Ça courrait dans
les couloirs de mon université depuis quelques mois, mais enfin, hier, la description d’une nouvelle énigme zoologique a été publiée…
Il arrive que les
zoologistes crient au nouvel animal. Et souvent, ça tombe dans une case qu’on
connait. Pour n’en citer que deux jolis cas, le premier est celui des Concentricycloidea (un nom bien barbare) pris pour un tout nouveau
type d’échinodermes (oursins, étoiles de mer, plus d'infos ici, ou là), mais qui se sont révélés être
seulement des étoiles de mer. Le second cas est celui de Buddenbrochia (encore
un avec un nom pas possible), longtemps resté une énigme zoologique totale
(vraiment aucune idée, si ce n’est que c’est un animal), jusqu’à ce qu’on
réalise que c’était un cousin des méduses, au sein d’un groupe bien connu de
parasites.
Un Concentricycloidea à gauche et un Buddenbrockia à droite. A première vue ils ne ressemblent pas à grand-chose, et c’est bien pour ça qu’ils ont été des énigmes pendant un bout de temps. Source: paquerette de mer et ver mystère. |
Hier, c’est un nouveau candidat au titre d’animal «incertae sedis » (placement
incertain) qui a fait l’objet d’une publication. Et pour ne pas déroger à la
règle des noms, il a été nommé Dendrogramma.
Trouvé au fond des mers australiennes, de 400 à 1000 mètres de profondeur, cet
humble animal d’un demi centimètre fait déjà beaucoup parler de lui. Alors,
c’est quoi ce truc ? Il a été décrit comme un animal « non
bilatérien », c'est-à-dire un animal qui n’est pas composé de deux côtés symétriques
comme nous. Un animal sans avant, sans arrière, sans gauche, sans droite, mais
avec une bouche (face orale) et un côté opposé à la bouche (face aborale).
Comme expliqué précédemment (ici), définir un groupe sur une absence, c’est
pas très élégant, et ça fait des groupes qui n’existent pas, comme les
poissons. Le groupe des « animaux non bilatériens » donc, n’existe
pas, mais la découverte d’un nouvel animal non bilatérien est quand même une
belle trouvaille. Parce que les bilatériens comprennent plus de 95% des espèces
animales décrites, et parce qu’il n’y avait jusqu’alors que 4 groupes d’animaux non
bilatériens bien définis : les éponges de mer, les cnidaires (méduses et
coraux), les gracieux cténophores et le mystérieux placozoaire (avec une seule
espèce décrite). Autant dire que même si les cnidaires et les éponges
contiennent un nombre raisonnable d’espèces, on n’a pas grand monde en dehors
des bilatériens. En plus les relations de parentés entre les non bilatériens
sont loin d’être établies et beaucoup de discussions persistent (voir les discussions sur SSAFT).
Mais ce que cette histoire de Dendrgramma
nous dit en plus c’est que notre nouvel ami pourrait nous en apprendre beaucoup
sur les origines des animaux !
Une gracieuse méduse, un des animaux non bilatériens que vous connaissez le mieux. Source : spaghettis nageant. |
Euplectella, la délicate éponge de verre. Source : aille ça pique. |
Un fragile cténophore, ces animaux qui donnent mal à la tête aux zoologistes. Source : cténotrofort. |
Un heuu... Ttruc appellé placozoaire. C'est un blob plat, et jusque là, c'était le plus mystérieux des animaux non bilatériens. Source : pauvre animal délaissé. |
Oui mais…
Mais la réalité
en zoologie ce n’est pas toujours si simple et le matériel utilisé n’est pas en si
bon état. Si bien que les auteurs du papier sont resté très prudents. Ils
auraient pu décrire cet animal comme un nouveau phylum, le plus haut rang au
sein des animaux, le Graal du taxonomiste. Qu’importe le nombre d’espèces dans
un phylum (une pour les placozoaires, un million pour les arthropodes), les
membres d’un même phylum sont organisés de manière suffisamment distincte pour
être placés ensemble, mais sont suffisamment différents du reste pour qu’il
soit, à première vue, difficile de les relier à un autre phylum. Bref, les
auteurs ont rechigné à décrire les Dendrogramma
comme un nouveau phylum. Pourtant, pour avoir discuté avec eux, les
scientifiques qui ont relu et commenté leur article (c’est comme ça qu’on
publie en science, des gens doivent approuver l’article avant) leur auraient
même proposé de le faire. Alors, pourquoi ne pas avoir sauté le pas et ajouté un
nouveau phylum aux animaux ? D’autant plus qu’un des auteurs en a déjà
décrit 3, c’est pas comme s’il avait l’habitude (et j'en ai parlé ici !) ! Déjà, pas mal de gens
n’aiment pas les « phylums », bah, c’est de la dispute de
zoologistes, je ne rentre pas dans les détails. Ensuite, les organismes ont été
mal fixés, c'est-à-dire qu’ils ont été récoltés il y a presque 30 ans et gardés
de côté depuis. Malheureusement, aucun autre spécimen n’a été récolté depuis,
malgré plusieurs essais. Ca implique que malheureusement, aucun ADN n’a été
récolté. Et aujourd’hui, pour justifier une grande découverte zoologique, il
faut de l’ADN (ça se critique ou pas, bref). Plusieurs scientifiques qui ont
déjà commenté cette découverte ici (ça a fait beaucoup de bruit),
prétendent qu’ils pourraient en extraire de l’ADN quand même. Toujours est-il
que les auteurs de ce nouvel article n’avaient pas la possibilité de le faire,
c’est comme ça. Et le matériel lui-même était vieux et difficile à étudier. Tellement
que leur appartenance aux animaux elle-même a été mise en doute. En effet, les
spécimens ont été récoltés en 1987, il y a 27 ans… Et les spécimens ont passé
ce temps dans le formol et l’alcool, rendant leur morphologie difficile à interpréter.
Ça implique aussi qu'ils ont été tués et conservés dès qu’ils ont été récoltés (c’est
comme ça qu’on procède en mission en haute mer), si bien que ces animaux n’ont
jamais été observés vivants !
Nos étranges Dendrogramma. Les larges avec une astérisque à gauche, sont une autre espèce que les autres plus petits. Source: la publication originale que vous devriez lire.
|
Alors, à quoi ressemblent
nos nouveaux amis (attention, partie morphologie !). Deux espèces ont été
décrites. En gros ce sont des disques avec une tige au milieu. Oui, ça
ressemble à des champignons ! Cette tige porte la bouche à son extrémité
(et les champignons n’ont pas de bouche, dommage), qui semble présenter des
cellules glandulaires. Ces cellules permettraient de créer du mucus pour piéger
les particules qui flottent dans le fond des mers Australiennes. Au sein de
cette tige, la bouche débouche (forcément) sur un canal qui descend jusqu’au
centre du disque et va se ramifier de manière dichotomique (deux par deux)
jusqu’à atteindre les bords du disque. Ce canal semble remplis de larges
cellules. Malheureusement comme les spécimens sont vieux, il est dur de savoir
si ces cellules forment bien une cavité quand le spécimen est vivant et/ou se
nourrit. Cependant, chez certains animaux, l’intestin au repos ne présente en
effet aucune cavité. L’animal n’a que deux tissus cellulaires : des
cellules « endodermiques » présentes dans ces tubes, et des cellules « épidermiques »
présentes à l’extérieur de l’animal. Entre les deux se trouve une substance, la
mésoglée, qui, selon les endroits, a une texture fibreuse ou spongieuse. Deux
espèces ont été décrites. Une large, Dendrogramma
discoides, dont le disque mesure autour d’un demi centimètre, et avec une
tige courte et un disque bien rond, et une petite, mesurant autour de deux
millimètres, avec une longue tige et une entaille dans le disque.
Détails de la morphologie de notre nouveau venu
chez les animaux. Source: encore la publi orginale, allez, lisez là.
En réalité ces
caractères (canaux, une bouche et pas d’anus, deux tissus, une mésoglée) sont
présents chez les cnidaires et les cténaires, ces autres animaux non
bilatériens que j’ai évoqué plus haut. Mais nos Dendrogramma ne présentent aucun des autres caractères spécifiques
à ces deux groupes (que je ne vais pas détailler, à moins que vous me le
demandiez), ce qui les en exclu. Cependant ils pourraient être de proches
cousins. Malheureusement encore, les relations de parentés entre ces organismes
sont encore mal comprises, la morphologie de ces organismes est mal préservée,
et aucun ADN n’a été prélevé. Il va falloir attendre de nouvelles recherches.
Et aux vues des nombreuses réactions déjà existantes, on espère que ça va aller
vite. Une petite critique pourrait être faite : l’entaille de Dendrogramma enigmatica pourrait
présenter une forme de bilatéralité, et donc ces animaux auraient en effet deux
côtés, comme les bilatériens. Ceci dit, une petite touche de bilatéralité se
trouve aussi chez les animaux non bilatériens : par exemple l’intestin des
anémones l’est clairement. Rien de bien informatif donc, d’autant plus que Dendrogramma discoides ne présente pas
cette entaille.
Les relations de parentés entre les animaux non bilatériens, les bilatériens et Dendrogramma vues par les auteurs du nouvel article. Source: mais vous allez le lire cet article oui ? |
Aussi, d’autres
hypothèses ont été proposées, lors de la publication, mais aussi après
discussion avec quelques collègues hier. Est-ce que ça pourrait être des
écailles de vers à élytres (souris de mer par exemple). Ces écailles n’ont pas
de bouche, et même si l’image ci-dessous montre des similarités (l’aspect
ramifié), elles ne sont que superficielles (ces ramifications sont des nerfs).
Pareil avec les « pensées de mer » (traduit de l'anglais) qui y ressemblent
fortement, mais qui ont une organisation très différente (c’est une colonie de
petites animaux, apparentés aux coraux).
Harmorthoe, un ver à écailles. Et si Dendrogramma n'était que des écailles perdues ? Peu probable. Source : ver blindé. |
Photo de microscopie confocale d'un écaille de ver à écailles. La ressemblance a un peu intrigué lers auteurs, mais non, ça colle pas. Source : la photo m'a été donnée par un collègue et ami à moi Brett. |
Une "tapette de mer", Renilla reniformis. Un truc qui ressemble quand même au Dendrogramma... Source : cnidaire échoué. |
Autre chose à se
mettre sous la dent ? Oui, et pas n’importe quoi. Ce qui fait grand bruit
avec cette découverte, c’est que ces animaux ont été comparés avec des fossiles
qui datent du fond des âges, il y a 600 millions d’années, probablement pas
bien longtemps après que les animaux soient apparus. Ces fossiles datent de
l’édiacarien, où les animaux présentaient des formes étranges, et encore,
l’appartenance de ces fossiles aux animaux a elle aussi été discutée (tiens
tiens, comme les Dendrogramma).
L’organisation des canaux et l’aspect discoïdal ressemble fortement. Mais y’a
un hic, comme toujours, c’est que les canaux de ces animaux Ediacariens
présentent une symétrie en trois au centre, alors que les Dendrogramma n’ont que deux canaux qui partent du centre. Une
histoire à creuser donc, mais passionnante. Qui sait, ces étranges organismes
du fin fond des âges pourraient avoir survécu finalement ! Jusqu’alors les
pauvres avaient été décrits comme un échec de l’évolution (et ça, ça m’énerve
en plus !), ce serait un bel exemple d’une incroyable découverte de
quelque chose que l’on pensait disparu. Et même si c’était une convergence
évolutive, ça montrerait que ces organismes n’étaient pas tellement un échec,
et que d’autres animaux les ont même copié (bien sûr pas consciemment, on parle
d’évolution quand même) !
Reconstitution, pas très artistique de Rucognites, un des vieux trucs fossiles qui ressemble quand même drôlement à Dendrogramma. Source : Notre ami wikipédia |
Une reproduction plus artistique, de la faune d'Ediacaria. Source: vieux animaux. |
Pour finir, je
dirais que malgré cette effervescence autour de cette découverte, il faut
rester prudent, tout comme les auteurs l’ont fait. Il faut toujours le temps
pour qu'une nouvelle découverte scientifique se décante. Que la communauté
scientifique commente et critique, qu’elle lance de nouvelles recherches. Comme
l’a dit l’un des auteurs dans une interview « cette publication est un
appel à l’aide » et à la vue des premières réactions, il a été entendu. Et
dans tous les cas, il fallait bien publier ça, même si les résultats sont
incomplets, ça stimule la communauté et nous fait rêver : au fin fond des
mers il y a encore plein de belles découvertes.
Pour aller plus loin :
L'article original, quand même :
Et pour les curieux, un article où je parle, entre autre d'autres découvertes similaires passées d'un des auteurs de l'article dont j'ai parlé ici : vers infiniment petites et au delà !
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