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jeudi 26 mars 2020

10 infos insolites sur les bourdons


Les bourdons font sans conteste partie des insectes les plus adorables : des petites boules de poils colorées toutes rondes et toutes gentilles, qui passent leur journées sur des jolies fleurs (non mais regardez moi ces petits derrières qui dépassent si ce n’est pas trop chou ! Et cette bouille !). En plus de ça, ils ont la bonne idée d’être très communs. Un régal de pouvoir les observer. D’ailleurs beaucoup de scientifiques s’en donnent aussi à cœur joie. Et ça donne aux blogueurs plein de choses à raconter ! Voici un petit florilège.

(Source)

(Source)

1. Le bourdon n’est pas une (unique) espèce


Au cas où il faille le préciser : non, les bourdons ne sont pas les mâles des abeilles. On surnomme même ces derniers des “faux-bourdons”, c’est dire. Abeilles et bourdons sont tout de même très proches puisqu’ils appartiennent à la même famille au sein de l’ordre des hyménoptères : les Apidae. Les bourdons sont ceux qui appartiennent au genre Bombus, et on en compte plus de 250 espèces. Bombus terrestris est le plus commun en Europe, et aussi un des plus étudiés. Les bourdons consomment le nectar des fleurs et utilisent également le pollen pour nourrir leurs jeunes. Ce sont donc d’importants pollinisateurs. 


2. Ils se laissent des petits messages sur les fleurs


Lorsque les bourdons visitent des fleurs pour se nourrir, ils laissent derrière eux un marquage olfactif de courte durée[1, 2]. Les autres bourdons qui détectent un tel marquage sont avertis qu’un gourmand s’est déjà régalé sur la fleur, et qu’il ne reste peut-être plus grand chose à boulotter. D’ailleurs, les bourdons sont aussi capables de reconnaître l’odeur laissée par une abeille, et vice-versa, et ils évitent ainsi de perdre inutilement du temps sur une fleur qui ne vaut pas le coup. Des chercheurs ont même montré que lorsque les fleurs sont plus difficiles à butiner, les bourdons sont bien plus enclins à passer leur chemin quand ils sentent l’odeur d’un précédent visiteur que lorsqu’il s’agit de fleur simple d’accès[3] : pas bête la bête !


3. Ils sont sensibles à l’esthétisme


Les bourdons ont une préférence innée pour un certain type de fleurs : celles qui semblent plus complexes. C’est ce qu’on découvert des chercheurs qui ont proposé à des jeunes bourdons des fleurs dont la complexité avait été modifiée (chez les fleur, il existe une “échelle de complexité” qui prend en compte la forme, la symétrie, la segmentation des parties reproductives, etc.)[4]. Pourtant, ce sont ces fleurs qui demandent le plus d’efforts aux bourdon, en termes de temps de manipulation, ce qui conduit à une efficacité de butinage réduite[4]. Et comme les fleurs ont tout intérêt à ce que les bourdons s’attardent, une complexité florale serait donc bien utile pour garantir une bonne pollinisation ! Notons aussi qu’en termes de couleurs, ils préfèrent le jaune et le bleu plutôt que du rouge[5].


 Fleur dont les pétales ont été arrangés par les scientifique pour apparaître plus complexe (à gauche) ou plus simple (à droite)[4]

4. Ils contrôlent le climat en jouant les ventilateurs...


Pour contrôler la température du couvain (œufs et larves), les bourdons ventilent. Chez Bombus terrestris, une espèce sociale, la division du travail est de mise. Les travailleurs habitués à jouer les ventilateurs ont des meilleures performances dans cette tâche, et réagissent plus promptement à une augmentation de la température du nid que les novices[6]. Le comportement ventilatoire dépend aussi de la vitesse à laquelle la température augmente : les bourdons sont plus réactifs à une augmentation progressive de la température qu’à un changement brutal[6]. Ils sont également capables de détecter une augmentation de la concentration en CO2 dans le nid, et de réagir en conséquence[7] !


5. … et peuvent également modifier leur propre température corporelle !


Pour parvenir à s’envoler, les bourdons, comme beaucoup d’insectes, ont besoin que leur corps atteigne une certaine température, située autour de 30°C. Les bourdons sont cependant capables de voler alors que la température extérieure n’atteint pas 10°C. Pour réchauffer leurs corps avant l’envol, ils… frissonnent vigoureusement[8] ! Le comportement est visible : les animaux pompent l’air avec leur abdomen pour ventiler les muscles du vol, ceux-là même réquisitionnés pour frissonner. Plus il fait froid, plus ils doivent frissonner longtemps pour pouvoir s’envoler : de quelques secondes au dessus de 20°C à un quart d’heure à moins de 10°C[9]



6. Ils s’occupent de leurs morts


Bon, il n’y a clairement pas de cérémonie religieuse. C’est plutôt pragmatique. Dans une société où les individus se côtoient étroitement, laisser un cadavre entrer en décomposition représente un risque sanitaire certain. Ce n’est donc pas étonnant que fourmis et abeilles, dont les colonies peuvent compter des milliers d’individus, réagissent promptement au décès d’un des membres en l’éliminant fissa. C’est aussi le cas chez les bourdons, tout du moins chez l’espèce Bombus terrestris qui est sociale[10]. Les cadavres de larves sont ainsi largement éliminés par des bourdons ouvriers spécialisés, plus gros que la moyenne. Les cadavres d’adultes sont également retirés, cependant moins souvent que les larves. A noter que les animaux malades, qui présentent donc un risque sanitaire pour la colonie, ne semblent pas se faire exclure[10]. A voir si c’est le cas pour tous les pathogènes.


7. Ils peuvent apprendre à leurs congénères… à jouer à la balle !


Quitte à étudier les capacités cognitives des insectes, autant le faire de la manière la plus fun possible ! Des chercheurs ont ainsi appris à des bourdons à déplacer une petite balle jusqu’à un endroit spécifique, en échange d’une récompense sucrée[11]. En dépit de la difficulté à manier l’objet pour de si petits animaux, les bourdons ont été capables de reproduire le geste que leur ont montré les chercheurs par l’intermédiaire d’un faux bourdon. Mieux encore, l’apprentissage par observation marche avec les congénères : ceux qui ont appris à jouer deviennent ainsi les entraîneurs des nouveaux joueurs. Non seulement ces derniers assimilent la tâche à faire pour avoir la récompense, mais ils développent aussi leurs propres techniques de dribble pour amener la balle à l’endroit voulu !



8. Certains pratiquent la tactique du coucou


Chez quelques espèces comme Bombus vestalis ou Bombus bohemicus, le réveil printanier se fait tranquillement, quelques semaines après les autres bourdons. Un délai qui laisse le temps à ces derniers d’établir leurs colonies, et permet aux bourdons tardifs de mettre en place leur stratégie : le parasitisme social[12]. Les femelles fraîchement réveillées se mettent ainsi à la recherche des colonies de leurs hôtes, dont elles prennent ensuite le contrôle en assassinant la reine… Après ce coup d’état, elles commencent à pondre des œufs. Les bourdons ouvriers de la colonie parasitée en deviendront les nounous et s’en occuperont comme si c’était des jeunes de leur propre colonie. Cette pratique peut paraître cruelle mais les femelles des espèces parasites ont une excuse toute trouvée : elles ne disposent pas de paniers à pollen pour récolter ce dernier, indispensable à l’élevage des jeunes. Pas le choix…


9. Ils se font manipuler par des mouches


D’autres groupes d’insectes se plaisent à parasiter les bourdons, et à les contrôler. C’est notamment le cas de Physocephala tibialis. Cette petite mouche pond ses œufs dans le corps des bourdons. La larve se développe ensuite dans le corps du pauvre animal qui finit par en mourir, puis se transforme en pupe (le stade de développement entre la larve et l’adulte) et passe l’hiver ainsi, bien au chaud dans son hôte. Le refuge est encore plus sûre si le cadavre est caché et à l’abris des conditions météorologique. Qu’à cela ne tienne, le parasitoïde (c’est ainsi que l’on appelle les parasites qui se développent dans un hôte en le tuant au passage…) est un manipulateur ! Il induit une modification du comportement de son hôte : avant de mourir, le bourdon va lui-même creuser sa propre tombe et s’y enterrer[13]

Physocephala tibialis, la terrible manipulatrice de bourdons (Source)


10. On en connait un vieux de 30 millions d’années


Une petite note plus joyeuse pour finir : je vous présente Calyptapis florissantensis, un bourdon fossilisé[14] ! Bon, il ne fait pas partie des Bombus, on lui a spécialement créé son propre genre. Il a été trouvé au Colorado (Etats-Unis), sur un site très réputé pour ses fossiles conservés grâce à la forte activité volcanique qui y régnait à la fin de l’Eocène, il y a plus de 30 millions d’années ! Plus de 1500 espèces d’invertébrés fossiles ont ainsi été dénombrées, sans compter les autres animaux et plantes préhistoriques.


Calyptapis florissantensis, un bourdon fossilisé de plus de 30 millions d’années


Références


  1. Stout JD & Goulson D. 2001. The use of conspecific and interspecific scent marks by foraging bumblebees and honeybees. Animal Behaviour, 61, 183-189.
  2. Goulson D, Ahawson S & Stout JD. 1998. Foraging bumblebees avoid flowers already visited by conspecifics or by other bumblebee species. Animal Behaviour, 55, 199-206.
  3. Saleh N, Ohashi K, Thomson JD & Chittka L. 2006. Facultative use of the repellent scent mark in foraging bumblebees: complex versus simple flowers. Animal Behaviour, 71, 847-854.
  4. Krishna S & Keasar T. 2019. Bumblebees forage on flowers of increasingly complex morphologies despite low success. Animal Behaviour, 155, 119-130.
  5. Simonds V & Plowright CMS. 2004. How do bumblebees first find flowers? Unlearned approach responses and habituation. Animal Behaviour, 67, 379-386.
  6. Westhus C, Kleineidam CJ, Roces F & Weidenmüller A. 2013. Behavioural plasticity in the fanning response of bumblebee workers: impact of experience and rate of temperature change. Animal Behaviour, 85, 27-34.
  7. Weidenmüller A, Kleineidam C & Tautz J. 2002. Collective control of nest climate parameters in bumblebee colonies. Animal Behaviour, 63, 1065-1071.
  8. Heinrich B & Kammer AE. 1973. Activation of the fibrillar muscles in the bumblebee during warm-up, stabilization of thoracic temperature and flight. Journal of Experimental Biology, 58, 677-688.
  9. www.bumblebee.org
  10. Munday Z & Brown MJF. 2018. Bring out your dead: quantifying corpse removal in Bombus terrestris, an annual eusocial insect. Animal Behaviour, 138, 51-57.
  11. Loukola OJ, Perry CJ, Coscos L & Chittka L. 2017. Bumblebees show cognitive flexibility by improving on an observed complex behavior. Science, 355, 833-836.
  12. Kreuter K, Twele R, Francke W & Ayasse M. 2010. Specialist Bombus vestalis and generalist Bombus bohemicus use different odour cues to find their host Bombus terrestris. Animal Behaviour, 80, 297-302.
  13. Müller CB. 1994. Parasitoid induced digging behaviour in bumblebee workers. Animal Behaviour, 48, 961-966.
  14. Cockerell TDA. 1906. Fossil Hymenoptera from Florissant, Colorado. Bulletin of the Museum of Comparative Zoology, 50, 33-58.



mercredi 4 avril 2018

Des parasites sous le sapin : deux livres à dévorer

Nous autres, blogueurs scientifiques, avons à cœur de partager des sujets qui nous passionnent mais qui apparaissent parfois au grand public comme ennuyeux, compliqués, voir peu ragoutants. Notre outil : la vulgarisation ! Ou l’art de rendre ces sujets ludiques, amusants et divertissants, en diffusant nos connaissances sans que ça n’en ait l’air. Mais parfois, on croise des petites œuvres de vulgarisation qui racontent si bien des sujets qui nous tiennent à cœur qu’on a juste envie de les partager tels quels. C’est le cas de ce petit livre que j’ai déniché à la bibliothèque : « La vie rêvée des morpions et autres histoires de parasites ». Forcément, un livre qui parle de parasites, il fallait que je l’ouvre.

Quoi de moins répugnant que des parasites suceurs de sang, des morpions qui grattent là où c’est indécent de se gratter, ou des vers solitaires qui squattent nos entrailles ? Pourtant l’auteur nous mitraille de petites anecdotes désopilantes et parfois stupéfiantes. De quoi voir notre condition d’être humain avec un peu plus d’humilité. Car il se pourrait bien que les parasites et autres petites bêtes soient bien plus liés aux humains et à leur histoire qu’on ne l’admet.

Par exemple, la perte des poils de nos ancêtres n’était-elle pas un prétexte de l’évolution pour nous débarrasser d’une myriade de squatteurs ? Certains grands conflits historiques n’auraient-ils pas eu une issue différente si une des armées n’avait pas été décimée par des parasites ? Saviez-vous que le surnom « Peaux-Rouges » des Indiens d’Amériques doit son origine aux moustiques ? Ou que la mode des selfies… aide à la propagation des poux ? Entres autres histoires de fourmis esclavagistes ou moustiques raquetteurs, ce livre permet à petits et grands d’apprendre un tas de choses sur ce monde formidable des parasites, de manière très accessible et illustré avec brio.



Pour les plus grands, un autre livre lui aussi paru cette année permet de découvrir avec délice mes parasites préférés, les parasites manipulateurs. Le livre « This is your brain on parasites » est déjà listé comme best-seller par une célèbre plateforme de vente en ligne. L’auteur ne s’est pas contenté de résumer les connaissances sur le sujet, elle a passé plusieurs années à préparer l’ouvrage, rencontrant beaucoup de chercheurs du domaine. Le livre a du coup une grande dimension humaine, avec l’histoire des découvertes de ces êtres étranges et des portraits plein de vie de ceux qui y ont contribué. Les faits scientifiques sont racontés avec une légèreté et un style qui n’enlèvent rien à leur exactitude.

L’auteur nous dévoile enfin la vérité, toute la vérité sur Toxoplasma gondii, ce parasite supposé nous faire aimer les chats, à grand renfort de références. Elle nous présente de nombreuses maladies sous un jour nouveau : parasites et pathogènes ne sont plus agents passifs déclencheurs de calomnies mais acteurs usant de stratégies subtiles et élaborées. Et surtout elle rétablie la place des parasites dans les écosystèmes naturels… et dans nos sociétés humaines. En décrivant leurs effets innombrables, on peut enfin toucher du doigt l’importance insoupçonnée de leur présence. Une importance qui fait frissonner.

L’ouvrage n’est pour l’instant disponible qu’en anglais, mais pour ceux qui comprennent la langue il reste très facile à lire puisqu’il vise le grand public. Il fait partie de ces livres qui font un peu peur au premier abord – de la science, un petit pavé et pas d’images – et qui se dévorent avant que l’on puisse s’en rendre compte. De l’humour, des anecdotes à croquer un peu partout, des faits qui nous laissent sans voix… En bref, si vous n’avez pas encore fini votre liste de noël, vous savez quoi ajouter !


Références


« La vie rêvée des morpions : Et autres histoires de parasites » de Marc Giraud (Auteur), Roland Garrigue (Illustrations). Edition Delachaux et Niestlé, Collection : L'humour est dans le pré. 2016.

« This is your brain on parasites: How tiny creatures manipulate our behavior and shape society », de Kathleen McAuliffe. Edition Houghton Mifflin Harcourt. 2016.



lundi 25 avril 2016

Stockholm inversé : quand des parasites protègent leurs victimes


Logé bien confortablement dans le corps de sa victime, le parasite patiente. Lentement, il grandit, prend des forces pour le grand saut. Un jour, il tuera son hôte. Mais pas maintenant... 

Les parasites, ces êtres vivants qui se développent aux dépens d’autres, infligent souvent à leurs hôtes des dommages qui peuvent leur être fatals. Certains parasites vont même encore plus loin : ils ont besoin que leur hôte finisse par mourir pour pouvoir eux-mêmes continuer à vivre… Un parasite qui se contente de voler les ressources de son hôte a un clair intérêt à ce que celui-ci reste vivant. Pourtant, c’est du côté des parasites les plus mortels, ceux qui tuent, qu’on observe un étrange phénomène : avant de tourner meurtrier, certains parasites se démènent pour garder leur hôte à l’écart des dangers…





Protection contre les prédateurs


Des parasites qui tournent leurs hôtes en zombie et qui les poussent au suicide, ça vous rappelle quelque chose ? Les parasites manipulateurs (voir mon article détaillé pour faire leur connaissance), quand ils ont fini leur croissance dans leur hôte, poussent celui-ci à prendre des risques inconsidérés : se balader bien en vue des prédateurs, gigoter dans tous les sens pour attirer leur attention, escalader les brins d’herbes pour aller à leur rencontre, et même se diriger irrémédiablement vers l’odeur de carnivores affamés… L’intérêt : quand le pauvre hôte zombifié se sera fait croquer, le parasite élira domicile dans le prédateur, où il pourra fonder sa petite famille.

Avant de « prendre le contrôle » de sa pauvre petite victime, le parasite qui se développe tranquillement est face à une difficulté, et pas des moindres : si son hôte se fait grignoter avant qu’il ait atteint le stade transmissible – ce qui est loin d’être improbable – le parasite ne sera pas capable de s’installer dans le prédateur, et mourra.

Certains de ces parasites manipulateurs ont trouvé la parade : tant qu’ils ne sont pas prêts, ils dictent à leur hôte de rester caché ! C’est le cas de certains acanthocéphales, un groupe de parasites particulièrement enclins à manipuler, qui poussent leurs hôtes (des petites crevettes de rivières qu’on appelle gammares) à fréquenter des endroits exposés aux prédateurs. Lorsque le parasite est encore en développement, le gammare adopte le comportement inverse : il passe beaucoup plus de temps à couvert que ses confrères qui ne sont pas parasités. Un bon moyen de ne pas se faire croquer, quitte à affamer le pauvre gammare.


A gauche, un gammare parasité par des acanthocéphales (Crédits : Sophie Labaude). A droite, un copépode (Crédits : Uwe Kils)


Un autre exemple se situe du côté d’un drôle de petit crustacé, le copépode, qui, infecté par un parasite nématode, devient très actif au point qu’il se fait rapidement repérer des prédateurs. Encore une fois, quand le parasite est en développement, c’est l’inverse qui se produit et l’animal est beaucoup plus calme, plus encore que ses compères qui ne sont pas parasités. Pas de compassion donc, les parasites ne protègent leurs hôtes que pour leur propre intérêt…


Le comportement anti-prédateur des gammares (se cacher sous un refuge…) est plus fort pour ceux qui sont parasités, lorsque le parasite n’a pas fini de se développer. D’après Dianne et al. 2011.



Protection contre d’autres parasites


Plongeons nous à présent dans les entrailles d’un petit rongeur sauvage. On se rendra vite compte que l’animal – tout comme nous d’ailleurs – est loin d’être tout seul dans son corps. Des myriades d’autres organismes pullulent, entre bactéries, virus, protistes, et petits parasites en tous genres. Pourtant, en s’y penchant un peu (voir en laissant des chercheurs expérimentés le faire), on se rend compte d’un étrange pattern : certaines espèces de parasites se retrouvent très rarement simultanément dans le même animal. Bien plus rarement que le voudrait le hasard, considérant la quantité de parasites qui entourent nos rongeurs.


Malgré leur mauvaise réputation, les parasites (même quand ils infectent des campagnols aussi mignons…), omniprésents, sont en fait très importants dans les écosystèmes (Crédits : Dûrzan Cîrano)


Cette exclusion entre parasites peut avoir plusieurs explications. La première, la plus simple, c’est que l’animal ne dispose pas des ressources nécessaires pour abriter simultanément plusieurs de ces parasites : la compétition (pour les nutriments ou la place disponible par exemple) fait alors un gagnant et des perdants, qui ne peuvent se développer.

Autre explication : il pourrait y avoir un phénomène d'immunité croisée. Autrement dit, l'infection par un parasite provoque une réaction immunitaire ciblée, notamment la production de cellules spécifiques, qui pourraient réagir également avec d’autres parasites. A la manière d’un vaccin, l’hôte qui aurait déjà rencontré un parasite serait alors beaucoup plus apte à lutter contre d’autres espèces. Ce phénomène est d’autant plus intéressant qu’il a des conséquences médicales et vétérinaires directes : le traitement (d’humains ou de populations animales) contre un parasite pourrait ainsi provoquer une augmentation d'autres maladies…



Protection… contre les charognards


Présentons un dernier parasite qui prend soin de son hôte… ou du moins de son cadavre. Vous connaissez peut-être le nématode Phasmarhabditis hermaphrodita, un ami des jardiniers puisqu’il est vendu comme traitement anti-limaces. Ces dernières constituent en effet leurs hôtes, et les nématodes se délectent de leurs cadavres, après les avoir achevés par une septicémie critique, autrement dit par une infection de bactéries dans tout leur corps.



Le nématode relâche des bactéries dans le corps de son hôte, et provoque une septicémie mortelle (Source de l'image)


Cependant, le nématode a besoin de temps pour se développer dans le macchabée gluant. Et une limace morte à l’air libre, c’est potentiellement appétissant (si, si…) pour d’autres charognards, et le risque de dessiccation est élevé. Il semble donc que le nématode, avant que la limace ne passe de vie à trépas, lui dicte de s’enterrer dans le sol (au plus grand plaisir des jardiniers d’ailleurs, ça fait moins fouillis), où le parasite aura tout le temps de déguster les cadavres des pauvres mollusques. Leur faire creuser leur propre tombe, fallait y penser !




Références


Dianne, L., Perrot-Minnot, M.-J., Bauer, A., Gaillard, M., Léger, E., Rigaud, T., & Elsa, L. 2011. Protection first then facilitation: a manipulative parasite modulates the vulnerability to predation of its intermediate host according to its own developmental stage. Evolution, 65, 2692–2698.

Hafer, N. & Milinski, M. 2016. Inter- and intraspecific conflicts between parasites over host manipulation. Proceedings of the Royal Society B, Biological Sciences, 283, 20152870.

Lafferty, K.D. 2010. Interacting parasites. Science, 330, 187–188.

Pechova, H. & Foltan, P. 2008. The parasitic nematode Phasmarhabditis hermaphrodita defends its slug host from being predated or scavenged by manipulating host spatial behaviour. Behavioural processes, 78, 416–420.



Sophie Labaude

lundi 19 octobre 2015

Trois utilités insolites des parasites

Les parasites, ça va un peu plus loin que ces bestioles douteuses qui suintent du derrière de matou qu’on a oublié de vermifuger. Ça va au-delà aussi de ces étranges moumoutes sur pattes qui sont venues à bout de votre bonsaï favori. Les parasites constituent un empire, quelque chose comme la moitié des êtres vivants de la planète, qui plus est capables d’infecter presque tous les autres. Une source quasi inépuisable d’idées, d’innovations, de détournements possibles pour les humains… Vous voulez quelques exemples ? Voici trois utilités originales que les humains ont trouvées aux parasites. 


Des vers solitaires pour maigrir ? Si cette affiche est probablement fausse, il semble tout de même que l’idée ait été propagée au début des années 1900 (Source)


Identifier des cadavres


Du côté des médecins légistes et de la police scientifique, les parasites ne se retrouvent pas seulement sur le banc des accusés. A l’heure actuelle, la mobilité des humains n’a jamais été aussi importante. Les hommes ont la bougeotte, ils ne tiennent pas en place. Aussi, quand une catastrophe quelconque (catastrophe naturelle, crime, accident…) en décime, les autorités sont confrontées au problème de l’identification des corps. Malheureusement, les victimes ne portent pas toujours sur elles de quoi donner des pistes. Plusieurs méthodes existent alors, telles que la reconnaissance des empreintes digitales ou l’utilisation de l’ADN. Ces méthodes efficaces nécessitent cependant des points de comparaison : on ne peut reconnaître une empreinte, digitale ou génétique, si l’on n’a pas un échantillon connu avec cette même empreinte. C’est à ce moment que les parasites entrent sur la scène d’investigation. 

Utiliser les parasites ne permet pas (encore) d’identifier formellement une personne, mais donne une approximation de sa provenance géographique, ce qui facilite ensuite l’identification plus formelle. La méthode est très simple : elle part du principe que certains parasites se retrouvent à peu près partout dans le monde, mais avec des différences génétiques propres à certaines régions. 

Prenons le virus JC. Ce virus infecte grosso-modo un tiers des personnes, généralement durant l’enfance. Il persiste ensuite chez l’adulte, où on le retrouve notamment au niveau des reins et dans l’urine. Plusieurs génotypes de ce virus (des types génétiques) existent, et sont différents selon les régions du monde. Ces particularités font que ce virus est d’ores et déjà utilisé par la police pour cibler les régions d’origine des corps à identifier. Il suffit de prélever, chez la victime, un échantillon d’urine ou de rein. A l’aide d’un dispositif portatif qui permet d’identifier le type du virus, on en déduit alors son origine géographique, et donc celle de la victime. Et le tout ne prend pas plus de quatre heures. Très pratique dans des cas de cataclysmes, ou beaucoup de corps doivent être identifiés rapidement et sur place, et sans beaucoup d’indices préalables. Ikegawa (2008) vante dans un article les mérites de cette méthode : cadavres pas très frais ou brulés ne modifient pas la détectabilité du virus. De plus, contrairement aux méthodes basées sur des analyses des caractéristiques de l’ADN, on remonte à un lieu géographique où la personne a grandi, et non son origine ancestrale : un américain dont les parents sont français sera ainsi reconnu comme venant d’Amérique. D’autres parasites sont également candidats dans les cas où la victime n’est pas infectée par ce virus. 


Je ne pouvais décemment pas vous mettre de vraie photo de cadavre… (Crédits : 20th Century Fox)


Attraper des souris 


En Nouvelle-Zélande, comme dans beaucoup d’autres pays, la prolifération des rongeurs nuisibles est un problème majeur. Les rats notamment, introduits par les humains, sont responsables du déclin et de la disparition de nombreuses espèces endémiques. Sans prédateurs adéquats pour réguler leur population (il y a bien les chats, eux aussi introduits…), les rats sont particulièrement difficiles à contrôler. A l’heure actuelle, les méthodes pour réduire leur population sans affecter celle des autres espèces (pas question d’empoisonner tout un écosystème) sont globalement basées sur de simples captures, à l’aide de pièges. Cette méthode fastidieuse est entièrement dépendante du succès de capture de ces pièges, ainsi que de la motivation des humains à les poser et les relever. Question motivation, il y a bien quelques initiatives, comme des primes pour les rats capturés. Ainsi, les étudiants sont incités à participer aux opérations, en échange de bières pour chaque rat capturé ! Mais question succès de capture, ce sont les rats qu’il faudrait motiver : les pièges fonctionnent par l’entrée volontaire de l’animal dans le dispositif… 


Le kakapo, perroquet endémique de Nouvelle-Zélande, ne doit son salut qu’à des efforts soutenus de conservation. L’arrivée sur l’île de prédateurs comme le rat l’a fait frôler l’extinction. D’autres espèces n’ont pas pu être préservées à temps… (Crédits : Mnolf)


La question se pose alors : comment faire en sorte que les rats adoptent une plus grande tendance à entrer dans les pièges ? Comment faire en sorte que, contrairement à leur instinct qui leur dicte de se méfier de la nouveauté, les rats sautent de leur plein grès vers leur fin… Comment modifier leur comportement pour leur faire faire des actions qui vont à l’encontre de leur instinct de survie… Une idée ? 

Éparpillés dans la nature, invisibles et presque inconnus des humains, existent des êtres qui ont ce pouvoir, celui de modifier les comportements d’animaux et les rendre quelque peu suicidaires… : les parasites manipulateurs. Si ce nom ne vous dit rien, je leur avais consacré un long article (par ici). Parmi les parasites manipulateurs, il en est un qui est particulièrement connu, notamment puisqu’il affecte l’humain : Toxoplasma gondii (responsable de la toxoplasmose, vous l’aurez deviné). Ce parasite a pour hôtes successifs des rongeurs et des carnivores, notamment des chats. Pour passer de l’un à l’autre, il utilise la transmission trophique : la souris devra se faire dévorer par le chat. Le parasite a développé la capacité d’altérer les comportements de ses hôtes rongeurs, de sorte que ceux-ci soient beaucoup plus enclins à s’approcher de leur ennemi… au point même qu’il a été montré que certains sont attirés par l’odeur de leurs prédateurs. Une légende (permettez-moi de souligner légende) prétend même que les humains se font aussi manipuler, et que la présence de T. gondii dans notre pauvre cerveau serait responsable de notre amour inconditionné pour les chats (et même que ça serait pour ça qu’ils sont les maîtres incontestables du web !). 


Le rat, une des terreurs de beaucoup d’écosystèmes quand il est introduit. De nombreuses actions sont entreprises pour tenter de limiter leur population, et leur impact (Crédits et infos)


Laissons les légendes de côté pour retourner vers de ce qu’on connaît vraiment. Dans une étude très récemment publiée, Tompkins et Veltman (2015) proposent que T. gondii soit, pour une fois, du côté des humains. Ce parasite, présent à peu près partout, n’affecte pas seulement les préférences olfactives des rongeurs, mais également leur néophobie. D’ordinaire méfiants vis-à-vis de la nouveauté, les rats laissent parler leur curiosité lorsqu’ils sont infectés, et n’hésitent plus à s’approcher des objets dangereux. A tel point que les auteurs reportent une augmentation de 75% du succès de capture de rats par des pièges ! Selon eux, à prévalence suffisante (c'est-à-dire si la population de rats est suffisamment infectée par le parasite), les modifications comportementales des rats pourraient permettre de réduire considérablement les efforts humains tout en maintenant leur population à un seuil acceptable. Une étude qui pourrait d’ailleurs inspirer bien d’autres applications utiles aux nombreux parasites manipulateurs connus ! 


Compter des espèces invisibles 


Les parasites bénéficient d’une relation très intime avec la biodiversité. Cela peut paraître contre-intuitif du fait de l’image négative que nous en avons, mais un écosystème riche en parasites est généralement un écosystème qui se porte très bien. En cause, le lien qu’entretiennent les parasites avec leurs hôtes, et notamment les parasites spécialistes. Ces derniers ont des préférences vitales pour des espèces d’hôtes très particulières. Autrement dit, sans la présence d’une de ces espèces d’hôtes, ils disparaissent. D’ailleurs, on n’y pense pas forcément, mais les parasites font partie des grandes victimes d’extinctions secondaires : la disparition initiale de leurs hôtes entraîne la disparition des espèces qui en dépendent, les parasites se situant en toute première ligne. 


Petit micmac d’helminthes (Crédits : SusanA Secretariat)


Le lien parfois étroit entre la biodiversité des parasites et celle de leurs hôtes fait de nos sujets de bons bio-indicateurs (Hatcher et al. 2012). Parfois, il est en effet plus facile d’estimer, dans un écosystème, la diversité parasitaire. C’est notamment le cas lorsque l’on veut faire un suivi d’espèces qui sont l’un des multiples hôtes de parasites. Prenons le cas (purement fictif) des parasites évoqués ci-dessus : si les différents rongeurs étaient infectés par des parasites spécialistes (donc une espèce de rongeur pour chaque espèce de parasite), et non spécialistes comme c’est le cas (un seul parasite infecte toute une myriade d’espèces de rongeurs), il suffirait alors d’attraper l’hôte définitif (pour les besoins de l’article, nous allons sacrifier un chat, mais pas de panique, ce n’est que fictif !). Le prédateur a consommé plein de rongeurs et en a gardé une trace : leurs parasites. Il suffirait alors d’aller voir ce que contient matou pour en déduire grosso-modo la composition de son régime, et donc celle de la population des rongeurs des environs ! 

Et tout ça n’est pas que de la fiction. Les parasites peuvent ainsi servir à estimer les effets de pesticides par exemple : la diversité en parasitoïdes (ces bestioles qui ont tendance à pondre dans d’autres, et sont donc parasites durant leur développement) étant corrélée avec celle de leurs hôtes arthropodes, la quantité de l’une informe des effets des pesticides sur les autres (Anderson et al. 2011). Et ce n’est pas tout, les parasites tous seuls peuvent aussi permettre d’estimer la santé des milieux : beaucoup d’helminthes (un mot pas beau qui regroupe pas mal de parasites de bonne taille comme les trématodes, acanthocéphales, etc.) sont connus pour accumuler les métaux lourds. En dehors d’un rôle de purificateur en métaux lourds qui pourrait s’avérer bénéfique pour les hôtes parasités (seulement en milieu pollué, sinon c’est jamais tip top d’être infecté), les parasites peuvent alors servir de sentinelles pour mesurer la pollution (Dobson et al. 2008). 


Parmi les helminthes, on trouve les acanthocéphales. Ces derniers sont aussi de bons accumulateurs de métaux lourds, comme le plomb. Crédits : Sophie Labaude


La liste des utilités des parasites ne s’arrête pas là, elle ne fait que commencer. Leurs multiples rôles au sein des écosystèmes a fait l’objet de dizaines d’articles, et c’est malgré leur réputation qu’ils s’affirment comme des acteurs indispensables de la biodiversité. Côté détournement, la liste est également loin d’être exhaustive. Rappelez-vous, je vous avais déjà parlé d’un pansement révolutionnaire directement inspiré des grands maitres de la manipulation, les parasites acanthocéphales. Mais il y a un domaine où les parasites s’illustrent particulièrement, où ils n’ont pas à cacher leurs mœurs parfois diaboliques et leurs bouilles qui font rarement partie de ces bêtes qu’on qualifie de mignonnes : les créatures bizarres, ça a toujours fasciné les professionnels du grand écran, et son public ! 


Alien, cette créature qui affole l’imagination pourrait avoir été inspirée de guêpes parasitoïdes… (Crédits : 20th Century-Fox)



Bibliographie 


Anderson, A., McCormack, S., Helden, A., Sheridan, H., Kinsella, A. & Purvis, G. 2011. The potential of parasitoid Hymenoptera as bioindicators of arthropod diversity in agricultural grasslands. Journal of Applied Ecology, 48, 382-390. 

Dobson A., Lafferty, K.D., Kuris, A.M., Hechinger, R.F. & Jetz, W. 2008. Homage to Linnaeus: How many parasites? How many hosts? Proceedings of the National Academy of Sciences, 105, 11482-11489. 

Hatcher, M.J., Dick, J.T.A. & Dunn, A.M. 2012. Diverse effects of parasites in ecosystems: linking interdependent processes. Frontiers in Ecology and the Environment, 10, 186-194. 

Ikegaya, H. 2008. Geographical identification of cadavers by human parasites. Forensic Science International: Genetics, 2, 83-90. 

Tompkins, D.M. & Veltman, C.J. 2015. Behaviour-manipulating parasites as adjuncts to vertebrate pest control. Ecological Modelling, 302, 1–8.



Sophie Labaude

mardi 16 septembre 2014

L’indolence poussée à son paroxysme : quand les parasites manipulateurs laissent les autres manipuler

Le soleil se lève tranquillement sur la vallée. Les premiers rayons viennent caresser les herbes pâles, croulant encore, dans une position de sommeil, sous le poids de minuscules diamants de rosée. La vie sort de sa torpeur dans le monde du peuple de l’herbe. Insouciante à l’ambiance si particulière de ce début de journée, une fourmi prend la route. Chaque ouvrière de la colonie connaît parfaitement son rôle, entre le soin des jeunes, la défense du nid, l’aspect maçonnerie ou la quête de nourriture. Notre compère fonce sans se retourner pour accomplir sa tâche à elle : escalader glorieusement un brin d’herbe, se munir d’une patience de fer et attendre son destin… se faire brouter. 

La vie suit son cours normal chez le peuple de l’herbe, inconscient du drame qui se prépare (par ici pour plus de photos du talentueux Andrey Pavlov)

Maintenant que j’ai votre attention, revenons à la réalité impitoyable de ce qu’est réellement la vie. La pauvre fourmi ne survivra pas, désolée, mais elle va permettre à une myriade d’autres bestioles de se reproduire. Des êtres craints par tous, y compris des humains : les parasites. En particulier, notre jeune hyménoptère abrite en son corps des trématodes du gentil nom de Dicrocoelium dendriticum. En moins charmant, on parle aussi de la petite douve du foie. Ce parasite se reproduit exclusivement dans la bedaine des herbivores, mais son cycle passe invariablement par des fourmis. Et comme celles-ci n’ont pas naturellement tendance à aller spontanément se faire brouter, les parasites ont développé la capacité à modifier le comportement de leur hôte, poussant ce dernier à adopter des attitudes carrément suicidaires. Leurs techniques perfides ont valu à ces parasites le doux surnom de manipulateurs.

Petit résumé du cycle de Dicrocoelium dendriticum

Bon, tout ça on connaît bien, d’autant que j’y ai déjà consacré tout un article. Mais il y a un petit détail dont j’ai omis de vous parler. Les parasites manipulateurs ont partout dans le monde maitrisé l’art de faire faire à leur hôte ce dont ils ont eux-mêmes besoin (aller à tel endroit, se rapprocher de tel animal, etc.). Mais certains vont plus loin : ils font faire faire ! Plutôt que de faire faire soi-même, ils laissent faire les autres. Vous me suivez ?

Revenons à notre fourmi. Goulue comme elle est, elle a par le passé commis l’erreur bientôt fatale de consommer des trématodes, délicieusement enfouis dans de la bave d’escargot (encore un hôte intermédiaire du parasite). Une fois les bestioles avalées, un des individus migre dans le cerveau, où il pourra mettre en place son plan machiavélique de manipulation. Et les autres individus ? Rien. Ils laissent faire le leader. Pourquoi se fatiguer alors qu’un seul parasite suffit à prendre les commandes ? Pis encore, le fayot qui s’est précipité dans le cerveau ne survivra pas. Autrement dit, seuls les individus qui n’ont pas tenté de manipuler vont s’en sortir… Dans ce cas, fort à parier qu’on ait affaire à de la sélection de parentèle : les parasites sont probablement des clones, partageant le même matériel génétique, dont un se sacrifie pour les autres de la même manière que les fourmis, ironie du sort, se sacrifient aussi pour leur colonie. 

Changeons de cap sans transition pour une petite balade au bord de la mer. C’est marée basse. Le tableau semble idyllique. Sous un ciel d’un bleu éclatant et au son lointain de la houle, quelques oiseaux marins se baladent sur la plage, complètement indifférents à notre présence, s’arrêtant de temps en temps pour plonger le bec dans le sable détrempé. Le caractère idyllique est beaucoup moins évident pour quelques bivalves, autrement surnommés palourdes, qui sont en train de se faire déchiqueter par le bec des piafs.

Si les pauvres mollusques n’ont pas réussi à s’enfouir dans le sable, comme ils le font généralement, c’est encore la faute à un parasite, un autre trématode du nom de Curtuteria australis. Sa méthode à lui est un tantinet moins subtile. Pour pousser son hôte palourde à s’exposer à la prédation de son hôte final (les oiseaux, dans lesquels il pourra se reproduire), le trématode s’installe dans le pied du bivalve et se développe d’une telle manière qu’il modifie sa morphologie, le rendant inutilisable. Impossible de s’enterrer dans le sable sans ce précieux outil, les mollusques n’ont plus qu’à attendre de se faire picorer.


 
Pour ceux qui se demandent comment un bivalve peut s’enfouir lui-même dans le sable… et si vous avez un peu de patience !

Mais il y a une autre dimension à cette histoire. Les oiseaux ne sont pas les seuls prédateurs des environs, et quand la marée remonte, c’est aux poissons que les mollusques ont affaire. Ceux-ci viennent lui mâchouiller le pied, la partie qui dépasse de la coquille. Les choses se corsent pour lui, mais de toute façon il est déjà condamné. En revanche, cette deuxième menace n’est pas du goût des parasites qui se trouvent justement dans le pied. Finir dans un poisson, qui n’est pas un hôte approprié, c’est la mort assurée. Certains individus parasites ont, à l’instar de la douve du foie, trouvé la parade. Pourquoi prendre le risque de se faire avaler par de la poiscaille quand on peut attendre tranquillement au chaud dans la coquille du bivalve ? Ils se développent donc sans soucis dans une partie du mollusque où ils n’ont pas d’effet, laissant les plus braves faire le travail pour rendre l’hôte infirme.


Issue fatale pour le bivalve, salvatrice pour le parasite (Source)

Les deux trématodes ne sont pas des exemples isolés et prouvent que quelques parasites sont passés maîtres suprêmes dans une catégorie que beaucoup leur envient : non contents d’arriver à leurs fins en poussant leurs hôtes à faire ce dont ils ont besoin, certains parviennent même à leurs fins… en ne faisant absolument rien. 



Bibliographie :


Carney, W.P. 1969. Behavioral and morphological changes in carpenter ants harboring dicrocoeliid metacercariae. The American Midland Naturalist Journal, 82, 605–611.

Poulin, R., Fredensborg, B. L., Hansen, E., & Leung, T. L. F. 2005. The true cost of host manipulation by parasites. Behavioural Processes, 68(3), 241–244. 

Thomas, F., Poulin, R. 1998. Manipulation of a mollusc by a trophically transmitted parasite: convergent evolution or phylogenetic inheritance? Parasitology, 116, 431–436.



Sophie Labaude

lundi 11 août 2014

Parasites : une de leurs techniques diaboliques au service de la médecine

Pomphorhynchus laevis. Derrière ce nom barbare se cache un être démoniaque aux techniques perfides. Parasite de son état, P. laevis pousse son hôte, petite crevette innocente, à adopter des comportements suicidaires, la menant à se faire dévorer par ses prédateurs. Cette stratégie délicieusement machiavélique est connue sous le nom de manipulation parasitaire, et existe chez de nombreux animaux… humains compris. J’avais détaillé ce monde fantastique des parasites manipulateurs dans un précédent article (voir ici), car non contents d’être passionnants, ces parasites, et notamment précisément l’espèce Pomphorhynchus laevis, constituent le sujet même de ma thèse. Alors quand les chercheurs s’inspirent d’une autre de leurs particularités au service des hommes, je me devais de vous en parler.

Comment diantre un parasite manipulateur peut-il inspirer les médecins ? Que je vous rassure, il ne s’agit pas de mettre au point une pilule permettant de prendre le contrôle de l’esprit de celui qui l’ingère. En fait, c’est sous une autre forme que le parasite joue son rôle de Muse. Car P. laevis n’est pas seulement parasite des petits crustacés, on le retrouve également dans l’intestin du prédateur de ces derniers. C’est d’ailleurs pour s’y insinuer qu’ils induisent le comportement suicidaire des crevettes. Les prédateurs en question ? Ce que l’on appellerait vulgairement des poissons, plusieurs espèces pouvant faire l’affaire, le chevesne et le barbeau étant ses favoris. C’est dans l’intimité douillette de leur cavité intestinale que les parasites se courtisent, trouvent l’âme sœur, engendrent multitude de rejetons… Mais avant ça, un défi les attend : s’installer dans l’intestin, s’implanter dans cette paroi lisse et humide avec suffisamment d’adhérence pour résister au passage constant de la pitance de l’animal. Et c’est leur stratégie qui a inspiré les chercheurs.


Forme adulte du parasite Pomphorhynchus laevis (Source)


Le défi auquel font face les parasites peut en effet s’apparenter à une problématique récurrente en médecine : mettre au point un dispositif pouvant adhérer aux tissus même mous, facilement et fortement, tout en limitant les risques de lésions et d’infections bactériennes (notre parasite a en effet intérêt à ce que son hôte se porte bien pour qu’il puisse lui-même vivre sa vie tranquillement…). Dispositif notamment utile pour joindre des tissus, en somme des pansements. Si nos parasites parviennent à réaliser ce défi, il suffit de les copier… Pomphorhynchus laevis utilise une sorte de trompe parsemée de petites épines, le proboscis, en la gonflant dans la paroi intestinale pour assurer son maintien. De cette observation, l’équipe de Yang (2013) a mis au point un dispositif parsemé de pointes de quelques centaines de micromètres. Très fines, les pointes pénètrent sans la moindre douleur dans l’épiderme, et ont la capacité de se dilater au contact de celui-ci. Cette capacité aboutit à une force de fixation augmentée de trois fois et demi comparée aux agrafes utilisées en médecine. De plus, alors que les agrafes favorisent les infections bactériennes (les bactéries s’infiltrant dans les trous créés par celles-ci), le nouveau dispositif, comblant les trous, joue un rôle de barrière biologique en prévenant les risques d’infection.  Dernier avantage et pas des moindres : le retrait se fait aussi sans douleur.


Schéma de l'insertion d'une des micro-pointes du dispositif, qui se gonfle à son entrée dans l'épiderme. Image issue de Yang et al. 2013

A gauche, les agrafes classiquement utilisées en médecine permettent une infiltration des bactéries dans l'épiderme, le long les trous. A droite, le nouveau dispositif comble les trous et joue le rôle de barrière biologique, prévenant toute infection bactérienne. Image issue de Yang et al. 2013


Une avancée notable en médecine grâce à une bestiole qui a une mauvaise réputation, ce n’est pas une première. A l’instar de l’araignée Tegenaria agrestis dont une des neurotoxines de son venin pourrait traiter des douleurs chroniques. Ou encore sa cousine Phoneutria nigriventer qui pourrait fournir un traitement contre les troubles de l’érection… Un argument de poids pour les nombreuses personnes qui me demandent « mais à quoi ça sert d’étudier ce parasite ? ».


Prototype d'un dispositif qui pourrait prochainement investir les hôpitaux (Source)




Bibliographie :

 

Yang, S.Y., O'Cearbhaill, E.D., Sisk, G.C., Park, K.M., Cho, W.K., Villiger, M., Bouma, B.E., Pomahac, B. & Karp, J.M. 2013. A bio-inspired swellable microneedle adhesive for mechanical interlocking with tissue. Nature Communications, 4, 1702.



Sophie Labaude

mardi 11 mars 2014

Le suicide du criquet, une aubaine pour la forêt


Encore un insecte qui a perdu la tête. Après avoir frénétiquement exploré les alentours jusqu’à la découverte d’une rivière, voilà que le criquet s’y précipite, lui qui n’est pas aquatique pour un sou. Drôle d’idée quand on ne sait pas nager. Serait-ce un acte de bravoure et de dévotion de sa part sachant son rôle potentiellement prépondérant sur la communauté des autres insectes de la forêt, et… sur le maintien d’une espèce de truite menacée ? Heu, mais c’est quoi ce long ver immonde qui s’extirpe onduleusement de l’anus de notre criquet ??

Le criquet vient de sauter dans l'eau. S'extirpe ensuite un long ver de son anus (Source)



Encore une histoire de zombies…    


Avant d’évoquer les conséquences d’un tel geste pour son entourage, un petit rembobinage express s’impose pour comprendre ce qui a poussé notre compère à commettre cet acte désespéré.  

L’histoire commence dans la rivière même, bien loin de notre suicidaire. Parmi la faune foisonnante, on rencontre des nématomorphes, de longs vers de plusieurs dizaines de centimètres, ondulant gracieusement (ou diaboliquement, c’est selon). Ces animaux sont des parasitoïdes, autrement dit ils se développent dans d’autres organismes avec, contrairement aux parasites, une forte tendance à tuer ces derniers… Qui plus est, les nématomorphes disposent d’un cycle de vie complexe, impliquant donc plusieurs hôtes. Les larves vont d’abord infester des insectes que l’on trouve dans l’eau, comme des larves d’éphémères. Alors que ces dernières vont ensuite se transformer, le ver va survivre au processus et pouvoir alors accéder au milieu terrestre. Comme tout se recycle, notre éphémère, même mort, se fera grignoter par quelqu’autre insecte, parmi lesquels des criquets ! Ensuite, l’histoire ressemble drôlement à celle de nos parasites manipulateurs, créatures zombifiantes à qui j’ai récemment consacré tout un article. Si le nématomorphe lorgne le milieu aquatique, nécessaire pour l’achèvement de son cycle et notamment sa reproduction, le criquet a malheureusement pour ce dernier une vie terrestre. Le parasitoïde semble adopter une stratégie plutôt payante pour lui : il prend le contrôle du criquet !

Ca commence par des symptômes assez inquiétants, le criquet se mettant à être beaucoup plus explorateur qu’à la normale, tout en étant, et contrairement à son habitude, subitement attiré par la lumière (Ponton et al. 2011). Pour comprendre les mécanismes impliqués dans les changements de comportements, l’équipe de Biron (2008) a mené une investigation protéomique, mettant en évidence ce qu’il se passe concrètement dans la tête du criquet quand il perd les pédales. Sans surprise, une des protéines dont l’expression est altérée au moment du changement de comportement du criquet dispose justement des domaines classiquement impliqués dans le système visuel. Et puis une fois la source d’eau détectée, le criquet saute dedans, ni plus ni moins. Les chiffres sont impressionnants. Par exemple, Sanchez et ses collaborateurs (2008) ont montré que 80% des criquets Nemobius sylvestris infectés par le nématomorphe Paragordius tricuspidatus se jettent à l’eau, contre 10% chez les individus sains (de corps, mais apparemment pas d’esprit…). Les nématomorphes du genre Gordionus, quant à eux, augmentent de 20 fois les chances qu’un criquet finisse dans l’eau (Sato et al. 2011a). Pour les criquets qui ont la chance d‘échapper à la noyade, mais aussi de survivre à l’extirpation du ver par leur anus, le comportement reviendra progressivement à la normal (Ponton et al. 2011). Quant au nématomorphe, l’idée est de s’extirper de l’insecte avant que celui-ci, dans sa vaine panique, n’attire des prédateurs. Et dans le cas où ver et criquet finissent ensemble dans un estomac, le combat n’est pas perdu pour le parasitoïde qui va utiliser ses talents d’extirpation, mais en s’échappant cette fois par la bouche du prédateur… 




Pour voir d’autres vidéos, notamment un nématomorphe ressortant d’une grenouille, un petit tour sur cet article de SSAFT. Et puis par ici pour une touche d'humour.


L’effet papillon


De nombreuses études ont montré que les parasites et parasitoïdes, malgré l’image négative que le grand public leur alloue, sont souvent d’une grande importance dans l’écosystème. Dans l’exemple des criquets, l’idée la plus intuitive serait que les nématomorphes pourraient avoir un impact sur la dynamique de population des criquets. Mais c’est à une autre échelle que l’on va se pencher maintenant : celle de l’écosystème tout entier.

Faisons un petit tour au Japon où Sato et ses collaborateurs ont étudié (et étudient encore) de très près le rôle des nématomorphes du genre Gordionus. Là-bas vit la truite Salvenicus leucomaenis japonicus, menacée par la surpêche et la destruction de son habitat. Or, les scientifiques se sont vite rendus compte que si un criquet dans l’eau est nécessaire pour le nématomorphe, cela constitue également une aubaine pour les habitants de la rivière, et notamment notre truite. Sato et ses collaborateurs (2011a) ont donc entrepris de mesurer la contribution énergétique apportée par les criquets aux truites. Le résultat est impressionnant : les criquets constitueraient 60% de l’apport de calories annuel des truites, une part très loin d’être négligeable, pouvant même contribuer à la persistance de l’espèce. De plus, cette importance n’est pas qu’une question de proportion puisque d’une part les criquets augmentent la masse totale de nourriture ingérée (les truites mangent moins quand il n’y a pas de criquets dans l’eau), et d’autre part la quantité de nourriture ingérée par les truites est directement corrélée à l’importance de la présence en nématomorphes aux alentours, mais curieusement pas corrélée à la présence des criquets sur les rebords de la rivière, preuve de l’importance du parasitoïde. De plus, la présence de nématomorphes est plus faible dans les plantations de conifères qui remplacent petit à petit les forêts natives (Sato et al. 2011b). Le changement de type de forêt pourrait donc avoir comme conséquence indirecte une diminution de la population de truites, par l’intermédiaire seul de la diminution de la population de nématomorphes…

Cycle de vie du nématomorphe et flux d’énergie autour de la truite. D’après Sato et al. 2011a.


Enfin, élargissons notre champ d’investigations. Les criquets constituent une aubaine pour la truite, notamment puisqu’ils sont des proies faciles, se mouvant maladroitement dans l’eau quand ils ne sont pas déjà morts. La truite va donc délaisser les autres proies potentielles, qui elles sont plus adaptées au milieu aquatique (et donc fichtrement plus fourbes à attraper). Des insectes dont la larve est aquatique, notamment, vont ainsi voir leur succès de passage à la vie terrestre augmenter grâce au répit assuré par les criquets. Ephémères et demoiselles par exemple, vont ainsi pouvoir se métamorphoser, migrant de la rivière vers la forêt, et permettant une présence de proies pour les animaux terrestres. Le tout sans compter que l’écosystème de la rivière est lui aussi chamboulé. Le répit laissé aux invertébrés aquatiques mène également à une diminution de la biomasse en algues, alors plus consommées par ces derniers, bousculant ainsi le flux d’énergie à l’échelle de la rivière toute entière (Sato et al. 2012).


Effet en cascade de la présence de criquets dans la rivière, sur les poissons, les invertébrés aquatiques et les ressources organiques. D’après Sato et al. 2012.


Quand on regarde l’ensemble du tableau, on a l’écosystème de toute une forêt, incluant la rivière, modulé par un ver à priori insignifiant et cantonné dans un autre organisme. Cet effet papillon est tel que Sato et ses collègues ont publié, en début d’année, une étude portant sur le rétablissement à long terme d’une forêt en lien avec les populations de criquets et des nématomorphes. De quoi observer parasites et parasitoïdes d’un tout nouvel œil…



Bibliographie


Biron, D.G., Ponton, F., Marché, L., Galeotti, N., Renault, L., Demey-Thomas, E., Poncet, J., Brown, S.P., Jouin, P. & Thomas, F. 2006. « Suicide » of crickets harbouring hairworms: a proteomics investigation. Insect Molecular Biology, 15, 731-742.

Ponton, F., Otalora-Luna, F., Lefèvre, T. Guerin, P., Lebarbenchon, C., Duneau, D., Biron, D.G. & Thomas, F. 2011. Water-seeking behavior in worm-infected crickets and reversibility of parasitic manipulation. Behavioral Ecology, 22, 392-400.

Sanchez, M.I., Ponton, F., Schmidt-Rhaesa, A., Hughes, D.P., Missé, D. & Thomas, F. 2008. Two steps to suicide in crickets harbouring hairworms. Animal Behaviour, 76, 1621-1624.

Sato, T., Watanabe, K., Kanaiwa, M., Niizuma, Y., Harada, Y. & Lafferty, K.D. 2011a. Nematomorph parasites drive energy flow through a riparian ecosystem. Ecology, 91, 201-207.

Sato, T., Watanabe, K., Tokuchi, N., Kamauchi, H., Harada, Y. & Lafferty, K.D. 2011b. A nematomorph parasite explains variation in terrestrial subsidies to trout streams in Japan. Oikos, 120, 1596-1599.

Sato, T., Egusa, T., Fukushima, K., Oda, T., Ohte, N., Tokuchi, N., Watanabe, K., Kanaiwa, M., Murakami, I. & Lafferty, K. 2012. Nematomorph parasites indirectly alter the food web and ecosystem function of streams through behavioural manipulation of their cricket hosts. Ecology Letters, 15, 786-793.

Sato, T., Watanabe, K., Fukischima, K. & Tokuchi, N. 2014. Parasites and forest chronosequence: Long-term recovery of nematomorph parasites after clear-cut logging. Forest Ecology and Management, 314, 166-171.



Sophie Labaude

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