, et tous les animaux identifiables par le gout se retrouvent souvent dans nos assiettes), les plantes et champignons eux peuvent l’être de manière plus aisée ! Et bien qu’un grand nombre d’entre eux soient toxiques pour l’être humain, il n’est pas rare que certains manuels naturalistes conseillent de goûter un petit morceau de l’organisme pour savoir s’il possède un goût particulier (certains champignons non comestibles goûtent fortement le fromage… difficile de se tromper sur l’identification dans ce cas !).
Bien évidement, quand on imagine identifier les plantes au goût, on pense tout de suite aux fruits qu’elles peuvent donner. Mais d’autres parties de la plante peuvent être mastiquées pour aider à l’identification. C’est le cas par exemple du tussilage, ou pas-d’ane (Tussilago farfara) qui peut être difficile à identifier car en été, seules les feuilles subsistent alors que les fleurs sont fanées. En goûtant les feuilles du tussilage, on garde sur la langue un goût de poivre très prononcé.
Une autre plante, Lepidium campestre, possède quant à elle un goût prononcé de… chou-fleur. Même sans les fleurs, il est donc aisé de la reconnaître !

D’autres organismes, qui ne sont pas des plantes mais qui sont aussi des organismes fixés, se reconnaissent souvent à leur goût. Il s’agit des champignons (la plupart des champignons comestibles sont des basidiomycètes). Ainsi, la russule intègre (Russula integra) possède un goût de noisette lorsque sa chair est consommée crue. D’autres champignons peuvent avoir des goûts se rapprochant du poivre, du miel ou encore… du camembert !

Dans le cas des algues, l’espèce Osmundea pinnatifida se reconnait assez facilement par la vue lorsqu’on a un poil d’expérience (par sa couleur, sa forme et aussi l’endroit dans lequel elle se trouve), mais pour l’identifier à coups sûr, il suffit d’en croquer un bout qui a un léger goût d’ail poivré (très bon dans une salade d’ailleurs !).

Les cinq sens nous sont essentiels pour la vie de tous les jours. Si l'un d'entre eux nous fait défaut, il est souvent contrebalancé par le surdéveloppement des autres. Dans le domaine du naturalisme aussi, on retrouve cette complémentarité entre les sens lors de l'identification des organismes, tout comme il existe des cas pour lesquels l'un des cinq sens sera plus utile que les autres. Il y a tout un tas de façons de reconnaître les organismes qui nous entourent. Même si vous n’avez besoin que d’éléments visuels n’hésitez pas à sentir, toucher, écouter, goûter. Cela contribue forcément au processus de mémorisation. D’autant plus que c’est aussi super chouette de pouvoir réunir le plus de critères possibles. Mais aussi, il arrive que la diversité au sein d’un taxon fausse votre identification et vous mette à rude épreuve. Il est alors bien plus sûr de pouvoir combiner le plus d’indices possibles.

Bibliographie :
- Eggenberg S, Möhl A. 2008. Flora vegetativa. Edition Rossolis.
- Knudsen H, Petersen JH. 2005. Les Champignons dans la nature. Edition Delachaux et Niestlé.
- ADER Denis, DUMAS Jacques, HUET Sylvie,  in : DORIS, 27/1/2014 : Lanice conchilega (Pallas 1766), http://doris.ffessm.fr/fiche2.asp?fiche_numero=505
- WEBER Matthias, SITTLER Alain-Pierre, REGUIEG Aedwina, CHANET Bruno,  in : DORIS, 15/1/2014 : Gobius paganellus Linnaeus, 1758, http://doris.ffessm.fr/fiche2.asp?fiche_numero=1181
La majorité de ces anecdotes proviennent de notre expérience sur le terrain ou de ce que nous avons appris en cours, d’où une biblio courte !

mercredi 8 mai 2013

Vers infiniment petits et au-delà !


Lorsque l’on me demande ce qu’est le sujet de ma thèse, je réponds souvent de manière un peu taquine : « les vers ». Là mon interlocuteur laisse un blanc et je rajoute « les vers microscopiques ». A ce moment là, la seconde question arrive « mais pourquoi les vers ? ». Et bien je vais vous expliquer pourquoi ici, en détails ! C’est parti pour une excursion dans un monde microscopique aux formes extraordinaires.

Les tropiques sont une zone à la biodiversité étonnante et on entend tous les jours parler de la découverte d’une nouvelle espèce d’insecte aux couleurs et aux formes surprenantes. Même dans les mers on s’imagine toujours (à raison) l’image des récifs coralliens abondants de vie et aux animaux aux formes variés. De nos latitudes, on s’imagine les tropiques comme cette terre luxuriante et comme l’endroit idéal pour découvrir de nouvelles espèces. Ceci dit voyager ne se fait pas forcément autour du globe mais peut se faire aussi dans les échelles de dimensions. Il est un monde d’une grande diversité qui est caché à tous mais qui ne demande pas d’aller plus loin que la plage ou la rivière la plus proche de chez vous (voire votre jardin) : c’est la méiofaune. Ce monde est celui des animaux minuscules, d’entre les grains de sable (là où on y trouve la majorité de la méiofaune), de la vase ou de la litière, un monde microscopique, dur à atteindre mais riche des plus grandes surprises zoologiques et des morphologies les plus étranges. Et si les découvertes faites dans les forêts amazoniennes nous permettent de découvrir beaucoup de nouvelles espèces, c’est le même cas dans la méiofaune. Mais les organismes qu’on y croise sont régulièrement de formes très différentes de ce que le grand public connaît… Ou même de ce que la grande majorité des scientifiques connaissent ! C’est la diversité morphologique et évolutive animale elle-même au sens le plus large que ces animaux microscopiques vont nous révéler.

Une illustration de la diversité de forme que l’on trouve dans la méiofaune.  Source : méiofaune grouillante.

Faisons déjà une petite introduction sur la méiofaune. En pratique les animaux de la méiofaune sont définis par leur taille, la majorité se trouvant dans le sédiment (sable ou boue). Ils ne représentent donc rien de zoologiquement homogène. Ce sont les organismes qui passent entre les mailles d’un filet d’un millimètre et sont retenus par un filet de 40µm. Cette définition subjective se traduirait plutôt de cette manière : l’étude de la méiofaune est la recherche sur les animaux pas faciles à étudier car ils sont si petits qu’il faut utiliser des méthodes et des outils spéciaux de collecte et d’analyse. Conséquence directe ? Les spécialistes sont rares. Autre conséquence ? Il y a plein de choses à y découvrir ! Mais on pourrait penser qu’il y a encore tant de mystères parce qu’elle est simplement peu étudiée et qu’au final il n’y a rien de folichon. Et bien non ! La diversité et le nombre d’espèces y sont vraiment étonnants ! Par exemple, il a été montré que la biomasse de la méiofaune tend à égaler celle de la macrofaune (organismes visibles à l’œil nu) dans les estuaires et les fonds marins ! Illustrons aussi leur diversité d’une autre manière : deux organismes font partie d’un même phylum s’ils ont un même plan d’organisation et peuvent être assumés facilement plus apparentés entre eux que d’autres animaux. C’est plus un concept pratique que purement biologique. N’empêche qu’il est utile pour appréhender la diversité profonde morphologique. En me basant, par soucis de repères, sur la liste donnée par wikipédia, qui peut tout à fait être critiquée (simplement parce que la notion de phylum est très critiquable), sur les 38 phylums, 23 se retrouvent dans la méiofaune ! D’ailleurs un nouveau représentant méiofaunique d’un de ces phylums a été découvert juste en 2012 : le minuscule Meioglossus psammophilus, le plus petit des enteropneustes (les enteropneustes sont les vers pénis, j’en ai déjà parlé ici et ici) ! Ceci dit parmi ces 38 phylums il y en a 6 qui sont strictement parasites ou associés à des organismes donc qui ne sont pas considérés comme de la méiofaune pusiqu’ils qu’ils ne sont pas collectés avec un tamis. A l’inverse, 7 des 38 phylums sont strictement méiofauniques ! C’est à dire que tous leurs représentants y appartiennent ! Mais il y a mieux, deux phylums qui ne sont pas dans cette liste pourraient bientôt y être rajoutés. Ils ont été assignés aux annélides (ver de terre, sangsue et ver du pêcheur) mais n’en feraient probablement pas partie, et constitueraient leurs propres groupes !

Pour récapituler :

-Phylums : 38
-Phylums avec au moins un representant méiofaunique : 23
-Phylums strictement méiofauniques : 7 (plus peut-être 2 nouveaux)

Un tamis, du sable, un seau. Voilà un futur explorateur de la méiofaune !  Source : futur zoologiste.

Vous pouvez vous douter qu’appartenir à la méiofaune, c’est subir de fortes contraintes ! A ces dimensions, l’eau est visqueuse comme de la mélasse et il faut éventuellement se déplacer entre les grains de sables ou dans la boue. Toute force de friction en général est décuplée. De plus, le moindre courant d’eau peut emporter nos petits animaux au large. Plusieurs caractères vont donc régulièrement être retrouvés ; beaucoup vont posséder des glandes adhésives par exemple. Ben oui, lorsque les vagues balancent sur la plage ou qu’il y a une inondation dans votre jardin il faut être bien accroché ! La plupart de nos petits amis ont une forme allongée de ver. Mais beaucoup ont adopté quand même des formes très bizarres. Se déplacer dans ces dimensions est un défi relevé avec brio de plusieurs manières différentes. Pour n’en citer que deux, il y a le battement de cils, donnant une impression de glissade de l’animal, ou la contraction du corps pour creuser un chemin en déplaçant les particules tout autour. Pas mal d’entre eux ont aussi des « soies sensorielles », des espèces de poils qui leur permettent de sentir ce qu’il y a autour d’eux. En effet, dans ces dimensions et en général dans le sable, dur de voir ce qu’il y a autour. Comme ces animaux sont très petits ; ils sont souvent grossièrement plus « simples » et n’ont par exemple pas de système respiratoire. Mais vous verrez que certains ont des structures d’une complexité insoupçonnée. Malgré leurs petites tailles et leur simplicité ce sont des animaux au développement lent, avec un petit corps ; comme ça, pas possible de produire des tonnes de spermatozoïdes et d’ovules qu’on relâcherait au hasard dans l’eau (très commun chez les animaux marins) ! Conséquence directe ? Beaucoup d’entre eux s’accouplent par contact. Mieux encore, beaucoup incubent leurs œufs parfois jusqu’à très tard dans le développement.

Lorsqu’on tape « biodiversity » sur google, la deuxième image résume l'idée commune qu'on se fait de la biodiversité : récifs coralliens et forêt tropicale. Source : biodiversité.

Bon mais passée la théorie, faisons maintenant un petit tour de leur diversité. Aller dans la méiofaune c’est à première vue toujours croiser les mêmes organismes. Quatre représentants sont à même de se trouver quasiment systématiquement sous votre loupe binoculaire au moins en milieu marin : les nématodes, les copépodes, les gastrotriches et les plathelminthes. Certains de ces noms sont peut-être bien connus des étudiants en biologie… D’autres sont inconnus pour quasiment tout le monde mais si vous me suivez bien, ces quatre groupes sont donc parmi les animaux les plus communs autour du globe… Et si j’ai précisé « au moins en milieu marin » ça n’implique pas qu’ils soient rares en eau douce voir en milieu terrestre !

Les nématodes sont souvent plutôt réputés pour être des parasites comme l’ascaris. Ceci dit les nématodes font partie des animaux les plus communs au monde puisqu’on les trouve dans quasiment tous les milieux et notamment en très grande abondance dans le sédiment en général : sable, vase, terre que ce soit terrestre, d’eau douce ou marin. Si vous avez un microscope faites l’expérience, vous en trouverez sûrement ! Ces vers filiformes et au corps rond n’ont pas l’aspect le plus excitant… Incapables de se contracter, ils font des mouvements en S caractéristiques pour se déplacer. Vu que ce sont des ecdysozoaires (voir article mue), c’est à dire des animaux à squelette externe qui muent, ils n’ont pas de cils ! Pourtant c’est presque la règle chez les animaux aquatiques de la méiofaune. Mais comme d’hab il faut faire attention aux règles : ça ne les empêche pas d’être parmi les plus abondants !

Dracograllus, un des nématodes les plus bizarres. Croyez-moi, les autres sont assez monotones pour ne pas que je vous montre un bon gros vieux nématode. Source : super nématode.

Les Copépodes sont de petits crustacés. On les trouve principalement en milieu marin quand il s’agit de méiofaune du sédiment. Habituellement on les trouve (ou du moins on en entend plus parler) dans le plancton (voir article plancton). La forme générale des copépodes planctoniques rappelle une goutte, l’avant étant plus large que l’arrière. Cependant, comme je vous l’ai dit la plupart des animaux de la méiofaune ont une forme de ver. Les copépodes harpacticoides n’échappent pas à cette règle et ont un aspect allongé. Pour certains, à première vue, il est difficile de les reconnaître comme des copépodes. Mais leur comportement agité ne trompe pas, tout comme leur manière de nager par à-coups. Ces petits animaux filtreurs se frayent un chemin entre les grains de sable. Ils font partie, avec les nématodes, du cauchemar des gens travaillant sur la méiofaune marine. Ils sont si communs qu’ils ont vite fait d’ennuyer le plus patient des biologistes.

Un copépode harpacticoïde. Notez la forme allongée et le sac d’œuf typique des copépodes.  Source : l'ami de la bino.

Les plathelminthes sont en général, tout comme les nématodes, mieux connus des médecins puisque certains d’entre eux peuvent être de gigantesques parasites (ver solitaire). Cependant, de l’autre côté de l’échelle de taille, on trouve une grande diversité de plathelminthes. Il est assez difficile de décrire ces animaux de manière excitante. Ils sont recouverts de cils et semblent glisser entre les grains de sable. Ils ont une bouche et pas d’anus… Bref, c’est à peu près tout. Mais ils sont assez rigolos. Déjà malgré cette description morne (et approximative, exprès, je l’avoue) on trouve une grande diversité de formes : certains tout ronds, certains très allongés, certains avec des mâchoires… Bref, les plathelminthes de la méiofaune ne sont pas exempts de surprises… Ce manque de caractères cependant a une autre conséquence : certains groupes manquant aussi de caractères y sont parfois placés par défauts (gnathostomulides et acoeles, je reviendrai sur les gnathostomulides). En gros, si vous voulez passer pour un bon méiofauniste, si vous trouvez un « truc » qui ne ressemble à rien, appelez ça un plathelminthe et ça devrait passer.

Un plathelminthe Kalyptorhinchia. A part être mignon, on ne peut pas lui prêter tellement d’attributs.  Source : Plathelminthe chou.

Les gastrotriches quant à eux sont un phylum entier exclusivement méiofaunique. Ce sont encore une fois des vers mais ils ont des formes et des ornementations très différentes. On peut les trouver aussi dans les sols humides de terre ferme. Autrement dit, ils se trouvent en eau douce ou de mer. Ce sont des vers plats, un peu comme les plathelminthes… Mais leur ciliation est uniquement ventrale. Ils ont en général soit des écailles qui leur donnent des formes extraordinaires, soit plein de glandes adhésives, qui leur assurent une cohésion maximale (ça sonne comme une pub pour une super-glue gastrotriche). Ils ont par ailleurs un aspect assez rigolo puisqu’ils ont une bouche terminale et qu’ils ne peuvent pas la fermer… cela leur donne donc un aspect un peu béat/idiot. 

Aperçu de la diversité des gastrotriches d’Afrique du Sud… Mais on trouve la même diversité sur nos côtes ! Source :  Diversité des gastrotriches.

Mais en quoi la méiofaune est-elle pleine de découvertes (encore plus je veux dire !) ? Ce dernier siècle, 3 nouveaux phylums y ont été décris et peut-être que 2 nouveaux vont bientôt l’être. 

En 1956, Peter Ax, un des explorateurs fous de la méiofaune, décrit un nouveau groupe : les gnathostomulides. Ce groupe un peu étrange est assigné aux plathelminthes, dont j’ai parlé plus haut. Les raisons ? Ils n’ont pas d’anus et sont ciliés… Enfin, soyons précis, leur anus est transitoire : parfois ils en ont, parfois non… Bref, ces caractères ne sont pas hyper convainquant pour les classer parmi les plathelminthes, mais je vous ai expliqué que de toutes manières, les plathelminthes n’ont eux même pas tellement de caractères convaincants. D’ailleurs, pas mal d’animaux n’ont pas d’anus et beaucoup d’autres sont ciliés. Ceci dit un caractère retient l’attention chez ces animaux… Les mâchoires ! En effet, ces petits monstres des grains de sables cachent de terribles mâchoires. Or certains plathelminthes aussi en ont ! Mais les choses ne sont pas si simples. Plus tard ils ont aussi été placés chez les annélides, en effet, on connaît aussi de petites annélides avec de petites mâchoires. Bon, alors, ils vont où les gnathostomulides ? Finalement, il a été décidé de les garder à part, dans leur propre phylum : ce ne sont ni des annélides ni des plathelminthes. Ils seraient plutôt proches, sans en être, d’autres animaux bien connus et portant aussi des mâchoires : les rotifères. Depuis leur découverte les gnathostomulides ont été retrouvés plein de fois et plus de 100 espèces ont été décrites ! On sait qu’ils sont très communs voir même super abondants dans certains sédiments. Rendez vous compte, avant 1956 ces animaux étaient pourtant inconnus des scientifiques ! Bon, pour être honnête, ils étaient connus depuis les années 1920 mais aucun écrit scientifique ne les avait décrits !

Les gnathostomulides. Oui ce sont des vers de la méiofaune typique… Mais regardez moi ces belles mâchoires !  Source : jolies chicot

Bon, à part leurs mâchoires rigolotes les gnathostomulides ne sont pas les plus folichons des animaux… Là nous allons parler des animaux qui sont à mon sens parmi les plus fous… Les loricifères. Découverts en 1974 au large de Roscoff, en Bretagne, ils n’ont été décrit scientifiquement qu’en 1983, très récemment donc ! L’histoire vaut le détour : Reinhardt Kristensen, celui qui les a décrits (on reparlera de lui bientôt) avait 100kg de sable à traiter… En un jour ! En effet, il devait partir de la station marine de Roscoff juste après. Au lieu d’anesthésier gentiment les animaux pour les extraire du sédiment (ce qu’on fait avec du chlorure de magnésium), il leur a tout simplement balancé de l’eau douce à la gueule ! Il ne devait pas y aller de main morte, en effet, il chassait le tardigrade, de petits animaux très résistants. Le traitement à l’eau douce est violent pour les animaux d’eau de mer, pour des questions de pression osmotique. En plus de trouver une vingtaine d’espèces de tardigrades (au lieu de trois attendues !) il retrouva en pagaille ce drôle d’animal (qu’il avait déjà rencontré à plusieurs reprises à d’autres localités) et pu ensuite en décrire la morphologie et le cycle de vie. Ces animaux, les loricifères, font partie des plus petits animaux mais ont une des apparences les plus complexes… Je vous laisse en juger :

Un loricifère ou « animal feu d’artifice ».  Source : Loricifère.

Cet aspect psychédélique est dû à ce qu’on appelle des scalides qui sont, pour faire simple, des épines qui permettent de s’accrocher au sédiment et de creuser. Il me serait difficile de vous dire pourquoi elles ont une telle complexité. En tout cas pour faire encore pire, il faut savoir qu’il y a plusieurs formes par individus avec des larves, des mâles et des femelles… Chacun étant différent, notamment dans l’organisation des scalides ! En plus d’être morphologiquement tordus, leur cycle de vie lui même l’est !

Diagrammes à scalides au cours des différentes phases du cycle de vie Pliciloricus pedicularis…Un vrai casse tête ! Source : Gad 2005

Pour finir, la dernière surprise des loricifères, dont j’ai parlé dans l’article du premier Avril (ce n’était justement pas une blague), ces petits coquins sont les seuls animaux que l’on connaisse à ce jour à pouvoir effectuer leur cycle de vie complet dans un environnement totalement anoxique, c’est à dire dépourvu d’oxygène ! Et ce ne sont pas moins de trois espèces en méditerranée qui ont été découvertes dans ce cas ! Mieux encore, ces loricifères ne semblent pas avoir de mitochondries (des organites présents dans nos cellules assurant la respiration). Ils ont à la place des structures rappelant des « hydrogénosomes », des organites que l’on retrouve chez les organismes unicellulaires vivants en milieu anoxique. Associés à ces hydrogénosomes se trouvent des organismes unicellulaires : des bactéries ou des archées (les archées sont des organismes ressemblant grossièrement à des bactéries mais qui sont plus proche de nous). A vrai dire le mécanisme qui leur permet de survivre sans oxygène est encore mal connu mais j’espère ne plus avoir à vous convaincre que les loricifères sont des animaux très étranges !

Le cycle de vie des Loricifères. Pas si facile à interpréter… Source : Kristensen 2002.

J’aurais du garder le meilleur pour la fin mais j’ai préféré conserver un ordre chronologique. Même s’il sera difficile de faire mieux que les loricifères, le groupe dont je vais vous parler maintenant vaut quand même largement le détour (en plus je travaille dessus, c’est mon chouchou). C’est le dernier phylum décrit ou « Micrognathozoa ». Découvert au Groenland par Kristensen (encore lui !), cet animal vivant associé aux mousses des cours d’eau douce froide mesure moins de 150 µm et est parmi les plus petits de tous. A première vue rien de bien extraordinaire, on a un personnage de la méiofaune classique : glandes adhésives, ciliature ventrale, forme de ver (enfin ici, plus précisément de saucisse)… Rien de bien folichon… Si ce n’est qu’il a probablement les mâchoires parmi les plus complexes que l’on trouve chez les animaux après les vertébrés (ce n’est évidemment pas fair-play, les vertébrés sont infiniment plus gros)… Micrognathozoa signifiant « animaux microscopiques à mâchoires », tout est dans le nom. Ah, vous souvenez-vous d’animaux à mâchoires ? Oui, ils seraient très proches des gnathostomulides ! Mais avec des mâchoires quand même plus complexes ! Cela a demandé pas mal de temps aux scientifiques pour les comprendre, il faut dire qu’avec ces dimensions, ce n’est pas facile à explorer. 

Un  Micrognathozoa : 

Bon vous allez me dire que ça suffit avec les images de vers informes… Mais attendez…  Source : petit Limnognathia.
Les mâchoires (reconstitution 3D) :

Ah ouais, ça c’est des mâchoires complexes pour un si petit animal ! Source : mâchoires de folie.

Il reste encore pas mal de mystères à résoudre sur ces animaux. Déjà, tout n’est pas bien compris quant à l’organisation de leurs mâchoires. Puis, pour l’instant aucun mâle n’a été trouvé ! Seraient-ils comme beaucoup de rotifères (leurs proches parents bien mieux connus et communs) parthénogénétiques, ça veut dire avec des femelles se reproduisant toutes seules ? Ou les individus seraient-ils successivement mâle puis femelle ? Dans ce cas on n’aurait pas encore trouvé les mâles simplement. Une autre question, ils vivent dans les cours d’eau froide du Groenland qui gèlent chaque année. On a tenté de les congeler une fois rapatriés au Danemark… Mais ils sont morts… Comment résistent-ils ? On a bien trouvé des œufs supposés résistants mais rien n’est encore sûr. Une dernière anecdote, on les trouve dans les îles Crozet, proche de l’Antarctique, à l’autre pôle. Paraît-il la même espèce ! Comment sont-ils arrivés là ? Certains supposent que ce seraient les chasseurs de baleines qui les y auraient introduits !

Le genre de paysage où l’on peut trouver Limnognathia au Groenland… En été !  Source : "cold spring".

Et alors, vous pensiez que c’en était fini des découvertes ? Non, non, non ! Et en totale exclusivité je vais, sans entrer dans les détails, vous parler de deux groupes qui pourraient être des phylums à part. Nos deux mystérieux amis ont, comme vous pouvez vous en douter, des noms barbares : Diurodrilus et Lobatocerebrum (il y en a même un troisième Jennaria, mais selon les auteurs il serait à placer à côté de Lobatocerebrum ou pas). Lobatocerebrum et Diurodrilus ont été découverts respectivement en 1980 par Rieger et en 1925 par Remane, deux autres grands explorateurs de la méiofaune. Chacun d’eux a été dès le premier abord placé dans les annélides, un large groupe dont j’ai parlé plusieurs fois, ici par exemple, et surtout sur mon autre blog, ici ou ici. Cependant cette position est peu convaincante, ces animaux ayant peu de caractères permettant de les mettre à coup sûr chez les annélides. Après tout ils sont si petits. Alors qu’en est-il ? Il a été envisagé que chacun d’eux représente son propre phylum ! Rien que ça ! Diurodrilus serait peut-être proche des Micrognathozoa ! Le seul hic ? Il n’a pas de mâchoires, sinon le reste colle bien, mais cela demande encore pas mal de recherches avant que ce soit confirmé. Pour ce qui est de Lobatocerebrum c’est encore confus et on n’a pas encore d’idée bien intéressante d’où le positionner. En effet, ce petit cachottier n’a été retrouvé que quelques fois et toujours en très petites quantités. Bref encore beaucoup de mystères comme vous pouvez le voir…

Lobatocerebrum… Ouais, c’était juste pour mettre une image.  Source : animal mystérieux.

Au final, la méiofaune nous révèle une grande diversité d’organismes, dont beaucoup aux caractères parfois étranges. Ces animaux miniatures se retrouvent dans tellement de groupes et de milieux différents qu’on peut se demander au final si l’ancêtre des animaux bilatériens (à symétrie bilatérale) faisait partie de la méiofaune ou pas. Et figurez vous que c’est une question d’actualité qui n’a pas encore de réponse…


Bibliographie :

Pour aller plus loin : vous pouvez toujours aller voir à la Grande Galerie de L’évolution au Jardin des Plantes à Paris. Il y a une petite exposition qui vous emmène entre les grains de sables. A première vue un peu austère, faites l’effort de regarder entre les grains de sables géants pour y découvrir des organismes aux formes plus qu’étranges…

Ax, P. 1956. Die Gnathostomulida, eine rätselhafte Wurmgruppe aus dem Meeressand. Abhandl. Akad. Wiss. u. Lit. Mainz, math. - naturwiss. 8: 1–32.

-Gad G. 2005. A parthenogenetic, simplified adult in the life cycle of Pliciloricus pedicularis sp. n. (Loricifera) from the deep sea of the Angola Basin (Atlantic). Organisms Diverity and Evolution. 5(1), 77-103.

-Higgins R. P. et Thiel H. 1988. Introduction to the study of meiofauna. Smithonian Instutition Press. London.

-Kristensen R. M. 1983. Loricifera, a new phylum with Aschelminthes characters from the meiobenthos. Z. zool. Syst. Evolut. 21 : 163-180.

-Kristensen & Funch, 2000 : Micrognathozoa : a new class with complicated jaws like those of Rotifera and Gnathostomulida Journal of Morphology 246, p 1-49.

-Kristensen R. M. 2002. An Introduction to Loricifera, Cycliophora, and Micrognathozoa. Integrative & Comparative Biology, 42 : 641-651.

-Rieger, R.M. 1980: A new group of interstitial worms, Lobatocerebridae nov. fam. (Annelida) and its significance for metazoan phylogeny. Zoomorphology 95:41-84.

-Swedmark B. 1963. The Interstitial Fauna of Marine Sand. Biol. Rev. 39, 1-42.

-Sørensen M. V. 2003. Further structures in the jaw apparatus of Limnognathia maerski (Micrognathozoa), with notes on the phylogeny of the Gnathifera. Journal of Morphology 255: 131-145.

-Worsaae K. et Rouse G. W., « Is Diurodrilus an annelid? », Journal of Morphology, vol. 269, no 12, 2008, p. 1426–1455.

-Worsaae K., Sterrer W., Kaul-Strehlow S., Hay-Schmidt A. et Giribet G. 2012. An Anatomical Description of a Miniaturized Acorn Worm (Hemichordata, Enteropneusta) with Asexual Reproduction by Paratomy. PLoS ONE 7(11): e48529. 


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