Haha, bande de veinards !
Alors que l’Europe se réchauffe (enfin !) sous les rayons printaniers du
soleil précoce, au Québec, c’est toujours l’hiver. Le vrai. Celui où les mots
gèlent en sortant de la bouche. Et où tes sourcils restent figés lorsque tu
fais la grimace, tellement ils sont plein de givre.
Bon, j’exagère… mais à peine.
Pour preuve, une photo d’actualité :
Après la pluie, dans les Laurentides |
Sophie vous a déjà parlé des
mécanismes chez les animaux qui permettent de vivre par très basse température
(voir ici). Mais la résistance à l’hiver s’observe aussi chez d’autres
organismes qu’on trouve partout et qui, eux, ne peuvent pas se déplacer ou se
rouler en boule pour échapper au froid ! Il s’agit des végétaux. Eh oui,
vous vous imaginez, vous, passer six mois de l’année à des températures
négatives, sans bouger une racine, et revivre au printemps comme si de rien
n’était ? Ben voyons donc ! Et ça, tous les végétaux terrestres des
milieux tempérés et nordiques (ou presque) sont capable de le faire : ils
ont chacun leurs « stratégies » pour résister à l’hiver,
c'est-à-dire, à survire à une période de froid intense accompagné de gel, et de
continuer à vivre normalement après cette période.
Mais d’abord, pourquoi devrait-on
résister à l’hiver ? C’est vrai ça, pourquoi les plantes ne continuent pas
de pousser même par -30°C ? Après tout, elles sont là toute l’année, alors
bon, quelques mois de plus ou de moins… Ah mais ça, c’était sans compter le
problème du gel. Comme vous le savez certainement, en dessous de 0°C , l’eau gèle (oui bon, pas
toujours), elle passe de l’état liquide à l’état solide. Or, les tissus des
plantes terrestres sont très gorgés d’eau : entre l’eau nécessaire à la
circulation des sèves, l’eau nécessaire aux réactions métaboliques comme la
photosynthèse ou la respiration, les végétaux en sont pleins ! On considère que l’eau entre à 90% dans la
composition d’une cellule végétale (Raven et al. 2013). Il est donc logique que
si la température descend en dessous de zéro, ils vont geler parce qu’ils ne
peuvent pas bouger… Plus
particulièrement, lorsque la température descend vers le point de congélation
fatidique, on assiste à plusieurs phénomènes, (résumés par Beck et al. 2004) :
· une augmentation de la viscosité membranaire
(souvenez vous, une cellule vivante est délimitée par une membrane constituée d’une
double couche de phospholipides, c'est-à-dire des lipides associés à des groupements
phosphates), ce qui engendre une perturbation dans les transferts d’ions et
autres molécules entre cellules. La viscosité est l’inverse de la fluidité :
plus une membrane est fluide, plus les échanges entre le milieu intérieur et
extérieur de la cellule sont rapides ; l’activité des protéines
transmembranaires (c'est-à-dire les canaux régulateurs des flux au niveau de la
membrane : comme au péage sur l’autoroute !)va être facilité par une
plus grande fluidité. La fluidité membranaire influe sur tout un tas d’autres paramètres
biologiques permettant la vie de la cellule. Imaginez vous donc lorsque la membrane n’est
plus fluide...
· un métabolisme ralenti (forcément, si plus rien
ne circule correctement, comment voulez vous que les informations/nutriments
arrivent à l’heure et au bon endroit ?). De plus, certaines protéines
essentielles à la bonne marche cellulaire (appelées les enzymes) possèdent un
optimum de fonctionnement à une température bien déterminée : si cette
température diminue, l’efficacité de ces protéines va diminuer aussi…
· un décalage entre l’utilisation de l’énergie
lumineux et le stockage de cette énergie (sous forme de sucres) : imaginez
vous une centrale à vapeur dont on bouche la sortie, au bout d’un moment, si on
chauffe toujours de la même manière, ça va péter… eh bien là c’est
pareil : les photosystèmes (voir l’article sur l’automne ici) vont
recevoir trop d’énergie et ne pourront pas la transférer aux molécules chargées
de s’occuper de tout ce trop-plein (l’eau à moitié gelée empêche les
réactions…)
Mais aussi, lorsque l’eau gèle,
elle est source de stress hydrique pour les plantes. Attention, quand je parle
de stress ici, ça ne concerne pas le stress de tout bon parisien qui se respecte
à l’idée de rater son métro : en biologie, on parle de stress pour définir
toute situation jugée négative pour le bon fonctionnement d’un organisme (par
exemple, prédation, parasitisme, manque de nourriture, etc). Bref, lorsque
l’eau gèle, elle n’est plus disponible pour les plantes en tant que
ressource ! En clair, de l’eau gelée dans le sol, c’est comme pas d’eau du
tout : la plante meurt de soif ! Et donc on observe les conséquences
classiques du manque d’eau :
· diminution du volume de protoplasme (= le milieu
intracellulaire, pour faire simple) et formation de cristaux de glace à
l’extérieur de la cellule (dans les parois rigides)
·
turgescence négative (la plante se
« fane »)
·
concentration des solutés cellulaires :
moins d’eau disponible mais la même quantité de molécules dans la cellule… un
peu comme quand on laisse évaporer de l’eau de mer, on récupère le sel au
final !
·
arrêt des processus métaboliques
·
changement de potentiel transmembranaire
(phénomène très important chez les organismes, entre autre, cela permet la
formation de l’influx nerveux chez les animaux). Le potentiel transmembranaire
est la différence de charges électriques, présentes sous forme d’ions positifs et
négatifs, de part d’autre de la membrane (dans et à l’extérieur de la cellule).
·
désintégration de la double couche
phospholipidique membranaire
Autant dire qu’après tout ça,
notre pauvre plante a bien du mal à fonctionner… Mais alors, comment est-ce possible qu’à
chaque printemps, les plantes retrouvent leurs belles couleurs vertes ? Voici
les différentes méthodes, chez les plantes terrestres, pour continuer à exister
même après un hiver rigoureux.
Stratégie d’évitement : je suis trop rapide pour le froid, je ne
vois jamais l’hiver !
Certaines plantes ont ce que l’on
appelle un cycle de vie annuel, c'est-à-dire qu’elles germent, se développent,
grandissent, se reproduisent, engendrent des descendants et meurent en une
seule année, sans jamais voir l’hiver. Les tomates (Solanum lycopersicon), par exemple, ou encore, les haricots verts (Phaseolus sp.), sont des espèces
annuelles : on les sème et on les récolte au cours d’une seule année (si
si, les tomates ne poussent pas en hiver, je vous assure, oui, même les tomates
« bio » du supermarché). Une fois qu’elles ont donné des descendants,
elles… meurent. Et les graines passent l’hiver dans le sol. Mais elles ne
gèlent pas ? Non, car une graine est un organe de résistance hautement
déshydraté et ne pourra germer que si la dormance est levée (voir cet autre article, décidément, on a réponse à tout sur ce blog).
Par voie de conséquence, les
plantes annuelles n’ont donc aucun mécanisme de résistance contre le froid et
le gel, tout simplement parce qu’elles ne le subissent pas directement.
Stratégie furtive : faites comme si je n’étais pas là !
Ça, c’est pour toutes les plantes
qui se cachent sous terre pendant l’hiver. On a l’impression que la plante
« meurt » mais en fait elle est juste enterrée bien tranquillement à l’abri
du gel, et elle attend le redoux pour montrer le bout de son nez. Quelques
exemples : les pommes de terre, mais aussi tous les « plantes à
bulbes » ornementales : jacinthes, tulipes et autres crocus, ou encore
des espèces bisannuelles comme la carotte. Il ne s’agit pas ici de graine, bien
que les structures soient aussi en sommeil pendant l’hiver. Les plantes à
bulbes vont avoir en général une saison de végétation au printemps, ce qui va
leur permettre d’emmagasiner des réserves dans la partie souterraine (qui est
une tige modifiée, voir l'article sur les monocotylédones) et d’avoir produit des
fleurs et des graines avant l’arrivée de l’hiver. Pour les plantes bisannuelles
comme les carottes, au cours de la première année de croissance, la plante
emmagasine des réserves dans sa racine (c’est la grosse carotte orange qu’on
retrouve dans nos assiettes). Lorsque l’hiver arrive, les parties aériennes
meurent (c'est-à-dire les feuilles), ou tout du moins, deviennent très
réduites, et la plante passe l’hiver bien tranquillement sous forme de racine
dans le sol. Au printemps suivant, la plante utilise ses réserves présentes
dans la racine pour donner des fleurs, qui produiront des graines… puis la
plante finit par mourir lorsque l’hiver revient.
Organes souterrains de stockage chez les plantes [Source] (a) la carotte sauvage Daucus carota (b) bulbe d'oignon (c) bulbe de Crocus (d) rhizome d'Iris (e) racines tuberculeuses de Dahlia (f) tubercules de pomme de terre Solanum tuberosum |
Stratégie de face-à-face : vas-y, l’hiver, même pas peur !
“Brace yourselves, winter is coming.”
On pourrait résumer l’adaptation
des plantes au froid par cette petite phrase, tirée de la bien connue série
Game of Thrones. En effet, un des mécanismes clés de la résistance des plantes
au froid est la préparation à l’hiver. En particulier, une détection du
raccourcissement des journées à l’aide des phytochromes (Beck et al 2007), mais
aussi à l’aide de la détection de baisse de températures. Un phytochrome,
qu’est ce que c’est ? Pour rester simple, disons que c’est une molécule
organique complexe (voir là, sur le site du Missouri Botanical Garden)
qui permet à la plante de détecter les variations dans l’intensité lumineuse,
en termes de durée et de qualité. Ainsi, la plante va pouvoir détecter que les
jours raccourcissent à la fin de l’été, par exemple.
Concernant la détection de baisse
de températures, c’est une phytohormone (= une hormone végétale), l’acide abscissique
abrégé en ABA, qui va induire de nombreuses réactions cellulaires.
Ainsi, Minami et al. (2004) ont
montré le rôle prépondérant de l’ABA chez la mousse Physcomitrella patens. En plaçant des cellules de cette mousse en
présence d’ABA à température ambiante, la résistance à une température négative
suivant ce traitement était d’autant plus grande que les cellules étaient
restées longtemps au contact de l’ABA. En clair, si on ajoute de l’ABA à
température ambiante, la mousse passe en mode « esquimau »
lorsqu’elle est contact du froid par la suite : elle supporte mieux le froid !
Physcomitrella patens [source] |
Et donc, l’ABA va engendrer des
modifications morphologiques à l’échelle de la cellule : grosse vacuole
fragmentée en plus petites vacuoles (souvenez vous, la vacuole, c’est cette
poche d’eau présente dans la cellule qui sert un peu à tout), épaississement de
la paroi de la cellule… D’autres choses se passent à
l’échelle moléculaire dans la cellule, pas forcément lié à l’action de l’ABA (d’après
Beck et al. 2007):
·
changement dans la composition des lipides
membranaires. Pour rappel, les membranes sont composées d’une double couche de
lipides, plus ou moins mobiles et libres entre eux : avec le froid, il
faut une membrane plus résistante !
· atténuation de l’activité des photosystèmes
(zones clés permettant à la plante d’utiliser l’énergie lumineuse), mais
accroissement de la capacité à utiliser l’énergie lumineuse pour le transport
cyclique des électrons et la phosphorylation (= réaction enzymatique impliquant
la fixation d’un phosphate sur une molécule, afin d’augmenter son potentiel
énergétique, entre autre… un peu comme charger une batterie de téléphone :
il faut un apport d’énergie de l’extérieur pour qu’il puisse ensuite
servir !). Autrement dit, le peu d’énergie reçu par la plante va être
stocké un maximum sous forme de molécules organiques !
· transition du métabolisme à base d’amidon vers
un métabolisme dominé par les oligosaccharides, qui utilise les sucres simples
(sucrose par exemple) comme cryoprotecteurs. En clair, en temps normal, la
plante fait des réserves de sucres (qu’elle produit à l’aide de la
photosynthèse) sous forme d’amidon (voir photo après). Sauf que cette
organisation en loooongues chaines implique un risque de gel plus important. Du
coup, la plante va stocker ses sucres, non plus en molécules complexes, mais en
molécules simples, qui vont être mélangées à l’eau et empêcher celle-ci de
geler.
Sucres simples comme le glucose ou le sucrose (en haut), sucres complexes comme l'amidon (en bas) [Source] |
Toujours concernant les sucres,
Minami et al. (2004) ont constaté que lors de la préparation à l’hiver, la
quantité de sucres en solution dans les cellules augmente… mais pourquoi ?
Eh bien le sucre agit comme un antigel. On sait en effet que plus une solution
est concentrée en soluté, et plus on abaisse le point de congélation. C’est
pour ça qu’on met du sel sur les routes : l’eau mélangée au sel a tendance
à geler à plus basse température que 0°C . Et donc, dans notre cellule frigorifiée,
les sucres en grandes quantités servent à protéger les protéines du gel – on
rappelle que les protéines sont des structures très coûteuses en énergie,
difficiles à mettre en place, et qu’il est important pour la plante de
préserver.
A des niveaux plus aisément
visibles, on observe que les plantes se préparent au froid par différents
mécanismes : arrêt de croissance, sénescence des feuilles et parfois
abscission (c'est-à-dire la séparation de la feuille et de la tige de manière
naturelle et programmée – c’est le terme scientifique pour désigner la chute
des feuilles - ces phénomènes sont surtout visibles chez les arbres) , formation
des bourgeons et dormance. Ainsi, certains bourgeons spéciaux sont mis en place
dès l’été : ce sont les seules structures qui resteront vivantes sur la
plante pendant l’hiver, mais ces bourgeons seront en dormance. .
En particulier, lors du gel, des
cristaux de glace peuvent se former dans les troncs des arbres (Parker 1963).
Jusque là, pas de problème, car la sève ne circule pas en hiver : c’est au
printemps, lors de la fonte des cristaux, que l’arbre va subir ce qu’on appelle
la cavitation. La fonte des cristaux de glace va engendrer la formation de
bulles d’air, qui vont bloquer la colonne d’eau formée entre les racines et le
feuillage… c’est le principe des vases communicants : si la colonne d’eau
est rompue, le transfert ne peut pas s’effectuer. Heureusement, des mécanismes
de poussée racinaire et de traction foliaire assurent la mise en mouvement des bulles, voire la
dissolution totale de celles-ci dans la sève.
Les bourgeons des arbres sont
dormants pendant l’hiver, c'est-à-dire qu’ils n’ont quasiment plus d’activité
de croissance. Ils ne peuvent recommencer leur croissance qu’après avoir subit
un nombre prolongé de jours de gel et de froid : le retour des jours plus
chauds après l’hiver permet la levée de dormance (j’ai déjà évoqué ce terme
dans l’article sur les graines : c’est le même principe avec les
bourgeons). Les bourgeons sont également protégés par des écailles pendant
l’hiver : ces écailles vont tomber au printemps lorsque les bourgeons
« explosent » : on parle de débourrage. C’est toute la
difficulté pour l’arbre de ne pas redémarrer son activité juste au sortir de
l’hiver, là où les jours sont doux mais où il peut encore geler. Si l’arbre n’a
pas subit assez longtemps le froid à la fin de l’automne et au début de
l’hiver, il est plus enclin à redémarrer précocement au sortir de l’hiver… et
risque de geler en cas de chute brutale des températures.
Et après ? Que faire lorsqu’on a subit six mois de gel
intensif ?
Certaines plantes refusent d’attendre
le dégel complet. Qu’à cela ne tienne, je vais faire fondre la neige qui me
recouvre ! ben voyons donc, et la marmotte… enfin bref. Il s’avère qu’il
existe bien certaines plantes qui pratiquent la thermogenèse. Kesako ?
Comme son nom l’indique, c’est un processus de production de chaleur. C’est le
cas du chou puant (de son nom scientifique Symplocarpus
fœtidus), qui va faire fondre la neige qui l’entoure (Gibernau &
Barabé, 2007) pour pointer sa fleur à la surface !
Symplocarpus foetidus au printemps [Source] |
Pour faire simple, la chaleur est
produite par la mitochondrie (autrement appelée centrale énergétique de la
cellule : c’est là entre autre que se produit la respiration cellulaire).
Et par la suite, la chaleur est dispersée dans l’environnement, à un tel niveau
qu’elle fait fondre la neige aux alentours… Le chou puant peut ainsi faire
augmenter sa propre température jusqu’à une trentaine de degrés ! En plus,
la chaleur disperse l’odeur de charogne produite par la plante, ce qui attire
les mouches, qui sont ses pollinisateurs attitrés.
Le mot de la fin
Fait que pour conclure, bah, les
plantes, elles sont crissement bien adaptées au froid ! Mais ‘stie qu’y
fait frette icitte, moi j’aimerai quand même retrouver un peu de printemps, j’ai
pas autant de résistance au froid !!!
Bibliographie
Gibernau & Barabé. 2007. Des
plantes à sang chaud. Pour la science, n°359 - septembre 2007. http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-des-fleurs-a-sang-chaud-19419.php
Beck, Heim, Hansen. 2004. Plant
resistance to cold stress: Mechanisms and environmental signals triggering
frost hardening and dehardening.
J. Biosci. 29(4), 449–459
Minami, Nagao, Arakawa, Fujikawa, Takezawa.
2006. Physiological and morphological alterations associated with development
of freezing tolerance in the moss Physcomitrella
patens. Cold hardiness in plants :
molecular genetics, cell biology and physiology – ed. Chen et al. – p. 138
Beck, Fettig, Knake, Hartig, Bhattarai. 2007.
Specific and unspecific responses of plants to cold and drought stress. J. Biosci. 32(3), 501-510
Parker. 1963. Cold Resistance in Woody Plants. Botanical Review. 29(2), pp. 123-201
Raven et al. 2013. Biology of plants. 8ème édition.
Très très intéressant !
RépondreSupprimerExcellent !
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