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lundi 26 novembre 2012

Voyage sous les Tropiques : à la découverte des Palmiers


Par ce temps froid et venteux (l'automne se termine et l'hiver commence à pointer le bout de son nez), il est bon de penser à des lieux ensoleillés synonymes de vacances. C'est pour cela que j'aimerais vous parler de plantes associées aux paysages de cartes postales : les Palmiers.

Dans un précédent article, j’avais évoqué l’existence de cette grande famille de plantes à fleurs assez originale, les Palmiers, appelés aussi Arecaceae. C’est la seule famille présente dans l’ordre des Arecales, elle-même présente dans le groupe des Commelinids au sein des Monocotylédones (voir article précédent). Ça, c’était pour l’aspect classification et phylogénie. Intéressons nous à présent aux particularités de cette famille.
La famille des Palmiers regroupe à l’heure actuelle environ 2400 espèces, réparties dans 183 genres (Dransfield et al. 2008). Toutes ces espèces, sauf exceptions, se retrouvent au niveau de la zone tropicale à la surface de la Terre.

Carte de la répartition mondiale des espèces de Palmiers. Source : Dransfield et al. 2008

Il est intéressant de noter que lorsqu’on voit un Palmier, eh bien… On le reconnait au premier coup d’œil. N’importe quel enfant inscrit à l’école primaire dessinera, si on lui demande de représenter une île déserte, quelque chose d’approchant :

Trois vaguelettes, un soleil, un monticule de sable... et un Palmier : c'est  la représentation classique d'un île déserte [source]

Et du même coup, on se rend compte que l’imagerie du Palmier est connue depuis notre plus tendre enfance. Mais si c’est une chose de représenter un Palmier en trois coups de crayon, c’en est une autre de savoir ce qui se cache derrière ces feuilles vertes qui protègent le naufragé des rayons du soleil.
Savez vous en effet que les Palmiers ne sont pas des arbres ? Eh oui, ils ne possèdent pas de tronc à proprement parler ! Mais alors, comment est-il possible que ces plantes mesurent parfois plusieurs mètres de haut et soit dures comme du bois… sans en être réellement ?

Reprenons les choses depuis le début. La croissance des plantes est initiée (dans un premier temps) aux extrémités de l’individu. En particulier, on appelle les zones de croissance des méristèmes. On trouve ces méristèmes au niveau des tiges (méristèmes caulinaires) et au niveau des racines (méristèmes racinaires). Ces zones sont ce que l’on appelle communément les bourgeons.
Schéma d'une plante avec la localisation des méristèmes. Modifié d'après [source]

Oui mais voilà, si on s’arrêtait là, tout serait bien trop simple. Certaines plantes possèdent deux types de méristèmes : primaires et secondaires. Tandis que les méristèmes primaires permettent la croissance en longueur de la plante et sont présents au tout début de sa croissance, à l’intérieur même de la graine, les méristèmes secondaires se mettent en place… secondairement, et permettent la croissance en épaisseur de la plante. Ces méristèmes sont appelés cambium (ou Assise Génératrice Libéro-Ligneuse) et phellogène (ou Assise Génératrice Subéro-Phellodermique).

Schéma d'une coupe dans un tronc, montrant les différentes couches produites par le cambium et le phellogène. Les flèches verticales montrent les zones de croissance cellulaire en épaisseur. [Source]

D’après la figure précédente, on peut voir que le tronc d’un arbre est constitué de plusieurs couches successives. Si on regarde en commençant par la partie visible de l’arbre, à l’extérieur, la première couche rencontrée est l’écorce. Cette couche imperméable et protectrice est constituée par le liège, ou suber, qui est produit par le phellogène (ou AGSP, voir plus haut) qui est donc le premier méristème secondaire rencontré chez un arbre, en partant de l’extérieur. A titre d’information, les bouchons de bouteille sont faits en liège, qui est en réalité l’écorce des Chênes Quercus suber, récoltée annuellement. Ce matériau est utilisé pour cet usage du fait de sa grande imperméabilité.
Si on avance vers l’intérieur du tronc, on tombe sur le phelloderme, une mince couche cellulaire produite elle aussi par le phellogène. Cette couche fait partie de l’écorce mais reste généralement sans rôle particulier.
La couche suivante est le liber, aussi appelé phloème secondaire : c’est un tissus qui conduit la sève élaborée, riche en sucres, depuis les feuilles vers les racines. Il est produit par le cambium (ou AGLL, voir plus haut), le second méristème secondaire, vers l’extérieur de la plante.
La couche suivante est l’aubier : c’est la partie vivante du bois. Il s’agit du xylème secondaire, également produit par le cambium vers l’intérieur de la plante. Il sert à conduire la sève brute, constituée essentiellement d’eau et de sels minéraux, depuis les racines jusqu’aux feuilles. Par la suite, les cellules de l’aubier vont se remplir de lignine et subir ce que l’on nomme la duraminisation : on obtiendra ainsi le bois de cœur, encore appelé duramen.

Coupe transversale schématique d'un tronc. Notez qu'ici, l'écorce rassemble le suber, le phellogène et le phelloderme. [Source] 

La production de bois permet, à postériori, la formation d’un tronc, suite à la rigidification des tissus végétaux. Evolutivement, la présence du tronc peut s’expliquer par une constante compétition par les plantes au niveau de l’occupation du volume par les structures photosynthétiques  : la présence d’un « squelette » constitué par le tronc permet à la plante de déployer ses feuilles dans toutes les directions et ainsi de maximiser leur exposition à la lumière. Vous imaginez bien qu’avoir un étagement des feuilles permet d’augmenter la surface photosynthétique pour une même surface au sol… C’est un peu comme avec nos immeubles : on garde la même surface au sol qu’une maison d’un étage, mais on empile des appartements, donc tout le monde au final a plus de place pour vivre.
L’augmentation de la taille à l’aide d’un tronc permet également d’accroitre la capacité de dispersion des fruits et des graines. C’est logique : lancez une balle depuis le pied d’un arbre et depuis sa cime et vous verrez qu’elle parcourra plus de distance si vous vous situez au sommet de l’arbre.
  
Tout ça c’est bien joli, mais… les Palmiers n’ont pas de tronc à proprement parler. En effet, une des particularités des Monocotylédones (voir article précédent) est d’avoir perdu secondairement, au cours de l’évolution, la capacité de former des structures secondaires. Ces plantes ne possèdent tout simplement pas de méristème secondaire ! Comment est-il possible, dans ce cas, que les Palmiers soient des plantes dont la taille dépasse aisément plusieurs mètres ?
Eh bien, ces plantes possèdent d’autres structures qui leurs permettent aussi de se hisser vers la lumière. La partie analogue à un tronc d’arbre chez un palmier s’appelle un stipe, et c’est ce stipe qui permet d’étendre la couronne de feuille au soleil, loin au dessus du sol.
Ce stipe est constitué d’un grand nombre de fibres, rigidifiées par la lignine (toujours elle). Dans un stipe, on trouve un très grand nombre de fibres conductrices de sève, associées souvent avec un ensemble de fibres de soutien.

Détail d'une fibre conductrice associée à une fibre de soutien (en coupe transversale). En noir, les fibres de soutien ; en pointillés, le phloème ; en blanc (mx et px), du xylème ; en hachuré, du parenchyme (c'est un tissus de soutien). Il n'y a pas de tissus secondaires. Source : Thomas & De Franceschi 2012
Voici les fibres, replacées dans le contexte entier du stipe (à g., extérieur, à dr., intérieur), pour les deux types d'organisation chez les Palmiers (Thomas & De Franceschi 2012)

Bien qu’il n’existe pas de croissance secondaire à proprement parler chez les Palmiers, l’accumulation et l’agrégation des fibres enchevêtrées entre elles permet au stipe d’augmenter petit à petit en épaisseur (surtout au niveau de la base), ce qui confère au Palmier dans son entier sa stabilité et sa solidité.
D’un point de vue de la croissance, comme je l’ai dit plus haut, les Palmiers n’ont pas de méristèmes secondaires donc pas de croissance secondaire à proprement parler : un seul méristème initie la croissance de la plante, d’où la présence d’une couronne de feuille unique au sommet et l’absence de branches. Chaque année, les feuilles de l’année précédentes meurent et le Palmier initie la croissance de nouvelles feuilles juste au dessus des anciennes. On pourrait dire ainsi qu’un Palmier est le résultat d’un emboitement successif de feuilles, année après année. Mais on ne peut pas parler de vrai tronc car il n’y a pas d’accroissement en largeur, suite à l’absence de méristèmes secondaires.

Différentes coupes transversales de stipes de Palmiers, mettant en évidence les fibres vasculaires. [Source]


Mais il ne faut pas croire que les Palmiers sont tous pareils : c’est une famille de plantes à fleurs où l’on trouve une diversité de formes, de tailles, de couleurs impressionnantes. Ainsi, si la plupart des Palmiers possèdent des stipes « conventionnels », on trouve des Palmiers rampants et grimpants. Si certains Palmiers peuvent atteindre 15 mètres, d’autres sont nains et ne dépasseront jamais un mètre de hauteur.

Calamus nabariensis, détail du stipe (à g.) et Calamus longipina, vue d'ensemble (à dr.) : deux Palmiers grimpants. [Source]


Chamaerops humilis (à g.) et Actinorhytis calapparia (à dr.) : notez la différence de taille... [Source]

Certains Palmiers ont des stipes à épines alors que d’autres possèdent un stipe complètement lisse ou bien fibreux.
Calamus wailong (à g.) et Howea forsteriana (à dr.). Notez les stipes épineux à divers degrés du Calamus et celui parfaitement lisse du Howea. [Source]

Mais le plus impressionnant à mon sens reste le Coco-Fesse (nom commun du Lodoicea maldivica), qui possède un fruit en forme de… bin, je vais pas vous faire un dessin, qui peut peser jusqu’à 25 kilos !

Fruit de Lodoicea maldivica, avant (à g.) et pendant (à dr.) la germination. [Source]

Les fruits du Cocotier Cocos nucifera (les noix de Cocos) sont également capables de prouesses au niveau de la capacité de germination : on les retrouve parfois à des milliers de kilomètres de distance de leur point de départ, portés par l’océan. S’ils échouent sur une plage tropicale, ils sont capables de germer très rapidement et de prendre racine sur le rivage.
Une noix de Coco germe après avoir été transportée par la mer. [Source]

Chez les Palmiers, on trouve aussi une grande diversité de feuilles, bien qu’elles soient toutes construites sur le même modèle de base : lors de leur formation, elles sont repliées comme un pliage d’origami, puis elles se déplient pour prendre leur forme définitive. On distingue souvent deux grands types de feuilles, parmi lesquels on trouve toutes sortes de variations morphologiques : il s’agit des feuilles pennées (comme des plumes) ou palmées (comme une main).

Areca vestiaria (à g.) possède des feuilles pennées, tandis que Serenoa repens (à dr.) possède des feuilles palmées. [Source]

Pour conclure, je dirais qu’au sein du règne végétal, il ne faut pas se fier aux apparences… et que même s’ils en ont l’air, les Palmiers ne sont pas des arbres et recèlent une diversité insoupçonnée au premier regard.

Bibliographie 

Dransfield et al. 2008. Genera Palmarum. Royal Botanic Garden, Kew

Thomas R & De Franceschi D. 2012. First evidence of fossil Cryosophileae (Arecaceae) outside the Americas (early Oligocene and late Miocene of France): Anatomy, palaeobiogeography and evolutionary implications. Review of Palaeobotany and Palynology. 171:27-39

Pour les photo, l'immense ressource d'Internet en général et le site http://palmweb.org/ en particulier.

jeudi 16 février 2012

A table !!! Ou quand parfois, ce sont les plantes qui mangent les animaux...

Petite introduction

Aujourd'hui nous allons parler des... plantes carnivores. Ahaha ! me diras tu, cher lecteur, chère lectrice, enfin des plantes qui bougent, qui chassent, qui dévorent des animaux ! Des plantes qui font autre chose que rester sans rien faire à se dorer la pilule au soleil toute la journée pour photo-synthétiser...
Que nenni, Petit Scarabée !

Tout d'abord, il faut se sortir de la tête toutes ces élucubrations et autres histoires à dormir debout à propos des plantes carnivores. Non, une plante carnivore ne peut pas manger un être humain... et encore moins un mammouth !
Ceci est un mammouth. Dans une plante carnivore. Si si...
d'après le film : Ice Age : Dawn of the Dinosaurs

Bien longtemps pourtant, on a considéré les plantes carnivores comme de véritables dévoreuses de chair animale. Pour preuve, le récit d’un certain Carl Liche, publié en 1881 et reprit à l’époque par de nombreux journaux. Cet explorateur relate une de ses aventures : à Madagascar, guidé par la tribu des Mkodo, il se retrouve nez à nez avec un arbre anthropophage. James W. Buel publie en 1887 Sea and Land dans lequel il rapporte le témoignage de nombreux voyageurs « de confiance » ayant aperçu une plante carnivore de grande taille en Afrique Centrale et en Amérique du Sud (deux zones de forêts denses), la Ya-te-veo (traduit littéralement par « Je te vois ») qui « ne se contente pas seulement des myriades d’insectes de grandes tailles qu’elle attrape et consomme, mais sa voracité atteint le point de faire des humains ses proies ». En 1927, Chase Osborn reprend le récit de Liche dans son livre "Madagascar, Terre de l'arbre anthropophage". Ce n’est qu’en 1955 que la supercherie du récit de Carl Liche est révélée (ainsi d'ailleurs  que l'existence factice de Carl Liche)(Chase et al., 2009).

La plante "Ya-te-veo", illustration de J.W. Buel, 1887
Source : wikipedia.org 
On pourrait se dire qu'avec le temps, toutes ces histoires auraient pu être considérées comme de simples fables et oubliées... Néanmoins, le mythe de la plante carnivore et/ou anthropophage reste vivace dans la culture occidentale, que ce soit dans les livres (Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter...)les bandes dessinées (Batman, Hulk, Tarzan), les films (La petite boutique des horreurs en 1960, Jumanji en 1995, Les Ruines en 2008...) ou les jeux vidéos (Super Mario, Pokemon).

Quelques exemples des plantes carnivores imaginaires obtenues par certains auteurs après avoir consommé des substances pas très légales... tu reconnaîtras, chère lectrice, chère lecteur, un Pokémon, un personnage de la série Batman, et des petits sorciers bien connus... ou bien encore des fonds d'écran à ne plus savoir qu'en faire !

Mais revenons à nos moutons. Enfin, à nos plantes carnivores réelles... car, oui, toutes ces histoires de plantes mangeuses d'hommes ont bien un fond de vérité : il existe des plantes qui sont capables de consommer de la matière animale pour assurer leur croissance.
Dès 1860, Charles Darwin (et oui, encore lui !) étudie les plantes du genre Dionaea, Drosera et Utricularia et publie ses résultats dans l'ouvrage Insectivorous plants en 1875... Même si, à l'époque, ses conclusions ne font pas l'unanimité car elles vont à l'encontre de certaines croyances religieuses (voyons, les plantes ne mangent pas les animaux, tout le monde sait ça, c'est contre nature !), cet ouvrage est l'un des premiers consacré exclusivement à ces plantes si particulières. 

Mais au fait, c'est quoi une plante carnivore exactement ?

La définition d'une plante carnivore semble évidente, me diras-tu cher lecteur/chère lectrice. C'est une plante qui mange des animaux ! Ha mais oui bien sûûûûûûr. Où avais-je la tête ? Pas sur les épaules en tout cas...
Oui, parce vous me la trouverez, la bouche de la plante...
Alors, comment caractérise-t-on une plante carnivore ?

Thomas J. Givnish propose la définition suivante : une plante est dite carnivore si, et seulement si, elle possède un ensemble de caractères et de processus physiologiques qui lui permette d’attirer, de piéger et/ou de digérer des proies, mais également de récupérer les éléments nutritifs de ces proies, le tout ayant un effet sur sa capacité photosynthétique (Givnish et al., 1984; Juniper et al., 1989).
Quand on imagine une plante carnivore, on pense en premier lieu aux plantes typiques présentes dans les genres Nepenthes, Drosera ou même Dionae.
Il faut savoir que ces plantes, bien qu'elles possèdent des morphologies différentes, fonctionnent de la même manière : elles attirent, piègent et digèrent les insectes qui s'approchent un peu trop près...

La digestion des insectes est effectuée grâce à des enzymes protéolytiques (c'est à dire, qui lysent, fractionnent les protéines en plus petits éléments assimilables par la plante à travers ses parois cellulaires).
C'est cette caractéristique - la digestion - qui engendre pas mal de polémiques autour d'une définition claire et précise de la carnivorie végétale.
Ainsi, toutes les plantes considérées actuellement comme carnivores ne répondent pas entièrement à cette définition. En effet, certains auteurs introduisent la notion de "précarnivorie" et de "protocarnivorie".
Pour Juniper et al. (1989), une plante qui attire, qui capture et qui assimile les éléments nutritifs de sa proie, mais qui ne sécrète pas d’enzymes digestives (et dont la digestion repose donc sur une décomposition réalisée par des commensaux ou des bactéries) tombe sous un statut de « précarnivorie ». Non seulement elle n’est pas carnivore, mais l’appellation « précarnivore » sous entend une idée gradiste de l’évolution, c'est-à-dire un concept selon lequel certains organismes actuels sont « plus évolués » que d’autres organismes (actuels eux aussi) et que ces organismes « plus évolués » descendent des organismes « moins évolués ».
Pour Givnish et al. (1989), la protocarnivorie se définit par la possession de caractères permettant l’attraction, la capture ou la digestion d’une proie, mais dont ce n’est pas la fonction primaire et dont l’allocation d’énergie n’est pas dévouée à la carnivorie. Prenons l'exemple des plantes incluses dans le genre Nicotiana (c'est le genre où se situe N. tabacum, plus connu sous le nom de... tabac) : certaines d'entre elles sécrètent des mucilages (= une sorte de glu, de colle...) pour empêcher que les insectes phytophages ne les attaquent et ne les consomment. Elles tuent les insectes par le même procédé que les plantes du genre Drosera mais elles ne les consomment pas !

Je ne vais pas détailler les différents types de pièges qui existent, tu pourras très facilement, chère lecteur, chère lectrice, observer toutes les formes par toi même si tu te rends au magasin de jardinage le plus proche de chez toi, section "plantes d'intérieur", rayon "plantes tropicales", étagère "plantes carnivores", - 30% de réduction sur les pots marqués d'une pastille bleue oups désolé je m'égare un peu là où en étais-je...
Ah ? On me dit en régie que je dois quand même détailler les différentes plantes carnivores qui existent et les mécanismes qui leur permettent de consommer des insectes. Eh bien soit ! en avant la musique !
On distingue différents types de pièges permettant aux plantes carnivores de récupérer les Insectes en guise de casse-croûte… je vais vous en présenter quelques uns.

1) Les pièges passifs ou semi-actifs
Il s’agit des pièges qui ne nécessitent pas de mouvements de la part de la plante pour capturer l’insecte : ce dernier va au devant de sa propre mort de son plein gré… si l’on peut dire !

1.1) Piège à mucilage… ou piège « papier tue-mouche »
Les plantes qui possèdent ce type de piège attrapent leurs proies de la même manière que tous les humains qui en ont assez de voir tourner les mouches au plafond de leur cuisine : une simple bande de papier collant suffit à immobiliser les insectes bruyants pour les humains… mais les plantes, quant à elles, vont sécréter des enzymes digestives qui vont dégrader les protéines des insectes collés aux feuilles. Ensuite, les éléments issus de cette dégradation vont être absorbés par la plantes.
Ce type de piège se retrouve chez les genres Byblis, Drosera, Drosophyllum, Pinguicula, Roridula et Triphyophyllum. En réalité, il ne s’agit pas d’un véritable « papier tue-mouche » mais plutôt d’un tapis de petits poils glandulaires – appelés les trichomes – qui sécrètent des mucilages – liquide gluant – et des enzymes digestives (d’après Albert et al. 1992). Chez ces espèces, l’insecte piégé est lentement digéré sur place.
Une feuille de Drosera avec un insecte englué ; la feuille se replie progressivement sur la proie
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Drosera_capensis_bend.JPG 

Dans le cas des pièges semi-actifs des plantes du genre Drosera, on observe que quelques instants après la capture de l’insecte, les trichomes se replient et se collent à lui. L’insecte est alors définitivement piégé et pour faciliter le contact de celui-ci avec les glandes productrices d’enzymes, la feuille entière peut se replier sur la proie en quelques heures.

1.2) Pièges à urnes… ou comment finir sa vie noyé !
Urne de Nepenthes. Ce qui est important à retenir, c'est qu'il existe 3 grandes zones :
zone supérieure, constituée du péristome, des lèvres et du "chapeau", qui servent à l'attraction de l'insecte
zone médiane, correspondant à la zone glissante (où l'insecte va vraiment être pris au piège) et qui va l’empêcher de remonter et de sortir
zone inférieure, où l'insecte va être finalement digéré lentement et absorbé.





























Cette stratégie est celle de plusieurs genres tels que Cephalotus, Darlingtonia, Heliamphora, Nephentes et Sarracenia. Ces pièges ont tous en commun le fait d’être des feuilles dont la partie supérieure se retrouve être l’intérieur de l’urne (Juniper et al., 1989). Les pièges de ces différents genres sont constitués de 3 zones principales correspondant chacune à une fonction bien précise.

Il existe d’autres pièges passifs chez d’autres genres, qui ne sont ni des « papiers tue-mouche » ni des urnes, mais je n’en parlerai pas ici. Sinon, cet article va finir par être trop long et personne ne pourra le lire jusqu’au bout sans mourir d’ennui ! 

2) Les pièges actifs
Attention ici, on retrouve LA plante carnivore emblématique, à savoir… la Dionae. Mais aussi un autre genre de plante mal connu…

2.1) Les pièges à mâchoires… gare aux morsures !
Les marges des lobes des feuilles de Dionaea sont parsemées de glandes qui sécrètent des glucides – c'est-à-dire des sucres simples. De plus cette zone absorbe les UV, la rendant attractive au regard des insectes. Quand une proie s’approche et excite des poils sensibles sur le piège, un courant ionique calcique se déclenche et a pour effet de changer l’acidité dans les cellules de la nervure centrale. Ce changement provoque une fermeture du piège par différence de pression hydrostatique. Ce mouvement est très rapide, de l’ordre du 1/30ème de seconde (Barthlott et al., 2008). Bon… peut être que là je vais clarifier les choses, c’est un peu abscond quand on ne connaît pas grand-chose à la biologie cellulaire. En gros, imaginez la chose : l’insecte se pose au centre de la feuille en mâchoire. A ce moment là, elle titille les poils sensibles présents dans le piège… ce qui a pour conséquence un changement de la quantité d’eau dans les cellules (et vous savez très certainement, chère lectrice, cher lecteur, que les cellules végétales contiennent un gros réservoir d’eau – entre autre – appelé vacuole) : cela permet au piège de se refermer brutalement. Un peu comme quand on appuie sur un ballon de baudruche fermé presque dégonflé : si on appuie fort, la matière plastique va redevenir tendue par l’air à l’intérieur. Eh bien, lorsqu’on parle de changement de pression hydrostatique, c’est un peu comme si les cellules étaient un ballon de baudruche dégonflé qui redevient gonflé instantanément…

Cela se passe de commentaire... en tout cas, l'insecte va y passer, ça c'est sûr !
Sources : http://www.dionaea-muscipula.com/culture.html

Au final, la proie continuant à se débattre à l’intérieur du piège provoque sa fermeture complète et hermétique en quelques heures. Ensuite la plante sécrète un ensemble d’enzymes (estérases, phosphatases, protéases) qui auront pour effet de dégrader la proie. Quelques semaines plus tard, le piège se rouvre sur la carapace vide de l’insecte et redevient fonctionnel (Juniper et al., 1989).

2.2) Les pièges à outres… totalement siphonnés !
On ne trouve ce type de pièges que chez les Utricularia, qui sont des plantes aquatiques d’eau douce. Elles possèdent des utricules (c'est-à-dire des outres) de taille variable, entre 0,2 et 1,2 cm de diamètre (Chase et al., 2009). Cette structure est refermée par un clapet qui porte des poils sensitifs. La pression à l’intérieur d’une outre au repos est plus faible par rapport à celle du milieu extérieur (Adamec, 2011). Dès qu’un animal touche un des poils sensitifs, le clapet s’ouvre brusquement (1/50ème de seconde, Barthlott et al., 2008) et il est aspiré dans l’outre avant que le clapet ne se referme. Des enzymes sont alors sécrétées à l’intérieur de l’outre afin de digérer la proie qui s’y trouve ; la plante peut ensuite récupérer les produits de la digestion (Chase et al., 2009).


Voici une petite outre d'Utricularia
Pour plus d'informations sur les différents pièges existants chez les plantes carnivores, cliquer ici .

Les plantes carnivores parmi les autres plantes à fleurs : pas si simple de s'y retrouver...

Bref. Passons à présent à la question qui m’intéresse plus personnellement et qui s'éloigne bien évidement de la sempiternelle ritournelle "la plante carnivore de ma petite sœur perd ses feuilles, faut-il que je l'arrose plus ?" ou encore "c'est quoi comme espèce ma plante ? c'est une rare ?" ; la question que vais développer ci-après est donc la suivante : où se situent les plantes carnivores dans l'arbre des plantes à fleurs ?
Attention, ici, lorsque je parle "d'arbre des plantes à fleurs", je fais bien entendu référence à la classification phylogénétique des plantes à fleurs - appelées aussi Angiospermes - dont j'ai déjà parlé dans la dernière partie d'un article précédent ici . Pour celles et ceux qui n'auraient pas lu cet article ou qui auraient tout simplement la flemme, je dirais seulement que "l'arbre des plantes à fleurs" est la manière actuelle de classer les Angiospermes, selon leurs relations de parenté.

Or donc, nous voici face à un problème concret : en bon scientifique que nous sommes - et particulièrement en tant que scientifique bien au fait des notions reliées à l'évolution en général - nous voulons savoir si le syndrome carnivore (autre nom de la carnivorie) est apparu une seule fois dans l'arbre des Angiospermes... c'est à dire si toutes les plantes carnivores actuelles sont directement reliées entre elles, phylogénétiquement parlant. 
Pour Darwin, en 1875, toutes les plantes carnivores connues se répartissent dans trois grands groupes, disséminés parmi les autres groupes d'Angiospermes : les Droseraceae, les Lentibulariaceae, les Nepenthaceae. Par conséquent, Darwin considère que la carnivorie associée à ces groupes est également apparue trois fois de manière indépendante. Je parlerai plus en détail de cette notion d'apparition indépendante plus loin dans cet article.
Par contre, Léon Croizat, en 1960, considère que la carnivorie chez les plantes correspond à une divergence « à la base » du groupe des Angiospermes ; il pense que la carnivorie est aussi ancienne (si ce n’est plus) que le groupe des Angiospermes lui-même. En clair, cela signifie que pour Croizat, les plantes carnivores sont apparues antérieurement à toutes les autres plantes à fleur au cours des temps géologiques. Dans un article précédent, Nicobola a déjà parlé des travaux de Croizat ici .

Or, d'après les dernières études sur les plantes carnivores, il semble que ce soit la solution de Darwin qui soit la bonne... Voyez plutôt :

Phylogénie des Angiospermes avec mise en évidence des différentes lignées indépendantes de plantes carnivores (d'après Ellison & Gotelli, 2009).
Bon, d'accord... on ne voit pas très bien, c'est écrit très petit. Mais ce qui est important à voir ici, ce ne sont pas forcément les noms des plantes... mais les couleurs. Ainsi, en vert, on retrouve les groupes qui contiennent un ensemble de plantes strictement carnivores. En jaune, ce sont les groupes où seules quelques espèces de plantes sont carnivores, et enfin en bleu, il s'agit d'un groupe où la carnivorie d'une espèce est encore discutée.
Comme tu peux l'observer sur la figure précédente, cher lecteur, chère lectrice, toutes les plantes carnivores ne sont pas regroupées au sein de l'arbre des plantes à fleurs : elles sont disséminées parmi les autres groupes de plantes non carnivores. 
Mais alors, comment cela est il possible d'avoir la même chose... différemment en plusieurs fois dans l'arbre du vivant... et au final, s'agit-il bien de choses identiques ou de choses qui semblent seulement identiques mais qui ne le sont pas ? C'est à dire, dans notre cas, est ce que les différentes plantes carnivores ont toutes les mêmes caractéristiques morphologiques, même si elles ne sont pas directement liées phylogénétiquement, ou bien est ce que ce sont des caractères morphologiques qui se ressemblent fortement mais qui ne font que "s'imiter" les uns les autres ?

Toutes ces questions - un peu tarabiscotées, certes - peuvent trouver une réponse simple et claire : la carnivorie est un phénomène de convergence chez les plantes à fleurs.
La convergence est, d'après Darlu et Tassy (1993), "l'apparition indépendante chez deux espèces (ou plus) d'un même caractère." Dans notre cas, il s'agit de la carnivorie végétale... Ce mécanisme de nutrition des plantes grâce à l'utilisation de matière organique azotée provenant des insectes est semblable chez différents groupes de plantes non apparenté directement... ce qui est bien la définition de la convergence. 

Le mécanisme de convergence est fréquemment retrouvé au cours de l'évolution : il peut être le résultat de l'adaptation morphologique de deux espèces éloignées phylogénétiquement au même milieu de vie. C'est ce qui se passe chez les plantes carnivores - la carnivorie permet la survie dans des milieux très pauvres en matières azotées nécessaires à la croissance des plantes - mais je pourrais prendre un tout autre exemple... disons, celui du Thon et du Dauphin : ils vivent dans un même milieu (le milieu marin) et subissent donc des contraintes physiques identiques ;  chez ces deux espèces, on trouve un corps effilé, profilé pour la vitesse et offrant peu de résistance à l'eau. Attention, il ne faut pas tomber dans le piège du finalisme quand on raisonne de cette manière : ce n'est pas parce que le Thon ou le Dauphin "veulent" aller plus vite que leur forme change, non, bien au contraire... mais ce sont les individus possédant les formes les plus effilées qui ont pu engendrer une descendance plus importante, ce qui a entraîné la sélection en faveur des individus les plus aptes à se mouvoir en milieu aquatique... et puisque ce milieu offre les mêmes contraintes physiques pour des groupes d'organismes différents, il est logique de penser qu'une forme générale - effilée et hydrodynamique - sera retenue au cours de l'évolution. D'où l'observation actuelle de convergences.

Si j'ai parlé ici des plantes carnivores, c'est donc pour démontrer une chose : il ne faut pas se fier aux apparences lorsqu'on étudie les sciences de l'évolution, car les éléments que l'on observe à priori n'ont pas forcément de relation phylogénétique proche entre eux ! 
Voilà, j'espère que tu auras compris et apprécié cet article, chère lectrice, chère lecteur... et que tu n'hésiteras pas à poser des questions si question il y a !!!

Je tiens à remercier tout particulièrement Simon Verlynde, qui m'a aidé dans la rédaction de cet article. Merci Simon ! 

Bibliographie 

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