Ce matin, j’ai reçu un mail qui
disait ceci : « Salut ! Une amie m’a ramené une graine de Baobab
de Madagascar. J’ai beau avoir tout essayé, rien n’y fait, pas de petit Baobab
en vue… Comment cela se fait il ? Pourquoi, en revanche, quand je mets des
lentilles à germer sur un coton humide, ces petites graines donnent des
plantules au bout de quelques jours ? C’est injuste ! »
Aujourd’hui, comme vous aurez pu
vous en douter, je vais tenter de répondre à cette question : pourquoi
certaines graines germent elles en quelques jours quand d’autres restent tout
simplement endormies ?
D’abord, rappelons-nous ce qu’est
une graine. D’après l’Encyclopaedia
Universalis, la graine correspond à « un organe de dissémination résultant de la transformation d'un ovule :
après la fécondation, ou même sans accomplissement d'un processus sexuel (agamospermie),
un embryon est formé dans le prothalle femelle (gamétophyte) ; dans un tissu
entourant l'embryon, ou dans l'embryon lui-même, des réserves sont accumulées, que celui-ci consommera lors de la
germination ; simultanément, les téguments ovulaires se transforment en une carapace
mortifiée, plus ou moins dure et imperméable, protégeant l'embryon et les
réserves. »
Oulala, que de mots compliqués
dans cette définition ! On va reformuler ça de manière plus simple. Mais
d’abord, souvenons-nous que nous avons tous, au moins une fois dans notre vie,
observé de manière plus ou moins attentive une graine à la loupe. En général,
cela se déroule au collège et la graine en question est un haricot coupé en deux… Voici une photo qui va raviver les
souvenirs :
Une graine de haricot coupée en deux. Source |
Transformation de la fleur en fruit. Source |
Transformation de la fleur en fruit. Source |
D’après ces schémas, la graine est donc un ovule transformé, en général après fécondation (rappelons que la fécondation est l’union d’un gamète mâle et d’un gamète femelle), qui est protégé par le fruit (anciennement le pistil, avant fécondation). Il faut aussi savoir que dans la graine, une fois que les réserves auront été stockées, l’embryon formé après fécondation va cesser de se développer et va être très fortement déshydraté (parfois jusqu’à 95% de déshydratation !). Gardez ça en tête pour la suite.
Or donc, toutes les graines ne vont pas pouvoir germer de la même
manière. Mais pourquoi cela ?
Pour qu’une graine germe, il faut
qu’elle soit placée dans des conditions
optimales de germination. Ainsi, si l’on veut s’amuser à faire germer des
lentilles, il suffira de les humidifier et de les placer sur un coton humide…
et quelques jours plus tard, on obtiendra une petite pousse verte.
Mais certaines graines ne
poussent pas, même si on les arrose. Si elles ne donnent aucun signe
d’activité, c’est parce qu’il n’y a pas eu ce que l’on appelle la levée de dormance. La dormance est une
« absence de développement d’un bourgeon ou d’une graine malgré les
conditions écologiques favorables. » Il s’agit en particulier d’une
« stratégie adaptative pour passer la mauvaise saison. » [1]
En clair, même si la graine est
disposée dans des conditions idéales de germination, elle ne germera pas, car
il n’y aura pas eu un signal préalable
déclenchant la germination.
Je m’explique. Prenons par
exemple des graines bien connues des enfants des régions tempérées : les
marrons, qui sont les graines du Marronnier d’Inde Aesculus hippocastanum .
Quelques marrons. Source |
Les marrons sont produits à la
fin de l’été et se retrouvent au sol au début de l’automne, où ils vont passer
l’hiver enfouis sous les feuilles mortes (s’ils n’ont pas été mangés entre
temps par les sangliers ou autres animaux).
Ils germeront par la suite au printemps. Cela semble évident… mais
pourtant, on ne voit pas de marrons germer avant l’hiver, ce qui semble logique
puisque la plantule qui aurait sorti ses feuilles délicates en octobre ne
ferait pas long feu en décembre… Quoi que, avec la météo actuelle, on pourrait
se poser des questions… mais ceci est un autre sujet !
Eh bien, il existe une
explication simple pour que la graine germe au « bon moment »,
c'est-à-dire après l’hiver : il est nécessaire que la graine ait subi une période de gel, ou tout du moins de
froid continu, pour que la dormance soit
levée et que la graine puisse germer. Sans cette période de gel, et même si
la graine est placée dès l’automne dans des conditions optimales de croissance
(redoux soudain, culture sous serre…), elle
ne germera pas.
Bien évidement, s’il suffisait
uniquement d’appliquer une période de gel pour faire sortir les graines de leur
dormance, ça serait beaucoup trop simple… En effet, il existe plusieurs types
de dormance.
Certaines graines ne possèdent
même pas de phase de dormance : au contact de l’eau, les tissus de la
graine vont s’imbiber puis l’embryon va utiliser les réserves pour grandir (une
observation flagrante est l’augmentation de la taille de la radicule, qui va
percer l’enveloppe de la graine).
Les autres graines sont soumises
à une dormance qui peut être de plusieurs types [2] :
1) La dormance physiologique : elle est levée par des écarts de
températures prolongés. C’est le cas chez un grand nombre de plantes à fleurs
telles que les tomates, l’avoine, ou encore le tabac. C’est aussi le cas pour
l’exemple que j’ai précédemment utilisé avec les marrons. Pour
« tricher » avec de telles graines, on peut tout simplement les
mettre au frigo un certain temps pour simuler l’hiver !
2) La dormance morphologique : cette fois, l’embryon n’est pas
complètement fini dans la graine, c’est pour cela que la germination n’est pas
immédiate, même en présence de conditions optimales. L’embryon doit donc
continuer à se développer alors même que la graine a été séparée de la
plante mère : c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate même
si la graine est située en conditions idéales.
3) La dormance physique : la graine est protégée par une
enveloppe totalement imperméable… et
donc l’eau ne peut pas atteindre les tissus internes et ne peut pas réhydrater
l’embryon. Sans eau, pas de croissance possible ! Il est donc nécessaire
d’avoir une action physique sur la
graine pour que celle-ci puisse germer. Par exemple, il faut une abrasion
mécanique (les tissus protecteurs de la graine doivent être dégradés par
frottements, par broyage…) ou chimique (la graine peut être avalée par un
animal et subir un traitement chimique acide dans l’estomac… pour ensuite
ressortir de l’autre côté et être prête à germer !)
Bien évidement, il existe des
intermédiaires entre ces trois catégories : dormance morpho-physiologique
par exemple…
Concernant l’histoire de la graine de Baobab qui ne veut pas germer
il est fort possible que la dormance de cette graine n’ait pas été levée. Dans
les régions tempérées froides, c’est le froid qui est responsable de la levée
de dormance… entre autres facteurs. Mais dans les régions tropicales chaudes,
c’est plutôt la chaleur ! En effet, les graines vont avoir tendance à
germer lorsqu’il fait le plus frais : une grosse période de chaleur est
donc nécessaire pour lever la dormance.
En parlant de lever de dormance,
savez vous que grâce à cette protection supplémentaire, on retrouve encore des
graines qui ont plus de mille ans…
et qui sont encore capables de germer ? C’est le cas des graines de Lotus Nelumbo nucifera, retrouvées dans des
sédiments d’un ancien lac de Chine, qui ont été mises à germer… et qui ont
poussé ! [3]
Fleur de Lotus Sacré. Source : photo perso |
Graines de Lotus. Source |
Pour avoir moi-même fait
l’expérience, ces graines ne germent que si la protection externe est
suffisamment abimée pour que l’eau puisse atteindre l’intérieur de la graine.
Il s’agit ici d’une dormance physique,
qui ne peut être levée que si la coque est abrasée par une action mécanique. Ainsi, les graines de Lotus retrouvées dans les
sédiments ont été abrasées mécaniquement à l’aide de papier de verre pour que
l’eau puisse pénétrer à l’intérieur. Rendez vous compte que pendant un millénaire, ces graines sont restées en
sommeil en attendant de pouvoir redonner un organisme fonctionnel et
complet !
C’est à cette occasion que l’on
s’aperçoit que les végétaux nous réservent encore et toujours de nouvelles
surprises !
Bibliographie
[1] Introduction à la botanique, G. Ducreux, ed. Belin, 2002
[2] Seed
dormancy and the control of germination, W. E. Finch-Savage and G.
Leubner-Metzger, New Phytologist (2006) 171:501–523
[3] Exceptional seed longevity and robust growth: ancient sacred Lotus from
China, J. Shen-Miller, M.B. Mudgett, J.W. Schopf, S. Clarke, R. Berger,
American Journal of Botany (1995) 82:1367-1380
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