Ha l’amour… Ce sentiment si unique qui fait dans nos coeurs la pluie et le beau temps... On voit la vie en rose lorsque l’être aimé est tout près, et on se met à broyer du noir quand il est hors de portée. Et de manière plus générale, la qualité d’une relation amoureuse chez les humains se reflète sur l’état affectif - ou l’humeur - des deux partenaires. C’est prouvé ! Un tel mécanisme renforcerait l’engagement des deux partenaires dans la relation, et permettrait donc au couple de durer. Mais les humains ne sont pas la seule espèce à s’engager dans des relations longue durée ! Il serait donc logique que ce lien existe aussi chez d’autres espèces, notamment celles dont l’élevage des jeunes nécessite des soins de la part des deux parents, et donc un couple solide pendant cette période.
Couple de cichlidés zébrés, Amatitlania siquia. Crédits : Chloé Laubu |
Pour montrer ça, il y a un modèle biologique qui est tout trouvé : le cichlidé zébré ! Il s’agit d’un petit ostéichthyen (pour rester dans l’air du temps, nous emploierons le vulgaire sobriquet de “poisson”), originaire d’Amérique du sud, qui nous avait déjà permis d’aborder le concept de personnalité animale (par ici) et même de convergence de personnalité (les amoureux qui finissent par se ressembler, par là). Ces travaux viennent d’une équipe de chercheurs de Dijon, et j’avais même interviewé Chloé Laubu (a.k.a. ma super ancienne collègue), l’auteure principale du papier que je m’apprête à vous présenter. Elle était alors au coeur de ladite expérience. Voici donc la vidéo où elle récapitule plein de concepts (Spoiler alert!! A regarder après l’article si vous préférez garder le suspense jusqu’au bout).
Reprenons. Le but de l’expérience est de vérifier l’hypothèse selon laquelle une peine de coeur (absence du partenaire) influencerait l’état affectif, autrement dit l’humeur, des poissons. Ce qui implique de vérifier d’abord que les poissons peuvent préférer un partenaire plutôt qu’un autre, et ce qui implique aussi de savoir mesurer objectivement leur état affectif, un critère souvent vu comme une mesure très subjective ! Pas facile… Mais pas de panique, nos chercheurs ne manquent pas de ressources.
Etape 1 : le coup de foudre
Chez les cichlidés, et notamment pour les femelles, c’est la taille qui compte ! Quand elle a le choix, madame préfère les grands mâles. Pour s’en convaincre, il suffit de placer une femelle dans un aquarium à trois compartiments séparés d’une grille, avec un mâle de chaque côté. On mesure alors le temps passé par la femelle à proximité de chaque mâle, un bon indicateur de sa préférence. Le choix est souvent plutôt marqué : les femelles passent en moyenne 70% de leur temps à côté de l’heureux élu, et cette préférence se retrouve lorsque le test est répété plusieurs fois.
La femelle est placée au centre et a le choix entre deux mâles placés de chaque côté. Modifié d'après Laubu et al. 2019. |
Etape 2 : romance… ou chagrin d’amour
S’apparier avec son mâle préféré conduit-il à un couple qui fonctionne mieux qu'un mariage forcé ? Eh bien oui ! Il suffit de laisser la moitié des femelles rejoindre l’élu de leur coeur, et de… hmm… forcer l’autre moitié à rester avec celui qu’elles n’ont pas choisi. Le résultat est sans appel. Les femelles sont plus investies dans la relation quand elles ont pu choisir leur partenaire : elles pondent plus rapidement, passent plus de temps à surveiller leurs oeufs, ce qui conduit à plus de descendants. Sans compter qu’il y a moins de querelles de couples ! Les démonstrations agressives envers le partenaire sont moins nombreuses. Bref, le couple se porte mieux quand madame peut former un couple avec le mâle de son choix.
Etape 3 : le bonheur est dans la boîte… ou pas !
Maintenant qu’on sait que les dames cichlidés choisissent un mâle aboutissant à un couple qui fonctionne bien, il s’agit de savoir si la séparation avec l’élu pourrait modifier son état affectif. Pour ça, les chercheurs ont commencé par une tâche étonnante : ils ont pris d’autres femelles (des individus tout frais histoire de pas biaiser les résultats) et leur ont appris... à ouvrir des boîtes ! Des petites boîtes avec un couvercle blanc ou noir, placées à gauche ou à droite de l’aquarium, et qui contenaient ou non une friandise (un ver de vase, rien de plus délicieux). Pour chaque femelle, la combinaison (aléatoire) était toujours la même : par exemple, la boîte blanche était toujours à gauche et contenait toujours la friandise, tandis que la boîte noire, toujours à droite, était vide. Elles ont ainsi appris qu’une des deux boîtes, facilement reconnaissable à sa couleur et sa position, valait le coup de se donner la peine de l’ouvrir, et l’autre non.
Etape 4 : Verre à moitié vide ou à moitié plein ?
Le génie d’apprendre à des poissons à ouvrir des boîtes, c’est que les chercheurs disposent maintenant d’un moyen de mesurer de manière tout à fait objective leur état émotionnel ! Pour savoir si un individu est plutôt dans un bon jour ou un mauvais jour, c’est à dire s’il (ou elle dans notre cas) est d’humeur plutôt optimiste ou pessimiste, il suffit de lui présenter un signal ambigu : une boîte grise, en plein milieu de l’aquarium ! Les optimistes l’ouvriront rapidement en espérant y trouver une friandise, les pessimistes seront bien moins pressés de faire l’effort de dépenser de l’énergie pour une boîte qu’ils imaginent probablement vide.
Pour en revenir à nos femelles, un fois leur apprentissage terminé, on leur propose donc une série de boîtes : d’abord une positive (avec friandise) puis une négative, histoire de leur rafraîchir la mémoire, puis une ambigüe (la fameuse boîte grise), puis encore une positive, une négative, et une positive pour la fin histoire qu’elles restent motivées à la prochaine session de tests. Chaque femelle est testée trois fois : tout d’abord avec une autre femelle de chaque côté, puis un mâle de chaque côté. Ces deux tests permettent de déterminer un état affectif de base des femelles, et le deuxième test permet également à la femelle de choisir un mâle. Lors du dernier test, un des deux mâles est retiré (l’élu de son coeur, ou l’autre). A chaque fois, les chercheurs mesurent le temps que les femelles mettent avant d’ouvrir la boîte. Verdict : les femelles qui ont été privées de leur mâle préféré étaient significativement plus pessimistes : elles mettaient plus de temps à se décider à ouvrir la boîte grise, démontrant un état affectif négatif !
Cette étude suggère pour la première fois un attachement émotionnel d’un animal à son partenaire. Elle pose aussi sur la question de la fonction adaptative d’un tel attachement : il pourrait s’agir d’un mécanisme ayant évolué car il permet, comme chez l’humain, de renforcer les liens du couple. Parce que c’est bien connu : il faut qu’ils vécussent heureux pour qu’ils eussent beaucoup d’enfants !
Référence
Laubu C, Louâpre P, Dechaume-Moncharmont F-X. 2019. Pair-bonding influences affective state in a monogamous fish species. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 20190760. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2019.0760
Sophie Labaude