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jeudi 26 avril 2012

Petit tour du zoo au plancton !

Lorsque l’on parle de plancton, la plupart des gens vont penser au krill, le met préféré des baleines. L’image qu'on en a est souvent est celle de petites crevettes microscopiques gigotant dans l’eau. Mais la définition du plancton est en fait différente. Les organismes planctoniques sont ceux qui sont incapables de nager à contre courant. Ce sont donc les organismes passifs par rapport aux mouvements de l’eau. A l’inverse, le neuston est l’ensemble des organismes capables de nager à contre courant par exemple nos chers faux amis les « poissons » ou les calmars. La première distinction connue est celle entre zooplancton et phytoplancton. Le zooplancton c’est le plancton animal et le phytoplancton c’est celui qui est capable de photosynthèse. Reste aussi le bactérioplancton constitué de bactéries et le virioplancton de virus.  Bien que la plupart des organismes du zooplancton bougent, ils ne peuvent pas résister au courant (dès que celui-ci n’est plus négligeable)… Au sein du zooplancton on en croise deux sortes : le méroplancton et l’holoplancton. Dans l’eau on aime bien tout balancer partout (gamètes et bébés), beaucoup d’organismes ont donc d’étranges larves qui lorsqu’elles se métamorphoseront tomberont au fond et rejoindront le benthos (les organismes du fond). On parle de méroplancton. A l’inverse les animaux planctoniques qui restent toute leur vie dans la colonne d’eau (pelagos) sont appelés holoplanctoniques. C’est essentiellement de ça dont je vais vous parler, les larves, ce sera pour plus tard. Par ailleurs, je vais me concentrer sur le plancton marin plutôt que d’eau douce.

Une « crevette » du krill, le plus people des planctons.  Source  : pitit krill !

Et une représentation anthropomorphisée (on dirait des humains-crevette) du krill provenant de Happy Feet 2.  Source : happy krill.
Les possibilités de formes que l’on trouve dans l’univers planctonnique semblent infinies, c’est là qu’on y trouve les animaux les plus ahurissants. Il semble qu’une des contraintes majeures soit de flotter et donc de trouver les formes les plus bizarres pour cela semble être un défi d’envergure… Que beaucoup relèveront avec brio !

Premièrement parlons du plancton le plus commun… Allez sur un bateau, prenez un filet adapté à la prise de plancton, filtrez et vous aurez très probablement trouvé deux protagonistes en grand nombre. Le plus commun de tous c’est Monsieur Plancton ! Oui celui de Bob l’éponge ! Et bien c’est un copépode ! De petits "crustacés" qui nagent avec deux longues antennes et avec un seul œil au milieu ! Tels de petits cyclopes. Les copépodes sont de loin, les organismes les plus communs du plancton. Si vous buvez la tasse il y a de fortes chances pour que vous en avaliez quelques-uns. Autant dire que leur importance dans toute la chaîne alimentaire des océans est primordiale.

Une représentation d’un copépode en furie. Source : Mr Plankton.


Parce que Bob l’éponge c’est rigolo mais graphiquement c’est limité, voici une des magnifiques planches d’Haeckel qui nous représente les copépodes d’une manière légèrement différente ! Source : planche d'Haeckel : copépodes.

Nos seconds amis sont les appendiculaires. Ils appartiennent au groupe des tuniciers dont j’ai déjà parlé ici : deutérostomiens et ici : complexité. Ces petits tuniciers ressemblent à des virgules. Ils filtrent les particules alimentaires de l’eau comme la plupart des tuniciers. Pour cela ils créent une loge en mucus (gélatineuse quoi) à l’allure très compliquée. Ils vont la changer jusqu’à 10 fois par jour (pas très économes !) très probablement pour se débarrasser des débris trop gros qui restent coincés dans la loge de mucus. Et ce qu’il y a d’important, c’est qu’ils vont participer à la « neige organique ». Cette loge de mucus contenant principalement des sucres va couler et servira de gourmandise aux organismes vivant profondément, là où la photosynthèse ne se fait plus… Quelle générosité ! Ils distribuent des sucreries à tout le fond des océans.

A gauche un appendiculaire en forme de virgule (source : appendirgule), à droite un appendiculaire avec sa loge en mucus. Arriverez-vous à y retrouver l’animal ? (source : appendimaison)

Avec ces deux exemples vous voyez comme quoi même si on ne paye pas de mine, on peut gouverner les océans… Mais nos deux compères sont relativement petits… Or rien dans la définition du plancton ne nous parle de la taille ! Et oui, dans le plancton on peut en trouver des maous  costauds…

Dans le mille ! Les méduses sont du plancton ! Et si beaucoup ont effectivement une taille inférieure à 1cm usuellement attendue d’autres peuvent être gigantesques comme la problématique Nemopilema nomurai dont Taupo a parlé sur SSAFT.

Z’avez peur des méduses à la plage ? Evitez donc celle ci…  Source : ça c'est de la méduse !
Un de mes amours de zoologiste c’est le groupe des cténaires, normal, je les ai étudiés lors de ma deuxième année de master. Si certains rappellent superficiellement les méduses (dont ils ne sont probablement pas particulièrement proches) d’autres ont des formes bien plus atypiques. Notamment la ceinture de vénus ou Cestum veneris, d’après moi le plus beau et le plus gracieux des cténaires (y’a pourtant de la compet’). Je ne vais pas m’y attarder parce que là aussi je pense que j’en reparlerai plus tard ! Cette forme de grand ruban peut atteindre jusqu’à 1,50m. Alors si vous me dites encore que le plancton c’est des petits animaux je deviens tout rouge !


Cténaires et méduses sont des prédateurs mais d’autres plus discrets et plus actifs sévissent dans le plancton. Parmi les plus communs se trouvent d’étranges animaux inconnus du grand public. Les chaetognathes (ou vers sagittaires car ils ont la forme élancée d’une flèche, Naldo les a évoqués ici : conodontes) ne sont connus quasiment que par les gens qui ont eu un jour ou l’autre des cours de niveau universitaire en zoologie… Et encore ! Ces terribles prédateurs chassent les copépodes (autant dire qu’ils ont de quoi manger), ils sont donc très important dans la régulation des populations de copépodes ! Aussi méconnus qu’importants... Quelle injustice ! Ces animaux transparents peuvent faire jusqu’à plus de 10cm. Et ils se servent de deux terribles mâchoires formées de crochets pour semer la terreur chez les copépodes… D’ailleurs « Chaetognatha » signifie « mâchoire soyeuse ». Le plus curieux avec ces vers sagittaires c’est leur position dans la classification des animaux. Rarement un animal aura été aussi réticent à se laisser classer ! Et Darwin lui-même (z’avez vu, on aime beaucoup parler de lui ici) a dit des chaetognathes qu’ils sont « remarquables pour l’obscurité […] de leurs affinités ».

Un chaetognathe en pleine orgie. Miam miam ! Source : chaetognathe heureux.
Un ver élancé et prédateur ! Tiens, il y a aussi le magnifique Tomopteris. C’est une annélide ou ver à anneaux ! Hmmm je pense que l’image parlera d’elle-même. Je vais me passer de commentaires pour cette fois !

Vous avez le droit de pleurer tellement c’est zouli. Et croyez-moi, à voir nager ça l’est encore plus !  Source : Tomopteris.

Mais attendez, si les formes jusque là sont déjà incroyables préparez-vous, là ça va envoyer du lourd.

Une de mes plus incroyables expériences zoologiques qui m’a fait adorer les mollusques encore plus est celle ci : j’effectuais un stage dans une collection zoologique où je devais ranger la collection de mollusques. Tout allait très bien, je découvrais des formes de coquilles géniales, j’étais content comme un poisson bigorneau dans l’eau ! Jusqu’au moment où je suis tombé sur un truc difforme ! Ça :

Un heuuu… enfin heuuu…. J’avais dit quoi déjà ? Ah oui, Pterotrachea. Remarquez sa forme de… heuuu de… enfin… de rien ! Source : mollusque mystère
Alors là c’est une belle photo hein mais imaginez ça dans de l’alcool au fond d’un tiroir de collection… C’en était sûr : Les mollusques sont vraiment pleins de surprises. Vous détailler d’où lui vient cette forme étrange serait long et fastidieux et même moi, je ne la comprends pas très bien ! Sachez cependant que ces mollusques sont des gastéropodes : en gros ce sont des escargots très étranges (mollusques). Certains mollusques très proches de Pterotrachea ont encore une toute petite coquille conique… Voilà qui est rassurant !

Restons dans les formes bizarres et présentes sur nos côtes avant de plonger dans les abysses. Les siphonophores déjà traités par JP Colin (Les siphonophores sont les plus forts) sont des organismes coloniaux proches des méduses. A plusieurs on peut faire du bon travail et certains vont jusqu’à atteindre plusieurs dizaines de mètres ! Trop fort les siphonophores ! Et si quand on est seul on peut avoir des formes psychédéliques, quand on est plusieurs les possibilités sont multipliées ! Regardez donc ces étranges formes de cloches !

C'est vrai que les siphonophores sont très forts. Source : siphonoforts.
En parlant de colonies, d’autres aussi font du bon travail de groupe : les pyrosomes. Ces étranges colonies de tuniciers (encore eux ? Ben oui ce ne sont finalement pas que des sacs passifs), s’organisent en doigt de gant en une forme étrange et gracieuse. Chaque individu de la colonie avale l’eau par l’extérieur et la rejette dans une loge commune à l’intérieur du doigt de gant permettant alors la nage à réaction ! S’ils ne peuvent pas atteindre la vitesse d’un calmar au moins ils ont le mérite d’essayer !

Bon y’a du jeu dans les couleurs mais quand même, avouez que ça fait du bien aux mirettes !  Source : pyrosome.

Parce qu’il n’est pas facile de comprendre comment ça fonctionne, voici un schéma de pyrosome. Source :  pyrosome en coupe.

Un pyrosome très géant et d’autres tuniciers planctoniques.

D’ailleurs dans cette vidéo vous voyez deux autres sortes de tuniciers planctoniques : des dolioles qui sont simplement des sacs qui nagent à réaction et les salpes, des colonies linéaires de tuniciers que l’ont voit à la fin de la vidéo… Oh et donc sachant que je suis un amoureux des cténaires, je ne peux pas m’empêcher de partager cette photo d’une Lampea (un cténaire amateur de salpe) se faisant un festin… Bataille de plancton !

Ça me donne presque faim... Source : Lampea gourmande.
Les siphonophores et beaucoup de cténaires se trouvent entre autre justement dans les abysses. Et qui va t’on y croiser ? Notre cher ami le Chaetopterus pugaporcinus ou ver cul de cochon, notre fameux gagnant du concours de l’animal le plus obscène. On ne se privera pas d’une image supplémentaire de cette autre étrange annélide (bande de cochons)…

Bon, la photo parle d’elle-même… Source : notre grand gagnant.
Dans le genre « moi j’suis un animal que personne il m’attend à me voir flotter mais j’m’en fout j’le fais quand même » on a certains concombres de mer ! Et oui, nos deuxièmes sur le podium des animaux obscènes laissent parfois de côté leur forme phallique et se laissent aller à la flottaison… Tout en n’oubliant pas de garder de drôles de formes comme ce mystérieux concombre de mer :

Oui oui c’est un concombre de mer ! Source : l'étrange concombre...
Mais il y a aussi le drôle Enypniastes eximia qui est aussi un concombre de mer :


Voilà, pour finir une chouette vidéo où l'on retrouve quelques-uns de nos protagonistes :


Et une autre vidéo avec des images sublimes et bien contée en plus !


Ce petit tour du plancton était un prétexte pour vous montrer encore une fois que la diversité au sein des animaux est hallucinante et que malheureusement beaucoup de magnifiques formes qui pourtant ont une importance primordiale dans les écosystèmes marins sont pourtant quasiment inconnues du grand public…

Pour aller plus loin, n'hésitez pas à cliquer sur les liens dans l'article ou à aller sur wikipédia ;)

dimanche 25 mars 2012

Evolution et complexité… Ce n’est pas simple !

La théorie de l'évolution, sous ses airs simples, est complexe… ou l’inverse selon certains ! Souvent, dans les médias par exemple, l’idée sera véhiculée que l’évolution mène vers plus de complexité. Cette affirmation est engendrée par plusieurs facteurs, notamment les représentations visuelles que l'on peut rencontrer de l'évolution. Mon idée ne sera pas de savoir ce qu’est la complexité (c’est un sujet bien trop complexe !) mais plutôt de montrer que l’évolution vers la complexité est quelque chose que l’on peut critiquer. Je vais donc accepter une « définition » intuitive de la complexité pour plus de simplicité.

La première illustration utilisée pour représenter l’évolution est celle ci :

La marche de l’homme vers le progrès… Source ici : hominides.

Je l'ai trouvée d’ailleurs en premier résultat de google image France lorsqu’on tape « évolution ». Bon, je vous l’accorde, en fait l’illustration est tirée d’un site où justement cette représentation est critiquée. Je vous conseille d’ailleurs d’aller faire un tour sur cette page pour y voir les critiques (ici !). Cette image ne joue pas directement sur cette idée de complexité mais sur celle de progrès. Mais le progrès vers quoi ? Très probablement la complexité justement. Et qui est le plus complexe à la fin ? L’humain. C’est d’ailleurs un sacré hasard qu’on discute autant de l’évolution vers la complexité lorsque l’on se considère soit même comme complexe.

A propos de représentations, Stephen Jay Gould, un auteur bien connu de vulgarisation scientifique sur l’évolution, fait aussi remarquer une chose : dans les représentations de l’évolution au cours du temps sur la Terre, on montre toujours dans les premiers temps des organismes évolutivement éloignés de l’homme (par exemple dans les mers anciennes : des crustacés et des méduses). Mais plus on approche de l’apparition de l’homme, plus on voit des organismes proches de l’homme (Puis, à partir d’une période géologique donnée quasiment tous les animaux représentés sur terre, sur mer ou dans l’air sont des vertébrés à quatre pattes (ou tétrapodes) !). Comme si les autres organismes présents antérieurement dans le temps avaient disparus où étaient en voie de disparition ! Alors que ces organismes n’ont pas cessé d’évoluer pour autant !
Mais il sera rare (voire impossible) de trouver sur une de ces fresques (cf illustration plus bas) la période d’apparition des coléoptères (pourtant les plus nombreux des animaux en termes de nombre d’espèces), des escargots terrestres (pourtant loin d’être rares et sujets à un passage évolutif de l’eau à la terre ferme tout comme nous) ou même de groupes importants de bactéries ! Certes on ne peut pas tout représenter mais quel favoritisme pour l’homme et les organismes qui lui sont évolutivement proches !

Une fresque biaisée de l’évolution. Remarquez par exemple qu'au Tertiaire les insectes ont disparus ! (cliquez pour agrandir. Fresque de l'évolution)

Vous vous en doutez, le sujet a été largement traité. Mais une des premières objections que l’on pourrait faire est : si l’évolution tend vers plus de complexité alors toutes les lignées devraient tendre vers la complexité. Or si l’on juge certains groupes actuels comme « simples »… alors l’évolution ne tend pas nécessairement vers une complexité générale car cela implique que ces groupes n’ont justement pas tendu vers cette complexité ! Mais Gould a aussi traité ce problème d’un point de vue plus statistique : oui, l’humain est complexe, c’est quand même qu’il y a quelque chose qui l’a poussé à devenir complexe ! Gould réfute cette idée en abordant le problème par ce qu’il appelle « un mur de gauche » ou « la marche de l’homme (ou de la femme) ivre » : imaginez une personne saoule (ou tentez vous même l’expérience, le seul défaut c’est que vous risqueriez de ne pas vous en souvenir) marchant dans la rue. Cette personne titube de manière aléatoire à gauche comme à droite. A gauche se trouve un mur et à droite rien. Heuuu imaginons aussi qu’il n’y a pas de trottoir ni de voitures dans la rue, comme ça cette personne peut aller à droite autant que possible (bon, ho ! je bidouille comme je veux la métaphore dans mon esprit hein !). Cette personne ne peut pas traverser le mur mais peut aller loin à droite. Statistiquement elle va revenir plusieurs fois au mur mais elle peut aller aussi loin que possible du mur (sachant que la probabilité d’atteindre un point qui est loin à droite diminue avec sa distance au point de départ). Et bien remplacez le mur par la complexité minimale (à gauche) et la droite par la complexité maximale. Lâchez des centaines de personnes bourrées et la plupart seront collées au mur  (voir effondrés dessus hein) et très peu loin du mur. Cette hypothèse suppose que l’évolution vers plus ou moins de complexité est aléatoire (pas que l’évolution elle même est aléatoire, là encore on peut discuter longtemps). Gould constate que dans le vivant c’est effectivement le cas : les organismes les plus présents sur la planète sont les bactéries, organismes simples alors que l’ « être suprême » serait unique : ce serait l’humain. Certains dirons que les primates sont plus complexes au sein des mammifères, les mammifères plus complexes au sein des vertébrés, les vertébrés plus complexes au sein des animaux, etc. Oui, mais la personne ivre part nécessairement d’un point qui est plus à droite que le précédent pour continuer à droite. Voici un schéma illustrant ce problème : 

« La mode de la bactérie » : on ne peut pas aller « plus à gauche » que la complexité minimale mais on peut toujours aller à droite. Cependant la proportion d’organismes à droite diminue avec la distance. 
Bon maintenant on a brassé du théorique, c’est rigolo… mais voyons des cas plus concrets : 

L’homme est-il réellement plus complexe ? Au niveau de la cognition ça ne fait pas de doute. Mais l’homme a aussi perdu beaucoup de caractères au cours de son évolution : sur ces points il a donc perdu en complexité. Notamment les branchies (A History of Fish 1 : Sans mâchoires y a de l'espoir !), la queue, pas mal d’os du crâne, différents types de poils (l’homme n’a pas de « moustaches » ou vibrisses comme les souris ou les chats). On pourra me dire « oui mais l’homme a plus de caractères complexes que simples ». Le problème c’est que chaque caractère est indépendant des autres donc comparer des choses indépendantes n’a pas de sens. 

Mais d’autres exemples peuvent être cités : admettons alors que pourquoi pas, les primates sont plus complexes au sein des mammifères, les mammifères plus complexes au sein des vertébrés, les vertébrés plus complexes au sein des animaux, etc. Alors c’est supposer que les « invertébrés » (entre guillemets parce qu’ils n’existent pas (Les mystères de la phylogénie...) !) sont moins complexes que nous (même si comme je l’ai dit plus haut, mesurer la complexité générale a peu de sens). 

Que nenni ! Prenez une éponge (cf illustration plus bas) : la plus amorphe créature au sein des animaux. Elle ne bouge pas, n’a pas d’organes, pas de système nerveux, filtre l’eau,... Bref, les éponges sont ce qu’on appelle le « groupe frère » des animaux, c’est à dire qu’à part être des animaux elles n’ont rien de commun avec les autres animaux. Premièrement il fallait bien que quelqu’un se dévoue pour cette place, on peut donc les féliciter pour leur sacrifice. Deuxièmement les éponges ont leurs propres caractères parfois bien complexes. En effet, on ne les définit pas seulement par les caractères d’animaux qu’elles n’ont pas (ce serait bizarre comme définition et de toute façon ça marche pas (cf  encore Les mystères de la phylogénie...) ). Elles ont ce qu’on appelle un système aquifère, c’est à dire un système de canaux internes qui font circuler l’eau et qui peut se diviser en sous chambres reliées par d’autres canaux. Bref, un labyrinthe de cavités dans lequel se paumerait le Minotaure (qui n’a au final qu’à suivre le courant !). Pas mal pour des "êtres inférieurs".

Voici le type d’organisation labyrinthique que l’ont peut trouver dans une éponge :  l'éponge labyrinthe.

Un autre caractère complexe présent chez beaucoup d’éponges, ce sont les spicules : des petites épines parfois aux formes compliquées servant de microsquelette aux éponges. Si la forme des spicules peut être complexe, leur agencement lui aussi peut l’être et est loin d’être aléatoire, formant un véritable macrosquelette cette fois. Et j’en connais qui n’ont pas de structures comme ça ! Quels êtres inférieurs a-spiculés ces humains, ils sont tellement simples qu’ils n’ont pas de spicules…

A gauche les spicules d’une éponge. Quand on a eu à retenir le nom de chaque type de spicule (et il y en a un certain nombre) on ne voit plus ça comme quelque chose de simple (diversité des spicules). A droite l’organisation d’une éponge avec la façon dont les spicules s’organisent (squelette de spicules). 

Bon puis je n’allais pas clore le sujet sans une belle image d’éponge, juste pour les yeux :

Belle éponge.


Bon mais alors qu’est-ce que je vous fais depuis tout à l’heure ? Suis-je en train de vous montrer le contraire de ce que je voulais vous faire comprendre ? Finalement les éponges elles aussi sont complexes, tout le monde tend bien alors vers la complexité ! Non non, ici je veux montrer que la complexité revêt des formes auxquelles en tant qu’humain on ne pense pas forcement. Et que tout être vivant tend différemment vers la complexité ou la simplicité selon les caractères ou les critères considérés. Ce qui illustre que l’évolution ne semble pas se diriger vers une tendance générale.

Mais vous voulez des exemples d’êtres qui se complaisent plus dans la simplicité que dans la complexité ?

Un des premiers types d’organismes que l’on peut citer est celui des parasites souvent morphologiquement simples. Mais ils peuvent avoir des cycles de vie très complexes par ailleurs. Par exemple cet article que j’ai écrit où j’insiste sur le développement complexe de certains parasites, cet article renvoyant lui même vers d’autres articles sur leurs cycles alambiqués (les néodermates).

Nos amies les ascidies sont de drôles d’organismes. J’en ai déjà parlé sur ce blog (deutérostomiens). Qu’est-ce qu’une ascidie ? Un sac planté au fond de l’eau qui filtre. Une éponge quoi ? Non non non ! Les ascidies sont des organismes qui ont bien plus à voir avec nous (les vertébrés) qu’avec les éponges. D’ailleurs il suffit de voir la larve pour s’en convaincre : c’est la larve d’un chordé typique (les vertébrés sont eux même des chordés). Une chorde dorsale de soutien du corps, un système nerveux au dessus de la chorde, etc. Mais lors de la métamorphose c’est le drame. Les ascidies se fixent par la tête et se transforment en cette espèce de sac filtreur qui ne peut plus se déplacer (cependant elles restent capables de mouvements).

Schéma de la terrible métamorphose de l’ascidie (Métamorphose !)… 

La larve a des organes sensoriels à l’avant comme un œil. Le système nerveux à l’avant forme aussi un épaississement, tout comme notre cerveau. Ces caractères, présents chez les chordés (et donc les vertébrés) sont alors perdus lors de la métamorphose. En gros passer d’une forme active et nageuse à un sac passif ça fait penser spontanément à de la simplification. Je me rappelle bien avant un examen de zoologie en Licence, lorsque nous révisions au dernier moment avant de rentrer dans la salle, une de mes camarades m’a alors fait la remarque suivante : « mais comment ça se fait que des animaux évolués comme les chordés (parce que nous en sommes) deviennent finalement si simples ? ». Simplement parce que ça fonctionne ! Allez sur une plage rocheuse, retournez un caillou et si vous êtes observateur vous trouverez des ascidies ! On les trouve quasiment partout. En fait les ascidies sont évoluées à leur manière. Et ce serait trop simple de dire qu’elles sont simples : leur branchies sont super développées, elles présentent un « manteau » ou une « tunique » qui les protège qu’on ne trouve pas chez les autres animaux et fait intéressant… le battement de leur cœur change régulièrement pour inverser le sens de circulation du sang… bien qu’on ne sache pas pourquoi c’est comme ça, c’est un fait apparemment unique chez les animaux !

Bon allez, la zolie image :

Clavellines jolies.

Mais chez les animaux on trouve encore quelqu’un de plus étrange : notre ami Trichoplax adherens le placozoaire. Lorsque le groupe des éponges est apparu, le groupe des autres animaux appelés « eumétazoaires » a également fait son apparition (je ne vais pour vous expliquer d’où vient ce nom, c’est une honte… Allez si ! ça signifie « vrais animaux » comme si les éponges en était des faux ! Ah ces humains, indécrottables !). Ce qui signifie que les éponges ne sont pas plus vieilles que nous puisque nous avons divergé au même moment. Bref, le groupe des eumétazoaires aurait divergé ensuite en donnant d’un côté le groupe des placozoaires et de l’autre celui des autres eumétazoaires (donc les eumétazoaires sont aussi vieux que les éponges et les placozoaires sont plus jeunes que les éponges au sein des eumétazoaires, capiche ? Bon allez, jetez un œil sur l’arbre qui suit, ça vous aidera peut-être). 

Voici un arbre très simplifié de l’évolution des animaux dont je parle pour que ce soit plus clair. J’en ai profité pour rajouter les animaux à quatre pattes ou « tétrapodes » (entre autre nous) et les ascidies. Notez cependant que certains auteurs placeront Trichoplax autre part…

Les placozoaires selon cette hypothèse n’auraient donc pas les caractères spécifiques aux autres eumétazoaires comme par exemple un système digestif. Décrivons déjà un placozoaire : c’est un truc. Ok plus précisément : il est constitué d’une couche de deux cellules, plate, qui rampe au fond de la mer ou des aquariums (là où on l’a découvert !). Ces animaux n’ont que quatre formes différentes de cellules, encore moins que les éponges ! Là désolé, je ne peux pas les sauver comme les éponges ou les ascidies, morphologiquement ils sont simples, point. Mais que nous a révélé le génome de Trichoplax ? Que bien qu’il n’ait pas le plus complexe des génomes chez les animaux, il contient tout de même plein de gènes qu’on ne s’attendrait pas à trouver ici notamment des gènes du développement qu’on retrouve chez les autres eumétazoaires. Cela est étrange sachant que la morphologie est très simple chez cet animal mais qu’on retrouve un grand nombre de gènes responsables de la morphologie plus complexe des autres eumétazoaires chez Trichoplax ! Mais alors à quoi ça peut bien servir à notre timide Trichoplax ? Plusieurs hypothèses : soit l’ancêtre de Trichoplax était un animal déjà complexe qui s’est simplifié en gardant ses gènes, soit ces gènes avaient au départ une autre utilité que celle qu’on leur connaît aujourd’hui. Il est encore difficile de trancher mais cette complexité génétique de Trichoplax reste surprenante pour un animal morphologiquement si simple…


Trichoplax adherens… Là il n’y a rien que je puisse faire… Ca ne ressemble à rien…  

Bon allez, un dernier petit exemple, je vais m’aventurer très timidement chez les plantes, Boris devrait vous en reparler en détails. Chez les plantes à fleur on distinguait deux grands groupes : les dicotyledones et les monocotyledones (les détails viendront plus tard). On considérait les dicot’ comme plus évoluées car ayant une structure plus complexe et les monocot’ moins évoluées car moins complexes. Les dicot’ sont aujourd’hui considérées comme paraphylétiques, c’est à dire qu’elles n’existent pas plus que les "poissons". Mais elles sont paraphylétiques parce que les monocot’ proviennent des dicot’ ! C’est à dire que les monocot’, supposées simples proviennent de plantes plus complexes. Simples vraiment ? Les « dicot’ » ont un vrai bois bien organisé alors qu’en substance ben les monocot’ c’est que des feuilles emboîtées… Que faire de ça ? C’est pas très compliqué… Et bien si ! C’est sans compter sur l’ingéniosité de ces plantes : rien qu’en emboîtant des feuilles on a des palmiers, de l’herbe, des orchidées, du bambou… Comment faire compliqué à partir du simple ! Les Shadocks auraient aimé ! Et ces plantes se retrouvent partout… Mais laissons Boris vous en parler plus en détails plus tard, toujours est-il que si l’évolution poussait vraiment vers la complexité, on ne devrait pas s’attendre à ce que la simplicité fonctionne aussi bien !

A gauche une foret de bambous, à droite d’étranges Bromeliacea… Y’a un monde entre leurs morphologies et leur mode de vie et pourtant, c’est toujours le même principe…

Voilà pour un petit tour de la question. Bien sûr il y aurait beaucoup de choses à dire en plus, ce problème est loin d’être évident. Mais ces quelques exemples montrent qu’on trouve de la simplicité dans la complexité et de la complexité dans la simplicité. Peut-être est-il trop schématique de caractériser dans sa totalité un organisme comme simple ou complexe…


Pour aller plus loin :

Srivastava M. et al. 2008. The Trichoplax genome and the nature of Placozoans. Nature, 454-955.

Rossenlenbroich, B. 2006. The notion of progress in evolutionnary – the unresolved problem and an empirical suggestion. Biology an philosophy, 21, 41-70.

Gould S. J. L’éventail du vivant : Le mythe du progrès. 2001. Editions points.

Les mondes darwiniens, L’évolution de l’évolution, coordonné par Heams T., Huneman P., Lecointre G. et Silbersetin M. 2009. editions Syllepses. Lecointre G. Récit de l’histoire de la vie ou De l’utilisation du récit.

SSAFT : [Le sur-sur-mercredi, on converge] Les Poissons Amphibies

SVT Colin : Lettre ouverte aux finalistes et aux gradistes...




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