Battle et Sophie
vous ont déjà parlé de leurs vacances en tant que scientifiques. Voici
maintenant mon tour. Pour ceux qui me connaissent un peu, vous savez que ça va
forcément parler de petites bêtes bizarres. Ceci dit c’est l’occasion de vous
raconter comment on les trouve mais surtout, où on les trouve !
Parfois, en
plaisantant, entre gens de notre laboratoire, nous nous faisons la remarque que
notre recherche se rapproche de la cryptozoologie, l’étude des animaux
légendaires. Notre sujet d’étude est la
méiofaune, les animaux microscopiques (j’en ai parlé dans cet article :
Méiofaune). Pourquoi cela se rapproche t-il de la cryptozoologie ?
Certains de ces animaux ne se trouvent qu’en très faible nombre dans
des endroits parfois éloignés ou atypiques (abysses, grottes marines, une plage perdue en Australie… Ou en France,
bref). Pour un nombre considérable d’entre eux, leur morphologie est si étrange
qu’on ne sait pas bien à quel groupe d’animaux déjà connus les assigner. Ils
présentent des organes ou des structures qui n’existent nulle part ailleurs.
L’un des animaux qui nous intéresse est le « Micrognathozoa » ou « Limnognathia ». On le trouve
dans les mousses d’eau douce, jusque là rien d’impressionnant. Cependant sa
présence a été rapportée à seulement deux endroits sur Terre : L’île Disko
au Groenland (ou Qeqertarsuaq) et les îles Crozet, des îles
sub-antarctiques. Cet été nous sommes
donc partis au Groenland chasser Limnognathia…
Pour l’histoire,
le Groenland appartient au royaume Danois. J’ai donc eu la chance de pouvoir
aller voyager là bas en tant que thésard à l’université de Copenhague. Il y a,
sur l’île Disko, une station scientifique appelée « Arktisk
station », une annexe de l’université de Copenhague. C’est là que nous avons
été hébergés et que nous avons installé notre laboratoire. Mais l’île Disko ne
cache pas seulement Limnognathia mais
aussi beaucoup d’autres animaux que l’on ne trouve que là bas (et nulle part
ailleurs au Groenland). On y trouve aussi au littoral, en faible profondeur, un
sable fin peu commun au Groenland. Reinhardt Kristensen, un des zoologistes qui
a décrit les trois derniers phylums découverts (cf article méiofaune pour deux d'entre eux et mon autre blog pour le troisième) et qui a vécu plusieurs années
au Groenland, nous a raconté cette légende Inuit : l’île Disko proviendrait
originellement du sud du Groenland. Les pêcheurs de l’île auraient demandé à un
personnage appelé « fille de la sorcière » de placer l’île plus au
nord pour des raisons de commodité. Elle aurait demandé alors d’avoir la
chevelure d’un nouveau né. La chevelure lui fut donc donnée et grâce à cela,
elle harponna l’île, l’attacha à son kayak et en une nuit mena l’île jusqu’au
nord. Certains détails de l’histoire m’ont échappé mais ce qu’il y a d’étonnant
c’est que cette île possède en effet un climat partiellement sud groenlandais
qui est du à un upwelling, ou remonté d’eaux chaudes profondes à la surface de
la mer.
Vous pouvez donc
imaginer l’ambiance de la mission. Des étudiants excités à l’idée de traverser
pour la première fois de leur vie le cercle polaire arctique, pour y trouver parmi
les plus fascinants des animaux, et des professeurs tout aussi joyeux d’aller
dans un endroit où ils ont fait parmi leurs plus importantes découvertes, pour
le montrer à leurs étudiants plein de passion.
L’aventure commence enfin. Départ de
Copenhague avec plus de 100kg de surpoids (plus plusieurs boites déjà envoyées
à la station, les microscopes et autres équipements ça pèse). Après plusieurs
heures d’avion et une première escale au Groenland, nous arrivons dans la ville
d’Aasiaat où nous faisons la connaissance de nos premiers icebergs. Puis le
lendemain nous naviguons entre les icebergs jusqu’à l’île Disko, durant ce
voyage nous voyons nos premières baleines. Un des animaux les plus gros au
monde… Pour notre part nous chassons un des plus petits. Une fois arrivés à la
station scientifique, nous établissons le laboratoire. Pour l’instant tout a
l’air propre (ce qui ne va pas durer), nous sommes prêts pour la récolte
d’animaux en tous genres (et espèces !).
Premier jour de
travail, nous ne chômons pas. Un premier groupe part en bateau faire des échantillons. Quand à moi je reste avec deux de mes collègues (et amis),
plongeurs, qui ont le grand courage d’aller faire de la plongée en tubas (avec
des combinaisons bien sûr). N’étant pas plongeur moi-même, je reste pour les assister.
Ils prélèvent plusieurs fois du sédiment et trient les organismes sur place grâce
à un tamis. Cette méthode permet de récolter la « macrofaune » c’est
à dire les organismes visibles à l’œil nu. Nous récoltons aussi des algues. En
les « essorant » nous pouvons y trouver pas mal de « méiofaune »,
ces animaux microscopiques.
Draguer demande
parfois du courage. Nous rejoignons ensuite les autres dans le bateau. Cette
fois ci nous prélevons de la vase grâce à une drague, un filet accroché à une
armature qui racle le fond marin. Pas d’inquiétude ce n’est qu’une petite
drague, pas de destruction massive des fonds marins (libre à vous de penser aux
blagues que vous voulez, je n’ose pas faire les miennes). Alors que nous draguons
(bonne ambiance dans l’équipe), subitement le bateau se met à basculer. Nous avons
heurté un rocher. Les marins relâchent
immédiatement la tension puis remontent la drague, l’armature est
totalement déformée. Impressionnés, nous discutons à propos de la force du choc.
Nous avons eu de la chance que le câble ne lâche pas, cela peut facilement tuer
quelqu’un (ce qui est arrivé, sans décès, quelques semaines auparavant).
La question qui
se pose lorsqu’on étudie la méiofaune (ou des organismes de la vase) c’est
comment récupérer les animaux, comment les séparer du sédiment ? Qu’allons-nous faire avec ces dizaines de kilos de vase ? On peut
éventuellement la passer au tamis mais soit
la maille du tamis est trop petite et la vase le colmate (dans ce cas là on
récupère trop de vase), soit il est trop gros et les plus petits organismes
passent à travers. Une technique est de remuer les premiers centimètres de vase
(dans l’eau à 4°C on essaye de ne pas faire ça trop longtemps avec nos mimines)
pour mettre les organismes en suspension puis avec un petit filet à aquarium on
filtre les premiers centimètres d’eau. Ainsi on récupère peu de vase et les
organismes, qui flottent plus longtemps, sont récoltés. Ensuite direction le
labo, loupe binoculaire, pipette ou pince pour récolter les organismes, livres
d’identification, panoplie de produits chimiques (plus ou moins toxiques) pour
préserver les organismes pour différents buts, et c’est partit pour le giga
fun : « ohhhh regarde ce ver, il est joli », « Je comprends
pas celui-ci colle avec aucune espèce décrite ici », « alors je vais
t’expliquer comment identifier un Ophelidae » etc.
Puis vient le
jour tant attendu, la chasse au Limnognathia !
Parmi les dizaines, si ce n’est centaines, de ruisseaux sur l’île, un seul est
connu pour cacher notre proie. Nous prenons donc le bateau pendant 5 heures, un
trajet calme et agréable entre les icebergs et les baleines. Nous arrivons finalement à notre point de
récolte. Régulièrement nous entendons un son sourd, ce sont des icebergs se
brisant au loin. Dur cependant de trouver celui qui se brise au milieu de cette
abondance, ils couvrent en effet presque tout l’horizon. Nous accostons donc et
remontons le ruisseau. Plus nous montons et plus ce dernier est discret. Au final
il cours entre les mousses et ressemble seulement à un ensemble de petites
mares. Dur de se dire qu’une des découvertes les plus importantes de la
zoologie moderne s’y cache. Complètement survoltés nous n’arrêtons pas les
blagues sur cet animal parmi les plus petits (invisible à l’œil nu) mais avec
des mâchoires étonnement complexes :
« snif snif, je peux sentir le Limnognathia »,
« regardez, y’en a au moins deux dans cette marre », « ne
buvez pas d’eau, vous risquez d’avoir des bouts de mâchoires entre les
dents », « AAAAAH, un Limnognathia
me tire vers le fond, aidez moiiiii ! » . Mais nous nous
calmons vite, nous sommes assaillis par les moustiques. Motivés cependant, nous
continuons. Nous devons prendre des mousses, les compresser et récolter le jus
dans un tamis de 30µm (c’est que l’animal est petit !). Et parfois il faut
se mouiller !
Maikon, notre post-doc téméraire, chassant le « petit animal à mâchoires » (Micrognathozoa) ou « les mâchoires lacustres » (Limnognathia). Gare aux jambes ! |
Chasser le Limnognathia avec un « soutient gorge de sirène » à la main (le tamis, oui on appelle ça « mermaid bra » !), le filet à moustique et la bouteille à prélèvement. |
Après avoir fait
nos récoltes (qui ont probablement divisé par deux la population de notre
terrible animal à mâchoires), nous ramenons tous les échantillons sur le
bateau. Sur le chemin du retour, nous faisons aussi quelque prélèvement de
sédiment avec le « Mini Vann Veen », un outil cher au méiofauniste
qui permet de récolter le sédiment en profondeur (pas les abysses non plus). Le
principe est simple, une « pince » attachée à un câble est lâchée
dans l’eau. En percutant le sédiment et avec son poids elle va se refermer et prélever
le sédiment. A l’ouverture c’est toujours une surprise. Ca peut être « ah
mince, ça c’est refermé avant de toucher le fond on a que de l’eau » ou
« ah c’est trop vaseux, c’est de la merde ce sédiment » ou
« OLALALALALA ! Regarde moi ce sable il est magnifique !!! Je
suis sûr qu’on va y trouver plein d’animaux géniaux !!! Vite on
re-prélève ! Vite vite avant qu’on perde la zone ! ». Oui, un
des marins nous a pris pour des fous à nous émerveiller sur du sable. Voici une
vidéo d’un de nos prélèvements (qu’on a effectué plus tard). Remarquez que
malgré notre sérieux, il y a un temps de suspens et d’extrême curiosité au
moment de l’ouverture de la pince… Et mince, c’est que de la vase…
Finalement nous abrégeons
les prélèvements. Une tempête est prévue pour le retour. Même si celle-ci n’est
pas effroyable, sur un petit bateau scientifique avec des vagues de plusieurs
mètres secouant irrégulièrement de tous les côté, nous sommes quasiment tous
pris d’un désagréable mal de mer. Même les plus téméraires !
Le lendemain il
est temps de jeter un œil à nos échantillons. Premièrement le sable. Mais ici
comment procéder ? Les animaux de la faune interstitielle (entre les
grains de sable) ont en général des glandes adhésives et collent aux grains de
sable. Le remuer ne sert donc pas à grand-chose vu que les animaux recouleront
avec le sable. Comment donc les séparer ? On va les endormir ! Avec
du chlorure de magnésium ! Après 10 minutes on les secoue énergiquement,
puis, encore une fois on les filtre dans un soutien gorge de sirène ! On
récupère ensuite « l’extraction » qu’on place dans une boite de pétri
et hop, à la loupe binoculaire ! Encore une fois c’est la surprise. Il y a
tous les états entre « Y’a vraiment rien dans cet échantillon, que des
nématodes et des copépodes », « NON MAIS C’EST PAS POSSIBLE TOUS CES
COPEPODES ET VERS PLATS !!! » « Oulà je crois que j’ai trouvé un
ver intéressant mais je l’ai perdu » « cet échantillon est
extraordinaire ! Je dois absolument y passer des heures, même au plus profond
de la nuit, pour tous les récolter » (Haha, c’est un piège, il n’y a pas
de nuit en été à Qeqertarsuaq !).
Deux vers cool que nous avons trouvé : Dinophilus taeniatus, la minuscule annélide et Diuronotus aspectos, le gastrotriche chaetonotide géant (600µm quand même !). Source: wikipédia. |
La méiofaune
classique est en général rigolote et cache une belle diversité. Puis le jour
suivant on passe à la recherche de
Limnognathia. Et c’est une autre histoire ! Évidement, notre directrice,
professionnelle du domaine (et peut-être un peu chanceuse sur le coup) en
trouve un grand nombre (comprenez quelque dizaines) très vite. Pour créer chez
nous plus de frustration, pauvres étudiants inexpérimentés, aucun de nous n’a
ensuite de bon échantillon. La journée fini donc en interminables lamentations
pour trouver cette petite m***e blanche, nageant (donc jamais dans le champ de
vision de la loupe binoculaire) lentement (donc quasi impossible à repérer au
mouvement) et minuscule. Encore mieux, comme tout animal de la méiofaune qui se
respecte, le transférer d’un récipient à l’autre c’est avoir une chance sur
deux de le perdre. Quand on en trouve 3 dans une journée, y’a de quoi commettre
un meurtre… Finalement nous en récoltons suffisamment (mais tout juste) après
les efforts de 5 personnes sur 3 jours… Mais ça vaut le coup, traverser le
cercle polaire Arctique pour voir un des animaux les plus rares et mystérieux
au monde… Et mon chouchou en passant…
Pour vous convaincre que cet animal n'est pas le plus actif. Et encore, là y'en a plein c'est facile de les voir !
Et quand même, une vidéo à plus fort grossissement de notre star !
Quelques jours
plus tard, nous avons l’occasion de faire un prélèvement de plancton,
c'est-à-dire laisser trainer un filet derrière le bateau. Nous effectuons aussi
un prélèvement de sable « subtérranéen », c'est-à-dire profond sur
une plage. Nous tentons pour la première fois de creuser un trou d’un mètre
cinquante dans une plage perdue du Groenland pour y trouver des organismes. En
effet, la faune qu’on trouve dans cette haute zone de la plage peut être très
particulière avec des organismes très rares. C’est un moment très amusant, nous
constatons qu’enfant sur la plage nous faisions des trous pour jouer et qu’en
doctorat, on s’amuse toujours de la même manière. Après de sacrés efforts et
une bonne poilade donc, nous atteignons enfin l’eau au fond d’un trou de ma
taille… En voici une preuve :
Et après ce
suspens interminable (et tous ces efforts), je vous révèle ce qu’on y a trouvé…
Rien ! Enfin si, des copépodes et des nématodes… Mais ce n’est pas ce que
l’on cherchait.
Nous rentrons
ensuite avec tous nos échantillons que nous plaçons dans le container réfrigéré
qui nous a été prêté. Avec tous ces prélèvements nous le remplissons très vite :
Et encore là on n’y a pas encore entreposé la jambe de bœuf musqué que nous allons déguster pour le repas de départ de nos professeurs (qui partirons un peu avant nous). |
Voilà, c’est la
fin de cette aventure scientifique. Nous avons eu la chance d’y voir plein de petites
bêtes qu’il est difficile de trouver ailleurs dans le monde. Ca a été pour ma
part un de mes voyages les plus enrichissants sur tous les plans. J’ai voulu
insister ici sur l’aspect récolte et terrain, pour la part
« zoologique », vous pouvez aller voir l’article que j’ai publié sur
la méiofaune. Mais bien sûr je ne peux pas vous laisser sans quelques photos
supplémentaires. Entre les paysages magnifiques, les lieux uniques, la faune
marine super riche, les histoires Inuit etc. je pourrais encore tergiverser
pendant longtemps…
Un beau bateau
devant les montagnes qui entouraient le village
|
Un magnifique nudibranche que nous avions récolté. Oui il y a une faune marine colorée au Groenland. |
Et pour fini, un coucher de soleil sur les Icebergs. |
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