Fraîchement débarqué au Québec cette année, je suis bien obligé de reconnaître que l'automne au Canada n'a pas volé sa réputation et que les couleurs sont au rendez-vous. La preuve en image !
Petit aperçu des couleurs de l'automne au Québec |
Mais c'est aussi le temps de la
récolte de divers fruits : au Québec, on ramasse en famille ou entre amis des
quantités considérables de pommes avant l'hiver, histoire d'avoir des fruits
bien juteux à se mettre sous la dent lorsque la neige arrivera. En France, on
célèbre septembre avec les vendanges et la récolte du raisin. Sans oublier
l'arrivée de l'Halloween, fin octobre, à qui l'on doit les nombreuses
citrouilles d'un bel orange dans les rues des pays à influence anglo-saxonne...
En haut à gauche, le ramassage des pommes (source) ; en bas à gauche, le raisin mûr des vendanges (source) ; à droite, une belle citrouille d'Halloween (source) |
Mais pourquoi je parle de tout ça
? Quel rapport entre les feuilles rouges et les citrouilles, mis à part le fait
que tout ça se retrouve à l'automne ? Eh bien, ce sont les couleurs ! Car oui,
maintenant qu'on y pense, tous ces végétaux n'ont pas la traditionnelle couleur
verte qu'on associe aux plantes. Alors, à quoi sont dues toutes ces couleurs ?
Quels sont les mécanismes qui se cachent derrière cette débauche de teintes
allant du rouge au jaune en passant par le orange ? Et surtout, quels sont les avantages
évolutifs que ces couleurs confèrent aux plantes?
Commençons par nous pencher sur
la question du changement de couleur des feuilles des arbres. D'abord, à quoi
est due la couleur verte des feuilles au printemps et en été? Au pigment appelé
chlorophylle. J'en ai déjà parlé dans cet article là qui date d'il y a un petit moment déjà.
Où se situe la chlorophylle dans
les feuilles ? Déjà, il faut savoir qu'une feuille est un organe complexe,
organisé en couches.
Coupe d'une feuille (source) |
Ce qu'on peut voir sur le schéma
précédent, c'est que la couche centrale de la feuille, appelée mésophylle, ou
parenchyme, est le lieu où se situent
les cellules responsables de la photosynthèse. Les cellules sont organisées de
la manière suivante.
Une cellule végétale, avec les chloroplastes en vert (source) |
Dans la cellule, l'organite
responsable de la photosynthèse est le chloroplaste (en vert sur la photo
précédente). En général, il y en a plusieurs par cellule. Les chloroplastes
contiennent des structures en mille-feuilles, appelées les thylakoïdes : ce sont
des membranes superposées les unes sur les autres. C'est dans ces membranes que
sont incluses les molécules de chlorophylle, qui vont permettre la
photosynthèse.
Un chloroplaste, reconstitué en trois dimensions (source) |
A présent, je vais (un peu)
entrer dans les détails concernant la structure biochimique de la chlorophylle.
D'abord il faut savoir qu'on trouve deux types de chlorophylles, les
chlorophylles A et B (photo) qui ont une structure très proche l'une de l'autre
(elles ne diffèrent que par quelques atomes, représentés par la lettre R sur la
figure).
Les deux types de chlorophylle (source) |
La chlorophylle, associée à
d'autres molécules aux noms tous plus compliqués les uns que les autres dans un
ensemble appelé le photosystème, va avoir le rôle de "capteur de
photons" (les photons sont les ondes-particules constitutives de la
lumière). L'énergie de ces photons sera ensuite utilisée par la plante pour
produire au final des sucres et du dioxygène. Mais avant cela, la plante
emmagasine l'énergie sous forme chimique, dans des molécules possédant un fort
"pouvoir énergétique" - c'est à dire qu'elles libéreront beaucoup
d'énergie lorsqu'elles seront utilisées ultérieurement.
Utilisation de l'énergie solaire par les photosystèmes (source) |
Sur ce schéma, l'énergie
provenant du photon est transférée aux photosystèmes I et II (où se trouvent
des molécules de chlorophylle). L'énergie provenant du photon va
"exciter" la chlorophylle, qui va perdre un électron, et cet électron
va servir à emmagasiner de l'énergie dans les molécules stockeuses d'énergie,
qui sont le NADPH et l'ATP. Au final, la chlorophylle récupère son électron
perdu en utilisant une molécule d'eau. Toutes ces réactions sont appelées la
"phase claire" de la photosynthèse, car elles se déroulent à la
lumière. Les sucres seront synthétisés lors de la "phase sombre",
constituée d'une série de réactions dont je ne vais pas parler ici.
Ah au fait, pourquoi les feuilles
sont elles vertes en été ? Le vert est donné par la couleur de la chlorophylle.
En effet, comme je l'ai dit plus haut, la chlorophylle va absorber l'énergie
des photons... mais pas de tous les photons ! Elle est très sélective : seuls
les photons "bleus" et "rouges" l'intéressent*. Les autres
photons, ceux de "couleur verte", sont réfléchis par la
chlorophylle... et donc par conséquent, nous voyons les feuilles des arbres
vertes.
Spectre d'absorption des chlorophylles A et B (source) |
La photo précédente montre le
spectre d'absorption de la chlorophylle : les pics correspondent aux longueurs
d'onde des photons qui sont les mieux utilisés par la chlorophylle. Vous
remarquez que la courbe fait un "creux" au niveau des photons
"verts" : c'est parce qu'ils ne sont pas absorbés par la chlorophylle
!
Bon et maintenant, que se
passe-t-il à l'automne ? Je n'ai toujours pas répondu à la question du
changement de couleur!
Comme vous le savez certainement,
à l'automne, il fait plus froid. Mais il y a encore assez de lumière solaire
pour que les plantes continuent à réaliser la photosynthèse... le problème,
c'est que lorsque la température diminue, l'efficacité de la chlorophylle
diminue aussi, et la plante devient stressée car elle a trop d'énergie solaire
qui lui arrive alors qu'elle ne peut pas l'utiliser ! Et là c'est le drame,
elle fait une overdose d'énergie, si l'on peut dire : on observe un phénomène
appelé photo-inhibition. Suite à ce trop-plein d'énergie, la photo-inhibition
va conduire à la destruction des structures cellulaires, via toute une série de
réactions que je ne vais pas expliquer ici. Entre autre, cela fait intervenir
des radicaux libres, que l'on appelle aussi "Oxygène actif" (et les
tâches s'évanouissent… pardon, c'est hors sujet) tels que l'eau oxygénée H2O2
et l'oxygène singulet (voir les pages wikipédia en anglais pour la photo-inhibition
et en français pour les radicaux libres). Et ça, vous l'aurez deviné, ce n'est
pas bon DU TOUT pour la plante, car la mise en place de la chlorophylle a un coût
énergétique élevé. Or, c'est l'automne, bientôt l'hiver, la plante à autre
chose "en tête" que de devoir reconstruire des structures abimées.
On observe que la chlorophylle
est préservée lorsque les feuilles prennent un coloration rouge, grâce aux anthocyanes,
qui sont aussi des pigments végétaux très communs (ce sont eux qui donnent
leurs couleurs aux fleurs ou aux fruits).
Formule générale d'une molécule d'anthocyane. Les lettres R sont des groupements d'atomes qui varient selon les différentes molécules d'anthocyanes (source) |
Mais attention ! les anthocyanes
ne se situent pas dans le chloroplaste comme la chlorophylle, mais dans la
vacuole de la cellule. Ce sont des composés solubles.
Et donc, ces petites molécules
vont agir comme filtres pour protéger la fragile chlorophylle d'une trop forte
intensité lumineuse. Et si les feuilles deviennent rouges, c'est parce que les
anthocyanes absorbent tous les photons "verts" mais laissent passer
les photons "rouges" et "bleus" qui sont utiles à la
chlorophylle.
Spectres d'absorption des chlorophylles et d'un anthocyane (source) |
Comme la chlorophylle n'absorbe
pas strictement tous les photons qu'elle reçoit, la couleur que nous percevons
est la couleur rouge des photons non absorbés. En revanche, les anthocyanes
absorbent tous les photons "verts" pour protéger efficacement la
chlorophylle.
Bon ! A présent, nous savons
comment et pourquoi les feuilles sont rouges en automne.
Et les citrouilles alors ? D'où
vient ce bel orange vif ? Est ce que ce sont des anthocyanes dilués qui sont
responsables de la couleur ?
Eh bien pas du tout ! Là encore,
d'autres pigments sont mis en cause : il s'agit des caroténoïdes, que l'on
trouve beaucoup dans... les carottes, c'est bien, y en a qui suivent toujours
dans le fond. Et ceux qui ont parcouru le blog de fond en comble me diront
qu'on en trouve aussi chez les Flamants Roses.
Ces pigments, quant à eux, ne se trouvent pas dans les vacuoles des cellules
mais dans les chromoplastes, qui sont en quelque sorte des chloroplastes sans
chlorophylle, et qui colorent les structures végétales (chromo signifie "couleur" en Grec) plutôt qu'à faire la
photosynthèse. Et c'est pareil chez la plupart des fruits : pommes, oranges,
citrons, etc. La variation de couleur entre le rouge et le jaune dépend du type
de caroténoïde précis (il en existe de nombreux très semblables qui diffèrent
seulement par un atome ou deux... ce qui suffit à changer leurs propriétés en
terme de couleurs !). Dans le cas des fruits, ces couleurs servent à les rendre
attractifs pour les animaux frugivores (et aussi pour Monsieur et Madame Tout-le-monde
qui vont faire leurs courses au supermarché du coin), car n'oublions pas que
les fruits sont les structures qui sont responsables de la dissémination des
graines et donc, des futures plantes.
Variation de couleurs chez les citrouilles (source) |
Voilà, maintenant, vous saurez
pourquoi les feuilles sont rouges en été, et pourquoi les citrouilles sont
oranges lors de l'Halloween !
* rappelons que la lumière
blanche produite par le Soleil est constituée en réalité de différentes ondes
électromagnétique visibles, qui possèdent différentes longueurs d'ondes, et qui
additionnées les unes aux autres donnent la lumière blanche.
Bibliographie :
David W. Lee and Kevin S. Gould. Why Leaves
Turn Red: Pigments called anthocyanins probably protect leaves from lightdamage
by direct shielding and by scavenging free radicals. American Scientist, Vol. 90, No. 6 (NOVEMBER-DECEMBER 2002), pp.
524-531
Hock-Eng Khoo, K. Nagendra Prasad, Kin-Weng
Kong, Yueming Jiang and Amin Ismail. Carotenoids and Their Isomers: Color
Pigments in Fruits and Vegetables. Molecules
2011, 16, 1710-1738
Excusez-moi d'avance de ce commentaire mais je ne comprends pas quelque chose. J'espère que vous saurez éclairer ma lanterne.
RépondreSupprimerCe que je ne comprends pas c'est que les cellules fabriqueraient des anthocyanes pour protéger la chlorophylle de ce trop plein d'énergie solaire OR d'après les spectres présentés, les anthocyanes absorberaient principalement les longueurs d'ondes situées dans le vert (ce que n'absorbent pas les chlorophylles) et un (petit) peu dans le bleu (au niveau du premier pic d'efficience des chlorophylles). PAR CONSéQUENT, on peut dire que les anthocyanes ne servent pratiquement pas à protéger les chlorophylles. Ce qui veut dire que les feuilles fabriqueraient ces anthocyanes pour se protéger des agresseurs photoniques juste avant qu'elles ne tombent. Voilà le raisonnement que j'ai en lisant votre article. Je sais d'avance qu'il est erroné, c'est pourquoi j'attends votre explication.
En me fiant à ma pauvre mémoire, j'aurais dit que ces couleurs extravagantes en automne des feuilles étaient justement dues à la destruction (au recyclage plutôt) de tout ou partie de la chlorophylle, laissant alors la place aux anthocyanes dominer de leurs couleurs.
Bien cordialement et en attendant patiemment votre réponse.
Bonjour ! Vous n'avez pas à vous excuser, il n'y a pas de questions inintéressantes :)
RépondreSupprimerIl faut bien comprendre que les photosystèmes de la plante sont mis en place depuis le début du printemps et qu'ils sont "habitués", en quelque sorte, à recevoir une quantité de lumière donnée, selon une intensité donnée, au cours de la journée. Cependant, à l'automne, l'intensité lumineuse ne diminue pas forcément (les journées raccourcissent mais la plupart du temps, le ciel reste clair), alors que la température baisse. C'est à ce moment que les photosystèmes sont "stressés" : comme je l'ai mentionné, la chlorophylle est moins "efficace" lorsqu'il fait plus froid. Or on sait qu'elle reçoit toujours beaucoup d'énergie, et ce pour toutes les longueurs d'ondes de la lumière visible. Et même si elle ne peut pas absorber les photons "verts", ils sont bien là et sont très énergétiques : la chlorophylle reçoit tout mais ne peut en utiliser que certains ! Les anthocyanes forment alors ce qu'on pourrait appeler un "bouclier énergétique", en absorbant le trop-plein de lumière dans le vert et en ne laissant passer que les longueurs d'ondes utilisables par la chlorophylle, pour ne pas la "surcharger" en énergie. une fois ce "filtre énergétique" mis en place, la chlorophylle peut continuer à fonctionner correctement sans risquer de subir la photo-inhibition.
Quant aux couleurs proprement dites, ce n'est pas la destruction de la chlorophylle qui permet de voir d'autres couleurs, mais bien une néo-synthèse de composés colorés rouges : les anthocyanes. Cependant, chez certaines plantes, les feuilles ne deviennent pas rouges, mais jaunes : là en effet, il s'agit d'un changement de pigments photosynthétiques. Les chlorophylles cessent d'existent et la couleur verte est remplacée par la couleurs jaune des caroténoïdes présents dans les chloroplastes.
Pour plus d'informations, je vous invite à lire les articles cités en bibliographie (si vous pouvez vous les procurer), mais aussi l'article suivant : Why Leaves Turn Red in Autumn. The Role of Anthocyanins in Senescing Leaves of Red-Osier Dogwood. 2001. Feild, Lee and Holbrook. Plant Physiology, Vol. 127, pp. 566–574
Merci beaucoup de cette réponse... Ce que je n'avais pas compris était donc que les chlorophylles ne peuvent certes pas utiliser les photons "verts" mais qu'elles les reçoivent quand même et que ces longueurs d'ondes "stimulent" (je ne trouve pas le bon terme) ces pigments. Sur-stimulation, vues les conditions climatiques, qui induiraient donc ce phénomène de photo-inhibition...
SupprimerOK, c'est beaucoup plus clair pour moi. Je m’attellerai à lire aussi l'article que vous citez.
Mille merci.
Bonjour,
RépondreSupprimerje suis élève en première scientifique,et j'ai lu certains de vos articles que je trouve très intéressants.
Dans le cadre d'une recherche sur l'influence de la composition du sol sur la couleur des hortensias, je recherche actuellement des information sur les anthocyanes, et plus particulièrement sur leur capacité a changer de couleur ; je sais déjà qu'il peuvent changer de couleur en fonction du pH du liquide vacuolaire dans lequel ils sont contenus.
Je voudrais savoir si vous pouviez me donner des informations complémentaires sur le « chemin » qu’empreinte le pH avant d'arriver dans les vacuoles, ou plutôt quelles modifications se passent au niveau de la plante (et non au niveau des anthocyanes directement) pour entraîner un changement de couleur ?
Peu d'informations compréhensibles a mon niveau son disponibles a ce sujet...
Votre aide me serait précieuse.
Bonne soirée
Marie Boileau