Hey lecteur sais tu que tu es un deutérostomien ? Sisi ! Ha oui, qu'est-ce qu'un deutérostomien... Ce mot vient de deutéro "deuxième" et "stomo" bouche (du Grec). Ce qui signifie que la bouche se forme en deuxième chez l'embryon après... L'anus ! Oui, il a eu un moment dans ta vie où tu n'étais qu'un cul... Dur dur hein ? Ho disons le plus poétiquement alors : le blastopore donnera l'anus en premier... Le blastopore c'est le premier "trou digestif" de l'embryon. Bon mais c'est bien chouette tout ça mais alors ? Ben alors les humains sont au même titre que les étoiles de mer des deutérostomiens (j'en ai parlé par-ci par-là dans le blog). Vous n'avez rien à voir avec une étoile de mer protesterez vous... Et bien si, embryonnairement parlant vous en êtes très similaire. C'est plus tard au court du développement que les choses se gâtent (au cours du développement de cet article aussi vous verrez).
Les deutérostomiens sont un des deux grands groupes d’animaux à deux côtés, les "bilatériens", l'autre groupe de bilatériens étant les protostomiens (cf la phylogénie animale une affaire pleine de rebondissements). Les protostomiens comprennent les « invertébrés » (cf les mystères de la phylogénie) que vous connaissez le mieux : mollusques, insectes, vers de terre etc. Les deutérostomiens comprennent les vertébrés, les étoiles de mers et quelques autres groupes qu'un non biologiste a peu de chance de connaître. Soyez heureux ! Si vous arrivez à la fin de cet article vous allez les connaître ! Le groupe des deutérostomiens est donc un large groupe et on peut penser que son évolution est bien connue depuis un bout de temps vu que nous y appartenons et que la grande injustice zoologique veut que l'on s’intéresse quasiment toujours plus à ce qui est proche de l’homme.
Voici un comparatif très simplifié du développement embryonnaire précoce chez les deutérostomiens et les protostomiens. Bon, vous me direz ça ne ressemble pas à grand chose. Source de l’image : comparatif proto/deutéro. |
Commençons par présenter les sympathiques protagonistes de cette histoire :
Les Vertebrata (vertébrés pour les intimes) sont des animaux à vertèbres et à crâne. Oui, vous en êtes ! On y retrouve la plupart des animaux que vous connaissez bien, mais certains ont un crâne sans avoir de vertèbres. C'est la curieuse myxine. Tous les vertébrés ont au moins chez l'embryon une chorde (ou corde), un axe rigide cartilagineux dans le dos qui sert entre autre de squelette de soutien. Notre colonne vertébrale la remplace en quelque sorte plus tard dans le développement. Au moins originellement (c’est à dire au moins chez leurs ancêtres), les vertébrés ont un appareil branchial (la zone qui porte les branchies) qui se forme à partir du tube digestif et qui est percé de trous pour laisser passer l'eau.
Exemple de Vertebrata (même si celui-ci n’a pas de vertèbres). Voici la curieuse myxine imitant le sac de nœud phylogénétique dans lequel je me prépare à vous emmener… Source de l’image : Myxine en nœud. |
Les Cephalochordata (céphalochordés pour les intimes) sont de petits « vers » à l'allure de "poisson" qui restent dans le sable et filtrent les particules. Ils ont aussi une chorde et celle ci va jusqu'à la tête d'où leur nom "Cephalochordata" qui signifie "chorde dans la tête" (cephalo = tête en grec et chordata simplement corde en latin). Les Cephalochordata ont eux aussi le même type d’appareil branchial que les vertébrés. Tout comme les vertébrés, ces animaux ont des muscles en bandes... pensez simplement à vos muscles abdominaux.
Exemple de Cephalochordata. Voici l’Amphioxus ou lancelet. C’est un cephalochordata. Source de l’image : lancelet. |
Les Urochordata (urochordés ou tuniciers pour les intimes) ont la chorde dans la queue cette fois ci. Mais seulement à l'état adulte beaucoup d’entre eux perdent cette chorde contrairement à certains vertébrés (esturgeon, lamproie) et à tous les céphalochordés qui la gardent toute leur vie. Ces animaux sont pour la plupart très étranges. A un stade de leur vie ils se fixent à la roche ou autre et y restent toute leur vie. La chorde va disparaître comme chez certains vertébrés (par exemple chez nous la chorde est totalement remplacée par les vertèbres) et les branchies vont se développer énormément pour filtrer la nourriture en suspension dans l'eau et respirer. Vous l'aurez compris, ces animaux aussi ont le même type d’appareil branchial que nous.
Exemples de d’Urochordata. A gauche, une ascidie. A droite Oikopleura dioica. Si l’ascidie ressemble à un gros sac et perd sa chorde lors de son développement, Oikopleura lui garde sa chorde qui est présente dans sa queue et ressemble à un têtard. Source des images : Ascidie et Oikopleura. |
Les Hemichordata (hémichordés pour les intimes), j'en ai parlé (cf le top 5 des animaux obscènes), ce sont les vers pénis mais aussi d'autres organismes étranges dont je vous épargnerais les détails de peur d'être trop long (ils sont si passionnants que je m'emporterais). Les hémichordés ont une "stomochorde" c'est à dire une sorte de bâtonnet de soutien très petit et confiné à leur partie avant. Ils ont un appareil branchial comme le nôtre. Les Hemichordata ont aussi un système nerveux qui n’est pas regroupé en nerfs et en ganglions mais en un ensemble diffus situé en contact de la peau (ou épiderme) : ils sont «épithéloneuriens».
Exemple d’Hemichordata : le balanoglosse ou ver pénis. Source de l’image : Blanoglossus. |
En haut un Hemichordata. En bas, un Cephalochordata. Remarquez la similitude de l’appareil branchial. La stomochorde n’est pas délimitée sur le schéma mais elle est à peu près là où indiquée. Remarquez aussi la différence de position du système nerveux. Source de l’image : un peu de comparaison. |
Les Echinodermata (échinodermes pour les intimes) sont des animaux à 5 cotés... Enfin, pour faire compliqué, ce n'est pas le cas de la larve qui a deux cotés comme nous. Ces animaux ont un système nerveux diffus, comme les Hemichordata. Vous connaissez au moins l’étoile de mer et l’oursin et très probablement le concombre de mer.
Exemples d’Echinodermata. A gauche deux étoiles de met prises en plein acte obscène, au milieu un oursin crayon et à droite un concombre de mer. Source : Etoiles de mer exhibitionnistes, oursin crayon , concombre coloré. |
Maintenant que vous avez fait la connaissance de tout ce beau monde, quelle classification leur a t-on donné ? Suivez le raisonnement phylogénétique et vous devrez la comprendre :
Tous ceux-là sont des deutérostomiens, on peut déjà les regrouper au sein des Deuterostomia. Céphalochordés et vertébrés ont des muscles en bandes. Hop, on les regroupe dans un groupe au nom barbare : les "Myomerozoa" ce qui signifie en gros "animaux avec des muscles en bande". Myomérozoaires et urochordés ont une belle chorde bien foutue sur tout le long du corps ou presque. On va les regrouper sons le nom de "Chordata", hop, c'est réglé. Hémichordata et Chordata partagent quelque chose de ressemblant, la chorde et la stomochorde. Mais vous verrez, ça se ressemble trop peu. Par contre ils partagent un bel appareil brancial, on va les appeler "Pharyngotrema" de pharynx et trema (du Grec) signifiant trou : ce sont les trous de l'appareil digestif qui forment l’appareil branchial. Les Echinodermes eux sont à part mais restent des deutérostomiens.
Présentons maintenant cette vision des relations de parentés entre Deutérostomiens :
Arbre phylogénétique (évolutif) « classique » des Deuterostomia. Remarquez que le vertébré est surpris de se retrouver au milieu de tout ce bordel... Source des images : Echinodermata , Hemichordata , Urochordata, Vertebrata, Cephalochordata. |
Pour lire cet arbre c’est simple. Par exemple on peut dire ici que Vertebrata et Cephalochordata appartiennent au groupe des Chordata. Ce qui signifie aussi que Vertebrata et Cephalochordata sont plus proches entre eux qu’ils ne le sont des Echinodermata. Ou encore que les Chordata on un ancêtre commun qui avait une chorde, qui n’est pas celui des Echinodermata. Il n’est pas question de savoir lequel ici est le plus évolué mais qui est plus proche de qui.
Voilà voilà c'est très joli tout ça mais... Aujourd'hui la classification des deutérostomiens est tout à fait différente ! Rha pourtant c'était tout bien rangé, les systématiciens sont pourtant là pour mettre de l'ordre ! Oui mais l'ordre le plus intuitif n'est pas toujours le plus naturel. Or de nouveaux caractères sont parfois découverts qui chamboulent tout. La comparaison de l'ADN n'y étant pas pour rien non plus.
Premièrement les Hémichordés comme je l'ai dit ont une stomochorde... Mais celle ci se forme totalement différemment de la chorde des chordés. L’argument de la chorde, bien que séduisant ne tient finalement plus très bien. De plus, les hémichordés ont eux aussi un système nerveux épithéloneurien comme les échinodermes... Haaa mais ils ont aussi un développement similaire aux échinodermes et des larves semblables. Faudrait-il les mettre ensemble ? L'ADN et certaines analyses en morphologie (contrairement à ce qu'on pourrait penser) sont formels : oui. On va appeler ce nouveau groupe Ambulacraria en rapport avec un système de cavité appelé "système ambulacraire " chez les échinodermes (qui est un système de circulation d’eau de mer). Ha mais c'est bien joli tout ça mais que fait-on de l’appareil branchial ? Contrairement à la chorde et à la stomochorde qui au final ne se ressemblent pas plus que ça, l’appareil branchial des Hemichordata lui ressemble bien à celui des Chordés. Or les échinodermes n’en n’ont pas. On est donc obligé de supposer que les échinodermes avaient un appareil branchial qu'ils ont perdu.
Certains fossiles laissent supposer ça : les Stylophora, des fossiles, rappelant furieusement des échinodermes, bien que très bizarres laissent penser qu'il avaient un appareil branchial. Tout va finalement pour le mieux dans le meilleur des mondes... Mais, certains plaisantins ont eu la bonne idée de proposer une nouvelle théorie pour l'interprétation de la morphologie des échinodermes (la théorie EAT, j'y reviendrai probablement plus tard puis elle n'est pas facile à expliquer) qui ne considère plus les Stylophora comme d'anciens échinodermes avec branchies mais comme des échinodermes proches de ceux qu'on a aujourd'hui qui auraient perdus leur branchies depuis longtemps. La discussion est encore en cours mais zut ! Ce n'est plus si simple !
A gauche, un fossile de Stylophora… Mouais c’est de la paléontologie hein, on ne voit pas grand chose même si le fossile est assez joli. A droite, schéma plus simple d’un Stylophora avec trois interprétations morphologiques différentes. En a et en c, on a l’hypothèse « chordé » où les stylophora ne seraient finalement pas des échinodermes mais des animaux plus proches des Chordata. En d, l’hypothèse où les Stylophora sont des échinodermes modernes et en b, l’hypothèse selon laquelle les Stylophora seraient des échinodermes proches des actuels sans y être inclus. Evidement vous n’avez pas à comprendre tout ça, c’est juste pour montrer que leur morphologie peut être interprétée de différentes manières. Sources des images : Cothurnocystis et Morphologie des Stylophora. |
Mais attendez, attendez ! les choses vont continuer à devenir plus complexes ! Admettons les Ambulacraria, ça tient bien même si on ne comprend pas très bien ce que les Echinodermes ont fait de leur appareil branchial (si on rangeait aussi...). L'Amphioxus, le petit céphalochordé, il ressemble quand même rudement à un vertébré avec ses muscles en bandes. Oui mais avouons le, les urochordés, à part la larve, eux ils ressemblent à rien alors bon, ça se trouve ils sont tellement modifiés qu'ils sont plus proches des vertébrés qu'on ne le pense. Paf ! Dans le mille ! les urochordés seraient plus proches des vertébrés que des céphalochordés. Rhaaaa ! Mais ça ressemble à rien ce groupe ! l'ADN l'a suggéré en premier puis la façon dont les gènes sont exprimés dans le développement aussi (oui un gène ça s'exprime, ça parle, si on sait l'écouter, on peut savoir où il agit dans le corps de l'animal). En gros la morphologie vient le confirmer. Le nom de ce groupe contenant les urochordés et les vertébrés ? Olfactores puisque qu’un organe impliqué dans l’olfaction (l’odorat) serait présent chez les vertébrés et les urochordés mais pas chez les céphalochordés.
Mais j'ai pas fini ! Ok on avait des groupes au départ on a tout chamboulé que peut-il y avoir encore ? A part enlever ou rajouter des groupes... Oui déjà on en a retiré, je vous renvoie à mon article à propos des Siboglinidae (d’ailleurs ce ne sont pas les seuls mais là je deviendrais vraiment long). Mais on en a aussi rajouté, je vous renvoie au même article à propos de Xenoturbella. Pour les flemmards je vous rappelle un peu tout ça. Xenoturbella pris en premier lieu pour un ver plat (proche du ver solitaire) puis ensuite considéré comme un mollusque s'est retrouvé projeté d'un coup chez les deutérostomiens. La structure de sa "peau" rappelle timidement celle des hémichordés. L'ADN le suggère aussi fortement. Soit, admettons, au point où on en est et vu que Xenoturbella ne ressemble pas à grand chose non plus on n’a pas beaucoup le choix. Xenoturbella serait donc proche des Ambulacraria dans un groupe appelé Xenambulacraria. Cependant ce résultat est de plus en plus largement accepté.
Xenoturbella, appartenant aux Xenoturbellida. Source de l’image : Xenoturbella. |
Voici la situation aujourd’hui…
Mais restez assis ! Il reste encore des choses à dire ! C'est la situation aujourd'hui mais il est possible que nous les deutérostomiens accueillions de nouveaux venus ! Les Acoelomorpha ! Pour la petite histoire, le plus connu de ce groupe est un petit ver vert découvert en France à Roscoff. Ce petit ver vit en symbiose avec des algues (Aurélide vous parlera d’un mollusque qui copie furieusement notre ver vert). Symsagittifera roscoffensis, puisque c'est comme ça que s'appelle ce petit ver, grandit avec des « algues » en lui qui lui apportent de l’énergie. Bref, il y a d'autres vers dans ce groupe qui encore une fois ne ressemblent à pas grand chose. Supposés pendant longtemps comme proche des bilatériens (animaux à deux côtés), sans y être invités, une étude récente avec plein d'ADN et des calculs super compliqués en méthodes probabilistes en "Bayesian Inference" avec des "mixture model" en "General Time Reversible" (ça claque) semble suggérer que les Acoelomorpha seraient donc des deutérostomiens proches de Xenoturbella. En fait une étude ADN précédente avait suggéré que Xenoturbella et les Acoelomorpha sont proches entre eux mais que cet ensemble est proche des animaux à deux côtés sans en être (oui, Xenoturbella a beaucoup voyagé). Puisque les Acoelomorpha et les Xenoturbellida ont aussi des caractères morphologiques en commun et que Xenoturbella a lui même des caractères morphologiques en commun avec les Ambulacraria (Etoile de mer et ver pénis), finalement cette hypothèse qui demande à être confirmée ne semble pas si farfelue. Xenoturbellida et Acoelomorpha sont regroupés sous le nom super barbare des « Xenacoelomorpha »… Oui quand on contracte des noms barbares ça donne ça ! Les zoologistes sont fort à ce jeu.
Exemples de vers Acoelomorpha : A gauche Symsagittifera roscoffensis, le ver de Roscoff et de jolies acoeles d’Indonésie. Source des images : adorables Symsagittifera et jolis acoeles. |
Ho, je passe outre le problème de l’appareil branchial qui se complique avec la venue des Xenoturbellida et des Acoelomorpha qui eux n'en n'ont pas, à proximité des Hemichordata. D’ailleurs ce n’est pas la seule perte, cette position des « Xenacoelomorpha » implique la perte de plein d’autres caractères au cours de leur évolution (la bouche par exemple est perdue chez les Xenacoelomorpha). Alors soit ce n’est pas interprétable morphologiquement et on a des caractères qui ont disparus sans explication, ce qui pose un sacré problème (faut pas déconner non plus ho les zoologistes !), soit on devrait trouver une trace de ces caractères. Parions que beaucoup de recherches se feront prochainement pour résoudre le mystère des caractères perdus... Et je vous passe aussi quelques problèmes au sein des vertébrés, notamment cette histoire de myxine sans vertèbres qui va être traité par Donald...
Voici donc une proposition de l’arbre des deutérostomiens plus « actuelle ». La position des Acoelomorpha est encore très incertaine. Celle de Xenoturbella moins mais restons prudents…
Le « nouvel arbre » des deutérostomiens. Et oui, ça a bien changé ! Source de l’image des deux nouveaux invités : Symsagittifera roscoffensis et Xenoturbella. |
Pour aller plus loin :
-Classification phylogénétique du vivant de Guillaume Lecointre et Hervé le Guyader, éditions Belin. Vous y trouverez le vieil arbre des deutérostomiens et les arguments qui le soutien.
-Article de blog (en anglais) : Our faceless cousins ? Du blog Catalogue of Organisms.
-Cameron C. B. 2005. A phylogeny of the hemichordates based on morphological characters. Canadian Journal of Zoology. 83, 196–215.
-Clausen S. et Smith A, B. 2005. Palaeoanatomy and biological affinities of a Cambrian deuterostome (Stylophora). Nature. 438 (17), 351-354.
-Delsuc F., Brinkman F., Chourrout D. et Philipe H. 2006. Tunicates and not cephalochordates are the closest living relatives of vertebrates. Nature. 439.
-Philipe H., Brinkmann H., Copley R. R., Moroz L. L., Nakano H., Poustka A. J., Walberg A., Peterson K. J. et Teldford M. 2011. Acoelomorph flatworms are deuterostomes related to Xenoturbella. Nature. 470, 255-260.
-Swalla B. J. et Smith A. B. 2008. Deciphering deuterostome phylogeny : molecular, morphological and palaeontological perspectives. Philosophical Transactions of the Royal Society. 363, 1557-1568.
Merci, tu m'as aidé dans ma révision
RépondreSupprimerDerien :)
RépondreSupprimerMais fais gaffe, le but de cet article n'est pas de donner une phylogénie vraie mais de montrer comment les choses évoluent. Notamment la position des acoele est super discutable (pour avoir demandé son avis à un phylogénéticien il m'a répondu "tu veux que je reste polis ou non ?"). Mais même pour le reste ça peut complètement bouger.