Cette semaine le café des
sciences nous propose de parler du cerveau. Comme je vous ai récemment parlé de
réseaux écologiques, j’ai décidé de rester dans la thématique des réseaux et de
vous expliquer avec des mots simples ce que sont les réseaux neuronaux. Parce
qu’en fait l’expression « réseau neuronal » est loin d’être explicite.
Alors effectivement elle a des fondements biologiques en lien avec les
neurones, mais en fait, ça n’a plus grand-chose à voir avec notre matière grise
à proprement parler.
Historiquement, les réseaux de
neurones ont été mis en évidence par 4 chercheurs américains au cours des
années 60. En 1968, ils publient « What the frog’s eye tells to the frog’s
brain », un article qui décrit la structure neuronal chez la grenouille.
Ils y expliquent aussi l’organisation du neurone et sa fonction au sein d’une
structure complexe, les réseaux de neurones. A la suite de ces observations
biologiques, les scientifiques ont schématisé un neurone en trois
parties : les dendrites qui constituent les entrées de l’information créée
par un stimulus, un corps où l’information est traitée, et l’axone qui
représente la voie de sortie de l’information vers d’autres unités neuronales.
Représentation schématique d'un neurone formel |
Ce schéma correspond à celle d’un
neurone formel. A ce stade, on est tout juste à la jonction entre les réseaux neuronaux biologiques et les réseaux neuronaux mathématiques.
En effet, un neurone formel,
c’est une représentation informatique et mathématique du neurone biologique. Un
neurone formel, comme les neurones biologiques, ne traîne jamais seul. Les
neurones formels sont regroupés en réseaux de neurones artificiels (voir la
figure ci-dessous). Ces modèles mathématiques peuvent réaliser des fonctions
complexes logiques ou arithmétiques comme en sont capables nos propres réseaux
de neurones.
Un réseau neuronal constitué d'enchaînements de neurones formels, branchés en parallèle. Et encore celui là est simple comparé à ceux qu'on peut trouver! |
Alors vous allez me demandez
pourquoi je vous ai dit un peu plus tôt que l’expression « réseaux
neuronaux » n’était pas explicite ?
C’est parce que les réseaux
neuronaux, au sens courant des scientifiques, sont un modèle de calcul qui sont
à la fois utilisés comme applications statistiques et comme méthode
d’intelligence artificielle (quoi de plus logique pour des neurones !).
Sans vouloir vous assommer avec
des explications mathématiques bien trop complexes pour la biologiste que je
suis, il est pourtant essentiel de préciser que l’élément révolutionnaire du
modèle mathématique neuronal est l’apprentissage. C’est-à-dire que les
paramètres du modèle vont s’adapter en fonction des différentes expériences
auquel le modèle a à faire face au cours d’une application. En gros, le modèle
mathématique va apprendre de ces expériences.
Trêve de maths ! Pour concrétiser un peu les choses voilà
quelques applications possibles des réseaux neuronaux. Dans des domaines très
variés, on peut les utiliser pour la classification automatique des codes
postaux, la prise de décision pour un
achat boursier en fonction de l’évolution des cours, les paris pour les jeux de
courses, le décodage de signaux de télédétection émis par les satellites, l’estimation
de la valeur d’une entreprise, la modélisation de l’apprentissage et
amélioration des techniques d’enseignement ou encore les prévisions
météorologiques…
Concernant la biologie et l’écologie, les applications peuvent être
aussi diversifiées :
- on peut utiliser les modèles de réseaux neuronaux pour connaître les
doses de radioéléments à prescrire et le protocole d’administration au patient dans
les traitements contre le cancer. Pour cela on utilisera les données sur des
patients antérieurs de même morphologie et avec les mêmes caractéristiques
vitales.
- pour prédire le comportement d’une espèce invasive à son
introduction dans un milieu, on peut fournir au modèle de réseaux neuronaux les
informations obtenues sur les cas précédents d’invasion par cette espèce, comme
les paramètres d’extension de l’espèce (reproduction, survie, consommation…) et
les caractéristiques du milieu d’accueil.
- les réseaux neuronaux pourront aussi permettre de connaître l’impact
de la disparition d’une espèce au sein d’un habitat bien connu et décrit en
termes de biodiversité, d’abondance d’espèces et de paramètres
physico-chimiques.
- un exemple d’utilisation des réseaux neuronaux est la classification
de taxon sur la base d’analyse ADN ou de caractères morphologiques.
Vu qu’on est justement sur un blog de biologie des organismes, je vais
vous détailler un peu ce dernier exemple : Les informations d’entrées dans le modèle de réseau
neuronal doivent être numériques. C’est-à-dire qu’on va attribuer une valeur à
tous les caractères comparés (morphologiques ou moléculaires) pour chaque taxon
qui doit être classé. Le nombre de valeurs d’entrées n’est pas limitée, et plus
il y en a, plus l’algorithme donnera un résultat robuste. Sur la base des
similarités rencontrées entre chaque couple de taxon (duo, triplet,
quadruplet….) le modèle statistique va être capable de produire en sortie, une
classification unique dépendant des données d’entrée. En d’autres termes, ça
veut dire que si on modifie une de ces données d’entrée ou alors qu’on apporte
une information de plus, il réexaminera les relations entre les taxons pour
confirmer ou invalider la classification précédemment proposée. La différence
avec les autres méthodes de classification, c’est qu’elle garde en mémoire les
relations entre tous les couples de taxon pour chaque caractère déjà exploré
lorsqu’elle examine un nouveau caractère. Au final elle aura estimé toutes les
relations inter-taxons pour chaque caractère et chaque interaction entre
caractère. Cette méthode statistique
permet également de savoir de quel taxon se rapproche le plus un organisme X
sans nécessairement l’inclure dans la classification.
Je ne vous cache pas que les
réseaux, et encore plus les réseaux neuronaux, c’est quelque chose d’assez ardu,
mais ils ne sont qu’une pâle image de ce qu’on peut trouver dans la nature.
Pour les plus téméraires d’entre
vous, voilà un article sur MSDN Magasine, bien plus technique que le
mien, et qui aborde les dessous maths/info des réseaux neuronaux.
Références:
- Lettvin, J.Y., Maturana, H.R., McCulloch, W.S., & Pitts, W.H. (1959) What the Frog's Eye Tells the Frog's Brain, Proceedings of the IRE, Vol. 47, No. 11, pp. 1940-51.
- McCaffray, J. Classification et prédiction à l'aide des réseaux neuronaux, MSDN Magasine
Bonsoir. Interessant post comme d'habitude. En revanche je suis un peu surpris par le cote historique. L'article cite est une revue, qui est posterieure de 16 ans a l'article principal de McCulloch and Pitt (McCulloch, W. and Pitts, W. (1943). A logical calculus of the ideas immanent in nervous activity. Bulletin of Mathematical Biophysics, 7:115 - 133.) Lettvin et Maturana n'ont rien a y voir.
RépondreSupprimerMais plus important, la structure des neurones, avec dendrites, soma et axone, est connue, elle, depuis plus d'un siecle (Ramon Y Cajal), comme leur integration au sein de reseaux de neurones. (d'ailleurs un precurseur des neurones artificiels est Lapicque, au debut du XXeme siecle, qui est credite, un peu exagerement, d'avoir invente le modele des "spiking neurons")