Ça se passe en Bretagne, la marée est basse, c’est l’été. Bottes chaussées, vêtue de mon coupe-vent, je m’en vais joyeusement prospecter la faune présente dans les algues à l’aide d’un filet. Je venais en effet de m’intéresser à cet habitat particulier. Les algues, tout comme la flore terrestre, constituent un abri considérable pour de nombreuses espèces. Elles sont également source de nourriture et constituent de véritables zones refuges pour les juvéniles et quelques fois même, pour les œufs. Ces habitats ont des fonctions de refuge, nourricerie ou encore d’alimentation. Pour tous ceux d’entre vous qui, comme moi, ne prêtaient aucune attention aux algues parce que ce n’étaient que de vulgaires sous-plantes sans forme ni intérêt, détrompez-vous ! Vous ne serez pas déçus.
Je vous dévoilerai, peut-être, un jour, si vous êtes sages (oui, j’suis un peu comme le père noël), le mystère des algues. En attendant, je reprends mon épopée chevaleresque…
Crevettes, gastéropodes, amphipodes se sont pris dans mon filet (Fig. 1) : des espèces que j’avais déjà eu la chance de rencontrer mais qui me comblent toujours autant lorsque je les retrouve. Bien des algues s’étaient enchevêtrées dans les mailles. Leur rendant alors leur liberté, j’ai repéré une masse qui m’était inhabituelle. Elle était verte, elle avait une consistance molle et visqueuse en dehors de l’eau, elle n’avait pas de forme particulière et ne mesurait pas plus d’1cm. C’est alors que je l’ai plongé dans un tube contenant de l’eau de mer. Sous mon œil curieux et ébahi, elle s’est mue de mouvements lents me dévoilant ainsi ses courbes gracieuses… D’après l’enseignante qui nous accompagnait, elle s’appelait Elysia…
Figure 1 : Quelques espèces peuplant les algues Hippolyte varians, Caprella acanthifera, Dynamene sp. [Source] |
Crevettes, gastéropodes, amphipodes se sont pris dans mon filet (Fig. 1) : des espèces que j’avais déjà eu la chance de rencontrer mais qui me comblent toujours autant lorsque je les retrouve. Bien des algues s’étaient enchevêtrées dans les mailles. Leur rendant alors leur liberté, j’ai repéré une masse qui m’était inhabituelle. Elle était verte, elle avait une consistance molle et visqueuse en dehors de l’eau, elle n’avait pas de forme particulière et ne mesurait pas plus d’1cm. C’est alors que je l’ai plongé dans un tube contenant de l’eau de mer. Sous mon œil curieux et ébahi, elle s’est mue de mouvements lents me dévoilant ainsi ses courbes gracieuses… D’après l’enseignante qui nous accompagnait, elle s’appelait Elysia…
Elysia est un mollusque gastéropode me disait-elle mais hormis sa silhouette, je ne connaissais rien sur ce genre, j’étais alors tout à fait enthousiaste et excitée à l’idée d’en savoir plus. Je l’ai amené avec moi, m’empressant de l’observer à la loupe et « TADAAA » :
Elle possède plusieurs teintes de vert mais est aussi ponctuée de grains verts et de petites tâches réfringentes bleues (Fig. 3) et roses.
De recherches en recherches et donc de découvertes en découvertes, j’ai appris davantage sur la biologie et le mode de vie de cette espèce à laquelle je me sens liée (je suis sentimentale à mes heures perdues).
Les tâches vertes que vous pouvez distinguer sur sa robe (Fig. 3) sont en fait… des chloroplastes (les organites qui permettent aux plantes de faire la photosynthèse) ! Les chloroplastes, me direz-vous, ne se rencontrent que chez les végétaux (en incluant les algues*). Comment un animal peut-il contenir des chloroplastes -entiers, intactes- ?
Figure 3 : Elysia sp en vue dorsale sous loupe binoculaire avec vue sur les chloroplastes et les tâches réfringentes bleues (les roses ne sont pas visibles ici). |
En fait, les Elysia ont comme particularité d’aspirer les chloroplastes contenus dans certains types d’algues (cf vidéo ci dessous - préparez le pop corn) et de les stocker dans les expansions de leur système digestif pendant plusieurs jours.
Ces mollusques vivent à faible profondeur dans une zone où la lumière du soleil pénètre encore. Les chloroplastes étant des entités indépendantes dans les végétaux (on parle d’organites), ils sont capables de poursuivre leur activité photosynthétique dans le corps de l’animal de façon temporaire. A partir de l’énergie lumineuse produite par le soleil, ils forment du glucose qui sera alors libéré et utilisé par l’animal. Ainsi, en temps de crise, les chloroplastes peuvent nourrir l’Elysia jusqu’à 10 mois !
Sur ces deux vidéos (filmées par nos soins !!), l'Elysia est en vue ventrale, sous l'algue verte Bryopsis sp.
Ces mollusques vivent à faible profondeur dans une zone où la lumière du soleil pénètre encore. Les chloroplastes étant des entités indépendantes dans les végétaux (on parle d’organites), ils sont capables de poursuivre leur activité photosynthétique dans le corps de l’animal de façon temporaire. A partir de l’énergie lumineuse produite par le soleil, ils forment du glucose qui sera alors libéré et utilisé par l’animal. Ainsi, en temps de crise, les chloroplastes peuvent nourrir l’Elysia jusqu’à 10 mois !
Mais ce n’est pas tout !
Certaines espèces de ce genre (comme E. pusilla et E. rufescens) ne gobent pas les chloroplastes de n’importe quelle algue. Elles favorisent les algues ichtyotoxiques (toxiques pour les poissons). D’abord pour éviter d’avoir comme concurrent principal une bestiole qui fait 10, 20 ou même 100 fois sa taille (imaginez devoir vous battre contre une lionne pour un morceau de viande ou contre un éléphant pour une touffe d’herbe ou encore contre une baleine pour une crevette d’un centimètre…). Etant donné que les poissons ne se nourrissent pas de ces algues, il y a moins de chance pour qu’ils mangent l’Elysia par « mégarde ». Ensuite, parce qu’en ingérant les chloroplastes, elles vont également chopper les toxines anti-poisson (il y en a de plusieurs sortes, ça dépend de l’algue « hôte ») et « tada ! » elles deviennent elles aussi empoisonnées ! L’espèce E. pusilla pousse encore plus loin l’utilisation de ces toxines puisque lorsqu’elle est dérangée, elle sécrète un mucus avec une forte concentration en substances toxiques. De même, lorsqu’elle pond ses œufs, elle prend le soin de les enrober dans un mucus toxique.
Des moyens tout à fait originaux de s’alimenter et se protéger dans ce monde où les contraintes biotiques et abiotiques rendent ces environnements particulièrement hostiles.
Ça se passe en Bretagne, la marée est basse, c’est l’été, je suis en pleine prospection de la faune du littoral et j’y ai découvert un monde que je chéris, un monde qui me fascine.
Quand je serai grande, je serai biologiste marin.
Quand je serai grande, je continuerai à m’émerveiller comme cet été, à marée basse, en Bretagne, avec mes bottes et mon coupe vent.
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* : D'un point de vue évolutif, ça n'est pas juste. On traitera de ce sujet un jour ou l'autre.
Pour les curieux :
- Vous trouverez d’autres photos sur le site Estran 22 à l’initiative de l’association Vivarmor Nature.
- BECERRO M., GOETZ G., PAUL V., & SCHEUER P., 2001 - Chemical defenses of the sacoglossan mollusk Elysia rufescens and its host alga Bryopsis sp. Journal of Chemical Ecology 27(11): 2287–2299.
- HAY M.E., PAWLIK J., DUFFY E., & FENICAL W., 1989 - Seaweed-herbivore-predator interactions : host-plant specialization reduces predation on small herbivores. Oecologia 81: 418–427.
- PAUL V., & Van Alstyne K., 1988. Use of ingested algal diterpenoids by Elysia halimedae Macnae (Opisthobranchia : Ascoglossa) as antipredator defenses. J. Exp. Mar. Biol. Ecol. 119: 15–29.
Merci pour cet article des plus intéressant et instructif! Fascinant de voir comment Elysia aspire les chloroplastes!
RépondreSupprimerIl y encore une chose qui pourrait cependant être ajouter concernant ce genre bien particulier de limaces. Car des recherches effectués sur l'espèce Elysia chlorotica (voir l'image de mon profile) ont révélé comment ces limaces parviennent à avoir des chloroplastes fonctionnels alors que ceux-ci (les chloroplastes) n'ont pas tous les gènes nécessaires à la synthèse de protéines indispensables à la photosynthèse.
Horizontal gene transfer of the algal nuclear gene psbO to the photosynthetic sea slug Elysia chlorotica
En effet chez les algues dont se nourrit Elysia, le bon fonctionnement des chloroplastes dépend également du génome de gènes situés dans le génome des algues . Mais donc comment Elysia chlorotica peut-elle faire fonctionner les chloroplastes des algues?
Simple Elysia chlorotica a au cours de son évolution, incorporé des gènes d'algues vertes dans son propre génome! C'est un cas flagrant de transfert horizontal de gènes!
Mais attendez est-ce que ce qui a été découvert chez Elysia chlorotica s'appliquent également chez les autres espèces de limaces du genre Elysia mentionnées ici? Je pense que oui quoiqu'il j'ignore si les dites espèces mentionnées ici parviennent à faire fonctionner leurs chloroplastes aussi longtemps que le fait Elysia chlorotica
Bonjour Hans,
SupprimerMerci pour ce commentaire !
En effet, j'avais vu dans un article que certaines Elysia possédaient des gènes d'algues.
Je n'ai pas traité de ce sujet parce que je n'avais pas tout compris, l'article que j'avais lu était plus ancien que le vôtre. Merci pour les précisions, c'est plus clair !
En ce qui concerne le temps de rétention des chloroplastes (RTC en anglais), il y a un article qui met cela en évidence pour plusieurs espèces de sacoglosses.
Evertsen J., Burghardt I., Johnsen G., & Wägele H., 2007. Retention of functional chloroplasts in some sacoglossans from the Indo-Pacific and Mediterranean. Marine Biology 151(6): 2159–2166.
(Je ne peux pas mettre en forme le commentaire, désolée pour l'absence d'italiques pour les noms de genre :) )
Merci à vous pour la référence je la lirai dès que j'aurais le temps. ;.)
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