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mercredi 17 avril 2013

Le poisson de la vérité

Cela fait maintenant 15 jours que le mois d’avril à commencé et donc ça fait 15 jours qu’on vous laisse dans le suspens concernant nos petites histoires du 1er avril. Avez-vous réussi à identifier les poissons d’avril de la vérité ?

On était pas les seuls blagueurs du mois d'avril (source)
 Pour tout vous dire, vous n’avez pas été si mauvais dans l’ensemble, puisqu’il y a tout de même eu 60% de bonnes réponses. Pour plus de détails, lisez la suite !

1) Des animaux qui ne respirent pas : VRAI (36% de bonnes réponses) - par Nicobola

Les loricifères sont les premiers animaux découverts à vivre en milieu totalement privé d’oxygène. Trois espèces ont été découvertes en 2010 dans les fonds anoxiques hypersalins de méditerranée. Ce sont les premiers animaux à être capable d’effectuer leur cycle de vie complet en milieu tout à fait anoxique. Les observations de coupes cellulaires n’ont pas permis jusque là de trouver de mitochondries mais ont mis en évidence des structures rappelant les « hydrogénosomes » présentes chez d’autres organismes que les animaux qui ont cellules à noyau (eucaryotes). Je reviendrai sur ces organismes fascinants bientôt dans un article qui leur sera partiellement consacré.

Danovar R., Dell’Anno A., Pusceddu A., Gambi C., Heiner I. et Kristensen R.M. 2010. The first Metazoa living in permanently anoxic conditions. BMC Biology, 8:30.

2) Un nouvel espoir contre le VIH : FAUX (27% de bonnes réponses) - par Boris

Malheureusement, il n’existe à ce jour aucun traitement contre l’action du VIH dans l’organisme. Même la trithérapie ne permet pas de guérir et d’éliminer le virus de l’organisme, mais uniquement d’en retarder et d’en limiter les effets.
En revanche, Euphorbia stenoclada existe réellement et est utilisée en médecine traditionnelle pour lutter contre les affections respiratoires. Pour plus de détails, le papier de Chaabi et al. (2007) montre comment le principe actif à l’origine des propriétés médicinales de cette plante a été caractérisé.

Chaabi M., Freund-Michel V., Frossard N., Randriantsoa A., Andriantsitohaina R., Lobstein A. 2007. Anti-proliferative effect of Euphorbia stenoclada in human airway smooth muscle cells in culture. Journal of Ethnopharmacology, 109(1)134-139

3) Le son comme arme offensive : FAUX (82% de bonnes réponses) - par Naldo

Ce comportement est imaginaire : aucun actinoptérygien ne chasse en utilisant le son. Mais il est basé sur des particularités réelles !
De nombreux actinoptérygiens (rappelons-le, ils représentent l'immense majorité de l'ancien groupe des "poissons") produisent des sons qu'ils amplifient à l'aide de leur vessie natatoire remplie de gaz. C'est le cas des grondeurs (famille des Haemulidae, voir ci-dessous) - qui frottent des dents situées au fond de la gorge pour produire une sorte de stridulation -, mais aussi des épinoches, des balistes, de certains poissons-chats... D'autres espèces produisent des sons en expulsant violemment du gaz de leur vessie par la bouche : ces "rots" peuvent s'entendre de très loin ! Enfin, certains actinoptérygiens produisent le son en faisant vibrer des muscles spéciaux directement situés dans la paroi de la vessie natatoire. C'est le cas des grondins (Triglidae) ou des poissons-crapauds (Batrachoididae, voir ci-dessous). Chez ces espèces, même la vessie natatoire disséquée est capable de produire un son !

Comme vous pouvez le constater, entre stridulations, grincements de dents, rots et bruits de tambour, les fonds sous-marins sont un endroit plutôt bruyant. L'expression "muet comme une carpe" est donc très loin de la vérité !
Les Haemulidae (Plectorhinchus lineatus, à gauche) font grincer leurs dents pharyngiennes pour produire des sons. Les Batrachoididae (Halophryne diemensis, à droite) font vibrer les muscles de la vessie natatoire.
Sources : 1, 2.
Le mécanisme de transmission du son que j'ai évoqué existe réellement, à ceci près qu'il ne sert pas à émettre un son, mais à mieux entendre. Cet ensemble de petits os fins formant une chaîne (appelé appareil de Weber) est dérivé des 4 ou 5 premières vertèbres. De la même façon que dans l'oreille moyenne des mammifères (constituée d'os du crâne et de la mâchoire), cette modification du squelette permet de transmettre le son de manière très efficace. On trouve cet appareil de Weber chez la plupart des actinoptérygiens d'eau douce, comme la carpe, le piranha, le poisson-chat et l'anguille électrique.

Enfin, peut-être que certains se sont demandés quelle était cette bestiole extraordinaire sur la photo. Eh bien, il s’agit de la blennie du Pacifique Neoclinus blanchardi. Cette bouche ouverte extrêmement large n'est pas une parabole servant à concentrer le son, mais sert aux mâles au moment de la reproduction : celui qui a la bouche la plus large gagne les faveurs des femelles. Ce comportement est visible sur l'étonnante vidéo ci-dessous.


Demski L. S., Gerald J. W., Popper A. 1973. Central and peripheral mechanisms of teleost sound production. American Zoologist, 13(4): 1141-1167.


4) Une île aseptisée? FAUX (91% de bonnes réponses) - par Battle

L’île de la Solitude existe bel et bien en mer de Kara mais cette découverte n’y a jamais été faite. Nulle part d’autre d’ailleurs ! En effet, il parait peu probable qu’un écosystème puisse exister sans micro-organisme étant donné que les êtres vivants les plus résistants qu’on connaisse sont des micro-organismes. De plus, les micro-organismes bactériens, fongiques ou protozoaires, sont les acteurs majeurs du recyclage des nutriments grâce aux phénomènes de décomposition de la matière organique dont ils sont capables. Autre élément qui indique leur nécessité pour la survie d’un écosystème, ce sont les multiples interactions entre les animaux ou végétaux et ces micro-organismes. Il suffit de regarder dans les bactéries du système digestif d’une vache, les champignons dans les racines de très nombreuses plantes (on appelle ça des mycorhizes) ou encore dans le corps humain où les bactéries sont au moins aussi nombreuses que nos propres cellules mais tout aussi indispensable à notre bien-être.


5) Le « serpent de mer » existerait bel et bien : VRAI (82% de bonnes réponses) - par Naldo

L'animal dont le billet parle et qui est représenté sur la photo existe bien : il s'agit du régalec (Regalecus glesne), ou roi-des-harengs, un actinoptérygien marin géant pouvant atteindre 11 mètres de long, voire plus.
En raison de son apparence extraordinaire (un long corps aplati et argenté, des nageoires extrêmement longues et rouges vif), le régalec est probablement à l'origine de nombreuses légendes, comme celle du serpent de mer ou du Naga en Asie du Sud-Est. A Taïwan, on dit que sa venue prévient de l'arrivée d'un tsunami.
Animal vivant en haute mer et en profondeur, il a rarement été observé dans son milieu : les quelques données que l'on possède sont principalement issues de spécimens échoués en eau peu profonde. Tout au plus sait-on qu'il se nourrit de plancton, qu'il nage à la verticale droit comme un I, et qu'il est probablement capable d'autotomie (c'est-à-dire de sacrifier une partie de son corps face à un prédateur, comme les lézards).

Le régalec : à gauche en position de vie, à droite échoué sur une plage - une observation malheureusement beaucoup plus courante !
Roberts T. 2012. Systematics, Biology and Distribution of the Species of the Oceanic Oarfish Genus Regalecus (Teleostei, Lampridiformes, Regalecidae). Publications Scientifiques du Muséum, Paris, 268 pp.

6) Une plante se nourrissant d’excréments de fourmis : VRAI (82% de bonnes réponses) - par Sophie

La symbiose entre la plante Nepenthes bicalcarata et l’espèce de fourmis Camponotus schmitzi présente une multitude de facettes. Les fourmis y trouvent un logement tandis que la plante bénéficie en échange de protection. Mais les deux espèces fonctionnent également sur la base d’un mutualisme alimentaire. Tandis que les fourmis récupèrent des proies au fond de l’urne, la plante bénéficie des qualités digestives des fourmis. Ainsi, selon Bazile et al. (2012), l’azote foliaire de la plante proviendrait à 42% des déjections des fourmis ! Les plantes ne disposant pas de fourmis présenteraient même des carences en nutriments…

Bazile, V., Moran, J.A., Le Moguédec, G., Marshall, D.J. & Gaume, L. 2012. A Carnivorous Plant Fed by Its Ant Symbiont: A Unique Multi-Faceted Nutritional Mutualism. PLoS ONE, 7, e36179- e36179.


7) Evolution chimique du génome bactérien ! VRAI (9% de bonnes réponses) - par Battle

Un code universel, pas si universel que ça finalement ? On ne peut pas réellement le dire. Car effectivement de nouvelles nucléobases apparaissent régulièrement par mutation dans le code génétique mais il n’a jamais été montré qu’une telle mutation ait été fixée dans une espèce sans action humaine. La souche d’E. coli dont je vous ai parlé a bel et bien modifié le fonctionnement entier de son génome intervertissant la thymine avec la chlorouracile au fur et à mesure des générations. Mais cela a nécessité que les chercheurs n’incorporent plus dans le milieu de croissance de la thymine mais seulement de la chlorouracile pendant de nombreuses générations. Dans la nature, même si des mutations apparaissent, ce changement de disponibilité des nucléobases dans le milieu n’a pas lieu, impliquant que la sélection naturelle de ces mutations peut difficilement avoir lieu. La présence et la persistance des 4 nucléobases classiques (adénine, thymine, guanine et cytosine) depuis des milliards et des milliards de générations dans l’ensemble des organismes de notre planète est un signe assez fort de leur stabilité et de leur pérennité. En revanche, les compétences et les connaissances de l’homme sont aujourd’hui suffisantes pour pouvoir exploiter des souches arborant un nouveau type de génome à des fins médicales ou d’innovations biotechnologiques.

Marlière, P., Patrouix, J., Döring, V., Herdewijn, P., Tricot, S., Cruveiller, S., Bouzon, M. & Mutzel, R. 2011 Chemical evolution of a Bacterium’s Genome, Angewandte Chemie International Edition, 50: 7109-7114


8) Le retour du pied préhensile chez l’humain ? FAUX (91% de bonnes réponses) - par Sophie

Ce n’est pas encore aujourd’hui que les humains se serviront de leurs 4 mains… Cependant, si aucun cas d’orteil préhensile n’a été découvert chez l’homme, le phénomène d’atavisme existe bel et bien. Il s’agit de la résurgence d’un caractère ancestral. Le caractère en question peut être relativement complexe, et demander l’intervention de plusieurs gènes : il suffit qu’un seul de ces gènes ait été inactivé pour que le caractère n’existe plus. Une réactivation de ce gène permettra donc à toute la cascade de gènes de s’exprimer de nouveau. Parmi les cas les plus fréquents, on note par exemple la réapparition de doigts chez des chevaux, de membres inférieurs chez des dauphins, de pattes chez les serpents… Chez les humains, la présence d’une queue, prolongement de la colonne vertébrale, a été documentée chez plusieurs nouveau-nés.

Quelques cas d'atavismes chez le cheval et le dauphin (Source)
Cas d'atavisme plusieurs fois observé chez l'être humain, la réapparition de la queue, parfois capable de mouvements (Source)



9) De petits animaux jouant avec la mort : FAUX (9% de bonnes réponses) - par Nicobola

A part une personne, tous les autres sont tombés dans le panneau ! Peut-être n’avez vous pas lu jusqu’au bout ? Il n’a jamais été trouvé de tardigrades en cryptiobiose depuis 1000 ans. On est justement bien loin de leurs records : contrairement à beaucoup de légendes à leur propos, il n’a jamais été mis en évidence que les tardigrades puissent rester en cryptobiose plus de deux décennies, ce qui est déjà un temps considérable. Certes ils peuvent résister aux rayons cosmiques, au zéro absolu, aux températures extrêmes etc. Mais toujours pour un temps assez court et une mortalité assez forte. Pour un article en anglais démêlant le vrai du faux à leur propos vous pouvez lire l’article de Jönsson et Bertonali.

Jönsson K. I. and Bertonali R. 2001. Fact and fiction about long-term survival in tardigrades. Journal of Zoology, 255, 121-123.


10) Somewhere... Over the rainbow? VRAI (45% de bonnes réponses) - par Boris

Et oui, on ne dirait pas mais cette écorce est tout à fait naturelle… Vous pouvez voir ici un panel de photographies toutes plus colorées les unes que les autres) . L’arbre existe bel et bien, il pousse naturellement aux Philippines mais peut se retrouver dans différents endroits de l’Océanie (voir la page suivante). Je n’ai pas beaucoup trouvé d’informations concernant les mécanismes biochimiques qui permettent d’obtenir une écore aussi colorée, cependant le fait d’avoir plusieurs couches d’écorce de couleurs différente est présent chez certaines espèces… Dont une que vous connaissez très bien ! C’est le platane (espèces du genre Platanus), que l’on retrouve le long de nos routes et même dans nos villes. Ces arbres résistent bien à la pollution de l’air des villes car leur écorce se renouvelle constamment, par plaques entières. Cela permet d’éliminer en même temps la couche de polluants qui se sont déposés à la surface, favorisant ainsi la respiration des cellules des tissus situés sous l’écorce.


11) Bombardements lumineux ! VRAI (100% de bonnes réponses) - par Aurélide

Avec 100% de bonnes réponses, il semblerait que les annélides n’aient pas de secrets pour vous !
Dans la catégorie des animaux qui utilisent la bioluminescence pour échapper à leurs prédateurs, certains crinoïdes ont la possibilité de sacrifier un bras bioluminescent entièrement. Mais vous imaginez bien que c’est une perte très coûteuse puisque il faut un certain temps avant que le bras ne repousse. Chez certaines annélides de la famille des Aphroditidae, cette perte est moins onéreuse puisque ce sont des élytres bioluminescents qu’elles larguent pour distraire le prédateur et s’enfuir. Dans le cas de Swirma bombiviridis de la famille des Acrocirridae, ce sont des structures particulières dont elles se débarrassent. Il s’agit de branchies modifiées, en forme de boule et qui se trouvent tout près de la tête. Lorsque l’animal se sent en danger, il lâche ses boules qui se mettent ensuite à s’illuminer. Contrairement au magicien qui disparaît sous un nuage de fumée, Swirma bombiviridis, elle, disparaît sous un feu d’artifice.



Voilà, maintenant vous savez toute la vérité ! On est fiers d’avoir réussi à vous bluffer que ça soit par de pures inventions de notre imaginaire ou alors par de vrais faits scientifiques tout à fait improbables. On espère que ce petit jeu vous a plu et vous a appris plein de petites anecdotes.

lundi 1 avril 2013

Poisson d'avril ou pas ? A vous de deviner

Pour le premier avril, poisson ou pas, nous vous avons réservé un petit jeu : nous avons tous ensemble rédigé 11 paragraphes à propos de faits extraordinaires concernant la biologie des organismes... Mais bien sûr certains sont faux quand d'autres sont vrais ! Saurez-vous faire la part du faux et du vrai ? Et nous expliquer pourquoi ?

Attention, pas de triche ! Je vous surveille (Source)

1) Des animaux qui ne respirent pas

Les loricifères sont de très étranges animaux microscopiques et marins vivant entre les grains de sables, découverts récemment dans les années 1970. Pendant longtemps aucun spécimen vivant n’avait jamais été observé, leur étude n’avait été faite que sur des animaux morts. Leur morphologie et leur cycle de vie complexe n’ont cessé d’impressionner les scientifiques pour de si petits animaux, mais ils avaient encore une surprise de taille : ce sont les premiers animaux découverts à être capable d’effectuer leur cycle de vie complet sans oxygène ! D’autres sont connus pour résister à son absence mais sans être capable de se reproduire sans. Mieux encore, ils auraient perdu leurs mitochondries, des organes cellulaires indispensables aux autres animaux et permettant la respiration ! Et coup de grâce, ce n’est pas moins de trois espèces dans ce cas qui ont découvertes en méditerranée !

Illustration d’un loricifère… Bonne tête pour un animal de moins d’un demi millimètre !  (Source)


2) Un nouvel espoir contre le VIH

L’Euphorbe Euphorbia stenoclada (présente dans le sud-sud-ouest de Madagascar) est utilisée traditionnellement contre l’asthme et les affections respiratoires. Des études récentes ont mis en évidence que les molécules produites par cette plante avaient la capacité de stopper l’infection des cellules par des pathogènes tels que les virus par exemple. En particulier, des cellules de fibroblaste humain, prétraitées à l’aide d’un extrait de cette plante, montraient des résistances inhabituelles au VIH. D’autres expériences sur les lymphocytes T4, cible directe du VIH, se sont montrées prometteuses ; et même des tissus infectés artificiellement en laboratoire puis traités par la Quercetine (cf fig. ci-dessous) ont montré une nette diminution de la virulence du VIH. Reste maintenant à savoir si cette molécule va se comporter pareillement au sein d’un organisme entier !


La molécule Quercetine, responsable de l'action anti-proliférante. D'après Chaabi et al. 2007, Journal of Ethnopharmacology)


3) Le son comme arme offensive

Les actinoptérygiens (à nageoire rayonnée, ils représentent la majeure partie de l'ancien groupe des "poissons") ont développé au cours de l'évolution un arsenal très divers d'armes offensives et défensives, qui vont d'épines empoisonnées à la production de chocs électriques. Une découverte récente chez une espèce de blennie du Pacifique ajoute la production de son à cet arsenal. Cette espèce a une mâchoire très mobile (visible sur la photo ci-dessous), reliée par un ensemble de petits os très fins (appelé appareil de Weber) à la vessie natatoire (organe rempli de gaz servant à la flottaison). L'ouverture en grand de la mâchoire fait jouer cet ensemble de petits os entre eux, produisant un son sec qui va ensuite être amplifié (à la manière d'une caisse de résonnance) par la vessie natatoire. La forme en parabole des mâchoires ouvertes permettra de concentrer le son produit, le rendant très puissant. Un son sec et puissant produira des vibrations dans l'eau qui peuvent causer des lésions importantes chez d'autres actinoptérygiens. Les chercheurs qui ont étudié ce mécanisme en ont déduit qu'il avait un double rôle d'attaque (immobilisation des proies) et de défense contre les prédateurs plus gros.


4) Une île aseptisée ?

Jusqu’il y a quelques mois, l’ensemble de la communauté des chercheurs en écologie s’accordait à dire que pour qu’un écosystème se maintienne, les micro-organismes (c’est-à-dire les bactéries, les archées et la plus grande partie des eucaryotes dont les champignons et les protozoaires) étaient indispensables, car ils effectuent des tâches indispensables au bon fonctionnement et à la stabilité dans tous les types d’écosystèmes. C’est sans compter la découverte effectuée début 2012 sur l’île de la Solitude (ou île Ouedineniïa) en mer de Kara au nord de la Russie! Des chercheurs de l’institut Vavilov (centre de recherche agronomique de Saint Pétersbourg) ont statué sur l’absence totale de microorganisme sur cette île. Bien que la région connaisse un climat plutôt rude, il n’y a en apparence aucune raison pour que cette île ait été débarrassée de toutes ces espèces microscopiques alors que les autres écosystèmes du Nord de la Russie comptent des millions d’espèces en tout genre. Les chercheurs ont en revanche pu observer des spécimens de végétaux et d’animaux qu’on pourrait classer comme macro-organismes. La seule présence de ces macro-organismes laisse penser que tout le petit monde microbien a été contre-sélectionné. La question en suspens est que s’est-il passé de particulier sur cette île pour que même les archées, organismes souvent extrêmophiles (capable de vivre dans des conditions très difficiles), aient disparues...



Situation géographique de l'île de la Solitude (source: Wikipédia)

5) Le "serpent de mer" existerait bel et bien

Des animaux marins gigantesques ressemblant à des serpents se retrouvent régulièrement dans les légendes de marins, à toutes les époques et partout dans le monde. Se pourrait-il que ces légendes soient inspirées d'observations réelles ? C'est ce que pensent les zoologistes Helmut Oelschläger et Tyson Roberts. Ils ont analysé des dizaines d'observations de "serpents de mer" au cours des 200 dernières années, certaines étant documentées par des photographies (voir ci-dessous), et en ont conclu qu'elles correspondaient à un organisme réel. Néanmoins la biologie et l'anatomie de cette espèce mystérieuse pouvant atteindre plus de 10 mètres restent à définir plus précisément.

Cette photo représente des soldats de la marine américaine avec un animal qui fut pris pour le légendaire Naga du delta du Mékong. Source

6) Une plante se nourrissant d’excréments de fourmis

Si les symbioses entre plantes et insectes sont chose courante, certaines sont plutôt atypiques. Prenez la plante Nepenthes bicalcarata, terrible carnivore à l’apparence de serpent, avec ses deux crochets au dessus de son piège mortel. Malgré sa dangerosité, des fourmis y ont élu domicile et lui apportent de surcroît des bénéfices. En effet, elles lui assurent une protection contre les herbivores, notamment pour les jeunes pousses. Mais mieux encore : des chercheurs français ont mis en évidence l’année dernière que les fourmis jouent aussi le rôle d’assistant alimentaire, en s’occupant de digérer les proies de la plante… et en lui fournissant ensuite leurs déjections. Un complément alimentaire riche en azote qui assure à la plante une bonne croissance.

Le piège de la plante carnivore Nepenthes bicalcarata (Source)


7) Evolution chimique du génome bactérien !

Pour un peu qu’on ait fait de la biologie au lycée, on sait que le code génétique est universel, c’est-à-dire que l’ensemble des êtres vivants possède un ADN composé de 4 éléments constitutifs appelés des nucléobases (l’adénine, la thymine, la guanine, et la cytosine). Il y a peu, une équipe internationale de chercheurs a réussi à créer et à sélectionner une nouvelle souche d’Escherichia coli (la fameuse bactérie modèle en science du vivant) dont le génome n’est pas constitué de ces 4 nucléobases mais où la thymine est remplacée par du chlorouracil. Cette modification au niveau de l’ADN est initialement due à une mutation apparue naturellement. Les chercheurs ont ensuite sélectionné les bactéries mutées en ne mettant à disposition dans le milieu que de l’adénine, de la guanine, de la cytosine et du chlorouracil pendant 164 jours afin d’obtenir une souche stable. Cette souche E. coli mutée est donc une exception à l’universalité du code génétique !


E.coli en 3D (source)

8) Le retour du pied préhensile chez l’humain ?

Les scientifiques ont récemment été confrontés à un cas d’atavisme plutôt atypique au Mexique : la naissance de deux frères partageant comme particularité d’avoir les gros orteils opposés aux autres doigts de pieds. Caractère partagé par tous les primates, les pouces opposables des pieds ont été perdus au cours de l’évolution chez les humains. Le phénomène de l’atavisme correspond à la réactivation d’un gène toujours présent dans notre ADN mais rendu muet par l’évolution. Des cas sont plus connus de réapparition de queue chez l’humain, ou encore de pattes chez des serpents. Les chercheurs sont parvenus à repérer le gène muté chez les deux frères, et seraient en mesure de reproduire la particularité artificiellement, ce qui pose cependant des problèmes d’éthiques. Ils ne sont actuellement pas en mesure de prédire si la descendance des deux frères partagera cette particularité.

Pied de chimpanzé et pied d'humain (Source)

9) De petits animaux jouant avec la mort 

Les tardigrades sont parfois connus des étudiants en biologie parcequ’ils sont adorables mais aussi pour leurs incroyables propriétés de résistance. Ces petits animaux de moins d’un millimètre de long se trouvent partout sur le globe. Vous pouvez en trouver dans les mousses. Ce qu’il y a d’incroyable c’est qu’ils peuvent rentrer en état dit de cryptobiose : lorsque les conditions de vies ne sont plus favorables ils « s’arrêtent de vivre » et reprennent leur vie active une fois les conditions nécessaires revenues. On sait qu’ils peuvent rester plusieurs décennies en cryptobiose. Mais des chercheurs ont retrouvé en décembre 2012 des tardigrades en cryptobiose depuis près de 1000 ans dans les lacs subglaciaux Antarctiques ! Bien sûr une très faible proportion est revenue à la vie, mais cela fait de ces rares petits survivants les individus animaux (et non pas colonies !) les plus vieux répertoriés ! 

A gauche, un tardigrade en état actif, à droite un tardigrade en cryptobiose. (Source :  Welnicz et al. 2011)

10) Somewhere... Over the rainbow ?

L’Eucalyptus Arc-En-Ciel Eucaylptus deglupta pousse aux Philippines. Cet arbre possède naturellement une écorce très colorée, suite l’exposition des tissus vieillissant au contact de l’air. En effet, l’écorce de cette plante se desquame progressivement, c'est-à-dire qu’elle s’effiloche vers l’extérieur au fur et à mesure de sa production. Les couches les plus jeunes se situent en dessous et sont vertes lors de leur formation. Elles sont remplacées progressivement par d’autres couches et vont changer de couleur au fil du temps, jusqu’à tomber au pied de l’arbre lorsqu’elles seront totalement desséchées. Comme l’écorce n’est pas produite de manière continue et intégrale aux différents endroits du tronc, elle ne vieilli pas de la même manière partout, d’où la présence de couleurs différentes.


Vue rapprochée de l'écorce de E. deglupta

11) Bombardements lumineux !

La bioluminescence n'aura pas fini de nous épater. Après les lucioles, les champignons, les requins, les dinoflagellés ou encore les ophiures, les vers sont également un groupe dans lequel on retrouve l'utilisation de la bioluminescence. Selon les espèces, la bioluminescence n'a pas la même fonction. Elle peut être utilisée comme moyen de répulsion contre des prédateurs, un moyen d'attraction pour attirer les proies, mais peut également servir à communiquer ou à se camoufler.
Swima bombiviridis est un annélide, un ver marin qui a été découvert très récemment (en 2009) à 1800 mètres de profondeur ! Sa particularité à lui c'est de faire peur à ses prédateurs, de les distraire en larguant des "bombes" bioluminescentes (d'où son nom) !
Alors, inspiré? Vous trouverez les réponses ici !

mardi 5 juin 2012

Un an que les poissons n'existent pas !


Aujourd’hui cela fait un an que notre blog collaboratif a été créé ! Il est donc temps de souffler la première bougie (vous nous direz que sous l’eau, c’est peu utile).

Voici un bilan de cette année :

Après la création du blog par Nicobola et Aurélide, plutôt biologistes des « invertébrés », Boris, le Botaniste nous rejoint avec son premier article le 12 Juillet 2011 avec "To be or not to be (alive), that is the (good) question!". C’est ensuite Naldo plutôt paléontologie des vertébrés qui débarque le 24 Septembre 2011 avec "Have fun with taxonomy". Ensuite c’est Battle, mordue d'écologie évolutive qui, le 16 Novembre publie son premier article : "La reine, seule reproductrice chez les fourmis?". Enfin, Sophie, plus particulièrement intéressée par l’écologie comportementale, rejoint l’équipe du bocal le 7 Janvier avec "Touche pas à mes supermatozoïdes". Finalement, nous avons eu le plaisir d'accueillir une invitée, Marie, qui nous a aussi écrit un article pour le 1er Avril qu’il faut évidemment prendre comme une plaisanterie : "A la découverte des Rhinogrades". Le bocal compte donc six « poissons » maintenant et nous espérons qu’il s’étoffera d’autres personnes aux styles d’écriture et aux intérêts différents dans le domaine de l’évolution, l’écologie et la biologie des organismes. Et je peux vous dire qu’entre nous, lors des relectures de nos articles, entre les débats houleux ou les taquineries, il y a de l’ambiance.

L’apparence du blog était jusqu’alors assez tristounette. Nous voulions quelque chose qui colle plus à nos motivations et notre état d’esprit, c’est pourquoi nous avons décidé d’adopter une nouvelle charte graphique (qui, nous l’espérons, vous plaira !).
Nous avons d’ailleurs l’honneur d’accueillir une mascotte que vous pouvez voir près du titre. Cette magnifique baudroie a été dessinée avec talent par Antonin, un jeune dessinateur passionné entre autres par la théorie de l’évolution et les dinosaures. Nous espérons continuer la collaboration avec lui. Vous pouvez en principe jeter un oeil sur ses albums sur facebook ici ou ici.

Si comme tout blog, il a mis un peu de temps à démarrer, nous avons pu dépasser les 1000 visites par mois dès Décembre, probablement grâce à la présence de plus d’auteurs qui permettent de ratisser plus largement la biologie des organismes et ainsi attirer un public plus large. Nous avons jusqu’ici effectivement traité des sujets variés comme la paléontologie, l'écologie théorique, la diversité de certains groupes ou l'écologie d’autres groupes, la systématique théorique, la conservation, etc. Et même si certains articles sont ardus et d’autres moins nous essayons toujours de nous adresser à un large public. Mais c’est surtout avec notre entrée au C@fé des Sciences en Mars que le nombre de visite a quasiment triplé. Nous sommes en tout cas très ravis d’avoir rejoint cette communauté de blogs scientifiques francophones.


Les articles les plus consultés sont :
-Les bactéries sont nos amies. Probablement parce que l’article est vieux et s’approche plus du médical et de la vie quotidienne.
-To be or not to be (alive), that is the (good) question !. Le premier article de Boris, montrant qu’au final les gens s’intéressent aussi aux plantes !
-La phylogénie animale une affaire pleine de rebondissements, comme quoi, on a encore beaucoup de travail pour comprendre l’évolution.
-Quand diversité rime avec homogénéité : le cas des Monocotylédones, parce que vous aimez que Boris vous parle de belles plantes
-Les mystères de la phylogénie... Parce qu’après tout, il faut bien savoir pourquoi les poissons n’existent pas !

Mais ce qui nous a beaucoup amusé ici ce sont les recherches qui ont permis d’accéder à notre blog, en voici un florilège :

- « penis avec nœud » (et on ne va pas vous mettre toutes celles en rapport avec le pénis)
- « assez d'etre pris pour un pigeon », parce que nous aidons aussi les gens qui se sentent mal dans leur peau.
- « Faire fonctionner un bus » mais aussi les conducteurs des transports publics.
- « animaux cochon concombre » recherche coquine ou innocente ? Qui sait ?
- « concombre de mer bisous » parce que certains aiment les bébêtes autant que certains d’entre nous
- « langue en forme de fesse » en voilà une anatomie de la langue intéressante.

Nous avons pour projet de diversifier un peu plus nos articles dans la forme, la taille et le contenu. Puisque nous avons l’occasion d’aller sur le terrain assez fréquemment dans le cadre de nos études, nos stages, nos jobs ou encore nos weeks-end aventuriers nous pensions partager avec vous nos péripéties par le biais de photos et vidéos. Ainsi, ce serait des articles  plus courts, plus accessibles et qui vous donneront envie, vous aussi de sortir et de découvrir toutes ces petites merveilles. 

En tout cas nous avons pris du bon temps ici et nous nous sommes beaucoup amusés à écrire ces articles. Nous espérons que l’aventure continuera pour encore un bout de temps et que vous appréciez autant de nous lire que nous de vous écrire. 



A bientôt pour de nouvelles aventures !
L’équipe du bocal.

mardi 10 avril 2012

Le mystère des conodontes

Les paléontologues sont des gens qui savent souvent faire preuve d'abnégation. Comme par exemple lorsqu'il s'agit d'étudier pendant des décennies des organismes dont on ne connaît ni la nature, ni l'apparence, ni le mode de vie… Prenez les conodontes, par exemple. Ces fossiles, qui ressemblent à des dents (d'où leur nom qui signifie "dents en cône") sont connus depuis le milieu du XIXème siècle. Ils sont minuscules (de l'ordre d'un millimètre), et donc difficiles à étudier. Pourtant, il existe de nombreux conodontologues à travers le monde. Pourquoi ? Eh bien figurez-vous que les conodontes sont d'excellents fossiles stratigraphiques. Cela signifie qu'on les trouve en grande quantité dans certaines roches, à savoir dans les sédiments marins de l'ère Primaire et du Trias.
Quatre types différents de conodontes sur une tête d'épingle (MEB). Source

Pour situer un peu, je rappellerai que l'ère Primaire (ou Paléozoïque) constitue la première portion (la plus longue) de la période où l'on connaît la plupart des fossiles (même si l'histoire de la vie a commencé bien avant le début de cette période, peu de fossiles aussi anciens qui permettraient de la raconter sont connus). Au début de l'ère Primaire, il y a 540 millions d'années, sont probablement apparus la plupart des grands groupes d'animaux actuels, comme les arthropodes, les mollusques ou encore les deutérostomiens ; cette période dite "explosion cambrienne" a été relatée par le grand paléontologue et vulgarisateur de l'évolution Stephen Jay Gould dans son ouvrage La Vie est Belle. Les premiers conodontes connus datent de la fin de cette époque cambrienne, et sont donc vieux de 500 millions d'années.
Un aperçu de la vie animale durant le Cambrien, il y a 500 millions d'années. Les étranges organismes représentés sur cette image constituent les premiers représentants connus de nombreux groupes du vivant. Ils sont connus principalement grâce à des fossiles du Canada et de Chine. Source et légende
Le Trias est la première période de l'ère Secondaire (ou Mésozoïque). Il a commencé il y a 250 millions d'années, s'est terminé il y a 200 millions d'années et a vu apparaître notamment les dinosaures, les mammifères, les crocodiles (du moins leurs proches parents éteints), les requins modernes, les coraux constructeurs de récifs modernes ou encore les diptères (mouches et moustiques)…
La fin du Trias a été marquée par une extinction massive de nombreux groupes d'êtres vivants (il y a eu quatre autres de ces "crises" majeures, dont la plus célèbre et la plus récente a eu lieu à la fin du Crétacé, il y a 65 millions d'années). On ne trouve pas de conodontes dans les terrains plus jeunes, on peut donc supposer que les organismes qui portaient ces conodontes n'ont pas survécu à cette extinction massive.

Pendant ces longs 250 millions d'années d'existence, les organismes qui les portaient ont laissé des fossiles de conodontes partout. Et pendant ce temps, ils ont évolué.  Et vite. Assez vite pour que les spécialistes puissent déterminer, en fonction de la forme de conodonte qu'ils ont trouvé, à quelle époque l'animal correspondant vivait. En somme, les conodontes peuvent être utilisés comme "point de repère" temporel, à chaque période étant associé son (ou ses) forme(s) (on dit aussi "espèces", même si ce ne sont pas des espèces au sens biologique) de conodontes. C'est de là que provient le terme de "fossile stratigraphique" (la
stratigraphie étant la discipline qui étudie la succession des couches géologiques à travers le temps).  Et c'est cette application (parmi d'autres) qui rend les conodontes si utiles à la géologie - les compagnies pétrolières, par exemple, s'en sont beaucoup servi.

Mais voilà, tout ça ne nous dit pas ce que c'est un conodonte. Cette question a été posée dès leur découverte, et n'a pas encore trouvé de réponse définitive. Du fait de ce questionnement et de leur importance, la nature des conodontes fut longtemps l'un des plus grands mystères de la paléontologie. Menons donc l'enquête : que peuvent-ils bien être ? 
Dès leur découverte dans les années 1850 par Christian Pander, une hypothèse a été proposée : les conodontes seraient des dents de "poissons". En effet, ces fossiles sont composés de cristaux de phosphate de calcium, un composé chimique qui n'est pas très répandu chez les êtres vivants. Il compose notamment l'os et les dents des vertébrés. Cela pose cependant deux problèmes : aucune dent de vertébré connue n'a l'apparence d'un conodonte, et aucun conodonte n'avait été trouvé associé à un organisme. Toutes les possibilités d'interprétation restaient donc ouvertes. 
Ainsi, au fil des années, les conodontes ont été assimilés à des os qui soutiennent des branchies de vertébrés, à des mâchoires de "vers" ou de mollusques, à des spicules (sortes de petites épines dans la paroi du corps) d'éponges ou encore d'algues… Presque tous les groupes d'animaux (et même en dehors) y sont passés ! 
Dès le début du XXème siècle, des conodontes de différentes formes ont été retrouvés associés entre eux. Ces "appareils conodontes" (voir image ci-dessous) ont relancé l'hypothèse "dents" ou "mâchoires" (car ils démontraient que les conodontes faisaient partie d'une structure plus large), mais toujours sans organisme entier pour la soutenir. Cet "animal conodonte" est un peu devenu un symbole de la paléontologie : un organisme dont on savait l'existence (puisqu'on connaissait les appareils conodontes), mais sans l'avoir jamais trouvé.

Un "appareil conodonte", c'est-à-dire un ensemble de conodontes de types (ou "espèces") différents que l'on retrouve connectés entre eux. Source : Palaeos

En 1973, on a pensé avoir trouvé l'animal conodonte : l'empreinte fossile d'un organisme allongé du Cambrien, qui possédait des conodontes dans son tube digestif ! Hélas, il fut démontré que cet animal avait plus vraisemblablement mangé celui qui portait les conodontes, d'où la présence de ces derniers dans son estomac. En effet, d'autres restes de divers animaux étaient mélangés aux conodontes, ceux-ci étaient en vrac et non pas arrangés de la même façon que dans les "appareils" qu'on avait déjà trouvé, et certains spécimens du même animal n'avaient pas de conodontes dans leur tube digestif. L'animal porteur de conodontes restait donc inconnu.

Il a fallu attendre…1983 pour que ce Saint-Graal soit découvert. Mais si vous imaginez que les paléontologues l'ont mis à jour dans une contrée lointaine, au terme d'une longue marche et au prix d'un dur labeur, vous serez déçus. L'animal conodonte a été découvert…au fond de la collection d'un musée !

C'est en fouillant dans des tiroirs remplis de plaques de roche provenant d'Ecosse, et vieilles du Carbonifère (entre 350 et 300 millions d'années) qu'Euan Clarkson a observé un étrange animal, allongé, portant à l'avant des conodontes. Bien caché dans son tiroir, à Edinbourg, il n'avait jamais vraiment été remarqué auparavant ! Clarkson publia sa découverte avec deux collègues, dans un article sobrement intitulé "The Conodont Animal"
(voir image et reconstitution ci-dessous). Elle a été par la suite confirmée par la découverte d'autres spécimens similaires. Pouvions-nous donc (enfin) savoir qui étaient les porteurs de conodontes ? Pas si sûr…


L'animal conodonte du Carbonifère d'Ecosse (cliquez pour agrandir). A gauche : photo du spécimen fossile, tirée de la publication originale (Briggs et al. 1983, Lethaia). A droite : schéma interprétatif montrant les différentes structures visibles sur le spécimen, et leur(s) interprétation(s) possible(s).

Là se pose un problème souvent rencontré par les paléontologues. Ils n'ont pas toujours la possibilité d'identifier une structure qu'ils observent, n'ayant que rarement accès à des techniques disponibles sur des espèces actuelles (observation du développement embryonnaire, génétique, structure et composition des tissus…).
Ce qui est sûr, néanmoins, c'est que cet animal conodonte est allongé, symétrique, et n'a pas de membres latéraux. Il n'y a pas d'autres pièces squelettiques dures, à part les conodontes eux-mêmes. Ils sont disposés comme dans les "appareils conodontes" déjà connus, et leur position à l'avant du corps, juste derrière l'emplacement supposé de la bouche, est cohérente avec leur fonction présumée (des mâchoires, des dents ou un appareil portant les branchies) ; tout cela démontre selon les auteurs que les conodontes faisaient bien partie de l'animal (et n'avaient donc pas été ingérés). A l'arrière du corps on observe des sortes de "nageoires" supportées par des rayons. Juste devant les conodontes, probablement au niveau de la tête, deux larges expansions. Le long de l'axe du corps, il y a au moins une structure linéaire. Et des séries de blocs répétés le long du corps, qu'on devine en forme de V. 
Problème : cette description peut correspondre à deux groupes d'animaux, très différents.

Le premier, ce sont les chordés. Cet animal conodonte ressemble en effet furieusement à un céphalochordé, une myxine ou une larve de lamproie. Les nageoires seraient alors de même nature que celles des vertébrés, les expansions à l'avant seraient des yeux (très développés), la ligne horizontale serait la chorde (un caractère qui définit les chordés) ou le tube digestif, et les blocs répétés seraient des blocs musculaires - ou myomères. Pour rappel, ces blocs musculaires sont propres aux chordés : on les trouve chez les céphalochordés et chez les vertébrés. On les voit bien dans les "filets", de saumon par exemple (voir ci-dessous). Pour plus d'informations sur les caractères des chordés et des vertébrés, vous pouvez aller voir nos articles ici et ici.

Des exemples de chordés. L'amphioxus Branchiostoma lanceolatum : notez les blocs musculaires en forme de V et la chorde (ligne plus claire le long du corps qui se prolonge à l'avant). En bas à droite : de la chair de saumon montrant les blocs musculaires (en rose) séparés par des myoseptes (en blanc). Sources : ici et ici

L'autre possibilité, ce sont les chétognathes. C'est un groupe mal connu de "vers" (terme qui ne veut rien dire, soit dit en passant : les "vers" en tant que groupe n'existent pas !) marins nageurs. Eux-mêmes, on ne sait pas les classer : les phylogénies basées sur l'ADN les rapprochent des protostomiens, qui incluent les mollusques, les arthropodes et les annélides, alors que leur développement embryonnaire est identique à celui des deutérostomiens, dont on a déjà parlé. On sait (par des fossiles très bien conservés venus de Chine) qu'ils existent au moins depuis le Cambrien.
Les chétognathes (voir ci-dessous) sont de forme allongée, transparents, ont des "nageoires" sur les côtés, un capuchon à l'avant (qui pourrait correspondre aux expansions de notre animal conodonte ?), la ligne longitudinale pourrait être le tube digestif… Restent les séries d'éléments en V, inexpliqués par cette hypothèse car les chétognathes ne sont pas segmentés.

En haut : vue générale du chétognathe Sagitta gazellae. Notez les "nageoires". En bas : zoom (MEB) sur la région de la tête d'un chétognathe. On distingue bien les "mâchoires" sur le côté, et le capuchon autour. La bouche est au milieu. Sources : ici et ici

Mais que faire des conodontes eux-mêmes ? Les chétognathes ont bien des sortes de "mâchoires" fines et recourbées (d'où leur nom, qui signifie "mâchoires en forme de cils"), qui font penser à certains conodontes (voir ci-dessus). Mais elles sont en chitine, un tissu non-minéralisé que l'on retrouve dans la carapace des insectes et autres arthropodes par exemple. A l'inverse, les conodontes sont en phosphate de calcium, un minéral que l'on retrouve, on l'a vu, chez les vertébrés, et notamment dans leurs dents !

Le mystère serait-il entièrement résolu ? C'est le cas pour beaucoup de spécialistes, qui pensent que ces caractères démontrent plutôt que les porteurs de conodontes sont bien des chordés, voire carrément des vertébrés sans mâchoires. C'est ce parti qui a été pris dans la jolie reconstitution ci-dessous :

Reconstitution d'un animal conodonte, interprété selon l'hypothèse qu'il s'agit d'un vertébré. Dessin de Livia Bascher.

Mais cela n'exclut pas quelques problèmes. On a vu que les structures pouvaient être interprétées différemment. Et ici, l'analyse phylogénétique des caractères n'est pas d'un grand recours, puisque le résultat dépendra de la façon dont les observations ont été interprétées, et donc codées dans l'analyse sous la forme de caractères. C'est l'anguille qui se mord la nageoire caudale !
Si l'animal conodonte est un vertébré, cela ne résout d'ailleurs pas tout. Les conodontes ressemblent à des dents, mais celles-ci sont en principe apparues chez les gnathostomes (ou un de leurs proches parents, selon des recherches récentes), un groupe défini par la possession de nombreux caractères que l'animal conodonte n'a pas : il lui manque les mâchoires, mais aussi la présence d'ossifications, et les nageoires paires ; caractères qui apparaissent chez des vertébrés non-gnathostomes sans mâchoires ni dents (pour mieux comprendre, vous pouvez vous référer à l'arbre phylogénétique en fin de mon article précédent). Il faudrait donc imaginer que l'animal conodonte a perdu tous ces caractères, ou (plus probable) que les conodontes et les dents soient apparus indépendamment, dans deux lignées différentes. 
Sur la base de ces doutes, certains militent pour l'hypothèse que l'animal conodonte fasse partie d'un groupe à part au sein des chordés, voire carrément en dehors. Un point de vue que tous ne partagent pas, d'autant plus que pour avoir des financements de recherche, il vaut mieux dire qu'on étudie des vertébrés plutôt que des "vers" marins…

Malgré ces débats apparemment sans fin, les paléontologues ne se découragent pas. Avec toujours autant d'abnégation, ils continuent pour la plupart d'entre eux d'utiliser les conodontes pour dater les roches, comme si de rien n'était. Les autres essayent de reconstituer l'animal qui les portait, et de lui donner une place dans l'arbre métaphorique de l'évolution, en se disant que les mystères comme celui-là font tout le sel de leur métier…


Quelques références : 
  • L'histoire du mystère des conodontes a aussi été racontée par l'incontournable Stephen Jay Gould dans un court essai. On peut le trouver dans le recueil Le Sourire du Flamant Rose. D'ailleurs même si ce n'est pas pour lire cet essai, je ne saurai que vous conseiller chaudement de lire un recueil (n'importe lequel) de Stephen Jay Gould ! Incontournable vous dis-je !
  •  Une page de l'University College de Londres (ici) et une autre tenue par un amateur (ici), avec des images montrant la diversité potentielle des conodontes, et des exemples d'applications.


mercredi 30 novembre 2011

A History of Fish 1 : Sans mâchoires y a de l'espoir !

Ce blog s'appelle "les poissons n'existent pas". Il est grand temps pour moi de vous parler de poissons, ou plutôt de pourquoi ils n'existent pas. D'abord, voyons quels organismes on qualifie de "poissons".
Parler de "poissons", c'est parler de vertébrés. Qu'est-ce qu'un vertébré ? Un animal avec des vertèbres ? Malheureusement, c'est plus compliqué que ça ! 
Dressons le portrait-robot du "vertébré-cliché", l'animal qui concentre toutes les caractéristiques qu'on associerait à première vue à ce groupe :

Cliquez pour agrandir

Un animal au corps allongé,  à symétrie bilatérale (un côté gauche et un côté droit, si vous préférez), avec des membres pairs (un de chaque côté). Il aura aussi éventuellement des appendices impairs (c’est-à-dire un seul pour les deux côtés) : pensez aux ailerons des requins, par exemple. Il aura une queue, une bouche à l'avant, entourée de mâchoires, un anus à l'arrière, deux yeux, deux capsules nasales et deux capsules auditives. A l'intérieur, on aura un cerveau prolongé par la moelle épinière dorsale, un cœur ventral et enfin un squelette interne dont un crâne qui entoura la tête. Ce squelette est constitué de carbonate de calcium, donc mangez du yaourt, les kids !
Ah oui, et j'ai oublié les fentes branchiales à l'arrière de la tête.
Comment ça "moi je suis un vertébré et j'ai pas de branchies" ? Certes, mais à l'âge adulte ! Chez les embryons de tétrapodes (les vertébrés terrestres, nous y compris), les fentes branchiales sont bien présentes avant de se résorber chez l'adulte. Et puis en ce qui concerne leurs structures associées, les arcs branchiaux… on en reparlera plus tard.

Finalement, ce vertébré "idéal" ressemble pas mal à un poisson… Vous voyez, quand je vous disais que parler des poissons c'est parler des vertébrés en général ! Et si on fait abstraction de certains caractères particuliers que nous avons, nous aussi ressemblons pas mal à ça ! Mais on y reviendra.
Bon, maintenant allons voir plus loin que ce "plan" idéal. En réalité, tous les vertébrés ne possèdent pas tous ces caractères, loin de là. En fait, les nouvelles classifications impliquent que tous les vertébrés n'ont même pas…de vertèbres !

Si vous voulez un caractère qui permet de reconnaître à coup sûr un vertébré, le voici : les vertébrés ont des cellules de la crête neurale. Ces cellules, qui vont se séparer de la paroi dorsale de l'embryon pendant son développement (celle qui deviendra le système nerveux), sont à l'origine de tout un tas de structures propres aux vertébrés : les os de la face, les dents, la gaine qui entoure les neurones, les cellules pigmentaires… Pour l'instant on ne connaît des cellules de la crête neurale que chez les vertébrés.
Les vertébrés ont également des placodes, des zones épaissies sur les côtés de la tête de l'embryon. Elles donnent nombre de structures sensorielles elles aussi propres aux vertébrés : le cristallin de l'œil, la couche de cellules sensorielles présentes dans les narines et les oreilles, et le système de ligne latérale, des cellules qui détectent les mouvements d'eau chez les vertébrés aquatiques.
Enfin, tous les vertébrés connus ont également un crâne qui entoure le  cerveau. Ce crâne, selon les groupes, peut être constitué d'os ou de cartilage (ce même cartilage qui est présent chez nous, par exemple aux articulations, au bout du nez, dans les oreilles…).


Les vertébrés ont une longue histoire. Les plus anciens connus remontent au Cambrien, il y a environ 530 millions d'années. Le Cambrien est la période pendant laquelle on observe les premiers fossiles de la plupart des grands groupes d'animaux, les arthropodes (comme les insectes et les araignées) et les mollusques (dont on a déjà parlé) par exemple.
  
Haikouichthys. Crédits : Wikipédia© 2003 Nature© 1999 Nature

Haikouichthys (voir ci-dessus) est le premier vertébré connu. Il provient de Chine, de l'écosystème dit de Chengjiang, qui nous a livré de magnifiques fossiles de toutes sortes d'animaux tous plus fous les uns que les autres. Malheureusement, ils sont tout aplatis, ce qui ne facilite pas l'observation de l'anatomie.
A première vue, Haikouichthys ressemble pas mal à un céphalochordé, qui n'est pas un vertébré (c'est quoi déjà un céphalochordé ?). Mais dans sa tête, les chercheurs ont observé des taches paires, qui pourraient bien être des yeux, des cavités nasales, et des capsules auditives. L'association de ces trois éléments fait bien penser à un vertébré. Pour couronner le tout, des petites taches en série le long du dos de l'animal font furieusement penser à des vertèbres. Comme ces marques ont été observées dans des centaines de spécimens, on considère qu'elles correspondent bien à des structures réelles de l'animal.

Mais Haikouichthys n'avait encore pas tout du vertébré idéal, loin de là ! C'était un animal tout mou, sans os, et il n'avait ni nageoires paires, ni mâchoires…
Parlons-en des mâchoires justement. Figurez-vous que même  aujourd'hui certains vertébrés n'en ont pas ! Ce sont les lamproies et les myxines.


Lamproie marine (Petromyzon marinus). Crédits : ARKive

Voici la lamproie. Comme vous pouvez le voir c'est un animal allongé, sans nageoires paires, mou, et sans écailles. Son squelette interne est entièrement cartilagineux. Elle est peut-être familière à certains d'entre vous : les espèces européennes, si elles vivent en mer, se reproduisent en eau douce (comme les saumons). On parle d'espèce anadrome. En plus, il paraît que c'est très bon à manger !

Lamproie de rivière (Lampetra fluviatilis). Crédits : ARKive

Ce qu'elle aime, la lamproie, c'est parasiter d'autres "poissons" en se collant à eux (voir ci-dessus) et en leur suçant le sang à l'aide de sa bouche que voici :


La bouche-ventouse d'une lamproie marine (Wikipédia)

Une sorte de ventouse ronde, plein de petites dents et une structure en forme de piston (au milieu), qui va râper les chairs, mmmh !

Autour de cette bouche, il n'y a pas de mâchoires, juste un anneau de cartilage.
A noter que les larves des lamproies (appelées ammocètes) se nourrissent de manière très similaire aux céphalochordés (c'est quoi déjà un céphalochordé ?) : elles filtrent l'eau avec les fentes de leurs pharynx.

La lamproie est étrange, mais pas autant que la myxine, dont voici l'adorable frimousse : 

La bouche de la myxine Myxine glutinosa (crédits).

Ne vous laissez pas prendre par les apparences : les rangées de dents qu'on voit ne sont pas des mâchoires, mais bien une "langue-piston" similaire à celle des lamproies. Leurs yeux ne sont pas visibles car ils sont couverts par une couche de peau et de muscles.
Les myxines vivent plutôt dans les profondeurs marines. Elles restent enfouies dans la vase pendant la journée, et sortent la nuit, pour chasser ou se nourrir des cadavres qui tombent au fond (comme les baleines par exemple). Vous pouvez voir ci-dessous une carcasse de baleine filmée à différentes étapes de sa décomposition. Toutes les petites bêtes qui ondulent au début sont des myxines ! A noter qu'on y voit aussi des vers polychètes du genre Osedax, que l'on trouve uniquement fixés dans les os des baleines mortes. Ces vers font partie de la famille des Siboglinidae, dont on a déjà parlé ici



Les myxines ont aussi l'amusante particularité de produire un mucus (une sécrétion visqueuse) en grande quantité quand on les dérange. Regardez (ci-dessous) la quantité impressionnante de mucus que cette myxine produit !



Ce mucus a un rôle de défense contre les prédateurs, comme on peut le voir sur cette série de vidéos filmées en profondeur :  




Les prédateurs qui essayent de boulotter ces myxines repartent sans demander leur reste, la bouche pleine de mucus ! (Regardez aussi, vers 2:50, la myxine faire un nœud avec l'arrière de son corps pour s'enfoncer dans le sédiment et attraper une proie).
Il paraît que dans certaines régions d'Asie de l'est, le mucus des myxines est consommé en cuisine, un peu comme du blanc d'œuf…

Nous l'avons vu, les myxines n'ont pas de mâchoires. Mais elles n'auraient pas non plus de vertèbres, étonnant pour un organisme que l'on classe dans un groupe nommé "vertébrés" ! Par contre, les lamproies ont des petites vertèbres rudimentaires et cartilagineuses. De la même façon, les myxines sont les seuls vertébrés à ne pas avoir de nerf qui contrôle les battements du cœur. Cette anatomie a longtemps fait penser à une plus grande parenté des lamproies avec les autres vertébrés (qui ont tous des vertèbres, eux) qu'avec les myxines. Aujourd'hui, les analyses génétiques semblent au contraire démontrer que les lamproies et les myxines forment un groupe monophylétique (ça veut dire quoi, "monophylétique" ?) : les cyclostomes. Ce groupe serait caractérisé par cette structure particulière que j'ai appelée "langue-piston", et par certaines séquences d'ADN bien particulières… Les myxines auraient perdu certains caractères au cours de l'évolution, comme le contrôle nerveux du cœur ou les vertèbres. Des études récentes sur des embryons de myxines ont d'ailleurs mis en évidence la présence de petites structures qui seraient les restes de ces vertèbres perdues… Aussi étonnant que ça semble paraître, les myxines semblent donc être des vertébrés très modifiés, par la perte de tout un tas de structures. Cela n'est pas sans rappeler les Acoelomorpha et Xenoturbella, dont on a déjà parlé, avec leur morphologie très modifiée.

Avec les lamproies et les myxines, on a donc des vertébrés sans os, sans mâchoires et sans membres pairs. Diantre ! Tous ces caractères seraient donc apparus au fur et à mesure au cours de l'évolution ? Ou alors ils ont été perdus chez les lamproies et les myxines ? Les fossiles peuvent nous éclairer à ce sujet.

Sacabambaspis. En haut, le fossile découvert en Bolivie. En bas, une reconstitution. Crédits : P. Janvier, Tree of Life

Voici Sacabambaspis (ci-dessus). C'est un vertébré fossile de l'Ordovicien (il y a environ 450 millions d'années), découvert en Bolivie par une équipe du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris. A l'avant, on peut voir sa bouche, entourée par les yeux. Lui non plus n'a pas de membres pairs, ni de mâchoires. Mais il a un truc en plus par rapport aux lamproies et aux myxines : un énorme bouclier osseux qui couvre tout l'avant du corps. De l'os, comme chez la plupart des vertébrés actuels ! Cette petite bête pourrait donc plus proche de nous, les vertébrés osseux, que des lamproies et des myxines, car nous partageons le caractère "squelette constitué d'os".
Pour qualifier l'ensemble de ces "poissons" sans mâchoires avec un bouclier à l'avant du corps, on a forgé un nom : "ostracodermes", ce qui veut dire " coquille sur la peau". Les ostracodermes ont eu une histoire florissante, et on retrouve leurs fossiles en grande quantité dans les gisements de l'Ordovicien, du Silurien et du Dévonien (ce qui constitue quand même un "règne" de plus de 100 millions d'années !).

En haut reconstitution de divers "ostracodermes" du groupe des ostéostracés. Zenaspis est en bas à gauche. En bas, le fossile de Zenaspis. Crédits : Philippe Janvier, Tree of Life

 Voici Zenaspis (ci-dessus), un autre "ostracoderme", du Dévonien cette fois (à peu près 400 millions d'années). Sur la reconstitution (en haut, individu en bas à gauche), on peut voir que lui aussi a un bouclier à l'avant du corps (cette fois-ci constitué d'une seule plaque). Sa bouche (non visible car elle est ventrale) n'a pas de mâchoires : c'est juste un orifice dans le bouclier osseux. Mais regardez bien, à l'arrière du bouclier : on voit deux petites nageoires en forme de lobe. Des nageoires paires, les nageoires pectorales. Vous aussi vous avez des "nageoires pectorales" : vos deux bras !
Les "ostracodermes" du groupe des ostéostracés, comme Zenaspis, seraient donc plus proches de nous que de toutes les autres bestioles que l'on a vues jusqu'à présent ! Finalement, pour en arriver au "poisson" idéal du début à partir de Zenaspis, il ne manque plus grand-chose, dont des mâchoires ! Celles-ci sont propres au clade des gnathostomes, les vertébrés à mâchoires, dont je vous reparlerai dans un prochain article.

Les fossiles que l'on vient de voir nous démontrent une chose : à part certaines pertes de caractères qui ont eu lieu chez les myxines, leur anatomie à elles et aux lamproies est bien due à une absence ancestrale. En d'autres termes, l'os et les membres pairs sont apparus une seule fois : au sein de la lignée qui comprend les gnathostomes et les "ostracodermes". Les fossiles nous montrent des organismes qui présentent des combinaisons de caractères que l'on ne voit pas dans la nature actuelle. Ils sont donc très importants pour reconstituer l'évolution de ces caractères.

Avant de partir quand même, un petit arbre récapitulatif (eh oui, on aime bien les arbres ici !) :


Les caractères qui apparaissent aux nœuds sont : 1) crête neurale ; placodes épidermiques ; crâne ; vertèbres ; 2) "langue-piston" ; 3) os dermique ; système de canaux sensoriels de la ligne latérale ; 4) nageoires pectorales ; nageoire caudale avec un lobe dorsal. Les myxines sont caractérisées par une perte des vertèbres. Les gnathostomes sont caractérisés par la présence de mâchoires.


Les lecteurs les plus attentifs l'auront remarqué : certains de ces "poissons" sans mâchoires "ostéostracés" sont plus proches des gnathostomes (les vertébrés à mâchoires, c’est-à-dire nous) que d'autres "poissons" sans mâchoires "ostéostracés". Les "ostéostracés" sont donc un groupe paraphylétique, un groupe qui n'existe pas en systématique moderne (comme nous l'avons déjà expliqué ici). Mais surtout, les "ostéostracés", les lamproies et les myxines sont tous des "poissons" au sens traditionnel du terme. La conclusion est donc la même pour les "poissons". Vous commencez à comprendre le titre de ce blog ? Ah, mais ce n'est pas fini ! La suite au prochain numéro !


Quelques liens vers des articles scientifiques sur le sujet :
  • L'article qui soutient la présence de vertèbres chez les embryons de myxines : par ici
  • Article de P. Janvier (CNRS) sur la monophylie des cyclostomes : par là 
  • Article de P. Janvier sur l'évolution des "poissons" sans mâchoires : hop ! 



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