dimanche 22 décembre 2019

La science des rennes de Noël

A quelques heures de Noël, un homme tout de rouge vêtu s’affaire aux derniers préparatifs de sa grande aventure annuelle. Son moyen de transport favori est prêt à décoller : un magnifique traîneau tracté par des créatures féériques et pourtant bien réelles, les rennes. Si la capacité de voler de ces magnifiques Cervidae est bien comprise (de la poussière magique, et un breuvage top secret préparé par le Père Noël himself !), les scientifiques s'interrogent toujours sur une curieuse particularité de l’animal favori du pater : ce proéminent nez rouge dont est affublé le célèbre Rudolph ! Paraîtrait même qu’il brille dans la nuit…


Rudolph, le leader du tractage de traineau (Source)


La piste d’un avantage en termes de visibilité ?


Bien voir est une caractéristique importante chez beaucoup d’espèces de mammifères, qui utilisent la vision pour nombre d’utilités : trouver de la nourriture, repérer des prédateurs, se reconnaître entre individus, etc. Les rennes, de leur petit nom scientifique Rangifer tarandus, font face à quelques complications en matière de visibilité avec une luminosité particulièrement basse dans l’hiver de l’hémisphère nord. Pourtant, ils n’en sont pas moins bien lotis. En effet, une étude (1) a montré que ceux-ci sont capables de voir les ultraviolets ! Les chercheurs ont montré que les deux types de photorécepteurs que l’on trouve dans la rétine de ces animaux - les cônes et les bâtonnets - sont sensibles aux rayons UV. Un avantage certain en Arctique où la lumière est particulièrement riche en rayons ultraviolets. Une autre étude (2) confirme en effet que dans la faible lumière de l’hiver où végétation et neige se confondent dans le spectre de la lumière visible, les plantes et lichens dont se nourrissent les rennes opposent un fort contraste à la neige en vision UV, puisque celle-ci renvoie une grande proportion des rayons UV.

Les particularités des rennes en matière de vision ne s’arrêtent pas là ! Les yeux de Rudolph et ses compatriotes sont tapissés de tapetum lucidum, un tissu qui joue un rôle de réflecteur de lumière et qui permet d’améliorer la vision lorsque la lumière est faible. C’est ce tissu qui explique que l’on voit parfois des yeux briller dans la nuit, lorsque les créatures qui en sont dotées sont éclairées par les phares de voitures par exemple. Eh bien chez le renne, ce tissu lui permet de changer la couleur de ses yeux d’une saison à l’autre ! Ainsi, si vous croisez un renne avec des yeux d’un bleu profond, c’est probablement l’hiver en Arctique, tandis qu’en été, ces Cervidae arborent des yeux couleur or ! Un trait qui, d’après les chercheurs (3), permet aux animaux de mieux capter la lumière durant les sombres mois d’hiver.

Les yeux d'un renne en été et en hiver (Source)


Au delà de la faible luminosité, un autre paramètre est susceptible de réduire la visibilité de nos tracteurs de traineaux : le brouillard. Malheureusement, les deux adaptations citées ci-dessus ne leur permettent pas de voir par delà un épais tapis de brume. Or, comme il est rappelé dans un autre article (4), les cristaux de glace et gouttes d’eau qui forment le brouillard arrêteraient d’avantage la lumière bleue, tandis que les couleurs rouges seraient plus facilement visibles à travers la brume. Dans ces conditions, un élément émettant de la lumière rouge, à tout hasard le nez d’un renne, permettrait à toute une tribu de Cervidae volants de mieux s’orienter !

Est-il donc possible que le nez de Rudolphe soit une adaptation aux conditions arctiques ? Peu probable. En effet, un tel attribut serait aussi efficace pour attirer les prédateurs qu’un panneau de signalisation lumineux “mangez-moi” ! Si les bénéfices en termes de survie dépassaient les inconvénients, on trouverait sans doute plus de rennes au nez luminescent dans la nature. Mais pour l’instant, seul un individu arborant ce caractère est connu. Pourtant, c’est peut-être justement parce qu’on cherche “dans la nature” qu’on ne trouve pas. Car il pourrait tout de même s’agir de sélection, non pas naturelle, mais bien artificielle ! De la même manière que les agriculteurs sélectionnent les plus grosses citrouilles pour augmenter leur rendement, ou des arbres résistants aux conditions climatiques de leur région, il n’est pas du tout invraisemblable que le Père Noël ait petit à petit augmenté l’efficacité de son cheptel en privilégiant les rennes les plus aptes aux longs voyages nocturnes. Un renne avec un feu de brouillard en guise de nez, quoi de plus adapté pour voler !


Mais ça fonctionne comment, le nez de Rudolph ?


Concrètement, des apparences déconcertantes peuvent tout à fait apparaître brutalement chez des animaux, en conséquence de mutations aléatoires : changement de couleur, apparition de membres supplémentaires, pilosité surdéveloppée… Cependant, la probabilité qu’une mutation provoque à la fois un nez rouge et luminescent est très faible. Soit le Père Noël a eu de la chance, soit il a quelques notions de génétique !

Soyons honnête, les organismes luminescents ne courent pas les rues. Pourtant, ils existent bel et bien ! Vers luisants, créatures abyssales, champignons ou encore bactéries, on retrouve de la bioluminescence dans près de 700 genres (5). La plupart des espèces capables de bioluminescence sont marines, mais on en trouve aussi sur la terre ferme. Quid des couleurs émises ? Eh bien, c’est variable, avec des longueurs d’onde émises comprises entre 400 et 720 nm, soit des couleurs allant du violet jusqu’au rouge. Côté mécanisme, c’est une fois de plus variable, mais il s’agit souvent d’une histoire de molécules appelées luciférines qui, sous l’action de l’oxygène et de l'enzyme luciferase (5), mènent à la formation de photons, autrement dit de lumière. Un nez bioluminescent n’est donc pas impossible ! De nombreux organismes génétiquement modifiés existent d’ailleurs pour produire de la fluorescence, un phénomène un peu différent de la luminescence, qui consiste à émettre une couleur vive mais uniquement lorsqu’ils sont éclairés par une certaine lumière. Souvent, il s’agit d’introduire les gènes d’autres espèces naturellement disposées à briller. Il serait intéressant que les généticiens aient accès au patrimoine génétique de notre cher Rudolph, histoire de vérifier si le vieux barbu n’aurait pas glissé quelque amélioration à son meneur de traineau !

On trouve de la bio-luminescence naturellement chez des espèces très variées, comme ici le champignon Panellus stipticus ou l'insecte Lampyris noctiluca, communément surnomé ver luisant (Crédits: Ylem et  NEUROtiker)
 
 
Les chercheurs utilisent beaucoup d'organismes génétiquement modifiés pour produire de la fluorescence, ce qui permet par exemple d'observer des cellules précises. Ici, ce sont des nématodes Caenorhabditis elegans (Crédits : Sophie Labaude)


Allez, une dernière hypothèse avant de retrouver la féerie et le mystère de noël. Vous avez déjà entendu parler d’Heterorhabditis bacteriophora ? Il s’agit d’un nématode, un ver microscopique, qui parasite des insectes. Figurez-vous qu’il est doté d’une myriade de bactéries qui ont une double conséquence sur le pauvre insecte parasité : celui-ci change de couleur et devient d’un rouge soutenu, et il se met… à briller dans le noir ! Mieux encore, cette luminescence n’est pas restreinte aux insectes puisque de nombreuses descriptions font état de blessures chez l’humain qui brillent dans le noir ! Des blessures qui, étudiées de près, ont révélées la présence des bactéries en question (6). Et si le pauvre Rudolph était tout simplement… parasité !


Quand elles sont parasitées par des nématodes Heterhabditis bacteriophora, les larves deviennes rouges et luminescentes (Crédits: Sophie Labaude)




Références


(1) Hogg C., Neveu M., Stokkan K.-A., Folkow L., Cottrill P., Douglas R., Hunt D. M., Jeffery G. 2011. Arctic reindeer extend their visual range into the ultraviolet. Journal of Experimental Biology, 214: 2014-2019.

(2) Tyler, N. J. C., Jeffery G., Hogg C. R., Stokkan K.-A., Giguère N. 2014. Ultraviolet Vision May Enhance the Ability of Reindeer to Discriminate Plants in Snow. Arctic, 67: 159-166.

(3) Stokkan K.-A., Folkow L., Dukes J., Neveu M., Hogg C., Siefken S., Dakin S. C., Jeffery G. 2013. Shifting mirrors: adaptive changes in retinal reflections to winter darkness in Arctic reindeer. Proc Biol Sci., 280: 20132451.

(4) Dominy N. J. 2015. Reindeer vision explains the benefits of a glowing nose. Frontiers for young minds, 3: 18.

(5) Kahlke T., Umbers K. D. L. 2016. Bioluminescence. Curr. Biol,. 26: R313–R314.

(6) Colepicolo P., Cho K.W., Poinar G.O., Hastings J.W. 1989. Growth and luminescence of the bacterium Xenorhabdus luminescens from a human wound. Appl. Environ. Microbiol., 55: 2601–2606.







mercredi 12 juin 2019

Chagrin d’amour et pessimisme : des poissons broient du noir quand leur bien-aimé disparaît

Ha l’amour… Ce sentiment si unique qui fait dans nos coeurs la pluie et le beau temps... On voit la vie en rose lorsque l’être aimé est tout près, et on se met à broyer du noir quand il est hors de portée. Et de manière plus générale, la qualité d’une relation amoureuse chez les humains se reflète sur l’état affectif - ou l’humeur - des deux partenaires. C’est prouvé ! Un tel mécanisme renforcerait l’engagement des deux partenaires dans la relation, et permettrait donc au couple de durer. Mais les humains ne sont pas la seule espèce à s’engager dans des relations longue durée ! Il serait donc logique que ce lien existe aussi chez d’autres espèces, notamment celles dont l’élevage des jeunes nécessite des soins de la part des deux parents, et donc un couple solide pendant cette période.


Couple de cichlidés zébrés, Amatitlania siquia. Crédits : Chloé Laubu

Pour montrer ça, il y a un modèle biologique qui est tout trouvé : le cichlidé zébré ! Il s’agit d’un petit ostéichthyen (pour rester dans l’air du temps, nous emploierons le vulgaire sobriquet de “poisson”), originaire d’Amérique du sud, qui nous avait déjà permis d’aborder le concept de personnalité animale (par ici) et même de convergence de personnalité (les amoureux qui finissent par se ressembler, par là). Ces travaux viennent d’une équipe de chercheurs de Dijon, et j’avais même interviewé Chloé Laubu (a.k.a. ma super ancienne collègue), l’auteure principale du papier que je m’apprête à vous présenter. Elle était alors au coeur de ladite expérience. Voici donc la vidéo où elle récapitule plein de concepts (Spoiler alert!! A regarder après l’article si vous préférez garder le suspense jusqu’au bout).





Reprenons. Le but de l’expérience est de vérifier l’hypothèse selon laquelle une peine de coeur (absence du partenaire) influencerait l’état affectif, autrement dit l’humeur, des poissons. Ce qui implique de vérifier d’abord que les poissons peuvent préférer un partenaire plutôt qu’un autre, et ce qui implique aussi de savoir mesurer objectivement leur état affectif, un critère souvent vu comme une mesure très subjective ! Pas facile… Mais pas de panique, nos chercheurs ne manquent pas de ressources.


Etape 1 : le coup de foudre


Chez les cichlidés, et notamment pour les femelles, c’est la taille qui compte ! Quand elle a le choix, madame préfère les grands mâles. Pour s’en convaincre, il suffit de placer une femelle dans un aquarium à trois compartiments séparés d’une grille, avec un mâle de chaque côté. On mesure alors le temps passé par la femelle à proximité de chaque mâle, un bon indicateur de sa préférence. Le choix est souvent plutôt marqué : les femelles passent en moyenne 70% de leur temps à côté de l’heureux élu, et cette préférence se retrouve lorsque le test est répété plusieurs fois.


La femelle est placée au centre et a le choix entre deux mâles placés de chaque côté. Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Etape 2 : romance… ou chagrin d’amour


S’apparier avec son mâle préféré conduit-il à un couple qui fonctionne mieux qu'un mariage forcé ? Eh bien oui ! Il suffit de laisser la moitié des femelles rejoindre l’élu de leur coeur, et de… hmm… forcer l’autre moitié à rester avec celui qu’elles n’ont pas choisi. Le résultat est sans appel. Les femelles sont plus investies dans la relation quand elles ont pu choisir leur partenaire : elles pondent plus rapidement, passent plus de temps à surveiller leurs oeufs, ce qui conduit à plus de descendants. Sans compter qu’il y a moins de querelles de couples ! Les démonstrations agressives envers le partenaire sont moins nombreuses. Bref, le couple se porte mieux quand madame peut former un couple avec le mâle de son choix.

En haut : agressivité au sein du couple pour des femelles placées avec leur mâle préféré (en orange) ou avec leur mâle non préféré (en bleu). En bas : succès de reproduction selon le mâle qu'on a laissé à la femelle. Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Etape 3 : le bonheur est dans la boîte… ou pas !


Maintenant qu’on sait que les dames cichlidés choisissent un mâle aboutissant à un couple qui fonctionne bien, il s’agit de savoir si la séparation avec l’élu pourrait modifier son état affectif. Pour ça, les chercheurs ont commencé par une tâche étonnante : ils ont pris d’autres femelles (des individus tout frais histoire de pas biaiser les résultats) et leur ont appris... à ouvrir des boîtes ! Des petites boîtes avec un couvercle blanc ou noir, placées à gauche ou à droite de l’aquarium, et qui contenaient ou non une friandise (un ver de vase, rien de plus délicieux). Pour chaque femelle, la combinaison (aléatoire) était toujours la même : par exemple, la boîte blanche était toujours à gauche et contenait toujours la friandise, tandis que la boîte noire, toujours à droite, était vide. Elles ont ainsi appris qu’une des deux boîtes, facilement reconnaissable à sa couleur et sa position, valait le coup de se donner la peine de l’ouvrir, et l’autre non.





Etape 4 : Verre à moitié vide ou à moitié plein ?


Le génie d’apprendre à des poissons à ouvrir des boîtes, c’est que les chercheurs disposent maintenant d’un moyen de mesurer de manière tout à fait objective leur état émotionnel ! Pour savoir si un individu est plutôt dans un bon jour ou un mauvais jour, c’est à dire s’il (ou elle dans notre cas) est d’humeur plutôt optimiste ou pessimiste, il suffit de lui présenter un signal ambigu : une boîte grise, en plein milieu de l’aquarium ! Les optimistes l’ouvriront rapidement en espérant y trouver une friandise, les pessimistes seront bien moins pressés de faire l’effort de dépenser de l’énergie pour une boîte qu’ils imaginent probablement vide.

Pour en revenir à nos femelles, un fois leur apprentissage terminé, on leur propose donc une série de boîtes : d’abord une positive (avec friandise) puis une négative, histoire de leur rafraîchir la mémoire, puis une ambigüe (la fameuse boîte grise), puis encore une positive, une négative, et une positive pour la fin histoire qu’elles restent motivées à la prochaine session de tests. Chaque femelle est testée trois fois : tout d’abord avec une autre femelle de chaque côté, puis un mâle de chaque côté. Ces deux tests permettent de déterminer un état affectif de base des femelles, et le deuxième test permet également à la femelle de choisir un mâle. Lors du dernier test, un des deux mâles est retiré (l’élu de son coeur, ou l’autre). A chaque fois, les chercheurs mesurent le temps que les femelles mettent avant d’ouvrir la boîte. Verdict : les femelles qui ont été privées de leur mâle préféré étaient significativement plus pessimistes : elles mettaient plus de temps à se décider à ouvrir la boîte grise, démontrant un état affectif négatif !

Temps que les femelles mettent à ouvrir les boîtes ambigües selon le contexte (neutre ou en présence du mâle préféré ou du mâle non préféré). Les femelles à qui on a retiré leur mâle préféré (en bleu, à droite) sont plus longues à ouvrir les boîtes que dans les contextes neutres, une mesure interprétée comme du pessimisme ! Modifié d'après Laubu et al. 2019.


Cette étude suggère pour la première fois un attachement émotionnel d’un animal à son partenaire. Elle pose aussi sur la question de la fonction adaptative d’un tel attachement : il pourrait s’agir d’un mécanisme ayant évolué car il permet, comme chez l’humain, de renforcer les liens du couple. Parce que c’est bien connu : il faut qu’ils vécussent heureux pour qu’ils eussent beaucoup d’enfants !


Référence

Laubu C, Louâpre P, Dechaume-Moncharmont F-X. 2019. Pair-bonding influences affective state in a monogamous fish species. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 20190760. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2019.0760



Sophie Labaude

jeudi 18 avril 2019

Étonnants chétognathes et gnathifères, va falloir s’y faire !

Il est facile de se laisser fasciner par les choses étranges. Un phénomène météorologique bizarre, une rue à l’ambiance particulière dans une vieille ville, un plat atypique dont on n’est pas sûr qu’on osera y goûter ou pas, ou un animal tordu... Eh ben comme de par hasard ici on va parler d’animaux tordus ! Et souvent avec ces animaux, le problème c’est de savoir où ils se trouvent dans l’arbre de la vie. Un exemple classique que beaucoup connaissent c’est l’ornithorynque, ce mammifère atypique qui a des points communs avec beaucoup d’animaux différents. Lors de sa découverte savoir de quel animal il était le plus proche n’était pas évident. Mais à force de recherches on a compris que c’était bien un mammifère, différent de nous ou des kangourous, mais quand même plus proche de nous que des lézards et oiseaux (qui pondent aussi des œufs comme l’ornithorynque). Notre cher mammifère aquatique à bec a cette chance, justement, d’être un mammifère, et beaucoup de gens travaillent sur ces animaux. Mais qu’en est-il des groupes plus lointains de nous ? Les vers marins ou autres insectes ? Eh bien beaucoup de ces organismes sont encore mystérieux et on ne sait pas où les placer dans la classification animale, mais comme avec l’ornithorynque avec le temps on va y arriver (j’en ai parlé iciici ou ici). Et récemment un des groupes les plus énigmatiques est probablement en train de trouver sa place bien au chaud au sein de l’arbre du vivant : Les chétognathe (à prononcer kétognate) !

Voici un chaetognathe, y’en a qui disent que ça ressemble à une flèche… Source : ceci n'est (vraiment) pas une b**e 

Les dents de la mer, version spéciale plancton


Bon, déjà c’est quoi un chétognathe ? Comme je l’ai déjà brièvement expliqué ici (zoo au plancton) ce sont des vers marins planctoniques. Ça veut dire que s’il y a trop de courant, pouf, ils se font emporter. Des organismes planctoniques il y en a beaucoup, et les chétognathes sont parmi les prédateurs les plus terribles sur la planète Terre… car ils chassent le copépode (dont je parle aussi dans mon article sur le plancton) ! D’autres amis planctoniques très, très, très abondants dans les eaux, mais aussi très agiles. Les chétognathes sont donc aussi parmi les plus communs et les plus efficaces des prédateurs. Corps effilé en forme de flèche (on les appelle aussi vers sagittaires ce qui signifie "vers flèches"), organes sensoriels perfectionnés, réflexes affûtés, et des mâchoires aux dents acérées pouvant injecter du venin. S’ils faisaient plusieurs mètres au lieu de quelques millimètres (voir centimètres pour les plus grands), ils seraient dignes d’un film d’horreur. En effet, si terribles qu’ils soient il est plus probable que vous en ayez avalé en buvant la tasse en mer, que l’inverse. Ces animaux omniprésents dans les mers et océans sont pourtant relativement peu connus et comme l’a dit Darwin, même aujourd’hui ils restent « remarquables par (…) l’obscurité de leurs affinités et par leur abondance inouïe dans les mers intertropicales et tempérées. ». 

Le cauchemar des copépodes, la tête du chétognathe, toutes dents écartées ! Source :  que vous avez de grandes dents !

3… 2… 1… Bor**l  classificatoire !


Le problème de la relation de parenté (phylogénie) des chétognathes avec les autres animaux est assez similaire, à leur échelle évolutive, à celui des ornithorynques. Ils ont des caractères qui ressemblent à ceux de différents groupes, allant des insectes à nous. Lorsqu’ils étaient étudiés uniquement sur la base des caractère morphologiques, leur développement embryonnaire semblait si proche du nôtre qu’ils ont été placé dans ce grand groupe appelé « deutérostomiens » (en rapport avec le développement justement, j’ai parlé en détails de ces animaux ici) qui donc comprends les vertébrés (nous, entre autres) mais aussi les étoiles de mer (exemple : Brusca et Brusca 2003). Puis quand on a étudié leur génome, on a commencé à les placer avec cet autre grand groupe, les « protostomiens » qui contiennent les mollusques et les insectes (et plein d’autres groupes très étranges). Et là aussi ce n’était pas si simple, car les résultats semblaient indiquer qu’ils étaient plus proches des Spiralia (aussi parfois appelés Lophotrochozoa selon les gens, pour que ce soit plus simple), qui comprennent les vers de terre et les mollusques (exemple : Matus et al. 2006). Mais d’autres recherches on aussi trouvé qu’ils étaient plus proches des ecdysozoaires (j’en ai parlé ici : histoire de mue) qui contiennent les insectes et autres bêtes à plein de pattes (exemple : Paps et al. 2009). On a aussi pensé que les chétognathes étaient simplement le groupe le plus proche des autres protostomiens (dans le jargon, on parle de groupe frère), c’est-à-dire qu’ils forment leur propre lignée (résumé par exemple chez Dun et al. 2014). Bref, déjà si vous avez tenu jusque-là je vous félicite, et pour vous récompenser, voici un arbre qui récapitule tout ça, vous allez voir j’ai juste mis les chétognathes partout…

Comme vous le voyez les chétognathes ont beaucoup voyagé dans la phylogénie, va falloir me démêler tout ça ! Sources : chétognatheOrnithorynque,  Polypterus (vertébré qui n'existe pas)Acanthaster (étoile de mer),  squille (la "crevette" jolie mais pas sympa), Popoillon, Nématode (ver rond. Voilà, l'es scientifiques ont pas trouvé mieux pour les décrire), Dugesia (ver plat qui louche. Là par contre c'est moi qui les appelle comme ça), ver de terreest-ce un cargo ? 

Encore des présentations de vers étranges…


Mais récemment, trois études scientifiques sont venues apporter des indices sur la position des chétognathes, qui trouveraient enfin leur place au chaud dans la phylogénie des animaux, et ces études semblent concorder ! Ce qu’il y a de plus convainquant c’est que ces trois études utilisent trois méthodes différentes : l’étude des gènes « architectes » de la morphologie des animaux, la comparaison des gènes pour faire une phylogénie, et la réinterprétation d’un fossile pourtant bien connu. Je ne vais pas tourner autour du pot longtemps, vu que ces trois études vont vous donner la réponse, les chétognathes seraient proches des… gnathifères !!! Mais oui mais oui ! Mes petits bébés chouchous avec les Micrognathozoa dedans ! Comment ça j’ai raté une étape de vulgarisation ? Faut expliquer ce que sont les gnathifères ? Ah oui ! Allez c’est parti, ça m’fait plaisir, je le fais rien que pour vous…

Déjà « gnathifère » signifie « qui porte des mâchoires » tiens tiens… Comme les chétognathes et leurs mâchoires soyeuses. Ils sont formés de trois groupes (taxons) : les gnathostomulides et les Micrognathozoa (mes chouchous sur lesquels j’ai travaillé !) dont je parle dans cet article : petits vers et les rotifères dont Sophie a déjà parlé ici. Ce sont des animaux aquatiques microscopiques qu’on trouve un peu partout sur la planète : dans le sol ou dans les mers. Ils ont des petites mâchoires qui leurs servent à plein de choses comme gratter les bactéries, chasser ou aspirer l’intérieur des cellules de plantes. Dans ce groupe, ce sont les rotifères les plus communs, et ceux qui ont la plus grande diversité de modes de vie, eux on les trouve partout partout ! Il y en a même probablement dans la terre de vos plantes de maison. Les gnathostomulides et les Micrognathozoa sont par contre plus rares. Les gnathostomulides se trouvent dans certains environnements marins vaseux, et les Micrognathozoa seulement dans certains cours d’eau douce d’une île du Groenland et d’une île australe. Mais les gnathifères ont été regroupés pas juste parce-qu’ils sont petits, mous et qu’ils ont des mâchoires, mais aussi parce-que la microstructure de leurs mâchoires est similaire entre ces trois taxons. En effet elles sont composées de bâtonnets qui, lorsqu’on les coupes et qu’on les regardes au microscope électronique, ont un intérieur sombre et un extérieur clair. Par ailleurs, les gnathifères possèdent très souvent une partie centrale de leurs mâchoires en forme de pince. Cependant comme ils sont souvent tout petits, et qu’à part les rotifères ils sont assez rares, il a fallu du temps pour qu’on arrive à avoir du matériel génétique pour confirmer que c’était bien un groupe naturel, appelé groupe monophylétique, et c’était bien le cas (Laumer et al. 2015) !

(N'hésitez pas à cliquer pour agrandir ! Ces animaux ne mordent pas ! Enfin si, mais pas en photo.) Présentation des différents gnathifères et leurs mâchoires. Sources : Gnathostomulida, Gnathostomula paradoxa, Micrognathozoa, Limnognathia maerskianimalmâchoires, Rotifera, Testudinella patina, animal, mâchoires.

La structure générale et la microstructure interne des mâchoires d’un gnathifère constituées de bâtonnets avec l’intérieur sombre et l’extérieur clair (Gnathostomula paradoxa), d’après Herlyn et Ehlers, 1997.

Un secret partagé entre les rotifères et les chétognathes


La première étude à mettre les pieds dans le plat quant à la relation de parenté entre les chétognathes et les gnathifères c’est celle de Fröbius et Funch en 2017 (tout ça est relativement récent donc). Funch c’est quand même un des deux types qui a décrit les Micrognathozoa… Cette étude est une des premières à s’intéresser à la répartition des « gènes Hox » chez le rotifère Brachionus manjavacas. Les gènes Hox, c’est les gènes qui permettent la mise en place des différentes parties du corps d’avant en arrière chez les animaux. Autant dire qu’ils sont importants pour le développement embryonnaire. On  les utilise souvent pour mieux comprendre l’évolution entre différents taxons. Si une partie exprime les mêmes gènes Hox chez deux animaux différents, on va supposer qu’ils ont la même origine évolutive (jusqu’à preuve du contraire). C’est pour ça que beaucoup de chercheurs comparent l’expression des gènes Hox chez différents animaux pour pouvoir faire des hypothèses sur quelles parties de leur corps ont la même origine évolutive. Et qu’ont fait Fröbius et Funch à votre avis ? Ben ils n’ont pas comparé l’expression de ces gènes entre gnathifères (enfin ils ont regardé chez un rotifère quand même). Oh je ne leur jette pas la pierre, les gnathifères et les chétognathes c’est des animaux difficiles à manipuler en laboratoire (on est loin de l’organisme modèle docile sous la pipette hein). Par contre ils ont trouvé quelque chose d’assez intriguant quand même. En étudiant quels gènes Hox du rotifère B. manjavacas étaient présents dans son génome ils en ont trouvé un qui avait été déjà été décrit dans le génome des chétognathes, le gène MedPost. Et comme les gènes Hox sont importants pour le développement, on estime que le partage de la présence d’un même gène Hox est un argument fort a priori pour regrouper deux organismes. Par ailleurs ils ont quand même décrit l’expression de ces gènes Hox chez B. manjavacas ce qui offre des informations importantes pour les prochains travaux qui s’intéresseront à cette problématique. Cependant je reviendrai plus tard sur les critiques qu’on peut émettre. Reste que c’est une découverte très intéressante et qu’on espère que les prochaines études fouilleront un peu plus de ce côté-là.



(Cliquez pour agrandir) Résumé des différents gènes Hox qu’on retrouve chez les Spiralia. Remarquez surtout les gènes MedPost que l’on ne trouve que chez les chétognathes et les rotifères. Remarquez aussi qu’il manque du monde, j’ai nommé les Micrognathozoa et les gnathostomulides… Source Fröbius et Funch 2017


Encore des phylogénies !


L’autre étude encore plus récente de Martélaz et al. publiée en 2019 est celle qui place les chétognathes plus sérieusement dans la phylogénie grâce à la comparaison des séquences moléculaires. Pour ce faire, ils ont échantillonné plein de chétognathes, une dizaine d’espèces, ce qui est assez rare pour être signalé. Malheureusement, l’échantillonnage reste relativement faible en ce qui concerne les gnathostomulides, les rotifères et les Micrognathozoa (haha je rigole, il n’y a qu’une espèce de Micrognathozoa de toutes façons, je vous ai bien eu !). Et ils trouvent que les chétognathes sont proches (donc groupe frère) des gnathifères (et même dans certains de leurs arbres ils les trouvent dedans !). Voilà qui vient confirmer les résultats de l’étude précédente, qui rapprochait les rotifères des chétognathes ! Ce qu’il y a d’intéressant dans tout ça et sur quoi je n’ai pas encore insisté, c’est que le groupe [chétognathes + gnathifères] (on va dire gnatifères au sens large) sont le groupe frère du reste des spiraliens. Ce qui veut dire que comprendre leur évolution, c’est mieux comprendre l’évolution des spiraliens, vu que c’est un groupe qui s’est formé au début de leur évolution. Et comme les spiraliens c’est un des groupes animaux parmi les plus importants en termes d’espèces et de diversité, c’est aussi important pour comprendre l’évolution des animaux en général ! Ça met ces groupes, jusque-là souvent vus simplement comme des « groupes chelous », sur l’avant de la scène zoologique !

Résumé des relations de parentés entre les Spiralia et les chétognathes tels que résumés par Martélaz et al. 2019. Sources : chétognathe,  Micrognathozoa, Rotifera, Gnathostomulida Sterrer et Sørensen 2014, Gastrotricha,, Dugesia (ver plat)ver de terreescargot 

l’Ami Amiskwia rejoint le club


La dernière découverte de cette histoire est paléontologique cette fois-ci et provient d’une étude effectuée par Vinther et Parry et publiée récemment, en mars 2019. Ici les auteurs s’intéressent à un fossile qui a longtemps embêté les paléontologues : Amiskwia sagittiformis. Tiens, « sagittiformis » veut justement dire en forme de flèche, comme les chétognathes ! En effet, les scientifiques ont vite rapproché cet animal des chétognathes grâce à la présence de nageoires latérales, ce qui à vrai dire, ne court pas les rues chez les animaux ! Le problème c’est que cette bête a deux tentacules et pas de mâchoires, et ça, c’est pas très très chétognathe… Voyez plutôt : 


Vue d’artiste d’Amiskwia sagittiformis remarquez les deux trucs noirs à l’avant on va y revenir… L’animal faisait 2-3cm. source : ver fossile chelou

Cependant, quand je dis que les chétognathes n’ont pas de tentacules, certains du genre Spadella, ont des petites antennes tentacules trop mimi ! Mais mieux, Shu et al. en 2017 ont redécrit un chétognathe fossile, Protosagitta, en l’affublant de tentacules à l’avant de la tête (cependant Vinther et Parry pensent qu’en fait c’est pas un fossile de Protosagitta que Shu et al. ont trouvé mais... d’Amiskwia…) ! Ok et les mâchoires alors ?   Ben les deux structures noires que vous voyez dans la tête d’Amiskwia ont été redécrites par Vinther et Parry justement comme des structures symétriques en formes de mâchoires. Mais ça ressemble pas aux dents acérées des chétognathes me direz-vous ! Non, par contre ça ressemble un peu aux mâchoires des gnathifères. Ces auteurs vont encore plus loin. Amiskwia et les chétognathes ne seraient pas juste groupe frère des gnathifères ! C’en seraient ! Même qu’ils seraient plus proches des rotifères que des Micrognathozoa et des gnathostomulides... Cependant je resterais assez prudent sur ces conclusions, puisque les caractères qu’ils ont utilisé dans leur analyse sont assez mal renseignés pour les Micrognathozoa et les gnathostomulides. Reste que placer Amiskwia proche des gnathifères ne semble pas absurde vu les structures décrites. Donc ça ferait d’une pierre deux coup, on place les chétognathes et en bonus ce fossile mystérieux !

Le fossile d’Amiskwia et l’interprétation de ses mâchoires. Evident non ? Moi, comme d’hab’, j’fais confiance aux paléontologues... Source : Vinther et Parry 2019.

Conclusion critique du zoologiste un peu trop enthousiaste


Mais vous ne croyiez pas que j’allais laisser passer tout ça facilement alors que j’ai quand même travaillé sur les pauvres et délaissés gnathifères ? Un des problèmes c’est que justement les gnathifères sont très peu étudiés, alors il y a très peu de données sur le sujet et peu de chercheurs se sont intéressés à ce groupe. En tant que morphologiste déjà soyons clair, ça ne me dérange pas que les chétognathes soient groupe frère des gnathifères (même si bon, les chétognathes sont tellement chelous qu’on les mettrait n’importe où, ça ne me choquerait pas). Déjà l’étude de Fröbius et Funch est très intéressante et je suis relativement convaincu par le gène MedPost partagé par les chétognathes et les rotifères, cependant, les spiraliens sont des organismes dont le génome évolue très, mais alors très vite (ou le nôtre évolue lentement ?), et particulièrement pour les petites bêtes comme les gnathifères et d’autres spiraliens qui sont tout aussi riquiquis (les gastrotriches par exemple dont je parle ici). Toute conclusion doit donc être prise avec des pincettes (ou des petites mâchoires) tant qu’on ne regarde pas plus de spiraliens, et dans ce cas notamment les gnathostomulides et les Micrognathozoa. 

Bon, ça c’est des remarques générales, mais là je vais rentrer dans les détails, mais c’est trop tentant. Puis le but de la science c’est aussi de pouvoir être critique bon sang ! Ce qui m’ennuie un peu avec ces études aussi c’est l’utilisation du nom « Gnathifera » justement. Les gnathifères c’est bien défini, c’est des organismes avec des mâchoires formées de tubules et d’une partie en forme de pince. Que les chétognathes en soient groupe frère pourquoi pas, mais dire que ce sont des gnathifères c’est autre chose, parce-que ça laisse penser que les mâchoires des chétognathes et des gnathifères ont la même origine évolutive. Or d’après mon humble avis, rien n’est moins sûr en l’état actuel des connaissances. Déjà la structure des mâchoires des chétognathes est différente de celle des gnathifères, je vous laisse juger :

Section d’une dent de chétognathe à gauche. Elles sont formées d’une forme de pulpe plutôt que de petit tube, tubes que vous pouvez voir à droite où l’on voit une section de mâchoires de gnathostomulide. Les deux images sont des sections de mâchoires vues au microscope électronique à transmission. Source : Bone et al. 1983 et Herlyn et Ehlers, 1997

L’autre truc c’est que les mâchoires c’est quelque chose qui apparaît très souvent chez les animaux. Mais vraiment très souvent. Une vague ressemblance et une position proche dans la phylogénie ne suffit pas à pouvoir dire qu’elles ont une même origine évolutive. Puis ça dépend aussi ce qu’on appelle mâchoires ! Certaines chez les rotifères ne servent pas à mâcher mais de piston pour aspirer de l’eau (et des proies) ! Certaines comme chez les gnathostomulides semblent plus servir à gratter les bactéries ! Ou chez certains vers plats, voire même chez les chétognathes, elles servent à attraper !



Diversité des mâchoires chez les animaux. En haut à gauche, les mâchoires d’une terrible eunice, une annélide, source : ver ouille, en haut à droite, un schéma des mâchoires d’un mollusque : Puncturella noachina source : Vortsepneva et al. 2014. En bas à gauche, les cinq dents des mâchoires bizarres des oursins. L’organe est plus joliment appelé « lanterne d’Aristote » source : mâchoires poétiques. Et en bas à droite les mâchoires d’un ver plat, Cheliplana. Ces mâchoires sont sur le nez et pas autour de la bouche ! Ils les sortent et s’en servent pour amener la proie à la bouche ! Source : Uyeno et Kier 2010.

Le dernier argument qui me fait douter du fait que les mâchoires des chétognathes et des gnathifères ont la même origine c’est leur position ! Déjà, les dents des chétognathes ne sont pas à l’intérieur du pharynx, contrairement aux gnathifères, ensuite les gnathifères ont quasiment toujours une partie centrale en forme de pince, et les gens qui travaillent dessus pensent qu’elle a la même origine évolutive pour tous les gnathifères. Or les chétognathes n’ont pas cette partie non plus. Pour Amiskwia c’est un peu plus compliqué. Les mâchoires (supposées, c’est un fossile quand même) d’Amiskwia sont bien dans le pharynx, par contre, il n’a pas encore été montré qu’elles étaient attachées entre elles pour former une pince. Une homologie avec les mâchoires de gnathifères est donc plus probable mais pourrait être mieux étayée. Mais qui sait, peut-être qu’on trouvera d'autres fossiles qui vont clarifier tout ça ? 

Comparaison des différentes mâchoires des gnathifères en vue ventrale et supposément apparentés. Les mâchoires sont en rouges et les parties centrales en forme de pince (supposée avoir la même origine évolutive) sont en mauve. L’appareil digestif est en bleu. Profitez en bien, ça m’a pris un temps monstre à faire cette figure ! Rotifera : Dicranophorus et Gnathostomulida : Gnathostomaria 

Alors les chétognathes proches des gnathifères ? Il semble bien que oui, ils ne sont plus orphelins comme avant ! Hourra ! Mais de là à penser que leur mâchoires sont les même que celles des gnathifères, je ne pense pas ! Comme quoi ce n’est pas parcequ’ils sont placés dans la phylogénie que tous les mystères sont résolus ! Si les chétognathes perdent un peu de leur romantique mystère phylogénétique (je pense ce que je veux ok ?) ce sont toujours des organismes étranges, tout comme les gnathifères, dont leur rapprochement créé un groupe encore plus étrange ! Si c’est pas pour me plaire ça !!! Va y avoir des choses à résoudre en zoologie entre tout ça mes amis !


Sources :

Bone Q., Ryan KP. Et Pulsford AL. 1983. The structure and composition of the teeth and grasping spines of chaetognaths. Journal of the Marine Biological Association of the United Kingdom. 63(4) p929-939. https://doi.org/10.1017/S0025315400071332  

Brusca RC et Brusca GJ. 2003. Invertebrate, 2nd Edition. Sinauer Associates, Inc. ISBN13: 9780878930975

Dunn CW., Giribet G., Edgecombe GD., et Hejnol A. 2014. Animal Phylogeny and Its Evolutionary Implications. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics. 45:371-395. https://doi.org/10.1146/annurev-ecolsys-120213-091627

Fröbius AC. et Funch P. 2017. Rotiferan Hox genes give new insights into the evolution of metazoan bodyplans. Nature Communication. 8(9). https://doi.org/10.1038/s41467-017-00020-w

Herlyn H. et Ehlers U. 1998. Ultrastructure and function of the pharynx of Gnathostomula paradoxa (Gnathostomulida). Zoomorphology. 117:135–145. https://doi.org/10.1007/s004350050038

Laumer CE., Bekkouche N., Kerbl A., Goetz F., Neves RC., Sørensen MV., Kristensen RM., Hejnol A., Dunn CW., Giribet G. et Worsaae K. 2015. Spiralian phylogeny informs the evolution of microscopic lineages. Current Biology. 5(15). https://doi.org/10.1016/j.cub.2015.06.068

Martélaz F., Peijnenburg KTCA., Goto T., Satoh N. et Rokhsar DS. 2019. A New Spiralian Phylogeny Places the Enigmatic Arrow Worms among Gnathiferans. Current Biology. https://doi.org/10.1016/j.cub.2018.11.042

Matus DQ., Copley RR., Dun CW., Halanych KM., Martidale MQ. Et Telford MJ. 2006. Broad taxon and gene sampling indicate that chaetognaths are protostomes. Current Biology. 16(15), PR575-R576. https://doi.org/10.1016/j.cub.2006.07.017

Paps J., Baguñà J et Ruitort M. 2009. Bilaterian Phylogeny: A Broad Sampling of 13 Nuclear Genes Provides a New Lophotrochozoa Phylogeny and Supports a Paraphyletic Basal Acoelomorpha. Molecular Biology and Evolution, 26(10):2397–2406. https://doi.org/10.1093/molbev/msp150

Shu D., Conway-Morris S., Han J., Hoyal Cuthill JF.,  Zhang Z., Cheng M. et Huang H. 2017. Multi-jawed chaetognaths from the Chengjiang Lagerstätte (Cambiran Series 2, Stage 3) of Yunnan, China. Palaeontology. 60(6) p763-772. https://doi.org/10.1111/pala.12325

Uyeno TA. et Kier William. 2010. Morphology of the Muscle Articulation Joint Between the Hooks of a Flatworm (Kalyptorhynchia, Cheliplana sp.). Biological Bulletin. 218 p169-180. https://doi.org/10.1086/BBLv218n2p169

Vinther J., et Parry LA. 2019. Bilateral Jaw Elements in Amiskwia sagittiformis Bridge the Morphological Gap between Gnathiferans and Chaetognaths. Current biology. 29, 1–8. https://doi.org/10.1016/j.cub.2019.01.052

Vortsepneva E., Ivanov D., Purschke G. et Tzetlin A. 2014. Fine Morphology of the Jaw Apparatus of Puncturella noachina (Fissurellidae, Vetigastropoda). Journal of Morphology. 275 p775–787. https://doi.org/10.1002/jmor.20259

Nicobola

lundi 8 avril 2019

Les ramifications des nouvelles découvertes sur l’insignifiant placozoaire

En 2014 je vous parlais de « l’insignifiant placozoaire », ces animaux qui ressemblent à des trucs. Pas très précis me direz-vous ? En effet, leur forme n’est pas précise. On dirait des plaques vaguement rondes qui rampent, tout comme le nom de la première espèce découverte l’indique ; Trichoplax adhaerens, ou plus prosaïquement « la plaque à poils qui colle ». Pas très glamour et pourtant ! Et pourtant non.  C’est pas passionnant au premier abord. Ces animaux n’ont pas d’organes et oh révolution, je vous racontais dans mon dernier article qu’il y avait 6 types de cellules au lieu de 4. Voilà voilà. Cool. J’ai dit tout ce qu’il y avait à dire sur le sujet, on se retrouve dans un prochain article. 


Un placozoaire. Voilà. Source : wikipédia 

Nicobola
















Bwahahaha bien sûr que si y’a plein de trucs à dire ! Je vous ai bien eu n’est-ce pas ? (bon normalement vous avez vu que l’article était plus long que ça…). Les vrais zoologistes savent que tous les animaux sont intéressants ! Et c’est justement parce que cet animal à l’apparence simple a été délaissé, car considéré comme insignifiant, qu’il a plein de mystères à nous révéler ! Et puis j’ai déjà fait un article là-dessus, ça pouvait ne pas être aussi bref. 

Et pourquoi ces placotrucs seraient important pour la zoologie ?


Alors quoi de neuf chez les placozoaires ? Ben plein de trucs figurez-vous ! Déjà reprenons, les placozoaires sont bien des animaux qui bougent mais ils n’ont pas de muscles ni de système nerveux. Ceux qui suivent au premier rang diront « oui, mais c’est le cas des éponges aussi ! ». Soit, mais les éponges ne se déplacent pas (en tout cas une fois adultes, puis c’est pas si simple, j’en ai parlé ici ; préjugés sur les éponges),. De plus la majorité des zoologistes pense que les ancêtres des éponges n’ont jamais eu de système nerveux ni de muscles. En revanche la majorité des zoologistes pense qu’un des ancêtres des placozoaires possédait un système nerveux. Mieux, ces derniers possèdent plein de gènes en commun avec d’autres animaux qui ont une organisation interne plus complexe. Qu’ont-ils bien pu faire de leurs organes, muscles et système nerveux ? Normalement les animaux dont l’organisation interne se simplifie autant lors de leur évolution sont les parasites. Mais pour autant qu’on sache, les placozoaires qu’on connait ne sont pas parasites. Un mystère pour les zoologistes qui ne s’y sont pas tellement intéressés aux placozoaires en vrai… Alors qu’est-ce qu’il s’est passé pour que d’un coup ils deviennent « hype » ? Ben ces derniers temps y’a un gros débat chez les zoologistes. Je ne vais pas rentrer dans les détails car Pierre Kerner l’a déjà très bien fait ici  : relation avec Bob L'éponge, et je l’ai aussi évoqué ici : casse tête zoologique, mais la classification des animaux est assez bordélique. En gros il y a 5 groupes très anciens d’animaux qui peuvent nous renseigner sur le tout début de l’évolution des animaux en général :
-Les éponges qui n’ont ni système nerveux, ni muscles, ni tube digestif, ni symétrie
-Les placozoaires pareil, mais on pense qu’eux ont eu des muscles, un tube digestif et une symétrie dans le passé
-Les bilatériens, c’est, entre autres, nous, les animaux à deux côtés
-Les cnidaires avec les méduses et les coraux : système nerveux, muscles, tube digestif sans anus, symétrie en « étoile » 
-Et les magnifiques cténaires, un système nerveux, des muscles, un tube digestif sans anus, et deux axes de symétrie perpendiculaires.


Un magnifique cténaire, avouez qu’ils en jettent plus que les placozoaires. Source : wikipédia 


Ben les classifications basées sur les gènes ont beaucoup de mal à résoudre où se placent les cténaires et les éponges en ce moment, et sans vouloir rentrer dans les détails, ça pose beaucoup de questions sur l’origine évolutive du système nerveux et des muscles chez les animaux. Alors pour mieux comprendre l’évolution de ces organes, les gens se sont mis à plus étudier les éponges (enfin !), les cténaires (enfin !) et les cnidaires (on les connaissait pas mal mais mieux les étudier ça fait quand même pas de mal). Et puis bon, les pauvres placozoaires ont été délaissés pendant longtemps. Ceci dit ce débat sur la position des cténaires et l’origine des nerfs et des muscles  n’en finit pas chez les zoologistes et ils ont décidé d’étudier enfin les placozoaires ! Une aubaine pour ces pauvres petites plaques délaissées qui ne demandaient que de l’attention ! Il y a donc eu plusieurs publications dont je vais vous parler brièvement (sinon ce serait bien trop long !)

Les placozoaires vont-ils enfin avoir une place au chaud dans l’arbre évolutif des animaux ?


La première par Laumer et al. en 2018 (j’vous disais que c’était dans l’air du temps) a consisté à essayer de placer avec soin les placozoaires entre tous ces groupes. Pour cela, l’équipe a étudié en détails les gènes de ces animaux. L’étude montre que le groupe évolutivement le plus proche des placozoaires serait les cnidaires. Les flamboyants coraux et les gracieuses méduses associés à ces petites plaques collantes ? Allez, pourquoi pas. Et le taxon (groupe) le plus proches de ce groupe c’est nous, les bilatériens. Mais ça a des conséquences en termes d’interprétation de l’évolution des caractères ! Comme les cnidaires et les bilatériens ont des nerfs et des muscles, ça semble confirmer l’idée que l’ancêtre des placozoaires en avaient et les ont perdu en évoluant. Par ailleurs ça a d’autres conséquences qu’ils soient proches des cnidaires comme vous le verrez plus tard.

Les relations de parentés entre les 5 groupes d’animaux dont je vous parlais. L’étude en question trouve que les placozoaires et les cnidaires sont plus proches entre eux qu’ils ne le sont des autres groupes. Quant aux éponges et aux cténaires, la communauté des scientifiques n’arrive pas à trancher pour savoir de qui ils sont le plus proche. Sources : épongescténairesbilatériensplacozoaires, cnidaires

Une nouvelle espèce surprise !


L’autre découverte par Eitel et al. en 2018 c’est sur leur diversité. Eh oui, le vivant varie, change, et même les êtres les plus mal fortunés de l’évolution (oui je sais je suis sévère, mais c’est affectueux) ont le droit d’avoir un peu de diversité ! Jusque-là une seule espèce avait été décrite, la mal nommée Trichoplax adhaerens, et on se doutait qu’un groupe qui est probablement apparu il y a si longtemps avec les premiers animaux ne pouvait pas avoir qu’une espèce. On avait aussi différentes lignées en laboratoire, dont on savait qu’elles présentaient des variations génétiques. Mais là ces chercheurs sont allés plus loin et ont trouvé des différences assez importantes dans la structure du génome d’une autre lignée provenant de Hong Kong. Montrant même que les deux étaient reproductivement isolés (ils ne peuvent pas faire de bébés plaques ensemble). Les auteurs ont donc décidé non seulement de décrire leur lignée comme une nouvelle espèce mais aussi comme un nouveau genre, dû aux grosses différences de leurs génomes : cette fois ci la bien nommée Hoilungia honhkongensis. En effet, le nom Hoilungia est une mauvaise latinisation de Hoi Lung du cantonais signifiant « dragon des mer », une créature de la mythologie chinoise pouvant changer de forme comme les placozoaires. Asseyez-vous bien et préparez-vous donc à voir un petit dragon :


Voilà. Vous pourrez constater la différence flagrante avec Trichoplax. Si si regardez, y’a un plis là. Bref, vous moquez pas, tous les dragons ne crachent pas de feu, puis changer de forme c’est déjà pas mal. Source : Eitel et al. 2018.

Une découverte non sans gravité


Ensuite Mayorova et al. en 2018, répondent enfin à une question qui était ouverte dans l’article que j’avais écrit précédemment sur les placozoaires, à quoi servent donc leurs cellules brillantes avec un cristal à l’intérieur ? Comme on s’en doutait fortement, une cellule avec des cristaux dedans souvent ça sert à sentir la gravité chez les animaux. Comment l’a-t-on confirmé ? Ben il semble que des lignés de la même espèce peuvent avoir ou pas ces cellules cristallines. En comparant le comportement des animaux avec ou sans ces cellules on s’est rendu compte que les deux lignées ne se comportent pas pareil. Sur un support vertical, les placozoaires avec les cellules cristallines remontent et restent à peu près au même niveau la plupart du temps, alors que celles sans ces cellules se laissent glisser lamentablement vers le bas. Alors ouais c’est pas impressionnant, mais ces animaux n’ont que 6 types de cellules, et ça montre qu’ils peuvent bien sentir leur environnement et coordonner leurs mouvements en fonction de la gravité et cela sans système nerveux. On commence à mieux comprendre pourquoi ils ont autant de gènes, mais je n’ai pas encore fini mon histoire…


Les différentes trajectoires que prennent des placozoaires quand ils ont des cellules cristalines (à gauche) ou pas (à droite). Barres d’échelles : 100µm en haut et 5mm en bas. Source : Mayorova et al. 2018

Donc maintenant on connait la fonction de ces cellules cristallines, et morphologiquement on peut différencier 6 types de cellules chez les placozoaires. C’est mieux que 4 mais ça reste vraiment pas beaucoup. Dans la lignée d’études précédentes qui se demandaient s’il y avait quand même des différences physiologiques entre certaines cellules pourtant  non distinguables, DuBuq et al. en 2019 et Varoqueaux et al. en 2018 ont tenté de voir si ce n’était pas le cas. 

Les cachoteries génétiques des placozoaires révélées


Dubuq et al. sont allés voir où s’exprimaient certains gènes impliqués dans la mise en place de l’organisation d’un animal chez les placozoaires, et dont on se demandait sincèrement s’ils s’en servaient vraiment de ces gènes. Alors non seulement c’est le cas, mais en plus, loin d’une expression aléatoire de ces gènes, ils ont une expression plutôt bien organisée. On a bien un axe ventro-dorsal (on parle d’axe oral/aboral) et l’expression circulaire de certains de ces gènes du centre vers la périphérie, un peu comme une cible. Comme s’ils avaient une symétrie en étoile… ce qui rappelle les cnidaires dont ils seraient proches ! Et comme par hasard l’expression de ces gènes chez les cnidaires est assez similaire ! Donc, malgré leur apparence informe, les placozoaires sont bien organisés de manière précise grâce à ces gènes, et leur organisation semble être similaire à celle qu’on trouve chez les anémones et les méduses, même s’ils ont l’air plus simple !

(Cliquez pour agrandir) Illustration de comment s’expriment les différents gènes chez Trichoplax. Remarquez l’organisation en forme de cible. Source : Dubuq et al. 2019.


Mode d’emplois pour froisser ou faire tourner la tête à un gentil placozoaire


L’étude de Varoqueaux et al., elle, s’intéresse au comportement de Trichoplax adhaerens avec une approche assez chouette. Si l’ancêtre des placozoaires avait un système nerveux, alors il doit en rester des traces dans leur génome. Mieux, des traces de molécules impliquées dans la communication des neurones ! Ils ont donc cherché des « neuropeptides », c’est un peu comme des mini protéines qui permettent de réguler l’activité des neurones. A partir des gènes des neuropeptides décelés dans le génome ils ont fait deux choses : ils ont fait des anticorps qui permettent de savoir où ils se trouvent dans l’animal (en se fixant sur les molécules qu’on cherche et en produisant un signal coloré là où ils se sont fixés), et ils ont produit ces neuropeptides pour voir ce qu’il se passe quand on met ces neuropeptides dans l’eau de Trichoplax. Grâce aux anticorps, ils ont remarqué que ces neuropeptides se retrouvent eux aussi de manière concentrique dans l’animal. Ce qui montre qu’il y a encore différentes cellules qui produisent (ou du moins contiennent) ces neuropeptides ! Mais le plus cool c’est quand on met ces neuropeptides dans l’eau, ça provoque trois types de comportements : le froissement, l’arrondissement et la rotation, et le fait de tourner en spirale et de s’aplatir (oui, ça leur donne pas l'air malin). Ca veut dire plusieurs choses, le catalogue de comportement est encore plus grand que ce qu’on pensait, c’est-à-dire jusque là plus ou moins ramper, manger et changer de forme, mais certains de ces comportements sont modulés par des molécules qui en théorie agissent sur le système nerveux. Or rappelez-vous, les placozoaires n’ont pas de système nerveux ! Comment ils font pour intégrer le signal de ces molécules ? On ne sait pas encore, mais ça promet d’être intéressant à étudier ! 


(Cliquez pour agrandir) A gauche les zones où on trouve certains neuropeptides, remarquez encore la disposition en «cible». A droite deux exemples de changement de comportements en présence de certains neuropetides. Détachement et repliement avec la SIFG-amide, et aplatissement extrême et rotation avec la LF-amide. Les barres d’échelles font 200µm. Source : Varoqueaux et al. 2018.


Ah enfin une explication au titre tordu de l’article !


La dernière découverte c’est ma préférée ! C’est celle qui m’a inspiré pour écrire cet article (puis après j’ai rattrapé la littérature récente et j’ai pas résisté à vous en parler). C’est la découverte d’une nouvelle espèce de placozoaire par Osigus et al. en mars 2019  ! « Encore ? » me direz-vous ? C’était déjà le cas de Hoilungia honhkongensis qui malgré son nom un peu trop stylé pour ce à quoi il ressemble, a quand même grosso modo carrément la même gueule que Trichoplax adhaerens (alors que les placozoaires n’ont même pas de gueules). Non, là on a quelque chose de bien différent, celui-ci ressemble à… heuuuu je sais pas trop, à des racines je dirais ? Voyez vous-même ! C’est trop bien !


Polyplacotoma mediterranea, le nouveau placozoaire palpitant ! Source Osigus et al. 2019

Eh oui cette fois ci c’est pas juste une plaque ronde, mais c’est une plaque ramifiée ! Et pour le coup le nom Polyplacotoma mediterranea lui va comme un gant, puisqu’il signifie qu’il se sépare en plusieurs plaques et qu’il vient de la Méditerranée (plus précisément de l’Italie). Cette nouvelle espèce est plus grosse que les deux précédentes qui peinaient à atteindre le millimètre, puisque ce géant peut atteindre le centimètre ! Alors alors ? De nouveaux types de cellules ? Qui sait peut-être même des organes internes ? Et comment on est sûr que c’est un placozoaire ? Tant de questions ! Tant d’exaltation ! Heuuu pardon, je m’emporte.  Malheureusement cet animal est assez rare et fragile et la majorité des animaux ont été utilisés pour les analyses du génome. Par ailleurs, contrairement aux deux autres espèces, les chercheurs n’ont malheureusement pas réussi à cultiver celle-ci. Par contre les gènes de ses mitochondries (la centrale énergétique de la cellule) montrent que c’est bien un placozoaire et que Hoilungia et Trichoplax sont plus proches entre eux qu’ils ne le sont de Polyplacotoma. Et cette découverte montre que la diversité des placozoaires est encore mal connue, et qui sait, on en trouvera peut-être avec des muscles et/ou un système nerveux, ce qui nous permettrait de bien mieux comprendre l’origine de ces organes ! Et puis qui dit plus d’espèces dit meilleure compréhension de leur évolution, et comme je vous disais, une meilleure compréhension de l’évolution des autres groupes d’animaux dont je vous parlais ! C’est comme un puzzle, plus on rajoute de pièces, et plus l’image devient claire. Ca soulève aussi d’autres questions, comme : qu’en est-il des organisations concentriques d’expression de gènes ou de présence de neuropeptides chez Polyplacotoma qui n’est pas rond ? 

Bref, la découverte de ce petit animal ouvre plusieurs ramifications de questions et de potentielles réponses en zoologie ! Nos « insignifiants » placozoaires le sont de moins en moins en fonction des découvertes, et comme souvent, plus on étudie une chose et plus elle nous paraît complexe et importante, et aucun organisme ne devrait être délaissé, car chacun a son propre lot de mystères et d’histoires étonnantes !

Une découverte qui devrait inspirer certains zoologistes, il y en aurait même qui se seraient déjà tatoué ce drôle d’animal !

Un tatouage de Polyplacotoma mediterranea… Source : je vous laisse deviner…

Nicobola


Mais non ce n’est pas vraiment la fin ! Les placozoaires ont d’autres secrets à nous révéler comme… Allez non, ça ira pour aujourd’hui, j’ai vraiment fini !

Sources :

DuBuq TQ, Ryan JF et Martindale MQ. 2019. “Dorsal–Ventral” Genes Are Part of an Ancient Axial Patterning System: Evidence from Trichoplax adhaerens (Placozoa). Molecular Biology and Evolution. https://doi.org/10.1093/molbev/msz025

Eitel M, Francis WR, Varoqueaux F, Daraspe J, Osigus H-J, Krebs S, et al. 2018. Comparative genomics and the nature of placozoan species. PLoS Biology 16(7): e2005359. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.2005359

Laumer CE, Gruber-Vodicka H, Hadfield MG, Pearse VB, Riesgo A, Maioni JC and Giribet G. 2018. Support for a clade of Placozoa and Cnidaria in genes with minimal compositional bias. eLife, 7:e36278. https://doi.org/10.7554/eLife.36278.001

Mayorova TD, Smith CL, Hammar K, Winters CA, Pivovarova NB, Aronova MA, Leapman RD et Reese TS. 2018. Cells containing aragonite crystals mediate responses to gravity in Trichoplax adhaerens (Placozoa), an animal lacking neurons and synapses. Plos One, 13(1): e0190905. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0190905

Osigus HJ, Rolfes S, Herzog R, Kamm K et Schierwater B. 2019. Polyplacotoma mediterranea is a new ramified placozoan species. Current biology 29(5) pR148-R149. https://doi.org/10.1016/j.cub.2019.01.068

Varoqueaux F, Williams EA, Grandemange S, Truscello L, Kamm K, Schierwater B, Jékély G et Fasshauer D.  2018. High Cell Diversity and Complex Peptidergic Signaling Underlie Placozoan Behavior. 28(21) p3495-3501. https://doi.org/10.1016/j.cub.2018.08.067

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