De tout temps, les Hommes ont cherché à organiser le vivant, à le classer, afin de pouvoir mieux l’appréhender et mettre un nom sur les choses qui les entouraient. Dès l’Antiquité, les Hommes avaient établi un « rangement » du vivant. Ainsi, Aristote (- 384 à – 322 avt JC) propose-t-il déjà de classer le vivant selon 5 grands groupes selon la « nature de leur âme ». Il définit donc les Roches, les Végétaux, les Animaux, les Hommes et enfin les Anges ; chaque niveau étant supérieur aux niveaux précédents. Aristote appelle ceci « l’échelle des êtres ».
Parallèlement, au sein des Végétaux, on assiste à la mise en place progressive de grandes catégories dans lesquelles se trouvent différentes plantes :
– les « bonnes herbes » (les plantes médicinales), encore appelées « simples »
– les plantes alimentaires,
– les plantes ornementales,
– les mauvaises herbes (« pestes » des cultures, des jardins…)
– les arbres, pour le bois d'œuvre et de chauffage
Toutes ces catégories sont basées sur leur relation entre les plantes et l’Homme : en clair, chaque catégorie correspond à l’usage que fait l’Homme de ces plantes… et ne correspond pas aux caractères, particularités, que peuvent porter ces plantes pour elles mêmes : c’est un raisonnement anthropocentrique (c'est-à-dire centré sur l’Homme uniquement). Ce détail est important pour la suite, vous verrez pourquoi.
Plus tard, au XVIème siècle, Andréa Cesalpino classe les plantes selon leurs organes de reproduction. Cette méthode de classement est reprise ensuite par d’autres naturalistes célèbres, tels que Joseph Pitton de Tournefort au XVIIème siècle, Carl von Linné au XVIIIème (à qui l’on doit notamment l’utilisation de la nomenclature binomiale… mais ceci est un autre sujet de discussion, ne nous dispersons pas), Antoine Laurent de Jussieu, fin XVIIIème, début XIXème siècle (fondateur des différents noms de familles de plantes encore utilisés aujourd’hui)… Tous ces personnages n’intègrent pas dans leurs travaux la notion d’évolution, car L’Origine des Espèces de Charles Darwin (première édition en 1859) n’est pas encore écrite !!!
Mais ne nous emballons pas. Jussieu crée, en 1789, différentes familles de plantes, dans lesquelles il regroupe les plantes décrites dès 1753 par Linné (dans l’ouvrage Species plantarum). Les plantes présentes dans ces familles s’y trouvent parce qu’elles possèdent une ressemblance globale entre elles. Au jour d’aujourd’hui, on parlerait de critères phénétiques* qui permettent la mise en place de ces regroupements.
Prenons l’exemple des macro-algues du groupe des Charophytes et des plantes aquatiques telles que Ceratophyllum sp. :
(à gauche, une Charophyte, à droite, Ceratophyllum sp., Sources : http://www.aphotoflora.com/lower_plants_stoneworts_characeae.html,
A première vue, ces deux organismes paraissent très proches ; ils vivent tous les deux en milieu aquatique, dans les eaux douces calmes et stagnantes… on pourrait donc penser qu’ils sont proches évolutivement, voire même parents proches ! Eh bien, en s’y intéressant de plus près on remarque qu’ils sont en réalité assez éloignés dans l’arbre du vivant : ils ne possèdent pas le même système de reproduction, ne sont pas organisés anatomiquement de la même manière… et cela va jusqu’au niveau cellulaire ! Car tandis que Ceratophyllum sp. possède des cellules diploïdes** lorsqu’il se trouve dans sa phase de vie la plus longue, les Charophytes possèdent des cellules haploïdes***.
Revenons à nos moutons. Jussieu a donc organisé les plantes dans différentes familles, selon leurs ressemblances globales.
En 1968, un botaniste Nord-Américain, Arthur Cronquist, organise les Végétaux selon un système d’ « arbres à bulles ». Ci-dessous, celui représentant les relations entre les groupes de plantes à fleurs tels que l’envisageait Cronquist :
(un "arbre à bulle" selon la vision de Cronquist, Source : http://botany.csdl.tamu.edu/FLORA/newgate/cron1dic.htm )
Selon lui, les Magnoliidae produisaient les Caryophyllidae et les autres groupes dits supérieurs au cours de l’évolution… Cette vision de l’évolution des plantes n’est pas sans rappeler celle d’Aristote et son « échelle des êtres ».
Ce que Cronquist n’avait pas pris en compte, c’était la parution en 1966 d’un livre de Willi Hennig, qui portait sur une nouvelle méthode de reconstruction des liens de parenté entre les êtres vivants : la méthode cladistique. Cette méthode se base sur l’étude individuelle de chaque caractère présent chez chaque individu, ce qui permet de faire des regroupements d’individus, non plus sur la similitude globale, mais sur le nombre de caractères exclusivement partagés… et dus à une ascendance commune (c'est-à-dire un même ancêtre exclusif). A la différence de Cronquist, Hennig précise que tous les organismes vivants actuels ont le même « niveau », « degré » d’évolution et qu’aucun organisme actuel ne peut descendre d’autres organismes actuels… C’est pour cela que la notion des Magnoliidae engendrant la lignée des Caryophyllidae ou des Rosidae est obsolète : les plantes présentes dans ces trois ensembles sont toutes des plantes actuelles. Il n’est donc plus question ici de « degré d’évolution », « d’ancienneté ». Par ailleurs, le groupe des Magnoliidae tel que l’entendait Cronquist a éclaté en plusieurs sous groupes, répartis au sein des Angiospermes.
D’autres travaux ont été par la suite effectués sur les caractères morphologiques des Végétaux, pour déterminer une classification phylogénétique de ceux-ci (c'est-à-dire une classification se basant sur l’histoire évolutive présumée réelle des grands groupes de Végétaux). Puis, les scientifiques se sont intéressés à une autre source d’information que les caractères morphologiques : les caractères moléculaires. Ces informations sont obtenues suite au séquençage d’une portion du génome des individus, grâce à un grand nombre de techniques de laboratoire que nous ne détaillerons pas ici.
En 1993, donc, une équipe de chercheurs dirigée par Chase a utilisé la séquence du gène RbcL (une portion de l’ADN contenu dans les chloroplastes des cellules des plantes) récoltée chez environ 500 taxons parmi les plantes à fleurs uniquement, de manière à organiser ceux-ci les uns par rapport aux autres, selon leurs relations de parenté présumées.
En 1998, un groupe de chercheurs - dénommé APG I, pour Angiosperm Phylogeny Group - a utilisé trois gènes pour obtenir une phylogénie des Angiospermes, mieux résolue que la précédente.
Quelques années plus tard, en 2010, le même groupe de chercheurs a effectué d’autres analyses plus poussées et a obtenu ceci :
(arbre phylogénétique simplifié des plantes à fleurs, d’après Angiosperm Phylogeny Website)
Comme on peut le voir sur cette figure, on ne retrouve plus les groupes « d’utilité » mis en place par les Anciens de l’Antiquité, pas plus que les groupes de Cronquist tels que celui-ci les avait imaginés. Les chercheurs d’APG se sont aperçus cependant que, contrairement à ce qu’on pensait au départ, il n’y avait pas uniquement deux groupes au sein des Angiospermes (à savoir, les Monocotylédones et les Dicotylédones), mais que les Dicotylédones étaient en fait constituées de plusieurs lignées tandis que les Monocotylédones sont monophylétiques. (elles proviennent toutes d’une même branche de l’arbre contrairement aux Dicotylédones). En revanche, les Magnoliids (au sens où l’entendait Cronquist, en partie) se retrouvent au beau milieu de l’arbre des plantes à fleurs… alors qu’on pensait que leur divergence au sein des Angiospermes avait eu lieu en premier ! Une telle remise en question de la position des groupes les uns par rapport aux autres ne peut s’effectuer que grâce à l’analyse cladistique, pour produire des phylogénies : d’où l’utilité de se baser sur ce type d’analyse plutôt que sur une étude des similitudes globales.
Voilà, j’en ai fini pour aujourd’hui ! A présent que les grandes idées ont été traitées, nous allons pouvoir nous intéresser en détail aux différentes particularités du monde végétal… mais ça, c’est pour plus tard !
* La phénétique est une méthode de regroupement d’individus sur la similitude globale qui existe entre ces individus. Cette méthode ne se base pas sur l’étude caractère par caractère (un caractère est un attribut observable d’un individu) de chaque individu, ce qui peut entrainer des erreurs d’interprétation.
** diploïde : une cellule est diploïde lorsque son noyau contient des paires de chromosomes homologues
*** haploïde : une cellule est haploïde lorsque son noyau ne contient que des chromosomes en un seul exemplaire chacun
Sources :
cours « introduction à la biologie animale » de Marc Girondot, professeur à l’Université Paris Sud 11
cours « classification et phylogénie » d’Hervé Sauquet, maitre de conférence à l’Université Paris Sud 11
Classification phylogénétique du vivant par Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader
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