lundi 9 février 2015

Ceux qui promenaient des mantes en laisse

Si les chimistes sont souvent dépeints par l’imaginaire collectif comme des savants fous aux allures excentriques, les biologistes ne sont pas non plus en reste quand il s’agit de faire preuve d’extravagance et de déployer leur plus grande imagination pour monter des expériences nouvelles. Ainsi, c’est tout naturellement qu’une équipe argentine vient de publier un article où il est question de mantes religieuses, droguées au dioxyde de carbone, et amenées au bout d’une laisse auprès de congénères passablement cannibales pour titiller leur agressivité…

Depuis toujours, les mantes ont passionné les gens pour la fâcheuse tendance des femelles à dévorer monsieur vivant au milieu même des ébats. Ce cannibalisme sexuel est bien sûr également une grande source d’inspiration chez les scientifiques : pourquoi la sélection naturelle reste-t-elle si stoïque face au tragique destin de ces pauvres mâles ? Ce n’est tout de même pas très pratique de se faire arracher la tête pour les futures reproductions… 


Chez les mantes, la femelle entreprend de dévorer son partenaire dans 30% des accouplements. Se faire arracher la tête n’empêche pas le corps du mâle de continuer le transfert de sperme, ce qui explique en partie que ce comportement n’ait pas été balayé par la sélection naturelle (Source)

Les études montrent que les mâles se font croquer à peu près une fois sur trois. Pas négligeable donc. Certes, il pourrait y avoir des avantages sélectifs pour le mâle à se faire manger, notamment un apport nutritif fichtrement conséquent pour la femelle, et donc pour ses futures jeunes. En dépit de cela, les mâles ne sont pas tout à fait résignés à donner de leur chair, surtout quand ils peuvent espérer s’accoupler avec une autre femelle avant de rendre l’âme, et ils tentent quand même quelques subterfuges pour contrer l’appétit sexuel de madame.

Pas fous, les mâles vont montrer une préférence très nette pour des femelles en bonne condition corporelle. Autrement dit, des femelles qui ne paraissent pas avoir jeûné depuis des jours…  Ils vont aussi être plus attirés par des femelles qu’ils auront vues au préalable croquer une proie. Il y a même eu des observations de mâles qui, l’air de rien, se glissent discrètement sur la femelle au moment où celle-ci est en plein repas.

Une autre stratégie du mâle, outre préférer les femelles qui n’ont pas besoin d’un casse-croute, pourrait être d’éviter les dames trop agressives. C’est sur cette hypothèse que s’est penchée l’équipe de chercheurs argentins. 


Chez les mantes, les partenaires se prennent la tête de manière littérale et bien plus radicale que chez nous (Source)

Le protocole est assez original. Comment faire en sorte qu’un mâle puisse exprimer une préférence devant le niveau d’agressivité de la femelle ? Plusieurs ingrédients sont nécessaires : un mâle bien sûr, deux femelles dont l’une doit être plus agressive que l’autre, et un évènement permettant au mâle de juger de l’agressivité des prétendantes. Tout ça est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, surtout si on veut éviter que les femelles ne croquent tout le monde.

Première étape : choisir des femelles qui se ressemblent. On ne voudrait pas que le mâle mise sur la plus petite, ou la plus maigre… Les mantes sont alors droguées au dioxyde de carbone, le temps de les mesurer et les peser en toute tranquillité, et elles sont rangées par paires. Deuxième étape, présenter les femelles au mâle en faisant en sorte que seul ce dernier puisse choisir sa partenaire. Les deux prétendantes se retrouvent donc attachées à chaque coin du dispositif par une tige scotchée derrière leur tête. Le mâle, lui, est libre en face d’elles, et peut choisir de s’approcher de l’une ou de l’autre. Troisième étape : faire en sorte qu’une des deux femelles exprime des comportements agressifs, mais pas l’autre. Et le tout devant le mâle, mais sans le croquer. Un deuxième mâle est donc introduit dans le dispositif : il servira de victime. Attaché lui aussi au bout d’une laisse, il est amené par les chercheurs successivement à côté de chaque femelle. Pour l’agressivité, les deux femelles ont été affamées pendant 5 jours. Elles sont au taquet. Mais pour que l’une des deux reste sage ? Un petit coup de CO2 supplémentaire, et elle se tiendra tranquille. Notre mâle focal a donc devant lui une femelle affamée mais amorphe, et une autre qui tente tant bien que mal de happer ce bout de viande sur pattes, accessoirement un de ses congénères, qui est tracté près d’elle de manière régulière. Tout ça peut paraitre bien barbare, mais les chercheurs prennent soin de signaler que les individus ont été habitués à leur longe avant l’expérience, et qu’ils ont pris garde à ce que les mâles victimes ne se fassent pas attraper par les femelles (précision est tout de même faite que le mâle s’est fait attraper les antennes plusieurs fois, ce qui n’est pas du tout traumatisant…). 


Dispositif expérimental, d'après Scardamaglia et al. (2015). Le mâle focal peut s'orienter librement vers l'une des deux femelles, stimulées par le mâle "victime".

Après ce petit manège pour montrer au mâle focal qu’une femelle est fichtrement agressive par rapport à l’autre, les chercheurs laissent donc le mâle seul avec ses prétendantes, pour qu’il puisse réfléchir et prendre sa décision. Et vu l’enjeu (éviter la décapitation…), la décision peut être longue… Très longue… Et le test peut ainsi s’étendre sur une période de 11h. Heureusement, des caméras capturent le tout, question d’intimité pour les bestioles : pas question d’interférer dans leur comportement. Et puis c’est souvent plus pratique pour les chercheurs, surtout pour des longues expériences.

Les mantes ne forment pas d’associations en dehors de la reproduction. Pour la femelle, le mâle ne constitue qu’une réserve de sperme, et parfois de viande, qui vient volontairement à sa rencontre pour lui offrir tout ça ! (Source)

Alors, suicidaires ces mâles ? Eh bien non, à l’unanimité, et de manière très nette, les mâles vont passer un temps considérablement plus long à tenter d’approcher la femelle non-agressive. Un résultat qui peut nous paraître absolument évident mais qui demandait pourtant bien vérification : en dépit du coût évident à perdre la tête, un partenaire agressif peut être avantageux. Cela pourrait être preuve de bonne santé (il faut de l’énergie pour être agressif !). Et puis rappelez-vous une expérience dont je vous avais parlé (par ici) : chez une espèce de cichlidé dont la défense du territoire et de la progéniture est nécessaire, et malgré un cannibalisme fréquemment observé même au sein du couple, la femelle (chacun son tour de choisir) va préférer les partenaires les plus agressifs. Un exemple qui est loin de convaincre nos mâles mantes, chez qui les femelles se contentent de pondre sans apporter le moindre soin parental par la suite. En revanche, certains mâles d’insectes et araignées sont connus pour offrir à leur dame un cadeau nuptial, une proie pour amadouer la femelle. L’hypothèse a été plusieurs fois évoquée que, dans certains cas, une telle offrande pourrait protéger les mâles face à des femelles potentiellement cannibales, en reportant leur appétit sur une proie plutôt que leur propre tête !


Bibliographie 

 

Scardamaglia, R.C., Fosacheca, S. & Pompolio, L. 2015. Sexual conflict in a sexually cannibalistic praying mantid: males prefer low-risk females. Animal Behaviour, 99, 9-14.



Sophie Labaude

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