lundi 7 septembre 2015

Entourloupes naturalistes : des serpents imposteurs


Crédits : R. Bartz


« Il devait être et fut, pour l'Eve ennuyée de son paradis de la rue du Rocher, le serpent chatoyant, coloré, beau diseur, aux yeux magnétiques, aux mouvements harmonieux, qui perdit la première femme » [Une fille d'Eve (1834) - Honoré de Balzac]


Et si LE serpent, celui responsable de tous les maux de l’humanité, celui pour lequel nous croupissons sur Terre dans la misère et la douleur, loin des fruits délicieux du Paradis... Et si cette créature rampante vicieuse que tout le monde accable et dont le nom résonne aux oreilles comme une menace, une injure… Et si ce serpent… n’en était pas un ? C’eut été le plus beau subterfuge pour la vile créature qui nous a fait tomber du ciel : se faire passer pour un autre, jeter la pierre à tout jamais sur les vrais serpents, les faire à sa place les coupables éternels de la misère humaine…

Chute et expulsion d’Adam et Ève du paradis terrestre. Crédits : Michelangelo.

S’il y a bien une chose à retenir en biologie, c’est que les apparences sont parfois trompeuses. Avoir des ailes ou un bec ne fait pas de vous un oiseau. De même, une créature rampante, sans pattes apparentes, longue, pleine de vertèbres et d’écailles, n’est pas forcément un serpent. Les imposteurs sont nombreux, aussi avant de vous donner quelques exemples, tâchons de définir ce qu’est un serpent.

Selon Wikipédia, les serpents « sont des reptiles au corps cylindrique et allongé, dépourvus de membres apparents ». Mais surtout, ils « forment le sous-ordre des Serpentes ». Car c’est bien ça l’information importante. Les serpents forment un groupe, c'est-à-dire qu’ils ont un ancêtre commun, et qu’ils sont donc tous proches parents entre eux. Les serpents font partie de l’ordre des squamates, un groupe qui contient la majorité de ce qu’on appelle traditionnellement les reptiles, et qui comprend beaucoup d’autres espèces comme des lézards, iguanes ou caméléons. Les relations phylogénétiques (ou relations de parenté) entre toutes ces espèces ont fait l’objet, et feront encore l’objet, de nombreuses études, aussi les classifications sont-elles variables selon les résultats considérés. Selon une des dernières études publiée cette année, voici (en simplifié) l’arbre des squamates :


Relations phylogénétiques simplifiées, d’après la publication de Reeder et al. 2015.


Ainsi, tout comme un régime alimentaire ne suffit pas à garantir l’appartenance à un groupe (petite piqure de rappel), les caractéristiques physiques en tant que telles ne déterminent pas à elles-seules ce qu’est un serpent, contrairement aux relations de parenté. Et si l’arbre phylogénétique nous apprend que les serpents sont proches des Anguimorpha (les varans par exemple) et des Iguania (caméléons et compagnie), on se rend rapidement compte que d’autres prétendants au titre de serpent, de par leur physique, en sont du coup écartés. Voici quelques-uns de ces imposteurs…


Les amphisbènes ne se donnent pas tant de peine


Pas besoin de chercher bien loin pour trouver les premiers imposteurs : on repère tout de suite, sur l’arbre phylogénétique, ces espèces de gros vers serpentiformes que sont les amphisbènes. Peu connus, si ce n’est sous leur homonyme mythologique, ces animaux sont adaptés à une vie souterraine. Ils creusent des galeries dans la terre, le sable ou le tapis végétal, et passent presque tout leur temps sous la surface, notamment à la recherche d’insectes et larves en tous genres à se mettre sous la dent. Hormis une famille qui a conservé des pattes, l’absence de membres propres à creuser des galeries relègue ce rôle à leur tête. Au point que pour certains, la forme rappelle fichtrement celle d’une pelle.


Tête et crâne, parfaitement adapté pour creuser, de l’amphisbène Leposternon microcephalum. Crédits : Harvard College et J. Maisan

Les amphisbènes ont développé d’autres adaptations à ce mode de vie, tels des narines dirigées vers l’arrière, des yeux recouverts d’une peau translucide, ou encore, comme on peut le voir ci-dessus, une mâchoire inférieure en retrait, avantage certain pour ne pas s’en mettre plein la bouche en creusant. Comme ces énergumènes ne sont pas naturellement présents en France (on les retrouve essentiellement dans les régions tropicales et subtropicales), voici quelques photos pour apaiser votre curiosité.


Dans l’ordre : Amphisbaena fuliginosa, Amphisbaena alba, Blanus cinereus (que l’on trouve notamment en Espagne) et Bipes biporus (connu pour ses membres antérieurs dotés de griffes qu’il utilise pour creuser). Crédits : B. Dupont, D.B. Provete, R. Avery et M. Harms


Y’a comme anguille sous roche chez les lézards


Retour sur l’arbre de famille des squamates. Il y a un groupe qui paraît louche, de par son nom… Si les Anguimorpha contiennent bien les varans, ce n’est sans doute pas eux qui sont « de la forme d’un serpent » (selon la traduction latine d’Anguimorpha). Au milieu des lézards en tous genres (le groupe contient par ailleurs de très notables lézards venimeux) se cachent donc des créatures un brin plus serpentiformes, et pourtant bien connues : ce sont les orvets et affiliés, les bien (sur)-nommés lézards apodes (« sans pattes »).

Ainsi, contrairement aux idées reçues, les orvets relativement courants de nos jardins s’appelleraient davantage des lézards que des serpents. Et ce en dépit de leur corps longiforme recouvert d’écailles et leur langue qu’ils utilisent à s’y méprendre comme un serpent. Pourtant quelques différences sont notables. Ainsi, à la mode d’un lézard, les orvets sont capables de se séparer de leur queue pour échapper à un prédateur.

L’orvet Anguis fragilis, avec sa pupille bien ronde, paraît un peu plus sympathique que certains (vrais) serpents. Ils s’en distinguent notamment par la présence d’une paupière (Crédits : Marek Bydg et Waugsberg)


Si les orvets de nos régions (Anguis fragilis) sont de taille modeste (généralement moins de 50 cm), d’autres lézards anguimorphes peuvent atteindre un mètre de longueur, tels que le Scheltopusik (c’est bien son nom commun… son nom scientifique Ophisaurus apodus est presque moins barbare) ou le serpent de verre oriental Ophisaurus ventralis (qui n’est, malgré son nom, toujours pas un serpent) originaire d’Amérique du Nord.


Ophisaurus apodus et Ophisaurus ventralis. On en oublierait presque que ce ne sont pas des serpents… (Crédits : Ltshears et Fl295)


Les faux serpents sont partout…


Tels les serpents pour lesquels ils essayent de se faire passer, les lézards apodes s’immiscent partout, y compris en dehors des Anguimorpha. Ainsi, on en retrouve dans le groupe des Scincoidea (voir arbre ci-dessus) à travers le genre Chamaesaura. Bien que possédant des pattes, celles-ci sont si peu développées qu’on peine à les voir si l’on n’y fait pas attention. Autre groupe notable du côté des geckos, ces étranges lézards réputés pour leur capacité à marcher sur n’importe quelle surface verticale. Leurs proches cousins, les Dibamidae, revêtent en effet une apparence proche de celle des amphisbènes, avec des femelles complètement apodes, tandis que les mâles possèdent des vestiges de pattes. Enfin, le groupe même des geckos, renferme plusieurs espèces de serpentiformes, à l’instar du genre Delma qui contient une vingtaine d’espèces, toutes endémiques d’Australie.


Un représentant de tous les groupes cités ci-dessus : un Chamaesaura, Chamaesaura sp. (Crédits), un Dibamidae, Anelytropsis sp. (Crédits : T.M. Townsend), et deux espèces de geckos, Delma impar et Delma demosa (Crédits : Benjamint444 et JennyKS).


… Y compris parmi les parents des grenouilles


Vous l’avez compris, des reptiles qui se cachent derrière des faux airs de serpent, il y en a à foison. Ce ne sont pas les seuls à jouer l’illusion. Bien sûr la recherche d’analogies pourrait aller loin, nombreux sont les animaux au corps allongé et dépourvus de pattes. Sans vous faire l’offense de comparer les serpents aux vers de terre, il est pourtant un groupe de vertébrés qui vaut tout de même le coup d’être cité : les gymnophiones (plus connus à travers un de leurs sous-groupes, les cécilies). C’est du côté des amphibiens qu’il faut se pencher pour admirer ces créatures étranges. Et s’étonner de leurs similitudes avec les serpents.

Les gymnophiones sont des animaux fouisseurs, dont la longueur peut être tout à fait honorable, certains dépassant aisément le mètre. A l’instar des serpents, ils peuvent être dotés d’écailles, selon les espèces. Mais là où ils les surpassent, c’est dans la particularité que l’on attribue généralement aux serpents : la perte secondaire des membres. Cette perte s’est effectuée de manière indépendante (on parle de convergence) entre les vrais serpents et les gymnophiones. Là où les derniers s’illustrent, c’est que, contrairement aux serpents, il n’y a pas même de trace embryonnaire des pattes disparues, témoignant d’une perte probablement très ancienne. Ironie du sort, les gymnophiones constituent une des proies naturelles des serpents…


Deux espèces de cécilies : Ichthyophis glutinosus (Crédits : K. Ukuwela) et Siphonops paulensis (Crédits : A. Giaretta)


Tous ces exemples nous auront appris au moins une belle leçon : l’habit ne fait vraiment pas le moine. Nous ne sommes d’ailleurs pas plus avancés sur l’identité de la perfide créature du début des temps : serpent ou être plus vil encore ? La Bible nous donne pourtant un indice qui pourrait innocenter pour de bons les véritables Serpentes : si ce n’est sous le coup du courroux de Dieu, l’animal qui a corrompu Eve avait des pattes…



Bibliographie


Reeder, T.W., Townsend, T.M., Mulcahy, D.G., Noonan, B.P., Wood Jr., P.L., Sites Jr., J.W & WiensIntegrated, J.J. 2015. Analyses resolve conflicts over Squamate reptile phylogeny and reveal unexpected placements for fossil taxa. PLoS ONE, 10(3): e0118199.

Pyron, R.A., Burbrink, F.T. & Wiens, J.J. 2013. A phylogeny and revised classification of Squamata, including 4161 species of lizards and snakes. BMC Evolutionary Biology, 13:93.



Sophie Labaude

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