mardi 21 janvier 2014

Essuyons quelques préjugés sur les éponges.

Souvent vues comme des animaux très simples, pour peu qu’on sache que ce sont des animaux, les éponges subissent une grande injustice. Auparavant considérées comme le « chainon manquant » entre les végétaux et les animaux, on les retrouve encore reléguées aux premiers chapitres de tout livre universitaire de zoologie qui se respecte. Et même si cette vision en échelle est (en principe) révolue, le fait que les livres de zoologie commencent généralement par les éponges pour finir par les vertébrés, participe au maintient de cette idée. Pourtant, malgré leur aspect végétatif, les éponges sont bien des animaux. Bon, déjà c’est quoi un animal ? Pour faire simple, c’est un organisme multicellulaire qui se nourrit d’autres organismes, qui produit du collagène, et avec au moins une phase mobile. Quoi, des éponges qui bougent ? Pourtant ce sont des organismes fixés sans muscles ni système nerveux. Mais la larve est ciliée et nage : on a bien une phase mobile. Tout ceci n’est pas très impressionnant mais attendez la suite…

Une belle image d’éponge, parce que les prochaines le seront moins mais plus dans le contexte… Source : éponge jolie.


Trêve de blabla sur cette injustice que doivent essuyer les éponges, j’ai déjà évoqué ça dans un article précédent (cf. article complexité, et ce sera en trame de fond de cet article, vous vous en doutez). Rentrons dans le vif du sujet, ce n’est pas une découverte récente, mais les éponges bougent bel et bien. Oui, je l’ai déjà dit, la larve ne fait pas que larver, mais l’adulte aussi peut se « déplacer » et se contracter. En fait ce comportement est connu depuis longtemps et a même été reporté par Aristote ! Mais depuis tout ce temps, malheureusement, l’origine de ces mouvements est encore mal connue. Cependant, une étude récente parue dans le journal « Invertebrate Biology » (Bond, 2013) décrivait les mouvements d’une éponge calcaire (groupe qui n’a pas été tellement étudié) : Leucosolenia botryoides. Ça a été pour moi l’occasion de me pencher un peu sur le problème et de le partager avec vous. Mais à quoi donc peuvent ressembler les mouvements chez une éponge ? Voyez plutôt :



Impressionnant non ? Oui bon, c’est du “time-lapse”, en gros du super accéléré (pour du time-laps un peu plus esthétique, mais pas dans le sujet, vous pouvez aller voir ici).  Le mouvement est bien connu chez les autres animaux. Il est en général effectué de deux manières : le battement de cils (en milieu aquatique) ou les contractions musculaires. Chez l’éponge adulte, les cils sont connus et sont associés à des cellules appelés choanocytes. Mais autant qu’on sache (ou du moins que je le sache), ça participe aux mouvements d’eau au sein de l’éponge mais pas au mouvement de l’éponge au sein de l’eau. Et malheureusement, il n’y a pas de muscles chez les éponges… Tout ceci reste donc bien mystérieux…

Schéma général d’une éponge. Remarquez l’absence de muscles et de système nerveux. Et pourtant… Source: schéma super sérieux.

Deux théories se sont longtemps affrontées pour expliquer les contractions chez les éponges, mais pour cela il faut revoir quelques points sur la morphologie générale d’une éponge On trouve au sein du « mésohyle », la couche centrale de l’animal, des cellules en forme étoilées appelées « actinocytes ». L’extérieur de l’éponge quand à lui est couvert de cellules appelées « pinacocytes » . En fait le débat a longtemps été mené pour savoir si les actinocytes ou les pinacocytes étaient responsables des contractions. En gros si c’était une diminution de volume ou de surface ! Pour vous donner une orientation du débat, les actinocytes étaient auparavant appelés myocytes de myo = muscle… Un peu biaisé…

Coupe transversale du tissus d’une éponge. L'extérieur est en haut, l’intérieur en bas. « ex » et « en » sont respectivement les exopinacocytes et les endopinacocytes. « ac » sont les actinocytes présents dans le mésohyle. Source: intimité de l'éponge.

Le mécanisme de contraction des éponges a été étudié en détails chez l’espèce Tethya wilhemlma grâce à la microtomographie (une méthode récente d’imagerie) et des coupes histologiques. Ces méthodes ont l’air plus complexes que l’animal lui-même mais laissent penser que les contractions, du moins chez cette espèce, sont majoritairement produites par les pinacocytes, autant au sein des canaux internes (souvenez vous que les éponges ont un ensemble compliqué de canaux) que de la couche extérieure. Alors, les actinocytes servent-ils au mouvement ou non ? Dans tout mouvement musculaire (bien qu’ici ça n’en soit pas), il faut un agoniste pour créer le mouvement, et un antagoniste, pour revenir à la position initiale. Dans ce cas ce seraient les actinocytes qui joueraient le rôle d’antagoniste, mais leur rôle resterait « auxiliaire » dans la contraction (ou plus justement, dans la décontraction).

Ces mouvements ont plusieurs fonctions supposées. Ils semblent périodiques chez certaines espèces et aideraient à l’expulsion de déchets (nourriture et débris cellulaires). Dans d’autres cas ils contribueraient peut-être à empêcher les autres animaux de trop les taquiner. Il a été montré en laboratoire que lorsque l’on retirait les autres animaux, les éponges arrêtaient complètement de se contracter. Vous doutiez-vous que les éponges étaient timides ?


Tethya wilhelma, une éponge qui se contracte beaucoup. En haut, le degré de contraction. En bas les animaux en situation naturelle. Ne sont-elles pas mignonnes les pitites bouboules ? Source : contraction Tethya (en haut), Tethya s'amusant (en bas).

Bon, mais jusque là on a rien de super impressionnant, l’éponge de ménage aussi se contracte quand vous la serrez, et se décontracte ensuite toute seule, rien de plus fou que ce qui traîne derrière votre évier. Ceci dit, comme je suis totalement impartial, je veux vous convaincre que les éponges c’est génial et super vif (ok, relativement… ok, c’est quand même super lent, mais au moins ça bouge). Et pour ça, je vais vous décrire deux modes de déplacement des éponges parmi d’autres.

La première est rigolote et a été décrite récemment (fin 2013, comme quoi ya encore du progrès à faire sur la connaissance de ces animaux). Beaucoup d’éponges possèdent des spicules, de petits éléments squelettiques au sein de leurs tissus. La diversité et la complexité des spicules (voir ici ) est parfois étonnante, et toute personne prétendant que les éponges sont simples (animaux inférieurs, primitifs, basaux, vieux, comme vous voulez), n’a manifestement jamais eu à apprendre le nom des principaux spicules pour un examen. Mon vieux tonton zoologiste « gradiste » théorique (ça m’arrange pour le récit d’inventer un zoologiste super rétrograde) se demandera pourquoi s’emmerder à avoir plein de spicules différents quand on est un animal mou, informe et simple. Moi-même je n'ai pas la réponse, mais en plus d’avoir une fonction de soutien, il a été montré qu’ils ont une fonction de locomotion ! Ils permettraient de s’accrocher au substrat et de se tracter. Des parties entières de Leucosolenia botryoides, constituées d’une multitude de tubes, peuvent se déplacer de concert dans la même direction ! Les mouvements des spicules seraient dus à celui des cellules du mésohyle (la « chair » de l’éponge).

Leucosolenia, une éponge qui rampe grâce à ces spicules (en bas). Des bouquets entiers de tubes (visibles en haut) peuvent bouger tous ensemble ! J’espère que vous êtes ébahis ! Source: bouquet d'éponge (en haut). Ptitspicules (en bas)

L’autre manière de se déplacer est plus complexe. Elle est due à la somme du mouvement de toutes les cellules. L’éponge se déplace alors sur le substrat et au sein de l’animal, c’est un réarrangement total de l’ensemble de l’éponge qui se produit. Il a été montré que la plupart des cellules, les pinacodermes comme les cellules du mésohyle, bougent à différentes vitesses selon leur type cellulaire. Les cellules du mésohyle étant les plus mobiles. Pour résumer, les cellules du mésohyle sont les cellules principalement mobiles, et les pinacocytes sont plus contractiles. On trouve dans le mésohyle au moins quatre types de cellules ayant leur propre morphologie, leur propre répartition, et leur propre vitesse. Autant dire qu’il en faut de l’organisation pour mettre tout ça en mouvement ! Dans ce lent chaos dynamique, il y a aussi les spicules. Bien sûr, les spicules ne bougent pas eux même (ce ne sont pas des cellules, mais des structures minéralisées), mais elles sont entraînées par les cellules du mésohyle. Ces dernières se regroupent autour des spicules et les mènent vers la bordure de l’éponge. Elles s’organisent ensuite de manière parallèle et s’accrochent au substrat (grâce à des cellules qui les entourent) et se positionnent comme des mâts de tente !

Ephydatia fluviatilis,  une des éponges d’eau douce pourtant discrète. En son sein c’est un méli-mélo de cellules bougeant dans tous les sens de manière ordonnée ! Source : l'éponge qui cache bien son jeu.


Alors, quels mécanismes permettent d’organiser tout ça vu que les éponges n’ont pas de système nerveux ? Déjà, on suppose qu’il existe des mécanismes de reconnaissance cellulaire qui permettent aux cellules d’un même type de se regrouper et de bouger de concert. Mais il y a aussi des mécanismes qui rappellent le fonctionnement du système nerveux (quand bien même il n’y en a pas). Certaines éponges (pas toutes, selon les connaissances actuelles) utilisent des potentiels d’action pour permettre la communication entre les cellules, c'est-à-dire des différences de charges électriques entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. Pour l’instant aucune technique ne permet d’étudier correctement ces propriétés chez les éponges. Ceci dit, certaines études d’expression fonctionnelle de gènes (où on joue avec les gènes d’éponges) montrent qu’il y a effectivement, chez l’éponge Amphimedon queenslandica, la présence de canaux à ions sélectifs. Ces canaux laissent passez uniquement certains ions ce qui régule les différences de charges. Cela laisse penser que certaines membranes cellulaires chez cette espèce auraient une spécialisation électrochimique. De plus, un grand nombre de neurotransmetteurs (les molécules impliquées dans le système nerveux) connus chez les autres animaux sont exprimés chez certaines éponges. Au final, morphologiquement, les neurones ne semblent pas exister chez les éponges, mais fonctionnellement c’est une autre histoire qu’il reste à résoudre.

Amphimedon queenslandica, l’éponge qui a presque un système nerveux…. En bas une image des embryons qu’elle incube. Parce que oui, en plus de tout ça certaines éponges accordent des soins parentaux ! Source : l'éponge presque maligne.

Alors quelles réflexions peut-on en tirer ? Quand j’ai commencé à écrire l’article (y’a un bout de temps), j’avais juste en tête de parler de mouvement chez les éponges pour montrer, comme d’hab, que tous les animaux son choupis et cool. Mais entre temps un article est paru dans la célèbre revue scientifique Science (vous pouvez aller voir sur SSAFT), ce qui est une bonne occasion de placer cet article dans une perspective évolutionniste. Pour faire simple, selon cet article paru dans Science, les éponges sont plus proches de nous que les cténaires (les cténaires sont des animaux qui ressemblent superficiellement aux méduses, mais sont organisés très différemment). Pour formuler ça autrement, les cténaires sont les animaux les plus éloignés de nous, contrairement aux éponges (le fait que les éponges soient les animaux les plus éloignés de nous est majoritairement supposé). Tout ça peut sembler obscur, mais les cténaires, en plus d’être magnifiques, ont un système nerveux et des muscles. Ça supposerait deux choses : soit les muscles et le système nerveux sont apparus de manière indépendante chez les cténaires et les autres animaux qui en sont pourvus, soit les éponges ont perdu les muscles et le système nerveux. L’article de Science favorise l’hypothèse que les éponges auraient perdu tout ça. A première vue pourquoi pas, après l’article que vous venez de lire, on peut penser que les éponges ont encore des traces de ces systèmes d’organes. Ceci dit, de mon point de vue, ça me semble étrange de perdre toutes ces structures pour retrouver de manière tordue toutes les fonctions associées. En ce sens, l’hypothèse de la réversion me semble d’autant plus tirée par les cheveux que ce sont des structures importantes, intégrées et qu’en plus la fonction est conservée chez les éponges par des mécanismes divers. Quand à la convergence du système nerveux et musculaire entre cténaires et la plupart du reste des animaux… Ça me semble très peu probable. Mais ce n’est qu’une impression personnelle. Reste que ce sont des résultats récents et qu’il faudrait attendre de voir comment la communauté scientifique interprète et commente ces résultats.

Un arbre résumant les débats récents. Ici la topologie qui a été trouvée dans le dernier article sur le sujet. Beaucoup de zoologistes auraient des choses à redire. C’est un débat passionnant et passionné. Source : l'arbre qui fait parler.

Toujours est-il qu’en biologie les apparences sont trompeuses et qu’il est dur de juger de la complexité d’un organisme qui nous est éloigné avec nos yeux d’humains. Quelle que soit la position phylogénétique des éponges, il n’y a pas de doute qu’elles ont encore beaucoup de surprises à nous dévoiler ! Que ce soit des réversions ou des conditions primitives quant à l’absence de système nerveux et musculaire, elles n’en sont pas moins mobiles et surprenantes à leur manière !

Et puis parceque j’ai mis trop de temps à publier cet article (fêtes, reprise après les vacances etc.), un article sur la sensation chez les éponges est encore paru entre temps : http://www.biomedcentral.com/1471-2148/14/3/abstract, avec une vidéo d’une éponge qui éternue…




Pour aller plus loin :

Un article très récent sur SSAFT sur la position phylogénétique des éponges (et des cténaires) : http://ssaft.com/Blog/dotclear/index.php?post/2013/12/13/De-notre-relation-avec-Bob-lEponge

Un article que j’ai écrit il y a trois ans sur les éponges sur mon blog de zoologie : http://nicobola.blogspot.fr/2010/10/les-spongiaires.html

Un article sur ce blog qui discute, en partie, de la complexité des éponges : http://fish-dont-exist.blogspot.fr/2012/03/evolution-et-complexite-ce-nest-pas.html

Bibliographie :

Bond C. 1992. Continuous Cell Movements Rearrange Anatomical Structures in Intact Sponges. The Journal pf Axperimental Zoology, 263:284-302.

Bond C. 2013. Locomotion and contraction in a asconoid calcareous sponge. Invertebrate Zoology. 132(4):283-290.

Nickel M. 2010. Evolutionary emergence of synapic nervous systems : what can we learn from the non-synaptic, neverless Porifera ? Invertebrate Biology, 129(1):1-16.

Nickel M., Scheer C., Hammel J. U., Herzen J. et Beckmann F. 2011. The contractile sponge epithelium sensu lato – body contraction of the desmonsponge Tethya wilhelma is mediated by the pinacoderm. The Journal of Experimental Zoology, 214:1692-1698.

Ryan J. F., Pang K., Schnitzler C.E., Nguyen A-D., Moreland R.T., Simmons D.K., Koch B.J., Francis W.R., Havlak P,. Smith S.A. et al. 2013. The Genome of the Ctenophore Mnemiopsis leidyi and Its Implications for Cell Type Evolution. Science, 342(6164). 


jeudi 14 novembre 2013

De l’utilité de créer son propre zombie…

...Ou le monde fabuleux des parasites manipulateurs


Si la fête d’Halloween nous a amené sa ribambelle de monstres en tous genres, je vous propose aujourd’hui de rester dans le thème et parler des zombies. Attention, pas ces zombies snobs qui se pavanent dans des films grotesques comme «  Shaun of the Dead » ou « Warm bodies »… Ces humains complètement gaga et tout baveux se croient célèbres sous prétexte qu’ils apparaissent dans une poignée de longs métrages (quelques 350 selon Wikipédia, pas de quoi en faire toute une histoire…), alors qu’au fond, à part terroriser les foules, ils ne servent pas à grand chose. Un bon zombie est un zombie utile ! C’est un zombie prêt à tout pour servir son créateur, y compris se jeter littéralement dans la gueule du loup.


(Source)


Qui a besoin des zombies ?


En tant qu’être humain, il faut avouer qu’un zombie a une utilité relativement limitée. Des personnes pour faire le travail à notre place, on en a déjà. Nos gosses, nos employés, nos chiens s’ils sont bien dressés… Et puis la technologie fait des miracles, les ordinateurs et robots s’occupent de presque tout à l’heure actuelle, sans même qu’on s’en aperçoive. Mais il existe des créatures qui ont un besoin crucial d’un autre individu pour les maintenir en vie. Je ne suis pas en train de parler de Voldemort qui squatte le crâne de ce pauvre professeur Quirrell, mais finalement l’exemple se rapproche pas mal de la réalité. Si vous n’avez pas compris ma dernière phrase (mais vous vivez où ?!), brève explication. Voldemort (l’ennemi de Harry Potter, le mec qui vit sous un escalier), est un sorcier anéanti, incapable de se fabriquer un corps comme tout un chacun avec ce qu’il faut pour se déplacer, trouver de la nourriture, communiquer, etc. (bon, par la suite il reprendra du poil de la bête). Pour survivre, il habite littéralement le corps d’un hôte humain, et non seulement il puise en lui les ressources nécessaires pour survivre, mais en plus il le mène à la baguette (de sorcier !) pour lui faire faire ce qu’il veut (tenter de tuer des mômes par exemple). Hé bien finalement, c’est exactement ce que font nos créatures zombifiantes du jour : les parasites manipulateurs.

Les parasites sont des créatures qui vivent aux dépens d’autres êtres vivants (les hôtes). Les parasites les plus intéressants (et je ne dis pas ça parce qu’ils constituent le sujet de ma thèse), sont les parasites dit « hétéroxènes », c'est-à-dire qu’ils ont besoin de plusieurs hôtes successifs pour boucler leur cycle de vie (naitre, grandir, se reproduire). Par exemple, la très célèbre petite douve du foie Dicrocoelium dendriticum va vivre une partie de sa vie dans des escargots, puis va passer chez des fourmis via la bave du gastéropode, et finir son cycle dans des mammifères herbivores, comme des vaches ou des moutons.



Cycle de vie de la petite douve du foie (Source)


La photo de notre très sexy petite douve... (Source)


Quel est le rapport entre les parasites et les zombies ? Hé bien, prenons notre petite douve du foie, qui est minuscule et qui ne sait même pas marcher. Pauvre petit être sans défense, comment ferait-elle toute seule, perdue dans la nature immense et hostile, pour repérer son mouton, lui sauter dessus et forcer l’intrusion dans son organisme ? Mission impossible. La douve utilise une méthode bien plus subtile… La fourmi possède des pattes, elle. Et puis elle pourrait s’approcher des moutons en grimpant en haut des brins d’herbes… La douve, comme beaucoup de parasites, est devenue l’illustration même de la célèbre maxime « on n’est jamais mieux servi que par quelqu’un d’autre ». Et la pauvre fourmi, zombifiée, dirigée par son impitoyable tortionnaire, va bravement aller se faire dévorer par des moutons…


Les grandes stars


Les parasites qui « dictent » à leur hôte de se faire dévorer par le prochain hôte, on en trouve à foison dans la nature. L’exemple de la douve est très connu. Parmi les grandes célébrités, nous avons aussi Leucochloridium paradoxum. Ce ver plathelminthes, qui habite d’abord dans un escargot, doit finir son cycle dans un oiseau. Ces derniers, bien que prédateurs, ont malheureusement une préférence pour des chenilles. Qu’à cela ne tienne, le ver va induire une transformation des yeux de l’escargot en une réplique quasi parfaite de la nourriture favorite de l’oiseau ! Et pour plus d’efficacité, l’escargot attendra sagement bien en évidence en pleine lumière qu’un oiseau vienne lui picorer les yeux. Jetez un œil ici pour plus de détails et explications sur le lugubre calvaire du pauvre gastéropode.

(Source)

En continuant dans la lignée des grandes stars de la manipulation, vous avez peut être déjà croisé ces images de fourmis au derrière si rouge et si gonflé qu’il ressemble à s’y méprendre à une baie, très alléchante pour les oiseaux… La faute au nématode Myrmeconema neotropicum, qui, comme vous l’aurez deviné, finit également son cycle chez un oiseau.


L'abdomen de ces fourmis, noir à l'origine, se teinte de rouge et se détache 14 fois plus facilement du reste du corps quand l'animal est parasité (Sources ici et )



Plus de subtilité pour une perfide efficacité


Pour beaucoup de mes lecteurs, les exemples que je viens de citer ne sont pas une nouveauté. Scientifiques comme grand public apprécient la magie des lugubres transformations de ces zombies, digne de films de science fiction. Mais ces extravagances détournent l’attention des œuvres de la grande majorité des parasites manipulateurs, beaucoup plus subtiles dans leurs procédés. Sans compter qu’un hôte intermédiaire (le zombie) ne sert pas uniquement de véhicule vers l’hôte final : il a des ressources à exploiter.

Petit descriptif des caractéristiques et panel d’options à disposition des parasites, logés bien au chaud dans leur hôte. Voici, pour illustrer, une brochure publicitaire trouvée chez un concessionnaire d’hôtes intermédiaires à l’usage des parasites acanthocéphales et trématodes :


« Tenez-vous bien, on a ici le nec plus ultra. Au sein de votre zombie, moelleux et de tout confort, vous pourrez vous développer à votre rythme sans difficulté, puisant dans votre hôte toutes les ressources dont vous aurez besoin [1]. Les zombies de luxe sont pourvus d’options pour moduler la quantité et qualité de ressources disponibles [2-3]. Votre zombie vous baladera tranquillement au gré de ses mouvements, vers une destination que vous pourrez choisir vous-même [4], jusqu’à ce que vous soyez prêts à vous en séparer. Vous pouvez activer l’option « protection anti-prédateur » [5-6-7], qui vous assurera une plus grande sécurité durant votre développement, réduisant la probabilité que votre zombie (et vous avec) se fasse dévorer. Une fois au dernier stade de votre développement avant votre prochain hôte, vous pourrez activer l’option « se faire volontairement bouffer » pour atterrir sans le moindre effort directement à l’intérieur même de votre hôte suivant [8-9-10-11]. Je vous conseille de choisir, lors de l’activation de cette option, des paramètres adaptés à votre future hôte, histoire de ne pas se faire dévorer par la mauvaise espèce [4-12]. »


Des fourmis, contrôlées par des parasites, deviennent des véhicules de luxe tout-équipés (Source)


L’exemple des gammares et des acanthocéphales


Cette description est bien jolie mais on se demande toujours quels sont les traits concrètement modifiés chez les hôtes zombifiés. Pour illustrer ça, je vais prendre un des exemples préférés des chercheurs qui bossent sur la manipulation parasitaire, et qui accessoirement constitue le cœur de mon sujet de thèse : les gammares, parasités par des acanthocéphales.

Les gammares sont des petits crustacés très abondants dans nos rivières, avec de nombreuses espèces présentes en Europe. Ils constituent le repas de nombreux prédateurs : oiseaux, amphibiens, créatures vertébrées qui peuplent nos rivières (ouais, ce qu’on appelle vulgairement « poissons » quoi)… Et ils sont également l’hôte intermédiaire de nombreux parasites, dont plusieurs espèces du groupe des acanthocéphales. En général, les acanthocéphales ont pour hôte final un poisson ou un oiseau selon les espèces. Ils se reproduisent dans le tube digestif de ces hôtes, et pondent des œufs qui seront libérés dans le milieu avec les fèces de l’animal. Les gammares vont à leur insu consommer ces œufs, et permettre au parasite de se développer. Celui-ci passera par deux stades distincts. Seul le deuxième est viable pour être transmis à l’hôte final. L’intérêt pour le parasite est donc de grandir tranquillement dans le gammare jusqu’à atteindre ce deuxième stade, puis de laisser son hôte gammare se faire dévorer par un oiseau ou un poisson pour retrouver le lieu propice à la reproduction, et boucler le cycle.

Le parasite acanthocéphale (genre Polymorphus) est ici très clairement visible à travers la cuticule de ce gammare Gammarus lacustris (Source)

Cycle de vie d'un acanthocéphale ayant pour hôte final un poisson et pour hôte intermédiaire un gammare


Premier constat des chercheurs : les gammares qui abritent des parasites sont plus enclins à se faire dévorer par les prédateurs [10-9]. Des dizaines d’études se sont alors penchées sur le sujet : qu’est-ce qui change entre un gammare sain et un gammare parasité qui mènerait à cette différence de prédation ? Petit listing non exhaustif.

Tout d’abord, la couleur du gammare change, puisque les acanthocéphales, d’une couleur allant du jaune au rouge, sont visibles par transparence [13-14]. Mais plus que l’apparence, ce sont les changements de comportements qui intriguent. Les gammares, vivant d’ordinaire dans le fond des rivières et dans des endroits sombres et abrités, sont subitement attirés par la lumière [15-16], se mettent à nager en surface [17-18] et dédaignent les refuges [9-10]. Le tout en s’agitant bien plus qu’à l’ordinaire [16]. En somme, ils deviennent très faciles à repérer par les prédateurs. Et puis plutôt que d’aller se fondre dans la masse de leurs congénères pour passer incognito, ils se la jouent subitement solitaire [19-20]. La manipulation va pourtant bien plus loin que ça : non content d’être bien repérables, les gammares parasités vont développer une affinité avec… leur prédateur lui-même. Si leurs congénères sains (d’esprit…) vont rapidement se mettre à couvert quand ils détectent une odeur de prédateurs, nos gammares parasités vont y être irrémédiablement attirés… [8-9-10]

Pour pousser la subtilité encore plus loin, rappelez-vous que les parasites ont un intérêt à ce que leur hôte gammare se fasse dévorer seulement quand ils ont eux-mêmes atteint leur deuxième stade de développement. Hé bien tant qu’ils sont au premier stade, la manipulation va quand même s’observer mais… dans l’autre sens ! Pour faire simple, le parasite va modifier le comportement du gammare d’une manière menant à une réduction de ses chances qu’il se fasse croquer par un prédateur. Les gammares vont par exemple passer plus de temps à l’abri [6]. Et puis il y a aussi l’histoire du mauvais prédateur : c’est bien beau d’être repérable, mais si le gammare se fait manger par un poisson alors que le parasite doit se développer dans un oiseau, ça ne sert pas à grand-chose… Hé bien même à ce niveau-là le parasite semble avoir trouvé la parade. Par exemple, des variations temporelles peuvent être observées : les gammares seraient ainsi attirés vers la surface seulement la nuit, ou le jour, menant respectivement à une prédation par des animaux nocturnes ou diurnes [4]. Sans compter que les comportements modifiés sont différents selon l’hôte final visé, menant effectivement à une prédation plus importante par le « bon » hôte [10].


Au premier stade de leur développement, les acanthocéphales rendent leurs hôtes gammares plus résistants à la prédation (Source)


Adaptation ou effet secondaire ?


Par soucis de vulgarisation, j’ai présenté l’effet des parasites sur leurs hôtes de manière très déterministe et finaliste. Cependant, à l’heure actuelle et malgré des dizaines d’années d’études sur les parasites manipulateurs, la question se pose toujours (et peut être même plus encore) sur le caractère adaptatif de ces modifications [21]. Est-ce que les comportements des hôtes parasités ont vraiment évolué parce qu’ils apportaient un bénéfice au parasite ? Ou est-ce que ces modifications ne sont que des effets secondaires induits par l’infection, pas forcément bénéfique pour le parasite, ni même pour l’hôte ?

La question n’a pas de réponse précise à l’heure actuelle, mais il semble que les deux hypothèses soient valables selon le trait qu’on considère. Certaines études ont par exemple montré que le changement d’apparence de nos gammares n’avait pas d’effet sur ses chances d’être prédaté [14], de quoi tordre le cou à l’explication adaptative. De même, les comportements d’ordre global (modification de l’activité générale de nos animaux par exemple) pourraient n’être qu’une conséquence physiologique de l’infection, détectable quelque soit le parasite (y compris ceux qui ont un cycle de vie simple). En revanche, la spécificité de certaines modifications de comportement donne des points à l’explication adaptative. Par exemple, le comportement d’un gammare sera modifié différemment selon qu’il est parasité par une espèce qui veut terminer sa vie dans un oiseau, ou dans un poisson, et cette différence va effectivement mener à un risque de prédation plus grand, respectivement par des oiseaux ou des poissons [10]. De plus, la manipulation inversée au cours du premier stade du développement du parasite soutient également une évolution liée aux bénéfices pour le parasite à modifier le comportement de l’hôte. Toujours est-il que la question reste entièrement ouverte, les parasites affectant en général simultanément de nombreux traits de l’hôte, les deux explications pouvant être également simultanément tout à fait plausibles.


Faut-il craindre les parasites manipulateurs ?


En dépits de leurs pratiques qui peuvent paraître lugubres, les parasites manipulateurs sont connus pour jouer un rôle important dans les écosystèmes [22], du fait notamment de leur capacité à modifier les relations biotiques. Cependant, quand ces relations biotiques font intervenir l’homme, c’est une autre histoire.

La malaria, ou paludisme, est une maladie due à un parasite unicellulaire du genre Plasmodium, et qui causerait chez l’humain près d’un million de morts par an. Vous imaginez alors l’intérêt de comprendre tout le cycle de ce parasite, en termes d’applications préventives par exemple. Ce parasite est transmis à l’homme via le moustique. Et si ces derniers sont souvent largement blâmés pour être le vecteur de cette terrible maladie, ils n’y sont relativement pour rien. Et même pire : le parasite va pousser le moustique à nous contaminer… Des études ont ainsi montré que le parasite vampirise encore plus les moustiques, qui non seulement vont se mettre à piquer bien plus de gens, mais en plus vont être du genre collant, se nourrissant plus longtemps sur chaque victime [23]. Le parasite bénéficie donc à la fois d’un plus grand nombre d’hôtes potentiels, et aussi de plus de temps pour opérer le changement d’hôte… Ce caractère manipulateur du parasite est malheureusement encore trop ignoré dans les modèles épidémiologiques.


Le moustique, vecteur du parasite de la malaria, voit son comportement de nourrissage modifié sous l'emprise de ce parasite, augmentant sa probabilité de transmission (Source)


Deuxième exemple avec un autre protozoaire, le parasite Toxoplasma gondii, qui est responsable chez l’humain de la toxoplasmose. Le cycle classique de ce parasite comprend un hôte intermédiaire, souvent le rat, et un hôte final, le chat, au sein duquel il se reproduit. Comme vous l’aurez deviné, un rat infecté va présenter des modifications comportementales augmentant sa probabilité de se faire croquer par le matou du coin… [24] En d’autres termes, nos rongeurs infectés vont soudainement être attirés par leur ennemi mortel ! Si vous vous étonnez que votre chat d’ordinaire paresseux et incapable vous ramène une belle proie, prenez garde… Même si l’humain ne fait pas partie du cycle classique du parasite, il peut tout à fait être infecté. Si contrairement à une idée reçue, la transmission ne se fait pas par simple contact avec votre animal, une ingestion impromptue de fèces (vous vous touchez le visage après avoir changé la litière du chat…) est vite arrivée (si, si !). Et même si les humains sont une voie sans issue pour le parasite, les patients affectés présentent une personnalité et un niveau de QI altérés… [25] Quand aux parasites responsables de la malaria, ils auraient également un effet sur nous, rendant les humains plus alléchants pour les moustiques... [26] Considérant le nombre important de parasites en tous genres capables de nous infecter, on a de quoi se poser des questions… Sommes-nous en permanence sous l’emprise d’une maléfique manipulation ? Sommes-nous finalement déjà tous des zombies ?...


Des souris qui aiment les chats, ça existent. Elles ne sont pas forcément masos, mais probablement sous l'emprise d'un parasite tel que celui de la toxoplasmose qui les pousse à aller se faire dévorer (Source)



Bibliographie :

  • [1] Benesh, D. P. & Valtonen, E. T. 2007. Effects of Acanthocephalus lucii (Acanthocephala) on intermediate host survival and growth: implications for exploitation strategies. Journal of parasitology, 93, 735–741.
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  • [22] Lefèvre, T., Lebarbenchon, C., Gauthier-Clerc, M., Missé, D., Poulin, R. & Thomas, F. 2009. The ecological significance of manipulative parasites. Trends in ecology & evolution, 24, 41–48. 
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Note : la bibliographie, donnée à titre d'exemple, est très loin de l'exhaustivité, la littérature dans le domaine étant innombrable. 



Sophie Labaude

lundi 28 octobre 2013

Pomme de reinette et pomme d'api, Jack O'Lantern et feuilles d'automne.

C'est l'automne ! C'est la saison des pommes et des feuilles rouges et jaunes !
Fraîchement débarqué au Québec cette année, je suis bien obligé de reconnaître que l'automne au Canada n'a pas volé sa réputation et que les couleurs sont au rendez-vous. La preuve en image !

Petit aperçu des couleurs de l'automne au Québec

Mais c'est aussi le temps de la récolte de divers fruits : au Québec, on ramasse en famille ou entre amis des quantités considérables de pommes avant l'hiver, histoire d'avoir des fruits bien juteux à se mettre sous la dent lorsque la neige arrivera. En France, on célèbre septembre avec les vendanges et la récolte du raisin. Sans oublier l'arrivée de l'Halloween, fin octobre, à qui l'on doit les nombreuses citrouilles d'un bel orange dans les rues des pays à influence anglo-saxonne...

En haut à gauche, le ramassage des pommes (source) ; en bas à gauche, le raisin mûr des vendanges (source) ; à droite, une belle citrouille d'Halloween (source)

Mais pourquoi je parle de tout ça ? Quel rapport entre les feuilles rouges et les citrouilles, mis à part le fait que tout ça se retrouve à l'automne ? Eh bien, ce sont les couleurs ! Car oui, maintenant qu'on y pense, tous ces végétaux n'ont pas la traditionnelle couleur verte qu'on associe aux plantes. Alors, à quoi sont dues toutes ces couleurs ? Quels sont les mécanismes qui se cachent derrière cette débauche de teintes allant du rouge au jaune en passant par le orange ? Et surtout, quels sont les avantages évolutifs que ces couleurs confèrent aux plantes?
Commençons par nous pencher sur la question du changement de couleur des feuilles des arbres. D'abord, à quoi est due la couleur verte des feuilles au printemps et en été? Au pigment appelé chlorophylle. J'en ai déjà parlé dans cet article là qui date d'il y a un petit moment déjà.
Où se situe la chlorophylle dans les feuilles ? Déjà, il faut savoir qu'une feuille est un organe complexe, organisé en couches.

Coupe d'une feuille (source)

Ce qu'on peut voir sur le schéma précédent, c'est que la couche centrale de la feuille, appelée mésophylle, ou parenchyme,  est le lieu où se situent les cellules responsables de la photosynthèse. Les cellules sont organisées de la manière suivante.

Une cellule végétale, avec les chloroplastes en vert (source)

Dans la cellule, l'organite responsable de la photosynthèse est le chloroplaste (en vert sur la photo précédente). En général, il y en a plusieurs par cellule. Les chloroplastes contiennent des structures en mille-feuilles, appelées les thylakoïdes : ce sont des membranes superposées les unes sur les autres. C'est dans ces membranes que sont incluses les molécules de chlorophylle, qui vont permettre la photosynthèse.

Un chloroplaste, reconstitué en trois dimensions (source)


A présent, je vais (un peu) entrer dans les détails concernant la structure biochimique de la chlorophylle. D'abord il faut savoir qu'on trouve deux types de chlorophylles, les chlorophylles A et B (photo) qui ont une structure très proche l'une de l'autre (elles ne diffèrent que par quelques atomes, représentés par la lettre R sur la figure).

Les deux types de chlorophylle (source)

La chlorophylle, associée à d'autres molécules aux noms tous plus compliqués les uns que les autres dans un ensemble appelé le photosystème, va avoir le rôle de "capteur de photons" (les photons sont les ondes-particules constitutives de la lumière). L'énergie de ces photons sera ensuite utilisée par la plante pour produire au final des sucres et du dioxygène. Mais avant cela, la plante emmagasine l'énergie sous forme chimique, dans des molécules possédant un fort "pouvoir énergétique" - c'est à dire qu'elles libéreront beaucoup d'énergie lorsqu'elles seront utilisées ultérieurement.

Utilisation de l'énergie solaire par les photosystèmes (source)
Sur ce schéma, l'énergie provenant du photon est transférée aux photosystèmes I et II (où se trouvent des molécules de chlorophylle). L'énergie provenant du photon va "exciter" la chlorophylle, qui va perdre un électron, et cet électron va servir à emmagasiner de l'énergie dans les molécules stockeuses d'énergie, qui sont le NADPH et l'ATP. Au final, la chlorophylle récupère son électron perdu en utilisant une molécule d'eau. Toutes ces réactions sont appelées la "phase claire" de la photosynthèse, car elles se déroulent à la lumière. Les sucres seront synthétisés lors de la "phase sombre", constituée d'une série de réactions dont je ne vais pas parler ici.
Ah au fait, pourquoi les feuilles sont elles vertes en été ? Le vert est donné par la couleur de la chlorophylle. En effet, comme je l'ai dit plus haut, la chlorophylle va absorber l'énergie des photons... mais pas de tous les photons ! Elle est très sélective : seuls les photons "bleus" et "rouges" l'intéressent*. Les autres photons, ceux de "couleur verte", sont réfléchis par la chlorophylle... et donc par conséquent, nous voyons les feuilles des arbres vertes.

Spectre d'absorption des chlorophylles A et B (source)

La photo précédente montre le spectre d'absorption de la chlorophylle : les pics correspondent aux longueurs d'onde des photons qui sont les mieux utilisés par la chlorophylle. Vous remarquez que la courbe fait un "creux" au niveau des photons "verts" : c'est parce qu'ils ne sont pas absorbés par la chlorophylle !
Bon et maintenant, que se passe-t-il à l'automne ? Je n'ai toujours pas répondu à la question du changement de couleur!
Comme vous le savez certainement, à l'automne, il fait plus froid. Mais il y a encore assez de lumière solaire pour que les plantes continuent à réaliser la photosynthèse... le problème, c'est que lorsque la température diminue, l'efficacité de la chlorophylle diminue aussi, et la plante devient stressée car elle a trop d'énergie solaire qui lui arrive alors qu'elle ne peut pas l'utiliser ! Et là c'est le drame, elle fait une overdose d'énergie, si l'on peut dire : on observe un phénomène appelé photo-inhibition. Suite à ce trop-plein d'énergie, la photo-inhibition va conduire à la destruction des structures cellulaires, via toute une série de réactions que je ne vais pas expliquer ici. Entre autre, cela fait intervenir des radicaux libres, que l'on appelle aussi "Oxygène actif" (et les tâches s'évanouissent… pardon, c'est hors sujet) tels que l'eau oxygénée H2O2 et l'oxygène singulet (voir les pages wikipédia en anglais pour la photo-inhibition et en français pour les radicaux libres). Et ça, vous l'aurez deviné, ce n'est pas bon DU TOUT pour la plante, car la mise en place de la chlorophylle a un coût énergétique élevé. Or, c'est l'automne, bientôt l'hiver, la plante à autre chose "en tête" que de devoir reconstruire des structures abimées.
On observe que la chlorophylle est préservée lorsque les feuilles prennent un coloration rouge, grâce aux anthocyanes, qui sont aussi des pigments végétaux très communs (ce sont eux qui donnent leurs couleurs aux fleurs ou aux fruits).

Formule générale d'une molécule d'anthocyane. Les lettres R sont des groupements d'atomes qui varient selon les différentes molécules d'anthocyanes (source)
Mais attention ! les anthocyanes ne se situent pas dans le chloroplaste comme la chlorophylle, mais dans la vacuole de la cellule. Ce sont des composés solubles.
Et donc, ces petites molécules vont agir comme filtres pour protéger la fragile chlorophylle d'une trop forte intensité lumineuse. Et si les feuilles deviennent rouges, c'est parce que les anthocyanes absorbent tous les photons "verts" mais laissent passer les photons "rouges" et "bleus" qui sont utiles à la chlorophylle.

Spectres d'absorption des chlorophylles et d'un anthocyane (source)

Comme la chlorophylle n'absorbe pas strictement tous les photons qu'elle reçoit, la couleur que nous percevons est la couleur rouge des photons non absorbés. En revanche, les anthocyanes absorbent tous les photons "verts" pour protéger efficacement la chlorophylle.
Bon ! A présent, nous savons comment et pourquoi les feuilles sont rouges en automne.
Et les citrouilles alors ? D'où vient ce bel orange vif ? Est ce que ce sont des anthocyanes dilués qui sont responsables de la couleur ?
Eh bien pas du tout ! Là encore, d'autres pigments sont mis en cause : il s'agit des caroténoïdes, que l'on trouve beaucoup dans... les carottes, c'est bien, y en a qui suivent toujours dans le fond. Et ceux qui ont parcouru le blog de fond en comble me diront qu'on en trouve aussi chez les Flamants Roses. Ces pigments, quant à eux, ne se trouvent pas dans les vacuoles des cellules mais dans les chromoplastes, qui sont en quelque sorte des chloroplastes sans chlorophylle, et qui colorent les structures végétales (chromo signifie "couleur" en Grec) plutôt qu'à faire la photosynthèse. Et c'est pareil chez la plupart des fruits : pommes, oranges, citrons, etc. La variation de couleur entre le rouge et le jaune dépend du type de caroténoïde précis (il en existe de nombreux très semblables qui diffèrent seulement par un atome ou deux... ce qui suffit à changer leurs propriétés en terme de couleurs !). Dans le cas des fruits, ces couleurs servent à les rendre attractifs pour les animaux frugivores (et aussi pour Monsieur et Madame Tout-le-monde qui vont faire leurs courses au supermarché du coin), car n'oublions pas que les fruits sont les structures qui sont responsables de la dissémination des graines et donc, des futures plantes.

Variation de couleurs chez les citrouilles (source)

Voilà, maintenant, vous saurez pourquoi les feuilles sont rouges en été, et pourquoi les citrouilles sont oranges lors de l'Halloween !

* rappelons que la lumière blanche produite par le Soleil est constituée en réalité de différentes ondes électromagnétique visibles, qui possèdent différentes longueurs d'ondes, et qui additionnées les unes aux autres donnent la lumière blanche.

Bibliographie :

David W. Lee and Kevin S. Gould. Why Leaves Turn Red: Pigments called anthocyanins probably protect leaves from lightdamage by direct shielding and by scavenging free radicals. American Scientist, Vol. 90, No. 6 (NOVEMBER-DECEMBER 2002), pp. 524-531


Hock-Eng Khoo, K. Nagendra Prasad, Kin-Weng Kong, Yueming Jiang and Amin Ismail. Carotenoids and Their Isomers: Color Pigments in Fruits and Vegetables. Molecules 2011, 16, 1710-1738
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