jeudi 8 octobre 2015

Aventures brésiliennes – L’herbier de Rio de Janeiro

Salut tout le monde ! ça faisait un boutte que je n’avions point rédigé icitte (okay jvais arrêter de parler comme ça, ça va m’énerver). Et pour cause : dans le cadre de mon doctorat, je suis parti au Brésil. Voui voui tout à fait. Là. En vert.  

Le Bresil [source]
Et même plus particulièrement, à Rio de Janeiro. Eh ouais, rien que ça.  

Rio de Janeiro [source]

Mon sujet de doctorat, pour faire cours, s’intéresse à la biogéographie d’un genre de Légumineuses, le genre Crudia, qui se retrouve en Amérique du Sud, en Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud est. Il faut savoir qu’à cette échelle taxonomique, ce type de répartition est plutôt atypique. De plus, ce genre est très diversifié, comparé aux autres genres évolutivement proches. Je cherche à savoir s’il existe un lien entre cette répartition peu courante et très étendue, et cette diversité relativement importante.

Bref. Je vais passer un peu plus de trois mois (au Brésil hein, pas à Rio), ça va en faire des aventures botaniques à raconter ! Commençons dès à présent avec la présentation d’un travail que bon nombre d’étudiants et chercheurs en botanique systématique doivent réaliser, à un moment ou un autre de leur carrière : j’ai nommé, le travail en herbier.

Un herbier, qu’est ce que c’est ? Ça peut décrire plusieurs choses. Par exemple, on peut parler d’un herbier pour désigner une collection de plantes pressées et conservées par un botaniste amateur. Mais la plupart du temps, un herbier désigne une institution scientifique qui étudie, classe et stocke des spécimens de plantes séchées, classées sur des étagères. Ce sont en majorité des plantes entières ou des portions de branches comportant des feuilles, parfois des fleurs et des fruits. On y trouve aussi des portions de spécimens conservés en alcool, comme les fleurs ou les fruits. En particulier, ces herbiers sont les lieux où sont conservés les types (voir paragraphe suivant, pas de panique !) des espèces décrites par les scientifiques.

Un type, qu’est ce que c’est ?

Ce que l’on appelle un type dans le jargon botanique (et en taxonomie et nomenclature en général), c’est un individu, ou dans le cas d’une plante, une portion de l’individu, qui sera considéré comme porteur de tous les attributs diagnostiques permettant d’identifier une espèce, c'est-à-dire l’ensemble des caractères propres à une espèce et qui permettent de la différencier des autres espèces. Dans les herbiers et dans les collections taxonomiques, les types sont reconnaissables à la présence d’une étiquette rouge signifiant que c’est un spécimen clé. Par exemple, vous pouvez observer ici le type de Crudia klainei, une des espèces sur lesquelles je travaille.

Eh oui,  c’est une branche avec des feuilles sèches, toutes racornies. C’est en général ce qui arrive quand on fait sécher des plantes entre deux feuilles de papier, c’est pas forcément joli-joli à voir. Mais dans ce cas, quel intérêt à avoir un spécimen tel que celui-ci quand on pourrait avoir des photos à la place ? Tout simplement parce que d’une part, ce spécimen est historique et que la description de l’espèce telle qu’elle a été validée dans un journal scientifique est étroitement associée à ce spécimen en particulier, et que d’autre part, il est bien plus facile de travailler sur un spécimen réel que sur une photo. Car avec un spécimen, vous pouvez tourner les feuilles (avec délicatesse, c’est fragile !), réexaminer tel ou tel caractère… ce qui est infaisable sur une photo ! D’autre part, avoir un spécimen conservé en herbier permet d’avoir une preuve réelle de l’existence d’une espèce : on sait qu’on a bien un spécimen correspondant à une espèce en particulier, stocké quelque part dans un herbier. D’où l’intérêt d’avoir tous ces spécimens et tous ces types dans les herbiers, aux quatre coins du monde.

Le travail d’herbier à proprement parler

Un herbier, c’est comme une bibliothèque. Dans une bibliothèque, vous avez plusieurs choix à votre disposition lorsque vous travaillez : lecture, écriture, consultation de documents sur différents médias, discussion avec les bibliothécaires s’il s’agit d’une bibliothèque spécialisée… ce qui est le cas pour un herbier ! Et on y fait exactement ce qu’on peut faire dans une bibliothèque, sauf que les livres sont remplacés par des milliers voire millions de spécimens sur les étagères.

Herbier du MHNH de Paris. Sur la gauche, ce sont des compactus, des armoires mobiles ou les specimens sont stockes sur des etageres. [source]

Ainsi dans un herbier, on peut étudier les spécimens de plusieurs manières, plus ou moins en détail, on peut aussi en prélever certains fragments pour en faire des analyses ADN (si si je vous assure, ça fonctionne bien ! c’est juste un peu long. Et le prélèvement sur les specimens types est très sévèrement contrôlé, voire dans la plupart des cas, interdit), on peut réhydrater certaines parties pour mieux les étudier « en 3D » (les fleurs en particulier supportent mal le passage sous presse), on peut également redécrire un spécimen mal identifié ou même décrire une nouvelle espèce !

Alors maintenant, je vais vous parler de ce que je fais, dans le cadre de mon doctorat. Pas forcément de mon sujet de recherche en entier (et ça, je saurais de quoi il retourne quand ma thèse sera écrite et pas avant) mais de ce que je réalise lorsque je suis à l’herbier.

Au commencement fut… le spécimen

Le but de la manœuvre ici était d’assigner un nom d’espèce aux différents spécimens qui n’en portaient pas. En effet, dans toute grande collection d’herbier, certains spécimens ont juste été identifiés par le nom de genre mais pas par le nom d’espèce, par manque de temps ou par manque de connaissances sur lesdites espèces.

Ma tâche a été facilitée ici par le fait qu’au Brésil se trouvent seulement six espèces du genre Crudia (sur lequel je travaille), qui en compte une cinquantaine, réparties en Afrique, Amérique du Sud et Asie du Sud Est. Donc je suis chanceux, je n’ai à faire de différence « que » entre six espèces. Voici ma méthode opératoire : je commence par prendre des notes sur chaque spécimen que j’ai sous les yeux, de manière à brosser la diversité morphologique présente au sens de chaque espèce… mais aussi de chaque spécimen, car il existe une variation morphologique importante. Tout particulièrement, les espèces étudiées ici sont très proches morphologiquement et ont souvent des fleurs identiques. Or, ce qui est le plus utile en général en botanique, c’est de regarder les caractères portés par les fleurs pour distinguer les espèces entre elles. Ici, pas de chance, c’est difficilement faisable. Il est donc essentiel de se concentrer sur d’autres caractères, et c’est là qu’entre en jeu l’œil affuté du taxonomiste : je me concentre sur les caractères foliaires (c'est-à-dire les caractères portés par les feuilles) ! Ici, particulièrement sur la forme des folioles (qui sont une sous-division des feuilles lorsqu’elles sont composées) et leur aspect (poilues ou non). Oui mais voilà, parfois, ça ne marche pas ! Et je ne peux pas trancher entre deux espèces. Alors je regarde d’autres caractères portés par les fruits cette fois ci. En combinant les caractères des feuilles et des fruits, je suis capable de rattacher un spécimen à une espèce ou une autre… la plupart du temps. Car oui parfois, il faut bien savoir s’avouer vaincu !       

A : Crudia aequalis, B : Crudia amazonica, C : Crudia bracteata, D : Crudia glaberrima, E : Crudia oblonga, F : Crudia tomentosa [source]
Non seulement il est possible d’assigner un nom d’espèce à un spécimen qui n’en avait pas encore, mais il est aussi possible de revoir le travail des chercheurs précédents qui peuvent avoir fait des erreurs. C’est en cela qu’un herbier n’est pas une grosse collection de plantes mortes stockées sur les étagères : c’est une bibliothèque en constante évolution au gré des nouvelles classifications, des nouvelles espèces découvertes et des révisions taxonomiques.

De telles bibliothèques sont réparties à travers le monde et ont chacune des collections de référence, la plupart du temps lié à un passé historique spécifique. Ainsi, les herbiers des Pays-Bas possèdent de nombreux spécimens rapportés d’Asie lors de la période coloniale, de même que les herbiers de France possèdent de nombreux spécimens africains. Les herbiers des pays du Nord possèdent en général une gamme étendue de spécimens anciens venant du monde entier tandis que les herbiers des pays du Sud ou émergents possèdent des spécimens récents provenant souvent du pays même où se situe l’herbier. Il faut donc choisir les endroits où l’on va étudier en fonction des objectifs de recherche que l’on s’est fixé !

La prochaine fois, je vous parlerai du travail réalisé à l’herbier de Belém, qui est ma prochaine destination. J’espère y trouver au moins autant sinon plus de spécimens qu’à Rio et je vous présenterai un autre type de travail qui peut être réalisé sur les spécimens à disposition.
Et en bonus, voici à quoi ça ressemble, un environnement de travail à l’herbier.

Un plan de travail comprend, en général, une loupe binoculaire avec un système d’éclairage, de la place pour étaler les spécimens et parfois un ordinateur (comme c’est le cas ici)


Pour prendre des photos détaillées, on utilise en général un pied pour fixer l’objectif afin d’avoir toujours le même angle de vue. Parfois, il s’avère qu’un tel dispositif ne soit pas disponible alors il faut savoir improviser avec les moyens du bord !

Boris

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