dimanche 22 décembre 2019

La science des rennes de Noël

A quelques heures de Noël, un homme tout de rouge vêtu s’affaire aux derniers préparatifs de sa grande aventure annuelle. Son moyen de transport favori est prêt à décoller : un magnifique traîneau tracté par des créatures féériques et pourtant bien réelles, les rennes. Si la capacité de voler de ces magnifiques Cervidae est bien comprise (de la poussière magique, et un breuvage top secret préparé par le Père Noël himself !), les scientifiques s'interrogent toujours sur une curieuse particularité de l’animal favori du pater : ce proéminent nez rouge dont est affublé le célèbre Rudolph ! Paraîtrait même qu’il brille dans la nuit…


Rudolph, le leader du tractage de traineau (Source)


La piste d’un avantage en termes de visibilité ?


Bien voir est une caractéristique importante chez beaucoup d’espèces de mammifères, qui utilisent la vision pour nombre d’utilités : trouver de la nourriture, repérer des prédateurs, se reconnaître entre individus, etc. Les rennes, de leur petit nom scientifique Rangifer tarandus, font face à quelques complications en matière de visibilité avec une luminosité particulièrement basse dans l’hiver de l’hémisphère nord. Pourtant, ils n’en sont pas moins bien lotis. En effet, une étude (1) a montré que ceux-ci sont capables de voir les ultraviolets ! Les chercheurs ont montré que les deux types de photorécepteurs que l’on trouve dans la rétine de ces animaux - les cônes et les bâtonnets - sont sensibles aux rayons UV. Un avantage certain en Arctique où la lumière est particulièrement riche en rayons ultraviolets. Une autre étude (2) confirme en effet que dans la faible lumière de l’hiver où végétation et neige se confondent dans le spectre de la lumière visible, les plantes et lichens dont se nourrissent les rennes opposent un fort contraste à la neige en vision UV, puisque celle-ci renvoie une grande proportion des rayons UV.

Les particularités des rennes en matière de vision ne s’arrêtent pas là ! Les yeux de Rudolph et ses compatriotes sont tapissés de tapetum lucidum, un tissu qui joue un rôle de réflecteur de lumière et qui permet d’améliorer la vision lorsque la lumière est faible. C’est ce tissu qui explique que l’on voit parfois des yeux briller dans la nuit, lorsque les créatures qui en sont dotées sont éclairées par les phares de voitures par exemple. Eh bien chez le renne, ce tissu lui permet de changer la couleur de ses yeux d’une saison à l’autre ! Ainsi, si vous croisez un renne avec des yeux d’un bleu profond, c’est probablement l’hiver en Arctique, tandis qu’en été, ces Cervidae arborent des yeux couleur or ! Un trait qui, d’après les chercheurs (3), permet aux animaux de mieux capter la lumière durant les sombres mois d’hiver.

Les yeux d'un renne en été et en hiver (Source)


Au delà de la faible luminosité, un autre paramètre est susceptible de réduire la visibilité de nos tracteurs de traineaux : le brouillard. Malheureusement, les deux adaptations citées ci-dessus ne leur permettent pas de voir par delà un épais tapis de brume. Or, comme il est rappelé dans un autre article (4), les cristaux de glace et gouttes d’eau qui forment le brouillard arrêteraient d’avantage la lumière bleue, tandis que les couleurs rouges seraient plus facilement visibles à travers la brume. Dans ces conditions, un élément émettant de la lumière rouge, à tout hasard le nez d’un renne, permettrait à toute une tribu de Cervidae volants de mieux s’orienter !

Est-il donc possible que le nez de Rudolphe soit une adaptation aux conditions arctiques ? Peu probable. En effet, un tel attribut serait aussi efficace pour attirer les prédateurs qu’un panneau de signalisation lumineux “mangez-moi” ! Si les bénéfices en termes de survie dépassaient les inconvénients, on trouverait sans doute plus de rennes au nez luminescent dans la nature. Mais pour l’instant, seul un individu arborant ce caractère est connu. Pourtant, c’est peut-être justement parce qu’on cherche “dans la nature” qu’on ne trouve pas. Car il pourrait tout de même s’agir de sélection, non pas naturelle, mais bien artificielle ! De la même manière que les agriculteurs sélectionnent les plus grosses citrouilles pour augmenter leur rendement, ou des arbres résistants aux conditions climatiques de leur région, il n’est pas du tout invraisemblable que le Père Noël ait petit à petit augmenté l’efficacité de son cheptel en privilégiant les rennes les plus aptes aux longs voyages nocturnes. Un renne avec un feu de brouillard en guise de nez, quoi de plus adapté pour voler !


Mais ça fonctionne comment, le nez de Rudolph ?


Concrètement, des apparences déconcertantes peuvent tout à fait apparaître brutalement chez des animaux, en conséquence de mutations aléatoires : changement de couleur, apparition de membres supplémentaires, pilosité surdéveloppée… Cependant, la probabilité qu’une mutation provoque à la fois un nez rouge et luminescent est très faible. Soit le Père Noël a eu de la chance, soit il a quelques notions de génétique !

Soyons honnête, les organismes luminescents ne courent pas les rues. Pourtant, ils existent bel et bien ! Vers luisants, créatures abyssales, champignons ou encore bactéries, on retrouve de la bioluminescence dans près de 700 genres (5). La plupart des espèces capables de bioluminescence sont marines, mais on en trouve aussi sur la terre ferme. Quid des couleurs émises ? Eh bien, c’est variable, avec des longueurs d’onde émises comprises entre 400 et 720 nm, soit des couleurs allant du violet jusqu’au rouge. Côté mécanisme, c’est une fois de plus variable, mais il s’agit souvent d’une histoire de molécules appelées luciférines qui, sous l’action de l’oxygène et de l'enzyme luciferase (5), mènent à la formation de photons, autrement dit de lumière. Un nez bioluminescent n’est donc pas impossible ! De nombreux organismes génétiquement modifiés existent d’ailleurs pour produire de la fluorescence, un phénomène un peu différent de la luminescence, qui consiste à émettre une couleur vive mais uniquement lorsqu’ils sont éclairés par une certaine lumière. Souvent, il s’agit d’introduire les gènes d’autres espèces naturellement disposées à briller. Il serait intéressant que les généticiens aient accès au patrimoine génétique de notre cher Rudolph, histoire de vérifier si le vieux barbu n’aurait pas glissé quelque amélioration à son meneur de traineau !

On trouve de la bio-luminescence naturellement chez des espèces très variées, comme ici le champignon Panellus stipticus ou l'insecte Lampyris noctiluca, communément surnomé ver luisant (Crédits: Ylem et  NEUROtiker)
 
 
Les chercheurs utilisent beaucoup d'organismes génétiquement modifiés pour produire de la fluorescence, ce qui permet par exemple d'observer des cellules précises. Ici, ce sont des nématodes Caenorhabditis elegans (Crédits : Sophie Labaude)


Allez, une dernière hypothèse avant de retrouver la féerie et le mystère de noël. Vous avez déjà entendu parler d’Heterorhabditis bacteriophora ? Il s’agit d’un nématode, un ver microscopique, qui parasite des insectes. Figurez-vous qu’il est doté d’une myriade de bactéries qui ont une double conséquence sur le pauvre insecte parasité : celui-ci change de couleur et devient d’un rouge soutenu, et il se met… à briller dans le noir ! Mieux encore, cette luminescence n’est pas restreinte aux insectes puisque de nombreuses descriptions font état de blessures chez l’humain qui brillent dans le noir ! Des blessures qui, étudiées de près, ont révélées la présence des bactéries en question (6). Et si le pauvre Rudolph était tout simplement… parasité !


Quand elles sont parasitées par des nématodes Heterhabditis bacteriophora, les larves deviennes rouges et luminescentes (Crédits: Sophie Labaude)




Références


(1) Hogg C., Neveu M., Stokkan K.-A., Folkow L., Cottrill P., Douglas R., Hunt D. M., Jeffery G. 2011. Arctic reindeer extend their visual range into the ultraviolet. Journal of Experimental Biology, 214: 2014-2019.

(2) Tyler, N. J. C., Jeffery G., Hogg C. R., Stokkan K.-A., Giguère N. 2014. Ultraviolet Vision May Enhance the Ability of Reindeer to Discriminate Plants in Snow. Arctic, 67: 159-166.

(3) Stokkan K.-A., Folkow L., Dukes J., Neveu M., Hogg C., Siefken S., Dakin S. C., Jeffery G. 2013. Shifting mirrors: adaptive changes in retinal reflections to winter darkness in Arctic reindeer. Proc Biol Sci., 280: 20132451.

(4) Dominy N. J. 2015. Reindeer vision explains the benefits of a glowing nose. Frontiers for young minds, 3: 18.

(5) Kahlke T., Umbers K. D. L. 2016. Bioluminescence. Curr. Biol,. 26: R313–R314.

(6) Colepicolo P., Cho K.W., Poinar G.O., Hastings J.W. 1989. Growth and luminescence of the bacterium Xenorhabdus luminescens from a human wound. Appl. Environ. Microbiol., 55: 2601–2606.







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