Sur la plage se déroule un combat sans merci. Deux éléphants de mer mâles, énormes, s’entredéchirent. La raison ? Le sexe, évidemment. Car le mâle victorieux aura comme récompense une belle centaine de femelles à sa disposition. Soit autant de descendants potentiels. Mais que le pacha ne se réjouisse pas trop : les choses ne sont pas tout à fait ce qu’elles semblent…
Un mâle éléphant de mer, Mirounga leonina (Source) |
Dans le règne animal, il existe quatre grands systèmes d’appariement, chacun avec leurs avantages et leurs inconvénients :
- La promiscuité, régime sans restriction où chaque individu va pouvoir copuler, au sein d’une même saison de reproduction, avec plusieurs autres individus
- La monogamie, où chaque mâle ne s’apparie qu’avec une seule femelle, et vice-versa
- La polyandrie, association d’une femelle avec plusieurs mâles pendant une période de reproduction
- La polygynie où un mâle va copuler avec plusieurs femelles
C’est ce dernier cas qui nous intéresse. La polygynie se retrouve souvent chez des espèces dont les soins aux jeunes peuvent n’être assurés que par la mère, le père ne pouvant pas assumer sa descendance trop nombreuse. Le mâle obtient un bénéfice évident : il a accès à un grand nombre de femelles, ce qui lui assure une descendance nombreuse, propice à la dissémination de ses gènes. Cependant, seuls les mâles les plus vigoureux peuvent monopoliser un groupe de femelles, ou un territoire dans lequel elles se trouvent. Les femelles obtiennent ainsi un bénéfice indirect : elles sont assurées que leur descendance portera les gènes de ce mâle puissant.
Un des cas les plus cités dans les livres et les plus utilisés dans les cours concerne l’éléphant de mer. Chez cette espèce, les femelles reviennent à terre tous les ans pour mettre bas. Les mâles les plus gros (qui sont aussi les plus âgés), mènent alors des combats sanglants à l’issu desquels le vainqueur aura le monopôle du groupe de femelles, qui peut dépasser 200 individus. Alors que les femelles allaitent leurs petits, le mâle veille sur son harem, soucieux d’éloigner les mâles opportunistes qui tentent de s’accoupler discrètement avec une femelle. Une fois le jeune sevré et le mâle dominant satisfait, tout ce beau monde retourne en mer jusqu’à l’année suivante.
Combat sanglant entre deux mâles éléphant de mer (Source) |
Oui mais voila, un constat a été fait qui remet en question ce que l’on pensait connaître de l’animal : les chercheurs n’observent presque jamais sur la plage de jeunes femelles qui n’ont jamais eu de rejetons. On s’attendrait pourtant à les voir se pointer en fin de saison pour copuler avec le mâle dominant. Mais non. Elles débarquent un beau jour, et mettent au monde un jeune issu d’un père invisible…
Jeune éléphant de mer (Source) |
Des études comportementales…
A partir de ce constat, une étude comportementale a été menée chez l’éléphant de mer austral Mirounga leonina (De Bruyn et al. 2011). Le principe : chaque année, au moment du sevrage, des jeunes femelles sont « marquées », c'est-à-dire qu’on leur pose au niveau de la nageoire caudale, une espèce de boucle d’oreille comprenant un numéro unique, permettant l’identification de chaque individu. Près de 3700 femelles ont ainsi reçu un code d’identification, sur une période s’étalant de 1983 à 2007. Ensuite, les chercheurs se positionnent sur la plage durant la période de reproduction et sondent les femelles pour découvrir qui est présent, qui est resté en mer, qui a un jeune, ou qui encore n’est présent sur la plage que pour s’accoupler. Et là, surprise. Alors qu’on sait que la plupart des femelles ne mettent pas bas tous les ans même si elles en sont biologiquement capables, on s’attend donc à ce que beaucoup viennent sur la plage sans jeune juste pour s’accoupler. Cependant, les chercheurs ont observé que seulement 1% des femelles sur la terre ferme étaient présentes uniquement dans ce but. De plus, parmi les femelles qui ont loupé une saison de reproduction, 87% ont quand même mis bas l’année suivante ! Les évidences d’une copulation en dehors de la plage commencent à être fortes…
Dispositif de reconnaissance individuel : "Jumbotag" (Source : image 1, image 2) |
Pour compléter cette étude à long terme, les chercheurs disposaient d’un autre outil : un petit appareil qui se colle sur la tête de l’animal et qui permet un suivi de sa position par satellite. En posant une cinquantaine de dispositifs, l’idée était de marquer par chance une femelle qui allait louper une saison de reproduction pour mettre bas l’année suivante… et ainsi découvrir ce qu’elle faisait au moment de la copulation supposée. Et là, bingo. Malgré la mue qui entraîne très rapidement la perte du dispositif, deux femelles ont répondu à ces critères. Et ce que les chercheurs supposaient s’est confirmé : les femelles, durant la période de réceptivité sexuelle, sont en mer ! De plus, le dispositif montre qu’elles passent plus de temps à la surface de l’eau durant cette période, suggérant une copulation près de la surface, voire sur un morceau de glace flottant…
Dispositif de suivi par satellite (Source) |
… Aux études génétiques
Les études comportementales apportent des arguments convainquant en faveur d’une copulation en mer. Cependant, d’autres raisons peuvent être invoquées pour expliquer les résultats, entre autres : l’absence de la femelle sur la plage parce qu’elle se trouve sur une autre plage (même si cet argument est contrebalancé par une forte fidélité au site de reproduction), l’implantation différentielle de l’embryon qui fait que la femelle met bas deux ans après la copulation sur la plage (en effet, dans un cycle de reproduction annuel, l’embryon ne s’implante pas immédiatement, afin que la mise bas corresponde précisément au retour sur terre l’année suivante), la mauvaise détection des femelles sur la plage par les chercheurs (la probabilité de détection qu’ils ont calculé atteignait tout de même 96% !), etc.
Pour compléter les études comportementales, les études génétiques, notamment les études de paternité, sont de parfaits candidats. Elles permettent en effet de mettre en évidence des systèmes d’appariement cryptiques (cachés). Par exemple, chez les oiseaux, alors que la grande majorité des espèces est monogame (des couples stables dont les deux partenaires élèvent les petits), il aura fallu attendre des études génétiques à partir de 1980 pour se rendre compte que le taux de paternité hors couple, autrement dit le nombre de jeunes issus d’un père illégitime, était parfois immense. Il apparait ainsi que 90% des espèces d’oiseaux présentent de la paternité hors-couple, et que la proportion de nichées contenant au moins un poussin illégitime peut atteindre 87% (Griffith et al. 2002).
Chez nos pinnipèdes, deux études génétiques ont été menées chez d’autres espèces que l’éléphant de mer, mais également connues pour être polygynes : l’otarie de Kerguelen Arctocephalus gazella (Gemmell et al. 2001) et le phoque gris Halichoerus grypus (Worthington et al. 1999). Dans la première étude, 243 mâles (soit 90% des mâles d’une plage) et 184 mères et leurs petits de l’année suivante ont été analysés. Résultat : malgré l’échantillonnage de la presque totalité des mâles, seuls 23% des jeunes étaient issus de pères présents sur la plage ! De plus, les chercheurs ont pu observer 16 copulations, suivies de mise bas l’année suivante. Et surprise encore une fois : seul un des jeunes était issu du mâle avec qui la femelle avait été vue en train de copuler ! Non seulement des femelles semblent échapper au système de polygynie en copulant en mer, mais en plus celles qui copulent à terre n’offrent pas au mâle la certitude de sa paternité ! La deuxième étude confirme l’implication beaucoup plus faible qu’attendue des mâles territoriaux dans la reproduction : entre 50 et 70% des jeunes phoques gris ne proviennent pas d’un père défendant un harem !
Otarie de Kerguelen mâle Arctocephalus gazella (Source) |
Femelle phoque gris Halichoerus grypus, et son petit (Source) |
Stratégie alternatives et raisons évolutives
Ces trois études mettent en lumière plusieurs faits chez les pinnipèdes polygynes. D’une part, les femelles sont capables de se reproduire en mer, et cette stratégie semble même être préférée lorsqu’elles n’ont pas besoin de revenir à terre pour mettre bas. D’autre part, même lorsqu’elles copulent avec le mâle dominant, le jeune issu peut provenir d’un autre père, suggérant des copulations multiples et éventuellement une sélection post-copulatoire du mâle.
Le système de polygynie chez les pinnipèdes a longtemps été considéré comme bénéfique pour les femelles : celles-ci, en copulant avec le mâle dominant, assurent de bons gènes à leur descendance. De plus, aucun déplacement n’est nécessaire, le mâle est disponible à l’endroit même où elles doivent se rendre pour mettre bas, pratique. Ce mâle est aussi garant de leur tranquillité durant l’élevage du jeune, évinçant ses rivaux qui pourraient persécuter les dames. Que d’avantages donc, qui expliquent que l’hypothèse de stratégies alternatives de la part des femelles ait peu été envisagée.
Cependant, suite à ces études, d’autres raisons sont invoquées pour expliquer la formation en harem des femelles : non pas un désir d’être sous la tutelle d’un beau mâle puissant, mais plutôt une stratégie pour éviter la persécution de la part d’autres mâles, et une contrainte du fait du nombre limité de plages disponibles.
La question se pose alors des raisons évolutives de ces stratégies d’appariement, autrement dit quels sont les bénéfices qu’elles apportent ? Pour les femelles, louper une saison de reproduction est un moyen d’économiser de l’énergie pour mieux l’allouer à sa propre survie et aux reproductions futures. Rester en mer durant la reproduction loupée est aussi un moyen permettant de continuer à s’approvisionner en nourriture, lui évitant ainsi un long voyage vers la plage. De plus, de nombreux mâles ayant atteint leur maturité sont disponibles en mer (75% des mâles éléphants de mer restent en mer durant la période de réceptivité sexuelle de la femelle), permettant un large choix de partenaires. Les avantages directs de rester en mer semblent alors bien plus importants que les avantages indirects que procurent les bons gènes du mâle. Et ce d’autant plus que les mâles territoriaux deviennent puissants avec l’âge, réduisant ainsi le rôle des « bons gènes ». Les mâles qui se trouvent en mer sont potentiellement de futures maîtres de harem !
Et pour les mâles alors ? Pourquoi s’obstiner à essayer de contrôler un harem alors que les femelles vont copuler ailleurs ? Et que la prise de pouvoir est très coûteuse, pouvant même leur coûter la vie ? La raison est simple. Les jeunes mâles n’ont aucune chance de s’accaparer un groupe de femelles et ont donc tout intérêt à rester en mer en espérant y croiser une femelle. Mais les mâles qui ont un harem, même s’ils n’ont pas autant de descendants qu’il y a de femelles présentes, ont toutefois un nombre de jeune plus important. Ayant atteint un certain âge, monopoliser un groupe de femelle permet donc d’augmenter son succès reproducteur, même s’il est plus faible que ce à quoi on s’attendrait en voyant les plages bondées de femelles. De plus, l’animal prenant de l’âge, ses chances d’être encore vivant et de se reproduire les années suivantes diminuent petit à petit. Autant donner le tout pour le tout et tenter une reproduction multiple, au risque d’être sérieusement blessé.
L’avènement de la génétique est une bénédiction pour les études centrées sur les systèmes d’appariement. A l’image des oiseaux monogames ou des pinnipèdes polygynes, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Il y a fort à parier qu’au cours des prochaines années, d’autres évidences s’écroulent encore…
Bibliographie
De Bruyn, P.J.N., Tosh, C.A., Bester, M.N., Cameron, E.Z., McIntyre, T. & Wilkinson, I.S. 2011. Sex at sea: alternative mating system in an extremely polygynous mammal. Animal Behaviour, 82, 445-451.
Gemmell, N.J., Burg, T.M., Boyd, I.L. & Amos, W. 2001. Low reproductive success in territorial male Antarctic fur seals (Arctocephalus gazella) suggests the existence of alternative mating strategies. Molecular Ecology, 10, 451-460.
Griffith, B., Owens, I.P.F. & Thuman, K.A. 2002. Extra pair paternity in birds: a review of interspecific variation and adaptive function. Molecular Ecology, 11, 2195-2212.
Worthington Wilmer, J., Allen, P.J., Pomeroy, P.P., Twiss, S.D. & Amos, W. 1999. Where have all the fathers gone? An extensive microsatellite analysis of paternity in the grey seal (Halichoerus grypus). Molecular Ecology, 8, 1417–1430.
Sophie Labaude
Très intéressant, mais je suis surpris qu'avec ce genre de découverte on continue à chercher systématiquement un avantage évolutif à chaque faits et gestes des animaux. Apparemment ça ne pose aucun problème aux biologistes de jeter aux orties toute leur argumentation initiale en faveur de la polyginie et d'en inventer une autre complètement contraire à la première. De toutes façons dans les deux cas, les arguments proposés sont souvent invérifiables. Ca me rappelle les débats théologiques du XVeme!
RépondreSupprimerNe peut-on - comme le préconise SJ Gould- admettre simplement que tout n'est pas optimal dans les moeurs des animaux et que le hasard y est sans doute pour beaucoup? Du moment que ça marche telles ou telles moeurs peuvent se perpétuer sans problème... Optimales ou pas.
Merci pour ce commentaire, il est de ceux qui peuvent prêter à débats pendant des pages. C’est d’ailleurs un des sujets évoqués en philosophie de la biologie.
RépondreSupprimerA mon sens, l’intérêt de recherches comportementales ou génétiques telles que décrites dans cet article n’est pas seulement de dresser une simple description de ce que fait ou ne fait pas telle espèce. La compréhension des intérêts sous-tendant ces comportements suscite bien plus d’attention, et permet de mieux comprendre des processus évolutifs globaux, ainsi que les compromis auxquels doivent faire face les individus. Par ailleurs, dans la plupart des branches de la science, la description, les évidences empiriques, sont un prétexte à la recherche d’un « pourquoi ». En écologie comportementale notamment, et comme dans d’autres branches de la biologie des organismes, la recherche des avantages évolutifs est une étape primordiale à la compréhension. « Nothing in biology makes sense except in the light of evolution » disait Dobzhansky.
Cependant, ainsi que vous le soulignez, tout n’est pas optimal dans les mœurs des animaux, et c’est un fait très bien accepté par l’ensemble de la communauté scientifique. Mais un comportement, ou tout autre attribut que nous pouvons observer à ce jour chez une espèce, a forcement une histoire évolutive, qu’il soit issu d’une forte sélection due à son avantage évolutif, ou qu’il ait évolué par dérive (par « hasard »), et se soit répandu dans la population sans avantage ni inconvénient. La recherche en biologie évolutive est précisément de déterminer quels avantages évolutifs apportent tel ou tel comportement. A cette étape de la discussion, dans mon article, les théories avancées sont effectivement des hypothèses, invérifiables à ce stade, mais qui pourront être creusées et acceptées ou réfutées via d’autres recherches, d’autres outils (je pense notamment à la modélisation qui se développe à l’heure actuelle).
Effectivement Sophie, c'est un de ces débats qui n'a souvent pas de fin.
RépondreSupprimerL'idée de Gould tend effectivement à prendre de l'essor depuis les dernières décennies.
Un autre point de vue est que généralement on recherche un avantage évolutif à l'échelle de l'individu, mais il semble que l'évolution n'a pas uniquement lieu à ce niveau d'organisation. Donc peut être qu'un trait qui semble ne pas être optimal pour l'individu, l'est mais plutôt pour le groupe ou la communauté.
Et pour le coup, c'est quelque chose qui est vérifiable.
Attention Battle tu t’aventures sur un terrain miné ! Aussi alléchante qu’apparaisse cette hypothèse, la sélection de groupe n’existe pas, du moins telle qu’elle a été envisagée et décrite par Wynne-Edwards. Celui-ci considérait par exemple qu’un groupe dont les individus coopéraient était sélectionné contre les autres groupes dont les individus étaient égoïstes. Cet argument paraît logique, et pourtant il s’agit bien de sélection à l’échelle individuelle. Pour s’en convaincre, il suffit de faire apparaître un mutant égoïste dans la population qui coopère, et tout s’écroule : le gène mutant se propage très rapidement puisque la coopération des autres donne un avantage à l’égoïste, qui lui ne paye aucun coût à coopérer. Les explications sont à chercher dans la théorie des jeux : pour chaque individu, l’avantage à coopérer est plus grand que celui d’être égoïste, à condition que les autres coopèrent aussi. Lors d’interactions répétée, une coopération peut alors se mettre en place, mais qui bénéficie à chaque individu, et non à la population ! Cf mon article sur la coopération (http://fish-dont-exist.blogspot.fr/2012/03/la-cooperation-pourquoi-pose-t-elle.html)
RépondreSupprimerA l’heure actuelle, on se remet à parler de « sélection de groupe », mais rien n’à voire avec l’hypothèse précédente. Il s’agit de sélection individuelle cachée.
Cependant, l’idée que l’on recherche souvent un avantage évolutif à l’échelle de l’individu est intéressante, puisqu’effectivement, l’évolution n’agit pas uniquement à ce lieu d’organisation. Par exemple, des conflits au niveau génétique existent, et qui peuvent expliquer certains faits étonnants si on les prend à l’échelle de l’individu.
le terrain n'est pas si miné que ça je te rassure (biblio à l'appui) ... si, la sélection de groupe (même plus que de groupe) existe, il y a eu un long chemin de parcouru depuis Wynne-Edwards. Tout dépend si on parle des groupes comme UNITE de sélection ou comme NIVEAU de sélection. Dans mon cas, c'est plutôt le niveau de sélection. Je ne dis pas qu'un groupe coopérant va être sélectionné contre un groupe d'égoiste (pour reprendre ton exemple), mais que certains processus de la sélection prennent place à des échelles supérieures à celle de l'individu. Au final, que ça soit pour l'individu, le groupe, la communauté ou l'écosystème, l'information est toujours portée par les gènes. Mais un gène peut être neutre vis à vis de la sélection au niveau de l'individu et pas à d'autres niveaux.
RépondreSupprimerIl faut faire attention à ne pas être trop catégorique quand on parle d'évolution car premièrement on est loin de tout connaître sur le sujet et aussi parce qu'il ne faut pas oublier de prendre de la hauteur pour voir certains effets.
Et ben moi je suis d'accord avec Xochipilli (et Gould il est cool) :p Ce genre d'affirmations ont en général un défaut pire que de ne pas être vérifiables, c'est qu'elles ne sont pas réfutables ! Pour preuve, tu ne dis pas que les avantages du non respect de la polygynie réfutent les avantages de la polygynie mais que ces deux genres d'avantages sont valables et que le système le plus avantageux est préféré. Pourquoi pas, je suis évidement d'accord avec cette affirmation. Le problème justement c'est qu'il n'y a pas moyen de ne pas être d'accord ! Toute explication est pertinente !
RépondreSupprimerUn autre point Sophie que tu oublies et que beaucoup de monde oublie, c'est que certes les caractères apparaissent par dérive (neutre) ou par sélection (avantageuse). Mais il y a une troisième forme de caractères, ceux qui sont hérités par descendance (contrainte phylogénétiques, qui ont été acquis par dérive ou sélection certes) et qui eux peuvent se retrouver carrément désavantageux ou tordus impliquant des systèmes non optimaux ! Et comme ça vaut aussi pour le comportement, il est envisageable que certains comportements apparemment absurdes soient simplement contraints par des comportements plésiomorphes. Il y a aussi les contraintes "développementales" : l'apparition d'un trait entraîne nécessairement en synergie celle d'un autre qui peut être désavantageux. Si le premier trait est sélectionné, le deuxième le sera aussi ! En gros, l’adaptation et l'avantage évolutif, ne sont pas les seules explications d'un caractère, loin de là ! Dobzhansky par ailleurs avait bien raison mais pas uniquement pour la recherche d'avantages évolutifs mais pour tout ce qui compose l'évolution ;)
Je réagis au message de Xochipilli qui se dit surpris « qu’avec ce genre de découverte on continue à chercher systématiquement un avantage évolutif à chaque faits et gestes des animaux ». Le fait est que se reproduire n’est pas un geste anodin ! Le hasard n’a guère de place dans ces processus biologiques pas plus que les contraintes phylogénétiques. La sélection n’a de sens qu’à travers la reproduction. Le hasard a bien sur ça place en biologie mais pas dans notre cas.
RépondreSupprimerDe même à la remarque «Apparemment ça ne pose aucun problème aux biologistes de jeter aux orties toute leur argumentation initiale en faveur de la polygynie et d'en inventer une autre » je répondrais, bien sur que non, cela fait partie d’une démarche scientifique. Un débat scientifique ce différencie par ailleurs d’un débat théologique du fait qu’il suit une démarche… scientifique !
Une démarche scientifique classique commence par une observation: dans notre cas les Eléphants de mer se reproduisent selon un système d’appariement qui semble être la polygynie. Viennent ensuite les questions, pourquoi un tel système existe-t-il, quels avantages en tirent les deux sexes ? On peut alors faire des hypothèses: les mâles s’assurent une descendance plus importante tant disque que les femelles ont un géniteur de qualité (pour faire court). Vient maintenant le temps des recherches empiriques. Etudes comportementales et génétiques nous fournissent des résultats concrets. Ici le résultat principal est que la plupart des nouveaux nées sur une plage ne sont pas du mâle dominant local. Ainsi si les femelles se concentrent sur les plages ce n’est pas pour bénéficier des gènes du mâle le plus musclé. On peut jeter aux orties sans problème cette hypothèse et en formuler de nouvelles qu’il faudra tester.
Je suis un peu caricatural mais l’idée est là.
Sinon j’ai trouvé cet article très intéressant. J’ai tout particulièrement apprécié le côté évidence qui s’écroule comme tu le formules toi-même. Merci phophie euh… sophie !
Pour répondre à Battle : il y a là un véritable débat qui peut durer longtemps... aussi je ne vais pas m'éterniser sur la question. Tu dis "un gène peut être neutre vis à vis de la sélection au niveau de l'individu et pas à d'autres niveaux". C'est en effet une évidence, de même que le gène ne peut être selectionné (dans la plupart des cas) que par les propriétés qu'il confère à des niveaux supérieurs (propriétés des cellules, des individus, et effectivement des propriétés qui peuvent ne s'exprimer que dans le cadre d'un groupe d'individus). Il semble en effet que nous ne parlions pas de la même chose. Que des propriétés qui s'affirment dans un groupe soient bénéfiques, c'est clairement entendu. Ce n'est pas ce qui est appelé traditionnellement la sélection de groupe. C'est sans doute cette différence que tu fais entre niveau de sélection et unité de sélection. La sélection de groupe est un concept houleux, et le terme porte à confusion. Dire que la sélection de groupe existe est dangereux quand on ne s'adresse pas à un public vraiment averti.
RépondreSupprimerNico, effectivement je n'ai pas mentionné les contraintes phylogénétiques, et c'est bien dommage car j'ai suffisamment pataugé dans des publis de philosophie des sciences pour ne pas avoir le droit de l'oublier ;-) Mais dans un article à visée de vulgarisation, on me pardonnera et au pire, on me demandera d'en parler dans un prochain article ! Merci en tout cas de le préciser, ce genre de détail prend tout son sens dans les commentaires ! D'autant que ces contraintes, bien que peu connues (du grand public j'entends, ou des jeunes scientifiques) ont réellement une part cruciale dans tout un tas de propriétés des individus.
Enfin Rémi (oui oui tu es démasqué !), effectivement, se reproduire n'est pas un "geste anodin", c'est d'ailleurs une des propriétés fondamentales de toute entitée soumise à évolution. Cependant tu dis "Le hasard n’a guère de place dans ces processus biologiques pas plus que les contraintes phylogénétiques". Je répondrai : bien au contraire ! Malheureusement, ces deux processus sont souvent bien trop sous-estimés si ce n'est simplement oubliés ! Pourtant, dans le monde vivant, beaucoup de ce qu'on peut observer est dû au hasard (hasard des apparitions de mutation bien sur, mais aussi dérive qui les maintient ou non dans la population) et aux contraintes phylogénétiques. Un exemple simple et extrême : prend un éléphant. A l'heure actuelle, le réchauffement climatique dérègle les cycles hydrologiques africains et pour les pauvres mastodonts, c'est de plus en plus difficile de joindre des sources d'eau. Imagine alors l'avantage qu'aurait un individu qui pourrait littéralement s'envoler, repérer en hauteur les points d'eau et y accéder de quelques battements d'ailes ! Pourtant, vu le chemin phylogénétique parcouru, difficile d'imaginer la possibilité d'une telle éventualité... Autre exemple par une analogie (développée dans un article de Gould & Lewontin, 1979) : imagine que tu veux construire 4 arches, avec un toit au-dessus. Entre deux arches et le toit, y'aura forcément un trou du fait de la forme des arches. Trou que tu peux combler par du ciment, puis peindre de manière à faire croire que cet espace était voulu, fondamentalement inclu dans ton édifice. En réalité, c'est une contrainte architecturale que tu auras arrangé pour qu'elle n'en parraisse pas une. Remplace ton édifice par un animal, c'est la même chose. Par exemple, le nerf laryngé de la girafe fait un immense détour, descendant de la tête jusqu'à la base du cou pour ensuite remonter jusqu'au niveau de la tête... au lieu de faire un trajet de quelques cm au sein de la tête ! Cette contrainte est due à l'allongement du cou (bénéfique pour la girafe), mais la longueur extrème de ce nerf n'est en aucun cas un avantage, il résulte d'une contrainte phylogénétique (voir image : http://www.businesscomputingworld.co.uk/wp-content/uploads/2010/09/giraffesneck-11.jpg , le petit nuage représente le cerveau de l'animal)
RépondreSupprimerPour le reste de ton commentaire, on ne "jette pas tout aux orties" pas plus que l'évidence ne s'écroule ;-) Il s'agit d'autres hypothèses pour coller au mieux à ce qu'on observe, mais probablement qu'une part des hypothèses évoquées précédemment était correcte (un mâle de qualité est avantageux pour la femelle via des bénéfices indirects), même si cette hypothèse ne suffit pas à expliquer entièrement les comportements observés.