Pendant vos cours de biologie animale ou dans des reportages à la télévision, vous avez du entendre que certains Hyménoptères vivaient en colonie. Ces colonies représentent la structure sociale la plus complexe, l’eusocialité, avec un partage du travail entre les individus selon des castes définies. Chez les fourmis, deux castes nous sont généralement présentées. D’un côté, vous connaissez certainement les reines, qui ont le rôle privilégié de la reproduction alors que d’un autre côté, les ouvrières assument les tâches « ingrates » de la colonie. Les ouvrières peuvent avoir différentes fonctions selon les espèces :
Les fourmis nourricières prennent soin des œufs et des larves et passent le plus clair de leur temps aux toilettages du nid et des individus dans la colonie
Les soldats sont pourvus de mandibules particulièrement développées qui leur permettent de se défendre contre les agresseurs
Confrontation ouvrière nourricière (à gauche)-soldat (à droite) chez Daceton armigerum (photos Guenard, Scheffrahn)
Les fourmis fourrageuses qui mettent leur vie en danger pour partir à la recherche de victuailles et nourrir leurs sœurs.
D’autres fonctions sont découvertes par les chercheurs au fil de leurs études.
Par contre, les reines, elles, ont la grande chance d’être les seules à avoir des ailes, leur permettant de s’envoler et d’aller copuler avec les mâles. Elles pourront alors se reproduire directement et donc transmettre leur patrimoine génétique à des descendants.
Enfin, ça… c’est ce qu’on a l’habitude d’entendre ! Or derrière cette dichotomie reine /ouvrière, les choses ne sont pas toujours aussi simples… La reine de la fourmilière ne serait pas la seule à faire des bébés.
Depuis un siècle environ, les chercheurs trouvent régulièrement des individus étranges dans certaines espèces. Elles ressemblent parfois à des reines, parfois à des ouvrières, ou bien elles peuvent être un mix, sans appartenir strictement à l’une ou l’autre des deux grandes castes. Mais elles ont un point en commun… c’est qu’elles pondent des œufs qui donneront de nouvelles petites fourmis. Pour le moment, quatre types de femelles reproductrices, autres que les reines, ont été identifiées par les chercheurs : les reines ergatoides, les intercastes, les gamergates et les ouvrières parthénogénétiques (Peeters 1991).
Les reines ergatoides correspondent à une caste reproductrice sans aile qui a évolué à partir des reines habituellement ailées. Au sein d’une espèce, toutes les reines ergatoides se ressemblent. Leur fécondité est similaire voire supérieure (comme chez les Eciton) à celle de reines ailées d’autres espèces. Ce type de reproductrice est présent à la place des reines ailées dans les colonies.
Morphologie des reines ergatoides (on remarque qu'elles se ressemblent toutes beaucoup!) d'après Buschinger & Winter 1975 Insect. Soc pour Harpagoxenus sublaevis
Les intercastes regroupent un ensemble de fourmis femelles qui exhibent des morphologies variés. Ces formes sont des combinaisons de caractères morphologiques des reines et des ouvrières, ce qui signifie qu’elles ont des phénotypes intermédiaires ; pour ceux qui ne le savent pas encore, le phénotype correspond à un ou plusieurs caractères observables chez les êtres vivants (gardez cette définition en tête, vous en aurez encore besoin !).
Morphologie des différentes intercastes (vous pouvez remarquer la grande variabilité des formes) d'après Plateaux 1970 Ann. Sci. Nat. Zool. Biol. Anim. pour les Temnothorax nylanderi
Ces intercastes peuvent avoir entre 0 et 3 ocelles (les yeux simples des insectes accompagnant leurs yeux composés), la structure du thorax (la partie centrale du corps) peut être simple comme celle des ouvrières mais peut aussi se complexifier jusqu’à atteindre celle des reines, avoir un nombre variables d’ovocytes (les cellules reproductrices) et avoir une taille corporelle allant des ouvrières aux reines. Elles n’ont généralement pas d’ailes. Les intercastes ne sont capables de se reproduire que dans certaines espèces comme Harpagoxenus sublaevis et Formicoxenus spp. (Francoeur et al. 1985) et sont présentes en même temps que les reines dans la colonie.
Les gamergates (prononcez le à l’anglaise !) sont des ouvrières reproductrices accouplées qu’on trouve dans certaines espèces de la sous-famille des Ponerines, dans les genres Diacamma, Rhytidoponera et Ophtalmopone. Ces petites ouvrières ne sont morphologiquement pas différentes de leurs sœurs non accouplées !
Et les petites dernières, les ouvrières parthénogénétiques, vont elles aussi produire des femelles diploïdes (la diploïdie correspond à la présence de chaque chromosome en 2 exemplaires dans la cellule ou l’individu, comme dans la plupart des cellules humaines !) mais sans avoir besoin d’être inséminées par un mâle. Ces ouvrières ne pourront produire que des petites femelles. En biologie c’est ce qu’on appelle de la parthénogenèse thélytoque ! Cette caste a été observée chez la Myrmicine, Pristomyrmex pungens (Itow et al 1984). Mais attention, cette espèce ne serait en fait pas eusociale … il n’est pas vraiment possible d’identifier des castes, puisque toutes les ouvrières passent par un état reproducteur au cours de leur vie! Etonnant, n’est-ce pas ?!!!
Maintenant que vous connaissez vous aussi les petites chanceuses qui peuvent transmettre leurs gènes, la grande question que vous devez vous poser en tant qu’adepte de l’évolution (Comment ça vous ne l'êtes pas ? Ne vous inquiétez pas, si vous vous intéressez à ces petites fourmis, vous ne tarderez pas à le devenir !!) c’est « Quel mécanisme évolutif se cache derrière l’apparition de ces drôles d’individus ? »
Maintenant que vous connaissez vous aussi les petites chanceuses qui peuvent transmettre leurs gènes, la grande question que vous devez vous poser en tant qu’adepte de l’évolution (Comment ça vous ne l'êtes pas ? Ne vous inquiétez pas, si vous vous intéressez à ces petites fourmis, vous ne tarderez pas à le devenir !!) c’est « Quel mécanisme évolutif se cache derrière l’apparition de ces drôles d’individus ? »
Les castes sont issues d’un développement embryonnaire fortement influencé par l’environnement (les ressources alimentaires, les hormones ambiantes, les conditions de température et d’humidité, etc….). C’est ce qu’on appelle le polyphénisme ; en grec, « poly » signifie « plusieurs » et « phanain » signifie « se montrer » donc le polyphénisme est la capacité pour un embryon de prendre des formes variées selon les conditions dans lesquelles il se développe. Un polyphénisme canalisé, c'est-à-dire quand tout se passe sans problème, aboutira soit à la production de reines soit à la production d’ouvrières, comme ce qu’on a l’habitude de voir chez les hyménoptères.
Mais comme on le sait, rien ne se passe vraiment comme ce qui est prévu ! Du coup, quand il y a des imprévus dans l’environnement ou bien des perturbations génétiques chez les larves, on peut voir apparaitre toute sorte d’individus. Selon les pressions génétiques (au hasard des mutations dans l’ADN…) ou environnementales qui se seront exercées au cours du temps sur les différentes espèces, des reproductrices différentes auront pris place dans certaines espèces de fourmis. Maintenant vous avez une petite idée de comment ces castes sont apparues !
Cependant, je vous rappelle qu’il ne suffit pas qu’une chose apparaisse pour qu’elle persiste dans le temps ! Une fois les individus produits, ils doivent faire face à la sélection naturelle, pilier de la théorie de l’évolution pensée par Darwin il y a déjà un petit bout de temps. Les phénotypes « nouvellement » produits doivent faire preuve d’une plus forte fitness (la fitness correspond à la capacité à se reproduire d’un individu avec un bagage génétique donné) que les phénotypes déjà existants pour être maintenues dans la nature. Une plus forte fitness implique que :
- soit les avantages dus à ces castes, à coûts identiques de production (temps et ressources investis dans le soin et l’élevage des larves), sont plus importants qu’avec les reines- soit les coûts de leur production, pour des avantages identiques, sont plus faibles que le coût de production des reines
Cependant, je vous rappelle qu’il ne suffit pas qu’une chose apparaisse pour qu’elle persiste dans le temps ! Une fois les individus produits, ils doivent faire face à la sélection naturelle, pilier de la théorie de l’évolution pensée par Darwin il y a déjà un petit bout de temps. Les phénotypes « nouvellement » produits doivent faire preuve d’une plus forte fitness (la fitness correspond à la capacité à se reproduire d’un individu avec un bagage génétique donné) que les phénotypes déjà existants pour être maintenues dans la nature. Une plus forte fitness implique que :
- soit les avantages dus à ces castes, à coûts identiques de production (temps et ressources investis dans le soin et l’élevage des larves), sont plus importants qu’avec les reines- soit les coûts de leur production, pour des avantages identiques, sont plus faibles que le coût de production des reines
Plus particulièrement, ces quatre castes reproductrices ont un avantage majeur par rapport aux reines standards : elles ne sont pas ailées ! Or les ailes sont énergétiquement très coûteuses à mettre en place lors du développement.
Développement du thorax et des muscles alaires dans différentes castes de Pachycondyla obscuricornis (photo: Antweb)
Ainsi l’énergie allouée au développement des ailes chez la reine peut être utilisée pour d’autres fonctions chez ces castes, comme par exemple la production d’un nombre plus important de jeunes, ou la production de jeunes plus robustes ou encore une meilleure survie.
De nombreuses études comportementales sont menées afin de déterminer les avantages que procurent ces « nouvelles » castes reproductrices aux colonies dans diverses espèces.
Mais on peut déjà garder à l’esprit que si ces phénotypes sont apparus par convergence (les apparitions de tels phénotypes dans les espèces de fourmis sont indépendantes les unes des autres) dans différentes espèces phylogénétiquement éloignées, et s’ils n’ont pas été contre-sélectionnés, c’est peut-être qu’ils procurent un avantage aux colonies qui les développent !
Références bibliographiques :
Francoeur et al. (1985) Biosystématique de la tribu leptothoracini (Formicidae, Hymenoptera) 1. Le genre Formicoxenus dans la région holarctique, Naturalise Canadien, 112 : 343-403
Itow et al (1984) The reproductive cycle of the queenless ant Pristomyrmex pungens, Insectes sociaux, 31 : 87-102
Peeters (1991) Ergatoid queens and intercastes in ants: two distinct adult forms which look morphologically intermediate between workers and winged queens, Insectes sociaux, 38:1-15
Plateaux (1970) Sur le polymorphisme de social de la fourmi Leptothorax nylandri (Förster), Morphologie et biologie comparée des castes, Annales Scientifique naturelle Zoologie 12ème Série, 12 :378-384
Tsuji et al. (1991) The caste system of the dolichoderine ant Technomyrmex albipes (Hymenoptera: Formicidae) : morphological description of queens, workers and reproductively active intercastes, Insectes sociaux, 38(4): 413-422
Très instructif, très bien rédigé, merci beaucoup
RépondreSupprimerPour plus d'infos, un très bon article scientifique a été récemment publié sur l'évolution des nouvelles castes chez les fourmis. Voici la référence: Molet,M., Wheeler,D.,E., and Peeters,C., (2012) "Evolution of novel mosaic castes in Ants: Modularity, Phenotypic plasticity ans Colonial buffering" The American Naturalist, vol 180, N°3 p328-341.
RépondreSupprimer"Confrontation ouvrière nourricière (à gauche)-soldat (à droite) chez Daceton armigerum"
RépondreSupprimerFaux, ce sont des pheidoles spp.
Daeceton est caractérisée des mandibules sur-développée, et n'est pas du tout de la meme famille !
Merci de revoir vos sources.