Qui n’a jamais entendu parler de sélection naturelle ? Mais si, vous savez, quand un individu a quelque chose que les autres de son espèce n’ont pas (des cornes pour se défendre, des yeux pour mieux repérer ses proies…) et qu’il parvient à mieux survivre, il a le temps d’engendrer plus de descendants. Et si ce trait est héréditaire, ses enfants seront aussi plus aptes à survivre que les autres et le trait sera susceptible de se répandre peu à peu à l’ensemble de la population, au fil des générations. C’est Charles Darwin qui a suggéré cette théorie de la sélection naturelle. En fait, Wallace avait fait la découverte exactement à la même époque, mais quand il a demandé l’avis du grand Darwin avant de sortir un article, ce dernier s’est empressé de publier son fameux livre L’origine des espèces. Et même si Darwin a également présenté les travaux de Wallace avant cette publication, l’histoire n’a retenu que lui, tout du moins aux yeux du grand public…
Mais revenons à notre sélection naturelle. Il y a quelque chose qui ne colle pas avec cette théorie. Comment expliquer par exemple la longue traîne du paon, qui est très voyante aux yeux des prédateurs et qui en plus a l’air handicapante pour voler ? Darwin répond lui-même à ce problème en invoquant ce qu’il appelle la sélection sexuelle. Si les femelles préfèrent les mâles colorés, ce sont ceux-ci qui se reproduiront le plus. Ainsi, chez de nombreuses espèces d’oiseaux, les femelles choisissent les mâles aux couleurs les plus chatoyantes, ce qui explique le fort dimorphisme observé (les femelles sont quant à elle souvent ternes et se confondent avec l’environnement). De même, si certains mâles parviennent à s’accaparer toutes les femelles, par exemple à l’issu d’un combat avec les autres mâles, ils auront le monopôle de la reproduction. L’exemple le plus frappant est peut être celui des harems, comme chez les éléphants de mer, où à l’issu d’un combat sanglant, le mâle victorieux s’accapare plusieurs dizaines de femelles.
Les choses semblent ainsi assez simples : plus un mâle est sexy ou fort, plus il pourra avoir accès à un nombre important de femelles, et donc plus il donnera de descendants (indépendamment de sa capacité à survivre qui est évidemment un paramètre crucial). Mais pas si vite, est-ce que copuler avec une femelle certifie de sa future paternité ? Pas si sur. En effet, chez beaucoup d’espèces, les femelles copulent avec plusieurs mâles avant de donner naissance. Et cette propriété ouvre les portes à une compétition plus discrète : la compétition spermatique.
Compétition spermatique ? Est-ce que les spermatozoïdes des mâles essaieraient de s’entre-tuer ? Eh bien, c’est à peu près ça.
Il y a de nombreuses formes de compétition spermatique, des plus simples aux plus extravagantes. Les mâles peuvent tout d’abord essayer de supprimer le sperme de leurs prédécesseurs, de manière chimique ou mécanique. Les drosophiles, par exemple, libèrent une toxine pour détruire les spermatozoïdes concurrents. A noter que ces toxines sont aussi néfastes pour la femelle et diminuent leur espérance de vie… Beaucoup d’odonates (libellules, agrions, etc.) possèdent une morphologie particulière du pénis avec des structures spécialisées (épines, soies, barbillons), leur permettant de racler le tractus génital de la femelle pour faire place nette.
Un pénis d'odonate (CCS Bio Blog)
Les mâles peuvent aussi diluer le sperme rival en inséminant une plus grande quantité de spermatozoïdes.
Une fois le sperme déposé dans le tractus génital de la femelle, les mâles ont tout intérêt à empêcher les autres mâles de copuler avec madame. Certains s’accrochent à la femelle jusqu’à la fécondation, effectuant ainsi ce qu’on appelle du gardiennage post-copulatoire. C’est pour cette raison que les mâles agrion restent littéralement accrochés à leur partenaire jusqu’à la ponte. Mais ce procédé empêche le mâle d’aller inséminer d’autres femelles pendant ce temps. D’autres mâles s’assurent de leur paternité en inhibant la réceptivité sexuelle de la femelle après leur passage. Chez de nombreux moustiques (par exemple Anopheles spp), les mâles transfèrent une substance dans leur liquide séminal qui rend la femelle non-réceptive quelques heures après l’accouplement. Chez d’autres espèces, de telles substances peuvent diminuer l’attractivité sexuelle de la femelle ou neutraliser les aphrodisiaques produits par d’autres mâles. C’est par exemple le cas chez certains papillons : bien que la femelle reste réceptive, les autres mâles ne sont plus attirés par elle.
Accouplement (à gauche) suivi de la ponte pendant laquelle le mâle reste fixé à la femelle (Crédits)
Les mâles peuvent aussi tout simplement obstruer les voies génitales de la femelle au moyen d’un bouchon spermatique, dont la composition est variable. Certains mâles (les bourdons par exemple) ont des glandes qui produisent une substance spéciale, une sorte de ciment qui forme une barrière à l’intromission. Chez des espèces de fourmis, le mâle sacrifie ses organes copulatoires pour boucher le tractus génital de la femelle. Enfin, Baker et Bellis ont proposé en 1988 « l’hypothèse des spermatozoïdes kamikazes », selon laquelle les spermatozoïdes non fécondants des mammifères aideraient à la formation d’un bouchon copulatoire. Cette hypothèse est cependant très controversée.
Ceci nous amène à une autre conséquence de la sélection spermatique : la diversité des formes de spermatozoïdes. Chez certains rongeurs par exemple, la tête des spermatozoïdes a une forme de crochet, ce qui leur permet de s’agréger en petits groupes et d’augmenter leur vitesse de déplacement.
A gauche, des têtes de spermatozoïdes de rongeurs en forme de crochets, qui permettent aux spermatozoïdes d'un même mâle de s'agglutiner (à droite). Les deux couleurs indiquent l'appartenance à deux mâles différents.
Mais une des conséquences les plus impressionnantes de la compétition spermatique reste peut être le géantisme des spermatozoïdes de la mouche Drosophila bifurca. Le mâle de 3 mm est capable de produire des spermatozoïdes longs de 58 mm. Ramené à l’échelle humaine, cela équivaudrait pour un homme à produire des spermatozoïdes de 30 mètres de longs… Ceux-ci forment des boules denses qui occupent toute la largeur du tractus génital de la femelle. Le premier mâle à copuler a donc la certitude de féconder autant d’œufs que de spermatozoïdes libérés.
A gauche, un mâle Drosophila bifurca entouré d'un des impressionnants testicules qui produisent les spermatozoïdes géants. Ces testicules représentent 11% de la masse du corps du mâle. Le mâle transfert les spermatozoïdes sous forme enroulée (Crédits).
Un seul spermatozoïdes de drosophile (Drosophila bifurca) sous sa forme compacte, enroulé sur lui-même (Crédits).
De nombreuses autres stratégies existent dans la compétition spermatique. Cette guerre est en effet de la plus haute importance puisqu’elle constitue la dernière étape, cruciale, avant d’accéder à la fécondation. Si les exemples que je viens de citer sont les plus représentés dans le monde animal, certaines espèces s’illustrent par l’originalité de leurs pratiques. Les punaises des lits (Cimex lectularius) sont peut être les championnes dans ce domaine : les mâles ont des comportements homosexuels et, à la manière d’une seringue, utilisent leur pénis perforateur pour injecter leur semence dans les corps d’autres mâles. Ces derniers, quand ils insémineront des femelles, injecteront au passage le sperme du mâle « parasite »…
Le pénis perforateur de la punaise (à gauche) permet au mâle d'inséminer la femelle dans n'importe quelle partie du corps... parfois même dans la tête ! (Crédits)
Références :
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